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PLAIDOIRIES DES LYCÉENS2016

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19e ÉDITION - 29 JANVIER 2016

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Le Mémorial de Caen • Recuei l des Plaidoir ies 2016 • LYCÉENS

LE 19e CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCÉENSPOUR LES DROITS DE L’HOMME

Vendredi 29 janvier 2016

AU MÉMORIAL DE CAEN

Depuis 18 ans, le Mémorial de Caen organise le Concours de plaidoiries des lycéens pour les droits de l’homme. Soutenu par le Conseil Régional de Normandie, cet événement offre aux lycéens une tribune exceptionnelle pour défendre une cause qui leur tient à cœur.

Ce concours se déroule en plusieurs étapes. Après une première sélection écrite qui a départagé plus de 1 500 plaidoiries, des jurys se sont réunis en région afin de sélectionner les équipes lauréates qui participeront à la finale au Mémorial de Caen.

En présence d’un jury composé de personnalités engagées dans la défense des droits de l’homme, de représentants de l’Éducation Nationale, de journalistes, d’artistes et de lycéens, ce concours, qui se déroule devant un public de plus de 2 000 personnes, récompense les qualités oratoires et la force argumentaire des candidats.

Nous remercions sincèrement nos partenaires qui, pour la plupart d’entre eux, nous accompagnent depuis 18 ans : la MGEN, Amnesty International France, Reporters sans Frontières, le quotidien L’Actu. Nous remercions tout particulièrement nos partenaires qui accueillent les présélections en régions et sans lesquels le Concours de plaidoiries des lycéens pour les droits de l’homme ne connaîtrait pas un tel succès. Merci au CERCIL d’Orléans, au Tribunal de Grande Instance de Lille, au Musée d’Aquitaine, au CRDP de Toulouse, au CRDP Aix-Marseille, au CRDP de Reims, au Midi-Libre à Montpellier, à Ouest-France à Rennes, à la MGEN à Paris, au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon et à la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg.

Le Barreau, la Ville et le Mémorial de Caen n’entendent donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises par les candidats ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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Les notes de bas de page sont à attribuer aux auteurs des plaidoiries, à l’exception des notes portant la mention N.d.É. (Note de l’Éditeur).

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TABLE DES MATIÈRES

LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES LYCÉENS

L’Arabie saoudite à l’ONU, les droits de l’homme crucifiés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9Louis Canler et Paul Morillot / Lycée Catherine et Raymond Janot, Sens

Azerbaïdjan, terre de tolérance ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17Antoine Milanini et Soufiane Lamalam / Lycée Georges Duby, Luynes

Partir pour vivre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Amadou Mbaye / Lycée Claude Nicolas Ledoux, Besançon

Les bateaux se cachent pour mourir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33Louis Tellier / Lycée Saint-Aspais, Melun

Injustice dans la Caraïbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 Enzo Portecop / Lycée des Droits de l’Homme, Petit-Bourg (Guadeloupe)

À ceux qu’on foule aux pieds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49Antonin Lefebvre / Lycée Saint-Exupéry, Terrasson-Lavilledieu

La République se voile la face . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57Marie Gallizia et Magdaleine Maire / Lycée Jules Guesde, Montpellier

Une peine pire que la mort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65Charlotte Callahan / Lycée français de Chicago (États-Unis)

Une dictature au service des droits de l’homme ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73Marine Le Roux et Anne-Lise Le Floch / Lycée Notre-Dame, Guingamp

Le viol, un instrument de guerre et de destruction ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81Maxence Andrys / Lycée Maxence Van der Meersch, Roubaix

Coupe du monde au Qatar : quand le ballon ne tourne plus rond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89Hugo Jolivet / Lycée Jacob Holtzer, Firminy

L’addition salée d’une enfance volée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97Nicolas Michaud et Arthur Clamageran / Lycée Saint-Joseph, Le Havre

Des bleus au cœur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105Léa Manoury / Lycée Pierre Émile Martin, Bourges

Les enfants fantômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113Anne-Laure Tollec / Lycée Saint-Sernin, Toulouse

LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES ÉLÈVES AVOCATS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

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L’Arabie saoudite à l’ONU, les droits

de l’homme crucifiés

Louis Canler et Paul Morillot

Lycée Catherine et Raymond Janot, Sens

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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« On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. »1 Ce vers d’Arthur Rimbaud symbolise l’insouciance de l’adolescence.

Dix-sept ans, c’est l’âge de Louis. C’est mon âge, c’est l’âge de la plupart des participants à ce concours de plaidoirie. Dix-sept ans, c’est l’âge où l’on croit pleinement à ses rêves, c’est l’âge où la dureté de la vie ne nous a pas encore atteints. Dix-sept ans, c’est l’âge où nos ambitions n’ont pour seule limite que notre imagination.

Dix-sept ans, c’est aussi l’âge de risquer la peine capitale, et cela Ali al-Nirm ne le sait que trop bien.

En effet, cet âge est celui d’un jeune saoudien chiite, qui a voulu croire à la démocratie, à la liberté individuelle et à la fin du fanatisme religieux. Ce jeune saoudien s’appelle Ali al-Nirm.

En 2010, comme beaucoup d’autres jeunes d’Arabie saoudite, pris par l’engouement du printemps arabe, Ali a manifesté contre la dureté du régime saoudien. Mais Ali n’est pas seulement un jeune chiite qui manifeste contre la monarchie absolue sunnite qui est au pouvoir, il a le malheur d’être de surcroît le neveu d’un important chef religieux chiite connu pour être un fervent opposant au régime.

Face à cet acte, le régime saoudien va arrêter et jeter Ali en prison. Il est torturé et donc forcé d’avouer « ses crimes » après un an de souffrance. Ali est donc considéré comme un criminel.

Alors, mai 2014, ce n’est pas une simple peine de mort qui attend Ali, mais c’est la décapitation, la crucifixion, et l’exposition de son corps jusqu’au pourrissement des chairs.

1 Arthur Rimbaud, Roman, 1870 (N.d.É.)

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Vous rendez-vous compte, Mesdames et Messieurs, de l’immensité de la condamnation par rapport à un si petit acte, qui est celui d’un simple militantisme politique ! En effet, dans ce cas, on peut dire qu’Ali al-Nirm innove, car c’est très certainement la première personne à être condamnée à mort pour militantisme politique dans l’histoire récente de l’Arabie saoudite !

De plus, pouvons-nous appeler cela « humain » de pouvoir décapiter, crucifier et laisser pourrir un corps ?

Le cas du jeune Ali montre toutes les faiblesses de la Constitution saoudienne. Car dans cette affaire, plusieurs articles de cette Constitution ont été violés. L’article 46 par exemple qui stipule clairement que « le pouvoir judiciaire est indépendant » et qu’« il n’y a aucun contrôle sur les juges lorsqu’ils prononcent leurs verdicts, sauf celui de la Charia islamique ». À qui veut-on faire croire que l’État saoudien n’est pas intervenu dans cette affaire ? À qui veut-on faire croire que l’État saoudien n’a pas fortement encouragé la peine capitale contre Ali ?

Autre exemple de cette absurdité judiciaire, l’article 26 de cette même Constitution saoudienne : « L’État protège les droits de l’homme ». Rappelons-en les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Article premier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Mais où est cette égalité en droits quand la seule raison pour laquelle Ali se voit condamné à mort est le fait que son oncle soit le chef politico-religieux de l’opposition au régime ?

L’article 5 lui aussi a été bafoué, il indique : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Ali a été torturé un an dans sa prison avant d’avouer « ses crimes ». Apparemment la torture n’a rien de cruelle, d’inhumain ou de dégradant pour certains.

Malheureusement il existe d’autres cas similaires à celui d’Ali.

En effet, Raif Badawi, jeune blogueur, crée en 2015 une page sur

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le Net pour critiquer le régime saoudien. Alors Raif est condamné à dix ans de prison, 270 000 dollars d’amende et mille coups de fouet. Trouvez-vous cela normal d’être condamné à la flagellation pour s’être exprimé ? Je vous laisse y réfléchir.

Un autre cas. Une jeune femme saoudienne, dix-neuf ans, dont on ne connaît pas le nom. Condamnée dans un premier temps à quatre-vingt-dix coups de fouet. Sa faute ? Alors qu’elle est mariée, elle rejoint un autre homme dans une voiture pour récupérer des photos de son enfance. Puis le même jour, elle ne se fait pas violer par un, ni même par deux ou encore trois hommes, elle se fait violer par sept hommes. Lorsqu’elle essaye de s’exprimer auprès des autorités, elle ne reçoit pour seule réponse que d’être condamnée à deux cents coups de fouet et six mois de prison. L’Arabie saoudite s’est justifiée en disant que cette femme était en situation d’infraction, car elle était sortie de chez elle sans un membre de sexe masculin de sa famille. Les femmes ne sont donc considérées que comme des objets.

Le plus terrible à nos yeux, c’est l’absence de véritable réaction de la part de la communauté internationale et de l’ONU. Seules des ONG comme Amnesty International ou Reporters sans frontières ont relevé ces actes de barbarie. L’ONU est allée jusqu’à nommer l’Arabie saoudite à la tête de sa commission pour la défense des droits de l’homme2 ! Paradoxe presque risible, si la vie d’Ali n’était en jeu.

Les États occidentaux hésitent à réprimander l’Arabie saoudite au nom des milliards de pétrodollars qui sont en jeu. De l’autre côté de la balance, il n’y a qu’un jeune adolescent qui un jour rêva de démocratie. Alors sacrifions-le, sacrifions Ali sur l’autel de l’argent, pour sauver les intérêts politico-économiques dans cette région très instable où l’on est loin d’être à une vie près.

Aujourd’hui, nous déclarons la guerre à Daech, mais nous serrons la main de son père : l’Arabie saoudite. Comme le disait Kamel Daoud, un intellectuel algérien : l’un égorge, pille et tue,

2 Comité consultatif (N.d.É.)

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l’autre « est mieux habillé et plus propre mais fait la même chose »3.

C’est pourquoi aujourd’hui je vous incite à vous lever, à combattre ces crimes, à oser vous exprimer, et à ne pas avoir peur de critiquer ce qui vous semble injuste, comme nous le faisons aujourd’hui.

Non, nous ne sommes pas sérieux quand nous avons dix-sept ans. Mais c’est pourtant avec le plus grand sérieux que nous exprimons notre dette à Ali, Raif et cette jeune femme, qui nous ont aidés à prendre conscience de notre précieuse liberté d’expression, pour réaffirmer ici devant vous, à travers eux, la valeur des droits de l’homme et notre espoir pour qu’ils puissent les partager avec nous.

Mesdames, Messieurs, Albert Camus disait : « J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre. »4

3 The New York Times, 20 novembre 2015 (N.d.É.)4 Albert Camus, Les Justes, Paris, Gallimard, 1950 (N.d.É.)

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Azerbaïdjan, terre de tolérance ?

Antoine Milanini et Soufiane Lamalam

Lycée Georges Duby, Luynes

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Mesdames et Messieurs, le gouvernement azéri, mené par son président Ilham Aliev, exerce à l’heure qu’il est une des dictatures les plus féroces au monde. Depuis 1993, date de son indépendance, aucune élection n’y a été qualifiée de « libre » selon les observateurs internationaux ; les manifestations publiques contre le gouvernement y sont formellement interdites, pire encore ! durement réprimées. La police azérie n’hésite pas à faire usage de la torture dans les prisons. Dans ce pays où aucune liberté individuelle n’est tolérée, ce sont chaque année de nombreux prisonniers politiques qui meurent dans les cellules du gouvernement.

Elle s’appelle Leyla Yunus. Cette militante azérie de soixante ans a, tout au long de sa vie, lutté pour le respect des droits de l’homme, pour la liberté d’expression et pour une justice indépendante, valeurs bafouées dans son pays. Elle n’a jamais hésité à courageusement s’opposer au gouvernement Aliev afin que son pays respecte enfin la Déclaration universelle des droits de l’homme mise en place par l’ONU, dont l’Azerbaïdjan est pourtant membre et qu’il s’engage par conséquent à appliquer.

Or, le 28 avril 2014, suite à ses engagements libres, le gouvernement estime que Leyla est devenue trop gênante. Celle-ci est arrêtée avec son mari et emprisonnée. Nous n’avons depuis, en guise de nouvelles, qu’une vidéo publiée deux mois après son arrestation. La métamorphose est choquante, Mesdames et Messieurs. On peine à reconnaître Leyla. Ses cheveux blonds d’antan ont blanchi, elle a atrocement maigri. Elle peine à mettre un pied devant l’autre et a perdu la vue de l’œil gauche. Oui, Leyla Yunus a été torturée. Torturée pour avoir dit non.

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Quelques mois plus tard, Mme Yunus et son mari sont condamnés à huit et onze ans de prison ferme dans un procès expéditif et à sens unique pour « trahison » et « fraude fiscale ». Des accusations souvent utilisées par le gouvernement azéri pour faire emprisonner ses opposants. Qui est derrière ce procès ? Vous l’avez deviné. C’est l’État qui a manigancé ce véritable « procès de Moscou ». Oui, car la justice n’est pas indépendante en Azerbaïdjan, la justice, c’est le reflet de l’État, le reflet d’Aliev. C’est une justice idéologique. Une justice inexistante finalement. Exactement ce que dénonçait Mme Yunus. Et voilà Leyla emprisonnée pour des délits qu’elle n’a pas commis. Quelle heureuse coïncidence pour M. Aliev que de révéler au pays qu’une soi-disant opposante principale à son gouvernement n’est qu’une fraudeuse fiscale ou encore une traîtresse ! Personne n’y croit, tout le monde comprend, mais qui le dénonce ?

Le 10 décembre 1948, suite à six ans d’horreur, de guerre atroce, suite à des génocides, à des massacres, l’Organisation des Nations unies se décide à rédiger la Déclaration universelle des droits de l’homme, pour la paix, pour la liberté et la vie. Une déclaration que chaque État membre devra s’engager à respecter. Il y est mentionné dans l’article 3 : « Tout individu a le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. » Il est également écrit noir sur blanc dans l’article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Parmi les 193 États membres, l’Azerbaïdjan, et tant d’autres États pour qui l’être humain ne signifie rien.

Alors je pense qu’il est légitime de s’interroger sur l’efficacité de cette convention, quel est son poids puisqu’aujourd’hui des gouvernements peuvent faillir à ses fondements en toute impunité ? Pourquoi du moins l’Azerbaïdjan le peut-il ? Pour le savoir, il nous faut nous intéresser à la situation de ce pays. Car oui, ce n’est pas un pays comme les autres. L’Azerbaïdjan représente aujourd’hui des sources de profit inestimables pour d’éventuels pays coopérateurs : du pétrole et du gaz à envoyer dans les yeux des gouvernements étrangers pour les aveugler.

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Oui, le principal bouclier, je dirais même le seul, face à des enquêtes ou des sanctions, c’est le pétrole. Et cela, Ilham Aliev l’a excellemment bien compris, cette faiblesse, cette faille dans le code d’honneur des États occidentaux. C’est pourquoi il a fortement augmenté l’exportation de pétrole : Bakou, la capitale, est aujourd’hui la première ville productrice de pétrole au monde.

Aujourd’hui, le vrai rempart aux droits de l’homme, ce n’est pas selon moi les pays irrespectueux de ces droits, c’est la « Realpolitik » des gouvernements garants de ces libertés qui ferment les yeux sur ces crimes et mènent une politique pour laquelle seul le bénéfice compte et non la conscience, le sens des valeurs. C’est cela qui a également une grande part de responsabilité dans l’assassinat, dans la torture d’êtres humains chaque jour. Et devant cela, c’est le monde qui reste les bras croisés. Martin Niemöller1 disait : « Le silence des pantoufles est plus dangereux que le bruit des bottes. » D’où provient le silence assourdissant des pantoufles ? Hélas, il est plus proche que vous ne le pensez.

Car notre gouvernement républicain et démocrate entretient, il est vrai, des relations étroites avec l’Azerbaïdjan. Notre président a effectué depuis le début de son mandat deux visites à Bakou chez son grand ami Ilham Aliev, signant des accords à plus de deux milliards d’euros et buvant d’excellents champagnes pendant que des femmes, des hommes, comme Leyla, agonisaient.

Le réseau de corruption d’Aliev vient même jusqu’à ronger nos représentants, nos députés qui font aujourd’hui l’éloge du pays et l’ont soutenu dans sa candidature pour les Jeux européens (qui se les est vu accorder) en échange de pots-de-vin. Pire encore lorsque récemment est organisée dans notre belle capitale, au Palais-Royal plus précisément, une exposition photographique financée par le président Aliev baptisée « Azerbaïdjan, terre de tolérance ». Terre de tolérance ? Je tiens à répéter la définition du mot tolérance :

1 Martin Niemöller (1892-1984) est un pasteur et théologien allemand, arrêté en 1937 puis déporté en raison de son opposition au régime nazi. (N.d.É.)

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attitude de la part d’une personne ou d’un gouvernement qui admet chez une personne qu’elle puisse penser différemment. Et Leyla Yunus ? Y a-t-il eu de la tolérance pour elle ? Et est-ce dans la capitale d’un pays où la tolérance rime avec Voltaire, avec Zola, avec Camus et tant d’autres qui se sont battus pour ; est-ce dans cette capitale que l’on voit placarder des affiches sur lesquelles l’on fait l’éloge d’un dictateur ? Où sont passées les valeurs du pays ? Et on se demande si aujourd’hui on s’allie à un pays pour les valeurs qu’il incarne ou pour ses richesses. Malgré la puissance de notre pays, ce sont dans des situations comme celle-ci que nous découvrons la faiblesse politique de nos dirigeants. Nous serrons des mains et les billets qui s’y associent. Nous qui sommes pourtant, et admirés de ce fait, à l’origine du premier article de la Déclaration des droits de l’homme de l’ONU : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Mais aujourd’hui, malgré ces troublantes vérités, nous avons une bonne nouvelle à vous annoncer. En effet, le mercredi 9 décembre, grâce au merveilleux travail des ONG et à cause de l’état de santé de la militante, Mme Yunus a été libérée avec mise à l’épreuve. Mais désormais, la moindre opposition au gouvernement la fera emprisonner. À sa sortie, très affaiblie et s’appuyant sur une canne, celle-ci déclarera : « On m’a transformée en poussière de camps », faisant référence aux répressions staliniennes. Oui, c’est une autre Leyla Yunus qu’on a retrouvée.

À force d’être nés dans la liberté, et sans que l’on nous ait expliqué les raisons, l’importance de celle-ci, nous oublions parfois notre chance. Nous en devenons égoïstes. Mais c’est en nous instruisant que nous prenons conscience de cette chance. Nous, citoyens d’un pays qui a lutté pour ces droits, qui a connu l’Occupation pendant laquelle des compatriotes sont morts pour la liberté. Tout comme ces femmes, ces hommes en Azerbaïdjan qui réclament leurs droits, dont on les a privés. Et notre gouvernement, ses représentants, par leurs actions

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déshonorantes, ne doit pas tomber, comme tant d’autres pays, dans le piège du pétrole. Mais après la libération de Leyla Yunus, le combat, Mesdames et Messieurs, continue. Il continue pour tous les prisonniers politiques encore emprisonnés en Azerbaïdjan. Il continue pour Khadija Ismaïlova, pour Fouad Gahramanli, pour Intigam Aliyev, pour Rasul Jafarov, et tant d’autres, martyrs de la liberté. Aujourd’hui, ensemble, faisons entendre nos voix, notre solidarité. Albert Einstein disait : « Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » Ne faisons pas partie de ceux-là. Car leur espoir, c’est nous. Nous sommes heureux d’avoir pu plaider devant vous, fiers que, pendant huit minutes, nos pensées se soient dirigées vers ces personnes libres, et là est notre plus grande victoire.

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Partir pour vivre

Amadou MbayeLycée Claude Nicolas Ledoux,

Besançon

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers […] des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »

La plupart d’entre vous auront reconnu ici un extrait de la préface des Misérables, œuvre du fervent défenseur des droits de l’homme, Victor Hugo. Écrite il y a de cela cent cinquante-trois ans, elle est aujourd’hui encore pleine de sens.

Le 27 août 2015, les corps de soixante et onze migrants ont été découverts dans la remorque arrière d’un camion, lequel était abandonné sur une route autrichienne, dans la périphérie de Vienne.

Il y avait alors là les cadavres de femmes, d’hommes, d’enfants même, qui furent sans doute pour beaucoup des pères et des mères, des filles et des fils, des frères et des sœurs. Venus ici, en Europe, dans l’espoir d’une vie meilleure, ils n’auront pourtant trouvé que la mort. Cette mort, cette même mort, qui déjà chez eux les attendait.

Des tragédies telles que celle-ci, on peut tristement en citer des dizaines, mais toutes sont le reflet de la réalité de nos frontières, hostiles et mortelles. Ces êtres humains, des êtres humains qui fuyaient la guerre, les persécutions, qui ont traversé littéralement des mers, des continents, auront vu leurs espérances brisées, broyées par l’hiver européen. C’est pour cela que je suis ici aujourd’hui devant vous, pour donner une voix à ceux qui n’ont personne pour être entendus.

Vous l’aurez compris, je défends le droit à l’immigration, parce qu’en ces temps troublés il est plus que nécessaire, il est vital.

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Et plus que jamais, ces mots qui font notre devise : « Liberté, Égalité, Fraternité » doivent avoir un sens. Mais ces préceptes, aujourd’hui, semblent perdre de leur portée, alors que nous devrions les réaffirmer avec force et conviction.

Et pourtant.

Les réfugiés, lorsqu’ils arrivent en Europe, sont arbitrairement détenus, sans procès, sans jugement. Comme si le fait de fuir pour leur vie les rendait, aux yeux des autorités, sujets à soupçons. Ainsi, on leur interdit d’exercer un droit que pourtant leur garantit la constitution onusienne : « Toute personne a le droit de circuler librement » (article 13, alinéa 1).

La loi est de leur côté, pourtant il n’y a ni justice ni équité dans le traitement qui leur est réservé – oubliés par les politiques, méprisés par certains médias – ; leur calvaire européen, lui, ne se termine pas.

Dans sa chronique datée du 17 avril 2015, le plus vendu des tabloïds britanniques, The Sun, qualifiait les migrants de « cafards ». Cet article particulièrement virulent, raciste, xénophobe, n’a fait pourtant l’objet d’aucune poursuite, d’aucune condamnation.

Pour reprendre les mots de Patrick Weil, « l’immigration n’est ni une malchance, ni une chance, c’est une réalité. »1 Ainsi il n’appartient qu’à nous d’en faire quelque chose de positif.

Et alors que nous parlons, les migrants se meurent, tués à petit feu par la saleté de leurs bidonvilles occidentaux, de ces sordides ghettos aux sanitaires devenus insalubres, et dont l’état général se dégrade un peu plus chaque jour. À Calais, le nombre de réfugiés a été multiplié par quatre en l’espace de quelques semaines, passant de mille cinq cents personnes à six mille, et ce sans que les aménagements nécessaires soient réalisés. Et ce

1 Patrick Weil, Le 1, n° 73, 9 septembre 2015.

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qui ne devait être qu’une installation provisoire, temporaire, s’est transformé en une véritable ville, avec ses rues sales, boueuses, et ces maisons non pas faites de tuiles et de brique, mais de toile et de bois.

Jusqu’à quand laisserons-nous des êtres humains vivre dans des conditions si indignes ?

Jusqu’à quand fermerons-nous les yeux sur nos responsabilités, nos devoirs, moraux et éthiques, au profit de nos peurs et préjugés ?

Oui, nous devons les aider, non pas seulement parce que certaines des décisions politiques qu’ont prises nos gouvernements sont responsables de cette situation. Mais aussi et surtout parce que ceux qui aujourd’hui périssent en mer sont nos frères.

Parce qu’avant d’être français, syriens, allemands ou érythréens, nous sommes des êtres humains, et nous appartenons à une même famille, une belle et grande famille, l’humanité, et c’est donc dans un esprit de fraternité, de concorde que nous devrions agir les uns envers les autres, conformément à l’article premier de la constitution de l’ONU.

La France, notre France, ma France, agit contrairement à ses principes, à ses valeurs, bafouant sa Constitution qui, à chacun, à chaque être humain, promet une égalité de dignité.

On estime depuis le début du conflit à environ 3 400 le nombre de personnes qui ont perdu la vie en tentant de traverser la mer Méditerranée. Et les plans Triton et Mare Nostrum, sur lesquels se sont développés tous les espoirs des politiques, ont été de cuisants échecs ; une centaine d’enfants ont payé le prix de cette ingérence étatique.

Victimes bien innocentes d’une crise qui les dépasse, arrachés trop tôt à la vie dans l’indifférence générale. Désormais au fond de la mer, alors qu’ils auraient plutôt dû être sur les bancs de l’école, à apprendre, alors qu’ils auraient dû être aidés, accompagnés, soutenus et protégés.

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Et ceux qui par miracle sortent de ces traversées vivants doivent bénéficier d’un suivi psychologique plus conséquent, parce qu’ils doivent se reconstruire, parce que les horreurs que ces enfants ont vues, ont vécues, nul ne devrait avoir à les vivre ; selon les articles 3, alinéa 2 de la Convention internationale des droits de l’enfant, les États doivent assurer la protection et les soins des mineurs.

La société dans laquelle je désire voir mes enfants grandir n’est pas celle qui laissera pousser des bidonvilles à ces fenêtres, et crever des gens à ces fenêtres.

Mesdames, Messieurs les Jurés,

À trop vouloir défendre nos pays, nos valeurs, nous pourrions bien finir par les faire disparaître.

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Les bateaux se cachent pour mourir

Louis TellierLycée Saint-Aspais,

Melun

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Aujourd’hui, mon réfrigérateur est tombé dans l’obsolescence. C’est donc tout naturellement qu’après l’avoir débranché et sorti de la maison, je l’ai jeté dans le jardin de mes voisins qui vivent dans la misère. Comme toutes les autres fois, c’est sous les encouragements de leur mère que les enfants se sont attelés à dépecer l’objet sans ménagement. En un temps record, le plus jeune échappe de peu à la mort lorsque le réfrigérateur se trouve basculé en arrière, la cadette s’ouvre la main, et pour couronner le tout, l’aîné respire à pleins poumons le gaz du compresseur pendant que l’huile se répand dans le caniveau. À la revente des pièces récupérables, le père en tirera sans doute quelques euros. Pour ma part, j’ai économisé les frais de recyclage, argent avec lequel je vais pouvoir renouveler mon téléphone portable. Accessoirement, je suis en paix avec ma conscience car, vous en conviendrez, je leur ai « rendu service ».

Ce comportement vous indigne ? C’est pourtant ce que nous faisons tous, à une tout autre échelle. À l’heure où vous m’écoutez, ils sont plus de cinq mille en Inde comme au Bangladesh à œuvrer au démantèlement de nos navires obsolètes que nous sommes allés jeter sur leurs plages. Ce sont là des voisins, certes plus lointains, mais pourtant bien nos voisins, à l’heure de la mondialisation.

Lorsque nous, Occidentaux nantis, sous-traitons à des pays du tiers-monde le démantèlement de nos poubelles flottantes, nous transférons à d’autres le poids de notre responsabilité en sachant pertinemment que ces « autres » effectuent le travail qui nous incombe au péril leur santé. À court terme, ces pauvres gens sont exposés aux risques quotidiens d’accident puisqu’ils effectuent les travaux de démolition sans les protections élémentaires – masques, casques, vêtements de travail – ; sans oublier par ailleurs

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les travaux effectués en équilibre à des hauteurs pouvant atteindre vingt mètres sans le moindre garde-corps et la manipulation d’éléments – plaques de tôle entre autres dont le poids peut atteindre plusieurs dizaines de tonnes – à la seule force de leurs bras. À plus long terme, et comme si cela ne suffisait pas, les ouvriers sont également soumis à une insidieuse intoxication par l’amiante et l’inhalation des vapeurs toxiques d’hydrocarbures, voire de matières plastiques mises en fusion accidentellement lors du découpage de l’acier. Les maladies pulmonaires et autres cancers qui en découleront hypothèquent ainsi leur espérance de vie. À cela vient s’ajouter un bilan physique désastreux, avec la naissance, à mesure du défilement des morceaux de bateaux, de problèmes articulaires qui auront pour la plupart pour conséquence un vieillissement prématuré.

J’entends déjà les plus cyniques d’entre nous : « ils ont du travail », « c’est déjà pas mal ». Après tout, n’est-ce pas ce que dit la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Mais elle dit aussi : « Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale. » Est-ce le cas ? Peut-on parler de dignité humaine lorsque les salaires sont dérisoires et la couverture sociale inexistante ? Lorsque la misère familiale vous oblige à effectuer quotidiennement un travail de bagnard ? À dépendre d’une entreprise sans scrupules contre laquelle vous n’avez pas le moindre recours possible en l’absence totale d’un code du travail digne de ce nom et respectueux de la valeur de l’homme ?

En parallèle de ce désastre humanitaire, comment ne pas évoquer la catastrophe écologique engendrée par l’afflux massif d’épaves qui se succèdent sans cesse et viennent transformer en cimetières à ciel ouvert ces lieux paradisiaques qui, en d’autres temps, firent le bonheur des habitants vernaculaires de ces côtes de sable blanc. Il le fut, blanc. Avant que n’y soient déversés les fonds d’hydrocarbure des cuves suintantes de nos pétroliers. Avant

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que n’y soient enfouies toutes ces matières toxiques, ô combien polluantes et sans valeur marchande. Avant que les eaux de pluie ne ruissellent dans les sous-sols et ne viennent contaminer les nappes phréatiques de régions entières, transformant cette situation dramatique en désastre sanitaire.

Ce désastre écologique et humanitaire, nous en sommes tous conscients. Cependant, en toute connaissance de cause, nous continuons comme si de rien n’était. Nous continuons à tenter d’améliorer notre train de vie, quand d’autres tentent seulement de survivre.

Évidemment, la situation ne comporte, pour nous, Occidentaux, que des avantages ! Nous n’exposons pas nos travailleurs aux dangers rencontrés lors de l’extraction de matières toxiques, mais surtout, oui surtout, nous réalisons de substantielles économies puisque le démantèlement d’un navire coûte en moyenne dans ces conditions trois fois moins cher ! La différence de coût ? Il suffirait que nous décalions tous le renouvellement de notre téléphone portable d’une semaine pour la compenser.

Pendant combien de temps allons-nous continuer ? Ce qui n’est pas bon pour nous l’est-il plus pour d’autres ? Nous sommes responsables de cette situation et il y va donc également de notre responsabilité d’y mettre un terme. Agissons dès maintenant ! Gérer cela chez nous ? Non, ce serait sans doute là une fausse bonne solution. Nous risquerions, en privant brutalement ces gens de leur seul moyen de survie, d’accentuer encore la misère qui est la leur au quotidien. Notre devoir aujourd’hui, en tant que citoyens du monde, c’est par tous les moyens légaux de faire pression sur les gouvernements et les sociétés qui exploitent cette misère. Contraignons-les, à défaut de pouvoir les convaincre. « Comment ? », me direz-vous. Peut-être est-il temps pour nous de payer ces services à leur juste valeur en imposant nos conditions à la réalisation de l’ouvrage. Peut-être est-il temps pour nous d’accepter un surcoût pourvu que l’on puisse offrir à ces ouvriers des conditions décentes.

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Sans doute, aucun d’entre nous n’a jamais eu le sentiment de remettre en cause le moindre article de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont nous, Occidentaux, nous faisons les chantres en nous posant en permanence en donneurs de leçons pour le reste du monde. Certes, nous avons aboli l’esclavage depuis bien longtemps maintenant. Certes, nous n’emprisonnons pas sous de futiles prétextes nos opposants politiques pour préserver la place de quelques potentats indignes de l’occuper. Certes, nous ne pratiquons pas l’immixtion étatique et préservons ainsi la vie privée de nos concitoyens. Mais combien d’entre nous, Mesdames et Messieurs, pourraient aujourd’hui citer le contenu des articles 23 à 25 de cette même Déclaration ? Déclaration qui pourtant fait notre fierté, particulièrement nous, Français, puisqu’elle est en partie issue de notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! Au risque de me répéter, je cite : « Tous ont droit à un salaire égal pour un travail égal », tous ont « droit […] à une limitation raisonnable de la durée du travail », tous ont « droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ».

Alors oui, oui, nous, Occidentaux, dans le seul but de maintenir notre train de vie paisible, nous cautionnons par notre comportement une transgression quotidienne et manifeste des droits de l’être humain dans plusieurs pays du tiers-monde. Mais il est encore temps de réagir. Si l’argent est maître du monde, faisons en sorte qu’il contribue aussi à son bien-être. Prenons nos responsabilités en contraignant les autorités locales à fournir à ces travailleurs des conditions dignes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, quitte à ce que nous soyons contraints nous-mêmes d’attendre quelques jours de plus pour renouveler notre téléphone portable.

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Injustice dans la Caraïbe

Enzo PortecopLycée des Droits de l’Homme,

Petit-Bourg (Guadeloupe)

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Mesdames, Messieurs,

Voici les mots que s’échangent des adolescents en République dominicaine : « Si tu es noir en République dominicaine, tu es forcément haïtien, et tôt ou tard on t’expulsera ! »

Aujourd’hui, je voudrais plaider la cause de Nilson. Âgé de seize ans, de nationalité dominicaine, il est actuellement victime d’une grande injustice.

Jusqu’à ces derniers mois, il vivait paisiblement comme la plupart des jeunes de son âge. Cependant, Nilson endure maintenant une situation particulièrement inacceptable, contraire même aux principes des Droits de l’homme.

Mesdames, Messieurs, quelle aurait été votre réaction si des hommes en uniforme entraient chez vous pour vous arracher à votre foyer, pour vous ligoter, vous enfermer des semaines entières, vous battre et finalement vous expulser hors des frontières qui vous ont toujours abrités ?

Malheureusement, c’est ce qui est arrivé à Nilson.

Il s’est vu retenu sur la terre qui l’a vu naître pour être reconduit jusqu’en Haïti, le pays voisin d’où ses parents étaient originaires. Malgré ses protestations, alors qu’il affirmait haut et fort qu’il détenait des papiers en règle, Nilson a été enfermé, avant d’être expulsé sans aucune forme de procès. Mais évoquer le sort de Nilson aujourd’hui, c’est aussi faire allusion aux milliers d’hommes et de femmes qui partagent la même infortune.

En effet, depuis juillet 2015, la République dominicaine expulse vers Haïti des centaines de milliers de ses citoyens, en exécution d’une loi de 2013 de la Cour suprême de la République dominicaine.

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Injustice dans la Caraïbe !

Une bien triste réalité, une bien triste vérité, alors que bien des siècles auparavant, ce sont des millions d’hommes et de femmes qui furent emmenés par-delà l’Atlantique pour servir d’esclaves aux Antilles. Singulièrement sur l’île d’Hispaniola qui abrite deux nations qui jadis n’en formaient qu’une.

Mesdames, Messieurs, comment justifier que non loin de mon île, la Guadeloupe, un pays se livre à de pareilles exactions ? Sachant que, selon l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tout individu a droit à une nationalité dont il ne peut être privé. Sur le territoire dominicain, c’est une véritable chasse à l’homme qui a débuté en ce mois de juillet 2015. Des arrestations intempestives ont été effectuées pour traquer ceux que l’on appelle les « Haïtiens » pour des raisons très ambiguës à forte connotation xénophobe.

Pour Nilson et les autres, l’expulsion n’est qu’une question de temps, alors pourquoi attendre d’être violenté dans son propre pays, par son propre pays, pour s’en aller ?

Maintenant, ces familles se sont résignées à la misère régnant dans les camps de réfugiés qui se sont progressivement installés à la frontière. Toute cette population déplacée, aliénée, en viendrait même jusqu’à oublier ses droits fondamentaux qui lui garantissent d’évoluer dans un cadre de vie décent.

Les avez-vous vus ceux qui vivent terrés entre deux tôles à la frontière de leur pays ? Sans hygiène, sans éducation, sans aucun droit civil ? Et que dire de ceux qui tendent leurs mains vers le ciel pour plus de justice ?

L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose pourtant que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille ». Ceux qui, légalement, n’ont plus d’existence perdent de facto toutes propriétés.

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La République dominicaine a donc exproprié des centaines de milliers de personnes, alors que l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme prévoit que « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété » et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ».

Les apatrides ne peuvent plus occuper d’emplois légaux, pourtant c’est dans l’article 23, une nouvelle fois de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qu’il est stipulé que « toute personne a droit au travail […] et à la protection contre le chômage ». Sans identité, comment faire valoir son « droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse » ?

Mesdames, Messieurs, non ! Ce ne sont pas là uniquement des problèmes juridiques auxquels sont confrontées toutes ces victimes, mais à de véritables tragédies humaines.

Je vous le demande, que peut-on bien faire, même dans son propre pays, lorsque celui-ci démontre clairement qu’il ne veut pas de vous ?

Quel avenir pour Nilson dont la scolarité a été interrompue sine die alors que l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme lui garantissait ce droit ?

La véritable raison de tous ces drames pourrait tenir dans ce qui suit.

Lorsque la République dominicaine eut besoin d’une main-d’œuvre pour travailler dans les champs de cannes à sucre, des accords bilatéraux furent conclus avec le pays voisin, Haïti, afin de loger des travailleurs qui contribueraient à l’essor du pays !

Le secteur agricole n’étant plus assez compétitif, le pays orienta alors tout naturellement son économie vers le tourisme. Les alliances d’hier n’étant plus économiquement justifiées, les travailleurs étrangers d’origine haïtienne ne sont plus les bienvenus. Pourtant sont-ils des étrangers ?

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Ces travailleurs ont fondé des familles. Ils ont élevé des enfants dominicains, bien sûr, puisqu’ils ont bénéficié de ce fameux droit du sol. Ils sont allés à l’école, ils ont appris l’espagnol, ils se sont même amusés dans les rues de la capitale, Saint-Domingue, mais qu’importe ! Maintenant ces enfants coûtent « trop cher », « beaucoup trop cher », selon la République dominicaine. Il faudrait même les abandonner et surtout sans oublier leurs parents, ceux qui travaillent et qui pourtant payent leurs impôts.

La République dominicaine disposait en plus déjà de mesures réglementaires visant à limiter l’immigration clandestine. Saint-Domingue avait annoncé un délai de régularisation pour les personnes désormais en situation irrégulière dans leur propre pays. Il n’en a rien été, car les procédures furent rendues impossibles à finaliser avant le délai de forclusion. La République dominicaine a donc empêché la normalisation de centaines de milliers de personnes, les rendant de surcroît apatrides.

Ce « Plan national de régularisation d’étrangers en situation migratoire » n’est rien d’autre qu’une véritable provocation vis-à-vis des lois universelles des Nations unies. La loi 169/14 de la Constitution relative à la naturalisation a ôté ce privilège à seulement ceux ayant bénéficié du droit du sol depuis 1929, autant dire tout le monde d’origine haïtienne.

Lorsque j’ai appris que, à quelques kilomètres de ma Guadeloupe, de pareilles exactions avaient lieu, j’ai voulu ajouter ma voix à toutes celles qui accusent Saint-Domingue de procéder à une véritable épuration, sélection de sa population.

Face à l’absence de relais de cette information, pourtant tragique, par les médias nationaux, il m’est paru indispensable d’évoquer devant vous aujourd’hui cette problématique douloureuse.

Oui, il est du devoir de chacun de s’élever contre toutes les formes d’irrespects vis-à-vis de la dignité humaine. Aucune attitude passive ne peut être envisagée lorsque l’on s’attaque aux droits de l’homme.

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La lutte contre la dévalorisation des hommes est de tous les instants et chacun d’entre nous détient la responsabilité de porter les valeurs humaines qui constituent l’essence même de notre société. Personne ne devrait être rabaissé. Personne ne devrait être délaissé. Il n’y a que trop d’hommes autour de nous qui souffrent pour que l’on s’aveugle.

Mesdames, Messieurs, soyons les garants de la paix. Devenons les parrains de la fraternité entre les peuples, car il est intolérable de nos jours que l’entraide ne prédomine pas sur le sentiment d’individualisme.

Dressons-nous face à l’injustice, face à la cruauté. Incarnons cette bravoure qui nous amène plus loin, ensemble, et qui nous permet d’avancer.

Pour tous ces hommes, pour toutes ces femmes, ces enfants, ces mères, ces pères, ces frères, ces sœurs qui ont tous perdu tout espoir, travaillons main dans la main face à leurs bourreaux qui les plongent dans les plus sombres ténèbres.

Mesdames, Messieurs les membres du jury,

Il est plus que regrettable que dans une société qui se veut moderne et protectrice nous puissions encore observer de tristes exemples de l’étendue de ce que l’homme peut faire subir à ses semblables.

Oui, il est plus qu’urgent que la communauté internationale impose à la République dominicaine l’abrogation de cette loi scélérate et somme l’État de redonner leur nationalité à tous ceux qui la possédaient.

Car, nul ne devrait ignorer la condition de Nilson et de ses condisciples.

Alors, Mesdames et Messieurs, au nom de Nilson, au nom de tous les siens, au nom de toutes les lois universelles de Nations unies, je vous demande de rendre justice !

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À ceux qu’on foule aux pieds

Antonin LefebvreLycée Saint-Exupéry, Terrasson-Lavilledieu

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Mesdames, Messieurs,

Je ne me fais pas ici défenseur de l’égalitarisme, mais défenseur de l’égalité des chances, galvaudée par le déterminisme social qui gangrène notre pays. Mais qu’est-ce que l’égalité des chances ?

André Comte-Sponville, membre du Comité consultatif national d’éthique , la définit ainsi dans son Guide républicain1 : « L’égalité des chances, c’est le droit de ne pas dépendre exclusivement de la chance, ni de la malchance. C’est le droit égal, pour chacun, de faire ses preuves, d’exploiter ses talents, de surmonter, au moins partiellement ses faiblesses. C’est le droit de ne pas rester prisonnier de son origine, de son milieu, de son statut. »

Ne pensez-vous pas que l’égalité des chances devrait être l’un des principes fondamentaux de notre société ?

Car l’avenir, Mesdames, Messieurs, est un droit ! La Déclaration universelle des droits de l’homme mentionne en son article 26 : « l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. » Bien sûr qu’une société qui offre à tous des chances égales de réussite est difficilement concevable en raison des fortes disparités sociales qui existent encore aujourd’hui. Mais ne perdons pas espoir, car après tout, un vieux proverbe dit : « Impossible n’est pas français. »

Aujourd’hui, plus de la moitié des Français pensent que l’école joue moins qu’avant son rôle de promotion sociale. Ce phénomène est attesté par l’enquête PISA de 20122 qui démontre

1 Guide républicain : l’idée républicaine aujourd’hui, Mohamed Arkoun, Jean-Pierre Azema, Élisabeth Badinter, et al., Delagrave, Paris, 2004.

2 Le programme PISA (Programme international pour le suivi de l’acquis des élèves) de l’OCDE vise à mesurer les performances des systèmes éducatifs de différents pays. Une enquête menée tous les trois ans par l’OCDE permet d’évaluer le niveau scolaire des élèves de 15 ans dans 34 pays de l’OCDE. (N.d.É.)

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que l’impact de l’origine sociale sur les résultats des élèves est plus fort en France que dans tous les pays de l’OCDE. Elle prouve également qu’entre 2003 et 2012, le poids de l’origine sociale sur les performances des élèves de quinze ans a augmenté de 33 %.

Ainsi, seulement 3 % des enfants de cadres sortent de leur formation initiale sans l’achever, contre 25 % des enfants d’ouvriers.

Ainsi, 40 % des enfants de cadres obtiennent un diplôme de niveau BAC + 5 contre seulement 4 % des enfants d’ouvriers.

Ainsi, la France a la triste réputation de pays le plus inégalitaire de l’OCDE.

À titre d’exemple, en France, un lycéen de milieu défavorisé a deux fois moins de chances d’entrer dans l’enseignement supérieur qu’en Espagne ou qu’en Irlande.

La France, et j’en suis convaincu, n’est pas au rang qui devrait être le sien : elle favorisait autrefois l’intégration ; si aujourd’hui, elle contribue à la reproduction sociale, cela n’est , j’en suis sûr, ni son but ni son souhait.

L’égalité des chances est un idéal républicain que nous n’avons plus le droit de trahir, que nous n’avons plus le droit de malmener, que nous n’avons plus le droit de discréditer à coups de discours prometteurs qui ne sont que très rarement accompagnés d’actes forts.

J’ai pu constater par moi-même l ’ampleur de ces dysfonctionnements. En effet, j’ai eu la chance de vivre durant quatre ans à Mayotte, une petite île de l’océan Indien ayant obtenu le statut de département français en 2011. Mais par-delà le cadre idyllique, la misère sociale et scolaire ne cesse de s’accroître avec des enfants totalement laissés à l’abandon, qui viennent pieds nus à l’école et qui n’ont pas de fournitures scolaires. Ajoutez à cela des établissements surchargés, des bâtiments en piteux état et

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un tiers d’enseignants non diplômés. Ces enfants n’ayant aucune perspective d’avenir sont délaissés et, pour une grande partie, issue de l’immigration clandestine, leurs destins sont déjà écrits : pauvreté, chômage, non-connaissance des savoirs fondamentaux et délinquance.

Je les ai connus, j’ai passé une partie de ma scolarité avec eux. Il est donc de mon devoir de les représenter.

Mais où est l’égalité des chances ? Lorsque la réussite d’une personne n’est plus déterminée par son talent, son travail, son mérite, mais plutôt par son milieu social ou son origine, c’est là l’échec de la société et de l’école de la République. L’essence même de l’école n’est-elle pas de montrer aux apprentis qu’ils peuvent eux aussi devenir professeurs, artistes ou hommes d’État ?

Une société sans mobilité sociale est une société qui se meurt.Le grand visionnaire qu’était Victor Hugo a écrit quelques vers à ce sujet. Je vais vous en citer un extrait.

« Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire

À vous tous, que c’était à vous de les conduire,

Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,

Que votre aveuglement produit leur cécité ;

D’une tutelle avare on recueille les suites,

Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.

Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,

Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;

Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.

Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte. »3

Un récent rapport intitulé « Grande pauvreté et réussite scolaire », adressé à Mme la Ministre Najat Vallaud-Belkacem, pointe plusieurs problèmes.

3 Victor Hugo, « À ceux qu’on foule aux pieds », L’Année terrible, Paris, Michel Lévy, 1872. (N.d.É.)

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L’un d’eux, la mixité sociale et scolaire. Que faisons-nous à l’heure d’aujourd’hui pour combattre le communautarisme et la ghettoïsation ? En réalité, pas grand-chose. En tout cas pas assez pour que la situation se résolve d’ici une ou deux décennies.

Autre problème à être pointé par ce rapport, les inégalités, dès l’entrée en maternelle, qui se poursuivent tout au long de la scolarité. En effet certains enfants connaissent 600 mots lors de leur entrée en maternelle lorsque d’autres en connaissent trois à quatre fois plus. Cet écart est certes conséquent, mais rattrapable. Plusieurs spécialistes préconisent la création de petits groupes lorsque la moindre difficulté se fait sentir ; cette mesure n’est pas applicable uniquement en maternelle, elle l’est également en primaire. Cette méthode pourrait être transposée et adaptée avec les moyens actuels.

Enfin, le dernier point majeur consiste à renouer les liens entre tous les protagonistes de l’école, cela commence par les enseignants, les parents, et les élèves, car après tout, ce sont eux qui font l’école ! Il faut que les parents de quelque classe sociale que ce soit se sentent investis dans la scolarité de leurs enfants et c’est le rôle de l’école de les faire se sentir concernés.

Mais finalement, que voulons-nous ? Quel avenir tous ensemble construisons-nous ? L’égalité des chances, c’est la paix. L’inégalité grandissante, tolérée, banalisée, c’est la révolte, les conflits, la violence. Ne l’oublions pas. J’en conviens donc, ce n’est pas simple, il est difficile de mettre en œuvre des réformes ; mais qui peut dire que ce n’est ni urgent ni indispensable ? Le monde actuel est en proie à de grandes déchirures : nous avons tout intérêt à rester forts et soudés pour inverser la tendance.

Nous ne pourrons progresser vers une égalité que lorsque nous affronterons une fois pour toutes les causes, mais aussi les conséquences de ces inégalités.

C’est alors qu’un dilemme s’offre à nous : bousculer les conservatismes avec audace ou rester passifs face aux évolutions

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du monde. En France, nous avons la chance d’avoir des droits, plus que dans beaucoup d’autres pays. Je suis persuadé que la meilleure façon de remercier tous ceux qui se sont battus pour ces droits est de nous impliquer dans nos devoirs. Il nous incombe d’être ceux qui arriveront à changer ce qui ne fonctionne pas et ce qui fait défaut aujourd’hui. Pour la France qui peut être un exemple pour le monde, pour l’école pilier des démocraties, pour nous qui préparons l’avenir, pour eux qui doivent espérer pour ne pas sombrer.

Je vous remercie.

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La République se voile la face

Marie Gallizia et Magdaleine Maire

Lycée Jules Guesde, Montpellier

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Montpellier, mars 2015, elles manifestent. Debout, les bras levés, déterminées, elles portent haut leurs convictions. Leurs enfants, derrière, prennent la réplique et les slogans fusent : « NON au ghetto ! OUI à la mixité ! » Certaines sont voilées, la plupart maghrébines, et toutes habillées aux couleurs de la République. On dirait qu’elles explosent d’une colère trop longtemps contenue ; c’est l’espoir qui se libère subitement.

Les banlieues… Les banlieues… On en entend souvent parler : délinquance, criminalité, trafic de « stup » délabrement, échec scolaire. Le quartier du Petit Bard en bordure de Montpellier est l’un d’eux, à un détail près : le collectif des parents d’élèves du Petit Bard s’est formé il y a quelques mois dénonçant la nouvelle carte scolaire. Les élèves de CM2 des quatre écoles primaires du quartier étaient envoyés dans deux collèges différents. Désormais, ils seront tous au collège Las Cazes.

Les parents ont occupé les écoles primaires pendant six semaines : enfin, les médias leur ont donné la parole. À la une de Télérama : « Ma mixité va craquer », à La Gazette de Montpellier : « Mères Courage contre ghetto scolaire » ou encore « Les mères d’élèves enfin entendues » au Midi libre. Elles s’expriment : « On veut que nos enfants acquièrent une culture française, on veut que nos enfants côtoient d’autres enfants que ceux du quartier. On voudrait les voir sur les photos de classe assis à côté de petits roux, d’enfants d’origine chinoise, de petits blonds ». Ces enfants sont ensemble dans le quartier du Petit Bard, ils vivent ensemble dans le quartier du Petit Bard, font du sport ensemble dans le gymnase de la cité et se retrouvent, de la maternelle au collège, entre eux.

Mesdames et Messieurs, avant d’être voilées, maghrébines ou « de banlieue », ces femmes sont des mères qui défendent

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l’avenir de leurs enfants dans la culture française et sa diversité. Elles ferment les écoles pour ouvrir le dialogue.

Ce collège Las Cazes : 350 élèves au lieu de 800 recensés par la carte scolaire, il y a là de quoi s’étonner ! En effet, les familles les plus favorisées se sont évaporées pour des établissements haut de gamme. Astucieuses stratégies de contournement. Mais qui laisserait son enfant au « collège des Marocains », puisque c’est ainsi qu’on le surnomme ?

Les dérogations des uns sont acceptées, pas celles des autres. Les parents du Petit Bard n’ont, eux, pas de joker. Difficile, alors, de jouer le même jeu si l’on n’a pas les mêmes règles ! Admettons-le, c’est un véritable marché scolaire qui se développe et comme sur tout marché, ce sont les moyens dont dispose le consommateur qui lui permettent d’obtenir la meilleure offre.

Aujourd’hui, nous sommes là pour vous rappeler qu’une loi est forte si elle porte de beaux principes, mais qu’elle l’est encore plus s’ils sont garantis pour tous. Qu’en est-il du Code de l’éducation au Petit Bard ? L’article L. 111-1 du 8 juillet 2013 assure que l’école « contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative ». Le service public de l’éducation « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction » et « veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement ». La loi veille, mais les faits trahissent.

Manifestations, pétitions, occupation des écoles, demandes de dialogue, le collectif a usé de tous les moyens démocratiques disponibles. Il a organisé plusieurs tables rondes invitant le rectorat, la préfecture, la mairie, afin de trouver une solution commune pour rompre avec ce ghetto urbain. Pourtant, les chaises sont bien souvent restées vides. À nouveau ce sentiment d’abandon. Permettez-nous de pointer du doigt l’ironie de cette situation.

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La République ferait-elle la sourde oreille ?

Dans les discours, sur les frontons des mairies, des écoles, les valeurs de la République sont fièrement arborées. Et derrière ces discours ? Dans les cours de récréation ? Selon le classement PISA de 20121, la France est le pays de l’OCDE le plus inégalitaire en matière d’éducation. En effet, les enfants issus de l’immigration « sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté ». Selon le rapport, leur score en mathématiques est inférieur de 37 points à ceux des autres jeunes, soit presque l’équivalent d’une année d’étude de perdue ! Ces enfants, le matin, ne prennent pas le même chemin que les autres.

Pourtant l’article 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée en 1989 par l’Assemblée générale des Nations unies affirme que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation […] et sur la base de l’égalité des chances ». La loi reconnaît, certes, mais les chiffres dévoilent.

« Faire société » ou « faire République » est pourtant en ce moment d’une évidence aveuglante.

Les banlieues, on en entend d’autant plus parler : elles seraient le terreau d’un communautarisme menaçant la cohésion nationale, voire une fabrique à terroristes. Après les récents événements, on aurait préféré que les terroristes soient étrangers. En réalité, ils nous ont montré que le cancer se développe de l’intérieur. Que c’est à partir de nos propres cellules que la maladie se propage. À l’heure où notre société s’interroge, le rôle de l’école est d’autant plus fondamental.

Mesdames et Messieurs, les parents d’élèves du collectif sont nos héros/auts républicains. D’abord, pour l’élan démocratique dont ils font preuve, l’école étant la première institution publique. Mais ils sont aussi nos hérauts, nos messagers. Ils personnifient

1 Le programme PISA (Programme international pour le suivi de l’acquis des élèves) de l’OCDE vise à mesurer les performances des systèmes éducatifs de différents pays. Une enquête menée tous les trois ans par l’OCDE permet d’évaluer le niveau scolaire des élèves de 15 ans dans 34 pays de l’OCDE. (N.d.É.)

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les valeurs de la République en l’invoquant de la façon la plus sincère. Le « cri d’appel » lancé par ces femmes résonne plus fort.

Au lendemain des attentats de janvier, François Hollande déclarait à l’Institut du monde arabe : « La France est attachée à un idéal de liberté, de vie en commun, d’unité. Elle se veut toujours une référence ou un exemple. »

Mais comment vivre en commun quand on est séparé ?

Comment se sentir français lorsque dans la cour de récréation la langue française occupe la troisième place après l’arabe ou le berbère ?

Les femmes du Petit Bard nous ont chuchoté que leurs enfants ont plus appris sur les valeurs de la République en un mois de lutte qu’en toute leur scolarité.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », tel est l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Nous ajouterons que naître avec l’étiquette « Égalité » ne signifie pas forcément grandir avec. Il faut se l’approprier, l’assimiler au quotidien pour que ce bel article devienne réalité pour tous.

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Une peine pire que la mort

Charlotte CallahanLycée français de Chicago

États-Unis

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Imaginez que vous êtes tout seul dans une pièce de deux mètres de côté. Vous ne pouvez parler à personne, mais tout ce que vous désirez, c’est une interaction humaine. Tout ce que vous voulez, c’est parler à quelqu’un. Vous vous sentez piégé et votre corps commence petit à petit à se détériorer. Joseph Harmon a passé huit ans en isolement à la prison d’État de Pelican Bay en Californie. C’est l’histoire de Joseph et celle de quatre vingt mille autres prisonniers que je veux vous raconter aujourd’hui, si proches mais aussi si loin de nous : les histoires inédites dans le monde, de ceux qui ont vécu le terrible cauchemar de l’isolement total.

Si vous ne le savez pas déjà, l’isolement total est une forme d’emprisonnement dans laquelle un détenu est isolé de tout contact humain à l’exception des membres du personnel de la prison. Il est parfois utilisé comme une forme de punition au-delà de l’incarcération d’un détenu et est considéré comme une mesure de protection supplémentaire pour le détenu. Mais l’isolement total est beaucoup plus complexe que ça. Il déchire la vie des prisonniers et provoque de plus gros problèmes qu’avant son application.

Joseph Harmon n’oubliera jamais ce qu’il a vécu pendant ses huit ans en isolement. L’isolement a des effets psychologiques. Cette pratique est inhumaine et viole le cinquième article de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

L’isolement décompose la capacité de l’esprit de fonctionner et à long terme, fait souvent des dommages irréparables aux prisonniers. Ces prisonniers, dont beaucoup sont libérés à la fin de leur peine, sont affligés d’un nouveau handicap mental. Cela peut avoir des effets dangereux sur les communautés et elle peut

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conduire à des taux plus élevés de récidive chez ces prisonniers.

Étant donné les connaissances accumulées par la communauté scientifique sur les effets à long terme de l’isolement, il est clair que cette pratique soulève des questions éthiques. En prenant en compte tous ces effets négatifs que provoque l’isolement total peut-on le considérer vraiment comme une forme de protection ? Protège-t-il vraiment le détenu ? Peut-il être considéré comme une forme de torture ?

Premièrement, l’isolement total viole les droits fondamentaux de l’homme. Les hommes sont des créatures sociales par nature et dès la naissance, notre vie est basée sur des interactions humaines qui nous forment l’esprit et le caractère. Lorsque des prisonniers sont privés de ce besoin, il leur est impossible de rester sains d’esprit. Les effets psychologiques de l’isolement peuvent inclure l’anxiété, la dépression, la colère, des troubles cognitifs, des distorsions de la perception, des pensées obsessionnelles, la paranoïa et la psychose.

Les effets néfastes de l’isolement sont particulièrement importants pour les personnes atteintes d’une maladie mentale grave, généralement définie comme un trouble mental majeur. Le stress et le manque d’interaction sociale, et les jours non structurés peuvent exacerber les symptômes de la maladie.

Des suicides se produisent le plus souvent de manière disproportionnée dans les unités d’isolement de la prison. Ceux qui ont des maladies mentales sont souvent mis en isolement total. Joseph Harmon a vécu en isolement pendant huit ans. La souffrance mentale qu’il a vécue pendant ces huit ans est impossible à exprimer.

« Je hurlais constamment. Mais pas des cris normaux ; c’étaient des cris silencieux. Je n’étais pas traité comme un homme mais plutôt comme un animal », dit Joseph.

Notre société est basée sur la croyance que tous les êtres

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humains peuvent être sauvés du déshonneur. Le système d’incarcération a été créé pour punir une personne qui a commis un crime, mais aussi pour réhabiliter cette personne, et ce n’est pourtant pas son résultat.

Beaucoup de gens pensent que cette sorte d’isolement est un bénéfice pour la sécurité des détenus et des gardes. Certains pensent que c’est beaucoup plus efficace de punir les prisonniers de cette façon. De plus, il y a des gens qui trouvent que le détenu mérite cette sorte de punition. L’isolement est efficace pour gérer les détenus qui sont une grave menace pour les autres. Lorsque les fonctionnaires savent qu’un prisonnier est un membre d’un gang, un prédateur, ou a d’autres tendances à la violence, l’interaction directe avec les autres détenus peut augmenter un potentiel déjà important d’embrigadement et de menace substantielle. Autrement dit, limiter l’interaction de prisonniers violents avec d’autres prisonniers permet de contrôler le potentiel de violence.

Une limite de temps sur le confinement serait appropriée dans les cas où l’objectif est de discipliner un détenu qui désobéit aux règles. Mais, quand l’isolement est basé sur l’histoire d’un détenu violent ou membre d’un gang violent, le délai pour l’isolement est indéfini. Quelques mois en isolement ne changent pas une personne très dangereuse en un prisonnier facilement gérable. L’isolement de ces prisonniers serait donc, dans de nombreux cas, essentiel à la sécurité des autres détenus et du personnel. Il semble même le seul mécanisme en place pour éliminer un détenu de la population générale pour la protection du personnel, des autres détenus ou parfois du détenu lui-même.

Pourtant, des chercheurs ont conclu qu’on ne devrait pas garder les animaux de laboratoire dans ce genre d’isolement. Alors, pourquoi devrions-nous traiter les êtres humains de cette façon ?

Dans l’unité solitaire à la prison de Pelican Bay en Californie, les détenus passent de vingt-deux à vingt-quatre heures par jour dans une cellule de béton sans fenêtre. Ils ne peuvent même

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pas faire des appels téléphoniques. Et ils sont souvent privés de visiteurs et d’activité physique. La nourriture, dont les détenus sont souvent privés, est parfois même pourrie. Gabriel Reyes, un prisonnier qui a vécu dix ans en isolement, dit qu’il voulait être traité comme un être humain. Reyes ne se sentait pas humain quand il était empêché de communiquer avec sa famille et forcé de vivre avec un manque de stimulation, d’éducation, de nourriture, de soins médicaux et de dignité humaine.

Les sciences sociales montrent qu’un tel environnement est souvent susceptible de rendre les détenus plus aliénés, plus hostiles et potentiellement plus violents. Pensonsnous réellement qu’il est logique de verrouiller tant de personnes à l’écart pendant vingt-trois heures par jour pendant des mois ou parfois des années ? L’isolement ne va pas nous protéger. Cela ne va pas nous rendre plus forts. Et si ces détenus sont finalement relâchés, comment vont-ils jamais s’adapter ? Aucun être humain ne mérite d’être confronté à une telle douleur.

L’isolement est en effet une torture ; une torture qui touche plus de quatre-vingt mille personnes qui souffrent en ce moment. Nous devons résoudre ce problème.

Agissons. Maintenant.

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Une dictature au service des droits de l’homme !

Marine Le Roux et Anne-Lise Le Floch

Lycée Notre-Dame, Guingamp

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L’Arabie saoudite, premier producteur mondial de pétrole et premier fournisseur pour la France.

Un pays au PIB d’environ 750 milliards de dollars en 2014.

Un pays organisateur d’un des plus grands pèlerinages musulmans.

Un pays ayant signé plusieurs traités, tels que la Convention internationale des droits de l’enfant, la Convention contre la torture et la Charte internationale des droits de l’homme.

Un pays soutenant la France dans la lutte contre Daech et le terrorisme. En effet Nizar al-Madani, le numéro deux de la diplomatie de Riyad, était présent le 11 janvier 2015 en France lors des commémorations pour Charlie Hebdo.

Et ce pays dirigé par le roi Salmane ben Abdelaziz al-Saoud vient d’être nommé à la tête du Conseil des droits de l’homme1 à l’ONU pour trois ans. Ce Conseil consiste en la nomination de cinq hauts fonctionnaires, experts en matière de défense et d’informations sur les droits de l’homme.

Quel bon choix que ce pays respecté par la communauté internationale ! Mais… n’avons-nous pas oublié quelque chose ?

Ali al-Nimr. Depuis le 29 octobre 2015, jour où la sentence est devenue exécutable, la famille de ce jeune chiite, alors âgé de 17 ans en 2012, attend l’annonce de la décapitation et de la crucifixion de ce fils. Ce fils dont les chairs sont condamnées à pourrir sur la place publique. Son crime ? Avoir manifesté contre le régime saoudien pendant le printemps arabe.

1 Comité consultatif (N.d.É.)

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Raif Badawi. Condamné à mille coups de fouet en place publique, une amende de 266 000 dollars, dix ans de prison et une interdiction de quitter le pays. Son crime ? Avoir créé un blog de discussion où il aurait, selon le régime, insulté l’islam.

Hamza Kashgari. Emprisonné pour un simple tweet.

Et plusieurs avocats condamnés pour avoir critiqué le système judiciaire.

Car voilà ce que nous avons oublié de préciser :

Le roi Salmane al-Saoud dirige une monarchie absolue qui ne tolère aucune contestation, qui refuse tout dialogue avec ses opposants, qui muselle tout usage de la liberté d’expression et qui décapite sans aucun respect pour les textes internationaux… signés malgré tout !

C’est pourtant à ce pays que l’ONU donne la charge de faire respecter les droits de l’homme, ce pays qui punit d’une simple amende celui qui viole, torture et tue la petite Lama âgée de cinq ans… c’est-à-dire son père, mais qui décapite tous les deux jours ceux qui luttent pour la liberté d’expression et les droits de l’homme.

Mesdames et Messieurs, nous nous interrogeons sur les relations qu’entretiennent la France, mais aussi l’ONU avec un pays qui commet des actes aussi barbares en place publique, mais aussi dans ses prisons.

Nous dénonçons la volonté de fermer les yeux sur de tels crimes au nom d’intérêts économiques ou politiques. En effet la France négocie des milliards d’euros de contrats et accords avec ce pays. C’est évident qu’il est important de garder de bonnes relations avec ses alliés… De plus, l’Arabie saoudite a une place géostratégique essentielle pour la France et pour le monde occidental, dans ce Moyen-Orient instable.

Même s’il s’agit d’une dictature sanguinaire ?

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Ce pays muselle la presse, interdit aux femmes de conduire ou de sortir seules, pratique une justice inégale et inéquitable avec des procès de façade et des aveux obtenus sous la torture.

Des condamnations à mort sont prononcées pour des actes insignifiants, mais valables lorsqu’ils critiquent le gouvernement ou la religion.

La loi antiterroriste, votée en février 2014, condamne comme terroriste quiconque ose critiquer le gouvernement ou use simplement de ses droits fondamentaux.

Au fond, l’Arabie saoudite ne fait qu’agir pour l’intérêt de tous afin de se protéger et de nous protéger contre les terroristes ! Comme les dangereux… Ali al-Nimr ou Raif Badawi qui osent utiliser leur liberté d’expression pour défendre leurs droits les plus légitimes !

L’Arabie saoudite veut respecter la charia ? C’est son droit !

L’Arabie saoudite prétend respecter les normes internationales au vu des traités signés… c’est son devoir !

Mais les normes internationales disent que seuls les crimes les plus graves, tels que les homicides volontaires, peuvent être punis par la peine de mort s’il s’agit de personnes majeures.

Alors, Ali al-Nimr, mineur lors des faits, n’aurait pas dû être condamné, selon la Convention internationale des droits de l’enfant. Article 37, je cite : « Les États parties veillent à ce que :

a. Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ;

b. Nul enfant ne doit être privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. »

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Alors Ali al-Nimr n’aurait pas dû être condamné parce qu’il était mineur mais surtout parce que son crime n’en est pas un !

Est-ce rendre justice que de remplacer une exécution capitale par une peine de prison à vie, comme l’ont demandé M. Hollande ou M. Valls ? Comment d’ailleurs oser demander une telle peine alors que celle-ci n’est pas conforme à la Convention internationale des droits de l’enfant ?

Non ! C’est toujours de l’injustice ! Car la liberté de s’exprimer reste une liberté qui ne mérite ni la mort brutale ni la mort lente dans les cachots.

Alors, comment peut-on nommer un tel pays à la tête du Conseil2 des droits de l’homme à l’ONU ?

Comment peut-on inviter un tel pays à manifester pour la liberté d’expression à Paris ?

Comment peut-on soutenir un pays aussi cruel que l’État islamique dont nous combattons les pratiques ?

Alors, Mesdames et Messieurs, que pouvons-nous faire ?

Nous demandons tout d’abord de la sincérité et de l’humanité.

Nous demandons aussi une justice équitable et respectueuse des normes et traités signés.

Nous demandons que ces droits, qui sont pour nous si naturels, tels que le droit de pouvoir se défendre, d’avoir un avocat et d’avoir un procès juste avec des peines appropriées en fonction des crimes commis, soient appliqués à la population d’Arabie saoudite.

Nous demandons également une révision de la loi antiterroriste saoudienne afin qu’elle soit moins vague et plus juste pour stopper cette frénésie d’exécutions qui a eu lieu ces derniers temps.

2 Comité consultatif (N.d.É.)

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Nous demandons simplement que l’Arabie saoudite devienne un État responsable !

Qu’elle mérite le rôle confié par l’ONU et qu’elle a accepté et qu’ainsi elle ne décrédibilise pas une organisation internationale en laquelle, nous, jeunes lycéennes, voulons faire confiance.

Amnesty International a demandé à l’Arabie saoudite de restreindre la peine de mort aux seuls crimes impliquant l’homicide volontaire, conformément aux normes internationales. Cette organisation demande aussi d’instaurer une réglementation officielle sur les exécutions et la torture, afin d’aboutir dans un futur, que nous espérons proche, à l’abolition totale de la peine de mort.

Vous ne voulez pas d’ingérence dans les affaires du Royaume, vous refusez la pression internationale, Roi Salmane al-Saoud ? C’est votre droit !

Ingérence, pression internationale, c’est notre devoir !

Nous ne prétendons ni faire vaciller la puissante Arabie saoudite ni faire renoncer la France à ses formidables contrats !

Nous aspirons à ce que la puissante Arabie saoudite soit digne aux yeux du monde de la confiance que l’ONU et nous avons placée en elle.

Notre devoir en tant que citoyen du monde est de soutenir les Saoudiens dans leur combat pour la liberté, pour la justice, afin qu’Ali al-Nimr, Raif Badawi et tous les autres anonymes puissent jouir des droits de l’homme dans un État de droit !

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Le viol, un instrument de guerre et de destruction !

Maxence AndrysLycée Maxence Van der Meersch,

Roubaix

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Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les membres du jury, Mesdames, Messieurs.

La guerre, de tout temps et pour toujours, est un vampire, ivre de sang et de chaos. Naguère, les hommes combattaient de leurs glaives forgés, de leurs épées et haches, de leurs dagues d’acier. Leur sang coulait, à l’instar de leurs larmes. Puis le fusil naquit. S’ensuivirent cuirassés, escadrilles, destroyers, enfin bombe atomique et des millions de morts. Néanmoins, aussi impétueuses que soient ces armes, elles n’établissent qu’une pâle et vénielle comparaison face au pire des crimes contre l’humanité. Je cible l’effroyable et inconcevable viol de guerre ! Le nouvel instrument de destruction qui décime les populations africaines. Le voleur d’âmes. Trop souvent. Celui qui instaure un point final, en plein milieu du chapitre. Celui qui fait pleuvoir les larmes là où il ne pleut pas.

Chaque jour, chaque heure, en République démocratique du Congo, les femmes sont violées. Les petites filles, fluettes et frêles, sont violées. Les bébés, encore insouciants et doux, sont violés. À l’âge auquel on savoure normalement l’arc-en-ciel de la vie. La plus tendre des périodes. Le berceau, les caresses, l’affection et l’amour, non d’une simple mère, mais d’une Maman.

Cependant, la vie au Congo n’est nullement faite de roses blanches, d’or et de lumière. L’existence de ces enfants se voit anéantie par d’infâmes groupes armés, basculant ainsi de l’aube de leur vie, à l’aube de leur mort.

Les choses peuvent changer. Par conséquent, elles le doivent. Fermer les yeux sur ces crimes, c’est tolérer l’intolérable, c’est serrer la main au démon en dédaignant les anges, c’est accepter d’échanger son édénique place contre celles des victimes.

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Le viol de guerre est notamment contraire aux articles 2, 4 et 13 de la Convention contre la torture. Il s’oppose également aux articles 3, 5 et 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Alors pourquoi ? Pourquoi les ténèbres ont-elles corrompu le cœur de ces criminels ? Par cupidité. Dans le but de rafler les ressources naturelles du pays en s’adjugeant les activités commerciales. Pervertis par l’or, le diamant, le cuivre et le cobalt, ces humains sont devenus des monstres. La femme est leur butin de guerre, une terre brûlée ne pouvant renaître de ses cendres.

« Ils cherchent l’or dans nos vagins », narre Thérésita, victime parmi les cinq cent mille recensées depuis 1996. Elle ajoute au journal Le Monde : « J’ai été violée dix fois dans la même journée. » « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », ça rendait plus beau sur le papier.

Par malheur, le viol n’épargne personne. Le masque des idées reçues doit tomber ! Les femmes ne sont pas les seules à dépérir de cette souffrance, les hommes, eux aussi, s’étiolent. En effet, Lukengo, dont le patronyme est factice pour protéger sa vie, témoigne du jour où ils ont fait de lui une femme : « Ils nous appelaient un par un et c’était moi le premier “Toi, passe devant, déshabille-toi”, me dirent-ils. Me déshabiller ? Ils veulent me frapper à poil ou quoi ? Trois soldats me forcèrent. J’étais déjà nu. Bon… Ils allaient faire… comme si nous étions des femmes, j’avais compris. Le commandant qui avait commencé… commença, et ce fut terrible. » Aujourd’hui, il ne lui reste rien, et il ne reste rien de cette tragédie, si ce n’est la vérité.

Comme lui, 23,6 % des Congolais de l’Est reconnaissent avoir été victimes de violences sexuelles selon le journal Rue 89. C’est 23,6 % de trop. Toutefois, l’ONU n’a nullement proposé d’aide aux victimes masculines. Elle n’entend pas le silence de leurs cris.

Une miséreuse femme de soixante ans atteste d’ailleurs : « Mes vêtements cachent tant de choses dont j’ai honte de

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parler ! » Comme on peut l’imaginer, ce déchirement éternel grave une cicatrice immuable, dans le cœur et dans l’âme. Un ancien commandant missionnaire de l’ONU explique qu’il est plus dangereux d’être une femme qu’un soldat.

Selon une étude de l’université Johns-Hopkins effectuée en 2011, quatre cent mille femmes se sont fait violer de 2006 à 2007 sur ce territoire, qui a pourtant ratifié les textes internationaux relatifs aux droits humains. Parlons chiffres. Baissons les yeux. Cela représente près du double de la population lilloise. En outre, on estime que six femmes auraient en moyenne subi une agression sexuelle au Congo depuis le début de ma plaidoirie. Trouvez-vous cela normal ? Pas moi !

Après le conflit au Rwanda, l’ONU a enfin daigné agir. En 2008, l’organisation a proclamé le viol de guerre comme étant un crime contre l’humanité. Cette progression, bien que tardive, ouvre les portes d’un avenir plus serein. En revanche, si la situation s’est stabilisée en République démocratique du Congo, le viol de guerre est venu salir les terres syriennes de sa marque noirâtre. Alma, vingt-sept ans, victime syrienne de son rêve de liberté, témoigne : « J’ai tout eu ! Le fouet avec les câbles d’acier, les mégots de cigarette dans le cou, les lames de rasoir sur le corps, l’électricité dans le vagin. “Tu voulais la liberté ? me criaient-ils. Eh bien la voilà !” »

Je n’aime pas entendre ces mots. Encore moins les prononcer. Mais parler de ces crimes, c’est déjà les combattre. Les médias traditionnels éclipsent ces abominations, trop horribles pour être entendues. Et pourtant, rien ne devrait être supérieur à la vérité.

Il nous faut vaincre le viol de guerre et l’éradiquer à jamais. La femme n’est pas un objet. Insensé qui croit qu’elle constitue un entracte dans la vie des guerriers.

L’ONU se doit d’intervenir en Syrie comme elle l’a fait en République démocratique du Congo. Cette terre nécessite une pacification, en d’autres termes, une ébauche de la vie. Pour nous, ça ne change pas grand-chose, pour eux, ça change tout.

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Le président syrien Bachar El-Assad tout comme les dirigeants de l’État islamique doivent renoncer à leur pouvoir et être jugés pour les crimes de guerre qu’ils ont commis.

Nous devons par ailleurs réparer les dommages de ces supplices en soutenant les hôpitaux. Soulignons alors l’héroïsme du Docteur Mukwege, qui répare le système génital de près de dix femmes par jour depuis plus de quinze ans. Sa bienfaisance est la jacinthe, immortelle. Soyons l’essaim d’abeilles et répandons le pollen de l’espoir !

Parce que les kilomètres qui nous séparent ne gomment pas la douleur.

Parce qu’à l’inverse de leur peau, notre cœur est de la même couleur.

Parce que le sablier du temps coule vite et qu’attendre, c’est laisser agir.

Si chaque Français actif donnait un euro, un seul euro, les dizaines de millions collectées par l’ONU pourraient annuler l’essor de cette torture. Alors qu’attendons-nous ? Sortons cette pièce argentée de notre poche et ouvrons notre cœur !

Pour qu’un jour et pour toujours, le viol de guerre puisse s’exprimer à l’imparfait !

Je vous remercie.

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Coupe du monde au Qatar : quand le

ballon ne tourne plus rond

Hugo JolivetLycée Jacob Holtzer,

Firminy

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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« Ce que je sais de plus sûr la morale et les obligations de l’homme, c’est au football que je le dois. » C’est ce qu’Albert Camus a déclaré à un journaliste en 1957.

Mesdames, Messieurs, membres du jury, je me présente devant vous aujourd’hui pour vous parler d’un homme, un homme dont le nom ne vous dira probablement rien ! Cet inconnu mérite pourtant que sa situation soit révélée au grand jour : il se nomme Ram Kumar Mahara et il a vingt-sept ans lorsqu’une lueur d’espoir vient le sortir de son triste quotidien. La Fédération internationale de football association, plus connue sous le nom de FIFA, vient de confier l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar ; il faudra construire des stades, des routes, des hôtels… et pour cela l’État princier a besoin de main-d’œuvre étrangère : Ram Kumar Mahara est de ceux-ci… Comme tant d’autres, il cède facilement aux promesses des recruteurs pour fuir la misère de son Népal natal. Mais l’eldorado promis n’est qu’un mirage qui s’estompe rapidement dans le désert de la péninsule Arabique.

C’est en 2013 que le Guardian révèle au grand public, dans un article au titre tristement évocateur, les conditions de vie honteuses des « esclaves de la coupe du monde du Qatar ».

Mirage, les conditions de travail exemplaires ! Ram Kumar Mahara est contraint de travailler sous des températures insupportables pouvant atteindre les 50 °C et ceci, sans accès à l’eau potable, bien public et gratuit dans ce pays ! Bien réelles, les journées de travail interminables, le ventre vide ! Bien réels, les centaines d’ouvriers morts sur les chantiers, victimes de crises cardiaques et divers accidents ! Chaque jour, une personne meurt sur ces chantiers.

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Mirage, les salaires faramineux ! Ram Kumar Mahara a été renvoyé pour avoir réclamé son dû ! Bien réelle, l’aumône versée aux travailleurs en guise de salaire ! Bien réels, les retards de paiement ! Bien réelles, les heures supplémentaires non payées ! Dans un pays où le salaire moyen est de 8 500 euros brut, n’est-il pas scandaleux que certains ouvriers ne touchent que 200 euros ?

Mirage, les conditions princières d’hébergement ! Ram Kumar Mahar vit entassé dans une seule pièce avec une dizaine de camarades ! Bien réelle, la misère quotidienne de ces travailleurs népalais contraints de mendier pour survivre !

Mirage, la Déclaration des droits de l’homme de 1948 ! Mirage, les articles 19 et 20 sur la liberté d’expression et le droit d’association ! Mirage, les articles 22 à 25 sur le droit au travail et à une vie décente ! Bien réelle, la situation d’esclavage moderne que dénoncent Amnesty International et d’autres ONG présentes sur place ! Conditions de travail ! Conditions d’hébergement ! Liberté syndicale ! Salaires ! Tous ces droits fondamentaux sont honteusement et ouvertement bafoués !

Comment le Qatar peut-il accepter de telles situations ? J’en appelle à ce pays pour qu’il fasse évoluer sa législation du travail. Pour qu’il se mette en conformité avec le droit international.

Il est urgent de revoir les conditions de recrutement. Le Qatar doit, en premier lieu, lutter contre les agences qui abusent de la pauvreté des travailleurs ; ces dernières les incitent à s’endetter, à des taux exorbitants, pour financer leur voyage. C’est le début d’un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. Pour rembourser leurs usuriers, ils n’ont d’autres choix que d’accepter des conditions de travail scandaleuses.

Qu’attend le Qatar pour moderniser son code du travail restrictif, contraignant et discriminant à l’égard des travailleurs étrangers ? Le système de la « kafala » enchaîne les ouvriers à leur employeur en ne leur accordant aucun droit syndical.

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En effet, un patron peut renvoyer à tout moment son employé, sans aucun préavis ! Inversement un employé étranger est propriété de son patron à qui il doit laisser en gage son passeport pour pouvoir travailler ! Il lui est de plus impossible de rompre son contrat sans l’aval de son employeur ! Mirages donc, les promesses faites par le Qatar en 2014 d’appliquer une charte du droit des travailleurs !

Comment la FIFA a-t-elle pu accepter de confier l’organisation d’une telle compétition à un pays qui méprise les droits de l’homme ? Elle qui déclare sur son site Web, je cite : « Le football est bien plus qu’un simple sport, son universalité lui confère un pouvoir unique et une portée qu’il convient de gérer avec précaution… Bâtir un meilleur avenir pour tous grâce au football. » Loin de moi l’idée de vouloir polémiquer sur les rumeurs de corruption… je demande juste à la FIFA de faire pression sur l’Émirat pour qu’il améliore les conditions de travail. Comme le rappelle Amnesty International : « Elle a le devoir d’adresser un message fort selon lequel elle ne tolérera pas les violations des droits de l’homme sur les chantiers liés à la Coupe du monde. »

J’en appelle également aux entreprises étrangères installées au Qatar pour qu’elles donnent l’exemple ! Certaines d’entre elles profitent honteusement de la législation en place pour réduire en esclavage cette main-d’œuvre docile et contrainte au silence. Dans un rapport rendu public en 2013, Amnesty International accuse Hyundai E&C, une entreprise sud-coréenne, et OHL Construction, une entreprise espagnole, d’abus envers leurs employés. Quant à la très française entreprise Vinci Construction, l’ONG Sherpa a déposé plainte contre elle pour travail forcé, réduction en servitude et recel, sur des chantiers du Mondial 2022.

Mesdames, Messieurs, membres du jury, Ram Kumar Mahara a pu fuir cet enfer et regagner son pays. Mais d’autres continuent de subir cette situation. Si rien n’est fait, si rien ne change, on estime à plus de quatre mille le nombre de travailleurs qui auront donné leur vie pour bâtir ce « monde meilleur » voulu par la FIFA !

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Il est toujours possible de choisir une autre terre d’accueil.

Cela s’est déjà produit par le passé. En 1986 la Colombie, préalablement choisie, renonce à organiser la compétition au profit du Mexique pour des raisons économiques. C’est pourquoi je demande ouvertement à toutes les fédérations de football de suivre la parole de Greg Dyke. Le président de la fédération anglaise a récemment déclaré que, si d’autres fédérations de football étaient prêtes à le suivre, il se sentait de boycotter cette compétition pour faire cesser cette mascarade !

Mais il nous appartient aussi d’agir. Les campagnes de presse ont contraint le Qatar à adopter une charte du droit des travailleurs, certes remplie de bonnes intentions, mais loin d’être appliquée. L’Organisation internationale du travail vient tout juste de mandater une mission au Qatar : c’est le début d’un processus pour créer une commission d’enquête officielle de l’OIT sur le travail forcé dans ce pays ; ce point sera à l’ordre du jour de la réunion du conseil d’administration de l’OIT en mars 2016. Ces réactions nous prouvent qu’il est possible de faire évoluer les choses !

Amateurs de football, citoyens, consommateurs… nous devons prendre le relais des campagnes de presse sur les réseaux sociaux. Lançons des appels à boycotter cette compétition, mais aussi tous les sponsors qui apportent leur soutien financier à la Coupe du monde 2022… Ainsi Coca-Cola, inquiet pour son image, dit se préoccuper des conditions des travailleurs au Qatar… L’entreprise fait pression sur la FIFA pour qu’elle agisse.

Il est donc urgent de poursuivre ce combat et de se mobiliser pour dénoncer ces injustices et enfin éviter que le Qatar n’organise une Coupe du monde où le ballon ne tourne plus rond.

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L’addition salée d’une enfance volée

Nicolas Michaud et Arthur Clamageran

Lycée Saint-Joseph, Le Havre

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Lorsque vous entrez le nom de l’État du Bénin sur Google, ce sont trente millions de résultats qui s’offrent à vous.

Et que pouvons-nous lire parmi ces nombres sites ?

« Plages bordées de cocotiers au sud, monts arides au nord. »

Pour citer le Guide du routard : « Le Bénin vibre enfin d’une réelle vie intellectuelle et artistique. On l’avait d’ailleurs surnommé le “Quartier latin de l’Afrique”. »

Mais derrière cette description ni plus ni moins idyllique de cette région se cache une bien triste réalité. À l’heure où je vous parle, cela fait actuellement deux heures qu’Ibrahim travaille d’arrache-pied. Il casse des cailloux au fond d’un trou.

Il n’a que dix ans et malgré son jeune âge cela fait déjà quatre longues années qu’il travaille dans les carrières de gravier d’Abeokuta, au Nigeria voisin.

Dites-moi, est-ce un acheminement vers une vie intellectuelle et artistique que de passer ses journées à casser des pierres lorsque l’on a dix ans ?

Encore faudrait-il dans ce cas pouvoir nommer cette vie, « une vie ».

Seul, loin de son village, de sa famille et de ses amis ; sa vie, sur le continent maudit, est aujourd’hui entre les mains de contremaîtres. Comme celles de milliers de ses ancêtres, il y a deux cents ans, étaient entre les mains de négriers.

Arraché aux siens par un inconnu à l’allure douteuse et vendu par un père sans cœur, Ibrahim est condamné. Sans éducation ni avenir, il ne pourra jamais plus s’intégrer à la société.

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Malheureusement, il n’est pas le seul dans cette situation. Ce sont, en 2015, 40 000 enfants au Bénin qui sont exploités physiquement, moralement et sexuellement. Victimes de cet esclavage moderne, réduits au silence et à la peur, ils font l’objet d’un commerce illicite et immoral.

Mais la cause de cette tragédie prend ses racines bien moins loin que l’on pourrait l’imaginer. En effet, depuis 2002, la polygamie est interdite au Bénin. Pourtant encore très présente, elle est la cause de tous les problèmes.

Le petit village de Dehunta en est le parfait exemple. Dans cette communauté, les hommes ont en moyenne cinq femmes et cinq enfants avec chacune d’elle. Soit un total de vingt-cinq enfants.

Soyons réalistes, un salaire de deux euros par jour n’est pas suffisant pour entretenir de telles familles. Et pour eux le calcul est simple, le radeau va couler, il faut larguer du lest.

D’ailleurs une femme explique que « le problème, c’est la nourriture, nous sommes nombreux… Et les hommes préfèrent entretenir plusieurs femmes que de nourrir les enfants ».

Pourtant l’article 27 de la Convention des droits de l’enfant affirme avec détermination que « C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant. »

Assimilés à de vulgaires objets ou encore à de simples inconnus, le père se résout donc à vendre un ou deux de ses enfants aux nombreux trafiquants qui, tels des vautours, ne sont jamais bien loin.

C’est bien connu, chaque acte entraîne des conséquences. Et dans ce cas précis, les répercussions sont terribles. Les enfants sont alors aux mains de trafiquants au cœur de marbre, sans pitié ni morale, que seul l’appât du gain intéresse.

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C’est le cas d’Augustin. Il y a quinze ans, encore enfant, il comptait parmi les victimes. Aujourd’hui, adulte, c’est sur le banc des accusés que nous devrions le retrouver. Il est devenu semblable aux hommes qu’il avait tant haïs durant sa captivité.

Aujourd’hui, il a acheté trois enfants pour la somme dérisoire de 45 euros. Une fois achetés, les enfants sont alors emmenés par autobus au Nigeria. Sur la route de ce pays frontalier, ces petits êtres fragiles croisent le chemin de nombreux fonctionnaires de police, répartis sur les neuf différents points de contrôle. À chaque fois, c’est le même rituel. Le trafiquant descend et corrompt ces derniers avec une somme allant de 1 500 à 2 000 francs CFA… Soit deux à trois euros.

Ces hommes censés faire respecter les lois, engagés pour leur pays, en troquant leur badge pour un billet, abandonnent alors ces enfants et deviennent complices de ce trafic.

Arrivés au Nigeria, les enfants travaillent dans des conditions d’une précarité extrême, dans les carrières de sable ou de granit. C’est sous un soleil de plomb et quarante degrés qu’ils effectuent leurs douze heures de travail quotidien.

Tous les matins, c’est le ventre vide qu’ils commencent leur journée. Eux n’ont pas le droit à leur tartine de Nutella en se levant. Ils préfèrent garder leur unique épi de maïs quotidien afin de pouvoir, le soir, allongé sur leur paillasse, s’endormir. Sans cela leurs courtes nuits sont ponctuées par l’appel de la faim, qui s’installe insidieusement en eux, telle une sangsue tenant sa proie.

Alors que le travail des moins de dix-huit ans est désormais interdit au Nigeria, les Nigérians continuent d’exploiter les enfants, car les hommes ne veulent plus faire ces travaux pénibles.

Que fait l’État Béninois me direz-vous ?

Cet État même, qui est à la tête d’une police corrompue, est l’un des 197 signataires de la Convention internationale des droits de l’enfant dont l’article 19 stipule clairement que : « Les États

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parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation ».

Alors que ces faits sont dénoncés depuis plus d’une quinzaine d’années, peu de choses ont avancé. Le plus paradoxal dans cette situation est qu’il existe un arsenal juridique protégeant les enfants.

Il aura, tout de même, fallu attendre le 23 janvier 2015, pour qu’enfin l’Assemblée nationale du Bénin établisse un code de l’enfant et en donne une définition.

L’article 4 reconnaît que « L’enfant en tant que personne humaine est sacré et inviolable ».

Mais à quoi servent tant de lois, tant de débats, si nous ne les appliquons pas ?

Nous, oui, nous. Car nous sommes tous responsables, que ce soit dans l’action ou l’inaction. Parce que depuis vingt ans, rares sont ceux qui se sont battus pour cette cause.

Mais aujourd’hui ce n’est pas simplement pour notre inaction que nous sommes jugés. Ce sont nos actions actuelles et à venir dont il est question.

Avez-vous une seule fois pensé à ce que devenait ce granit, une fois extrait des carrières ?

Et bien… Le socle de la statue de la Liberté de New York, le Palais royal de Madrid ou encore nos plans de travail, nos allées.

Ce sont sur les paroles d’un grand homme, connu de tous ici présents que nous appuierons cette réalité. Cet homme, Martin Luther King, a dit : « Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui, coopère avec lui. »

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C’est pourquoi aujourd’hui nous en appelons aux gouvernements, européens et du monde entier, afin de boycotter le granit nigérian.

S’il existe aujourd’hui un investissement sûr, tant pour les parents que pour le Bénin, il s’agit bien de l’éducation.

Dans l’éducation des enfants réside notre avenir, ce sont les acteurs de demain.

John Dewey a dit un jour : « L’éducation est un progrès social, l’éducation est non pas une préparation à la vie, l’éducation est la vie même. »

Parmi ces enfants se cache peut-être un Mandela, une Aung San Suu Kyi ou un Gandhi. Ces femmes et ces hommes dont le courage a permis des avancées sociales sans précédent. Un de ces enfants aura, comme ces grands hommes, la force et la détermination de se dresser face à une multitude pour défendre son idéal. Cet enfant-là nous donnera au moins l’espoir d’un monde d’amour, de paix et de liberté.

Aujourd’hui, Ibrahim en veut à son père, il lui en veut de l’avoir négligé et condamné pour des femmes.

Il en veut aux policiers rencontrés sur la route de ne pas l’avoir protégé. Eux qu’il pensait justes et combattant le mal. Au final, il en veut à l’État. Mais qu’est-ce que l’État dans l’esprit d’un enfant de dix ans ? C’est au monde entier que s’adresse alors sa haine, à ce monde qui l’a laissé sans aide face à une telle tragédie.

Malheureusement personne n’entendra plus jamais ses plaintes. Le 2 janvier 2015, à bout de force, épuisé et détruit, Ibrahim s’écroule. Des larmes salées sur ses joues creusées, le teint livide, jamais plus il n’ouvrira les yeux. C’est oublié de tous et seul, dans cette carrière loin de son village, qu’Ibrahim s’est éteint.

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Des bleus au cœur

Léa ManouryLycée Pierre Émile Martin,

Bourges

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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J’aurais voulu défendre les droits de Touria.

Seulement, pour elle, il est trop tard.

Elle est morte au mois de mai et la nouvelle de sa mort a fait si peu de vagues qu’elle n’est pas venue jusqu’à moi à ce moment-là.

Mais, il en est encore temps : pour ne pas l’oublier, pour éviter, surtout, qu’il y ait d’autres Touria, je veux aujourd’hui défendre les droits des femmes, de celles qui ont « des bleus au cœur ».

Aujourd’hui en France une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint…

Peut-être ne le savez-vous pas, Mesdames et Messieurs : en 2012, d’après le ministère de l’Intérieur, 148 femmes ont succombé à ces mauvais traitements.

Aujourd’hui devant vous je voudrais dénoncer cette situation et être la voix de toutes celles qui se sont tues !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont vertigineux, scandaleux ! En effet, Mesdames et Messieurs, on estime qu’en France une femme sur dix est victime de violence. Cette maltraitance touche tous les milieux sociaux et toutes les générations ; les femmes les plus pauvres étant quatre fois plus concernées que les femmes issues des milieux aisés.

Pourtant, seulement 20 % d’entre elles ont osé porter plainte. Mais qu’advient-il des 80 % restants, qu’advient-il de ces milliers de femmes encore emprisonnées dans leur silence ?

Derrière ces chiffres, il y a des visages, des visages de femmes brisées à jamais, comme celui de Touria.

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Ces violences faites aux femmes se manifestent, bien sûr, par des atteintes physiques, principalement des coups, mais elles prennent aussi une dimension psychologique lorsque l’homme s’emploie à dénigrer, humilier, insulter et rejeter sa compagne : attitudes qui engendrent également beaucoup de souffrance.

Pourtant, la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule dans l’article premier que : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». En outre, les articles 3 et 5 ajoutent que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » et que « nul ne sera soumis […] à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Comment peut-on en arriver à de telles extrémités ?

Le plus souvent, la maltraitance s’installe progressivement dans le couple, presque de manière insidieuse. Il lui dit : « Si tu m’aimes, ne va pas à ton rendez-vous avec ta copine, reste à la maison. » Une phrase qui pourrait peut-être vous sembler anodine ? Pourtant cette restriction, c’est déjà un ordre ! Cette forme de chantage, c’est déjà un abus de pouvoir ! Et la victime ne le sait pas encore mais ces quelques mots ne sont que la préface de la tragédie qui va suivre.

La violence va alors faire « son nid » en débutant par de grosses disputes, des objets volontairement cassés, des cris… Seulement, il s’excuse et jure que rien de tout cela ne recommencera. Puis c’est une autre crise, et cette fois les coups apparaissent, mais il s’excuse encore une fois : vous comprenez bien, il est surmené au travail… Difficile, en effet, de gérer un état de stress sans violenter sa femme !

Vous allez sûrement vous en étonner : mais pourquoi cette dernière ne réagit-elle pas ? La femme pardonne et accepte de passer outre parce qu’après tout c’était la première fois. Et puis, cet homme est son mari, il est aussi le père de ses enfants, il ne recommencera plus puisqu’il l’a promis…

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Hélas ! À ce stade, c’est souvent trop tard : le cycle de la violence s’est déjà installé et nul ne devine encore à quelles extrémités gravissimes il pourra conduire.

Comme le disait Sartre : « La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec. »1 Oui, la violence est un aveu d’impuissance de la part de l’homme ; oui, la violence est un échec ! Et en aucun cas une solution pour régler un conflit.

D’ailleurs, la violence est un délit puni par la loi !

Dans le Code pénal, l’article 222-13 déclare que la violence peut être punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. L’article 222-33-2-1 stipule, lui, que le harcèlement moral est puni de trois à cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 à 75 000 euros d’amende. Enfin, le l’article 222-8 punit les violences ayant entraîné la mort de vingt ans de réclusion criminelle.

Hélas, à l’effet dissuasif de la loi répond un sentiment d’impunité des bourreaux encouragé, le plus souvent, par le silence de leurs victimes. Un silence qui nous semble incompréhensible. Pourquoi rester dans de telles conditions ? Vous vous dites sans doute : « Moi, à sa place, je serais partie depuis longtemps. » Mais pour pouvoir comprendre, il faudrait simplement, quelques instants, se poser les bonnes questions.

Ces questions nous allons nous les poser.

Sachez d’abord que beaucoup de facteurs interviennent pour expliquer l’emprise dont ces femmes sont victimes : elles sont généralement isolées de leurs familles, amis ou proches, par leur conjoint ; dans la plus grande majorité, elles se trouvent sans emploi, voire sans diplôme, et dépendent donc financièrement de ce compagnon violent. Partir, c’est alors se retrouver entièrement démunie, surtout avec des enfants qu’on risque de vous retirer.

1 Jean-Paul Sartre, Situations, II, Paris, Gallimard, 1951. (N.d.É.)

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Je m’adresse à vous, Mesdames et Messieurs les membres du jury, Mesdames et Messieurs les membres de cette assemblée, amis des droits de l’homme :

Pouvez-vous imaginer, vous qui êtes conscients de vos droits, la honte liée à la dévalorisation de soi, au sentiment d’être incapable de réussir, à la crainte du jugement des autres ?

Avez-vous entendu parler de ce qu’on appelle le « syndrome d’accommodation » ? Les coups, les larmes, la violence, sont ancrés dans le quotidien et en deviennent les composantes ordinaires.

Ces femmes se taisent, car, vivant dans un océan de terreur, elles y sont noyées. Vous, vous seriez parties, pensez-vous encore ? Mais elles, vous voyez maintenant pourquoi elles ne l’ont pas fait. Certaines renoncent à redresser la tête, mais d’autres cherchent à s’en sortir, quelques-unes avec succès, quelques autres vainement ou de façon tragique.

C’est le cas de Touria Ghiziel Brico, une jeune femme décédée à trente-deux ans sous les coups de son conjoint alors qu’elle était enceinte. Elle a perdu la vie, il y a quelques mois, défenestrée après des années de lutte contre son bourreau. Une femme qui a essayé de s’en sortir, mais dont les appels au secours n’ont pas été entendus ! Ses voisins savaient qu’elle était battue ; pourtant beaucoup ont préféré se taire et ignorer la situation !

Mais la tranquillité a un prix, car cette lâcheté fait le jeu du coupable et condamne la victime : Touria, donc, a été condamnée à endurer sa situation, elle a été condamnée par notre indifférence ou par notre impuissance !

« Cette dame, elle lançait des appels au secours, elle a été plusieurs fois à la police et, sincèrement, elle n’a pas été entendue », confie un voisin. En effet, Fatia, présidente d’une association, avait tenté de placer Touria dans un foyer pour femmes battues, mais il n’y avait aucune place disponible pour elle ! Aucune place pour lui sauver la vie !

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Faut-il rappeler que l’article 223-6 du Code pénal fait obligation à chacun de porter assistance à personne en danger ?

D’autres questions doivent alors se poser : « Comment les aider ? », par exemple. « Comment ne pas ajouter notre indifférence à leur silence ? »

Alors,

Je revendique la justice pour toutes ces femmes battues afin d’éviter ces tragédies qu’illustre le cas de Touria Ghiziel Brico.

Je réclame dès aujourd’hui plus de moyens pour aider ces femmes à s’en sortir et à se reconstruire : des places dans des foyers afin que plus aucune femme n’y soit refusée, des formations qui leur permettront une indépendance financière, des facilités pour se loger avec leurs enfants.

Je demande une prise de conscience pour les libérer de l’emprise dont elles sont victimes. Ce qui tue, Mesdames et Messieurs, c’est l’indifférence, c’est notre silence !

L’enjeu, ce sont des êtres humains, souvent sans défense : des femmes et des enfants ! Derrière l’exemple de Touria, il y a toutes ces femmes qui vivent la même situation, guettant le moindre signe du danger qui nourrit leur angoisse, le bruit des pas qui annonce l’heure du déchaînement. Il y a les enfants qui se cachent et en resteront durablement marqués. Il y a une femme au milieu de sa solitude et de son désarroi, avec ses « bleus au cœur », dont les traces durables sont parfois même fatales.

Alors, nous ne pouvons plus laisser de telles blessures béantes toucher d’autres femmes…

Selon Louis Aragon, « La femme est l’avenir de l’homme. »2

Encore faudrait-il qu’il ne la prive pas de son propre avenir…

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2 La citation exacte d’Aragon est « L’avenir de l’homme est la femme. » (Louis Aragon, Le Fou d’Elsa, ch. IV, « Débat de l’Avenir », Paris, Gallimard, 1963.) « La femme est l’avenir de l’homme » est le titre d’une chanson de Jean Ferrat qui rend hommage à Aragon.

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Les enfants fantômes

Anne-Laure TollecLycée Saint-Sernin,

Toulouse

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Moussa est un jeune Peulh1, une ethnie de pasteurs de la région sahélo-saharienne. C’est un garçon intelligent, d’aucuns diraient même brillant. Il est élève en classe de CM2 dans l’école de garçons du village malien dans lequel il vit. Ce matin, assis à l’ombre du grand baobab qui trône au milieu de la sarré, la concession familiale, il pleure de toutes ses forces.

Mais contrairement à beaucoup d’enfants ce n’est pas parce qu’il doit aller à l’école qu’il est si triste. Non, c’est parce qu’il vient d’apprendre de la voix de son maître, M. Mvondo qu’il ne pourra se présenter ni à l’examen du certificat d’études primaires ni au concours d’entrée en 6e. M. Mvonbo qui est si fier de son jeune élève a lui aussi les larmes aux yeux et des sanglots dans la voix.

Mais pourquoi Moussa ne pourra-t-il pas se présenter aux examens ? Parce qu’aux yeux de la loi, il n’existe pas.

À sa naissance, Moussa n’a pas été déclaré. Pas de déclaration de naissance, pas d’acte de naissance, pas d’identité.

Bien sûr, Moussa sait qu’il existe et qui il est. Bien sûr, M. Mvombo sait qui est Moussa. Mais aux yeux de la loi, aux yeux de l’État, Moussa n’existe pas. Or c’est l’État qui organise les examens et délivre les diplômes. Alors, pas d’identité, pas d’examen, pas de diplôme. Qu’importe que Moussa soit le premier de sa classe dans toutes les matières. Alors Moussa en veut à la terre entière : à Dieu d’abord, qu’il trouve injuste de n’avoir pas prévenu son père ; à son père, qu’il aime tant, mais qui, par ignorance, a hypothéqué son avenir ; à son maître d’école, pourtant si fier et si bienveillant, qui a attendu le dernier moment pour constater qu’il n’avait pas d’acte de naissance. Mais qu’importe ! Sans visibilité légale Moussa n’est

1 Peulh ou Peul (N.d.É.)

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rien. Ou si, plutôt, il est un enfant seul qui pleure parce que ses espoirs viennent de se briser sur le mur de l’invisibilité légale.

Malheureusement, le cas de Moussa n’est pas isolé. À son image, ils sont des millions d’enfants, près de 230 millions dans le monde, à être privés d’un de leurs droits les plus fondamentaux : avoir une identité ; avoir une identité c’est-à-dire un nom, un prénom, une date de naissance, un sexe et une nationalité, reconnus par la loi. Autant de choses qui, dans un État de droit comme le nôtre, nous semblent évidentes au point de nous faire oublier que ce n’est qu’à cette condition qu’une personne peut être titulaire de droits.

Ce droit à l’identité, comme tout droit, n’est pas inné, mais institué. Il est établi par la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée en 1989 qui stipule en son article 7 que « l’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a, dès celle-ci, droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité, et dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».

Pourtant, privés de ce droit le plus fondamental, duquel tous les autres dépendent, des millions d’enfants ne jouissent d’aucune reconnaissance légale. Leurs parents, leurs amis, leurs maîtres peuvent bien les connaître et les aimer, ils n’ont pas d’existence au-delà de ce cercle restreint dans lequel ils sont condamnés à rester, duquel ils sont condamnés à dépendre. Mais qu’ils veuillent ou qu’ils doivent partir, que leurs proches viennent à disparaître, d’un coup d’un seul ils ne seront plus rien ; aux yeux du monde, ils n’existeront plus. C’est ainsi que des centaines de milliers d’enfants de par le monde errent, travaillent et vivent en marge de la société sans aucun espoir de l’intégrer vraiment. Sans identité, c’est-à-dire sans protection légale, ils sont de la chair à exploitation, condamnés à vivre, voire à périr, sous l’emprise de tous ces vautours, proxénètes, esclavagistes et autres sergents recruteurs, qui guettent des proies faciles pour en faire les victimes de leur avidité ou de leur perversité.

Mais, face à ce drame, les bons sentiments ne peuvent suffire. Il faut agir pour donner à ces enfants une identité, un « état civil » qui

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sera leur première protection pour la vie. Non pas suffisante sans doute, mais nécessaire pour pouvoir accéder à tous les autres droits.

Je vous le redis, le droit à l’identité est essentiel parce qu’à une réalité dite « physique » il fait correspondre une réalité juridique qui fait de l’individu un sujet de droit.

L’identité passe d’abord par l’identification de l’individu. Parce que le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de la proximité immédiate, familiale, villageoise, mais le vaste monde des États-nations et de la mobilité géographique, la reconnaissance concrète des pairs et des proches ne peut plus suffire à protéger et à fortifier les individus.

Par « état civil » on entend non seulement le processus d’identification d’une personne, mais également l’institution, en général étatique, chargée de collecter, d’enregistrer et de classer les informations relatives aux personnes. Bref, avoir un état civil c’est exister pour les autres, quels qu’ils soient, c’est être quelqu’un et non simplement quelque chose. Et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 l’exprime clairement dans son article 6 puisqu’elle proclame que « Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique ». De ce droit découlent tous les autres : vivre sans état civil, c’est être condamné à n’avoir accès ni à la santé, ni à l’éducation, ni aux services sociaux de base.

Voilà pourquoi le droit à l’identité, le droit à un état civil est bien le droit des droits.

Et pourtant, je vous l’ai dit, on estime à plus de 230 millions le nombre d’enfants qui en sont privés.

Bien sûr, on ne peut pas imputer exclusivement cette situation à la mauvaise volonté des États. Certains facteurs expliquent plus que d’autres ce phénomène : la pauvreté, bien évidemment, parce que les actes juridiques ont un coût, fût-t-il modique, l’éloignement des centres de registre d’état civil ou encore le manque de fiabilité

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de l’administration dans de nombreux pays pauvres. À cela s’ajoute bien souvent le faible niveau d’éducation des parents qui ne sont pas conscients de l’importance de cette démarche pour l’avenir de leurs enfants. C’est cette ignorance, nous l’avons vu, qui a privé Moussa de l’avenir qui lui tendait les bras.

Voilà pourquoi je viens devant vous plaider pour la création d’une « agence mondiale de l’état civil » qui, sous l’égide de l’ONU et grâce à la contribution des États membres, aurait pour double mission de financer et d’organiser des campagnes d’information sur l’importance de « la déclaration de naissance » ainsi que d’aider les États à mettre en place, partout où ils sont absents, des « dispensaires d’identité » qui, à l’image des dispensaires médicaux, auraient pour mission de dispenser les premiers soins, juridiques ceux-là, à ceux qui manquent de tout. Et pour un enfant l’un des premiers soins que l’on puisse lui prodiguer est sans nul doute de lui établir un acte de naissance. Il sera pour lui comme ce premier vêtement de droit dans lequel il sera emmailloté pour le protéger des rudesses de la vie.

Ce à quoi je vous appelle donc, Mesdames et Messieurs, et à travers vous ce à quoi j’appelle les États dont vous êtes les citoyens, c’est à déposer dans le berceau de tous les enfants du monde, non pas de la myrrhe et de l’encens, mais un acte de naissance. Un acte de naissance pour que la vie de Moussa et de ces millions d’enfants fantômes ne se brise pas sur le mur de l’invisibilité légale. Un acte de naissance pour que ce ne soit pas en vain que Moussa ait appris à réciter par cœur ces vers de Victor Hugo :

« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.Quatrevingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagneNe sont jamais allés à l’école une fois,Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.Où rampe la raison, l’honnêteté périt. »

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6e ÉDITION - 30 JANVIER 2016

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6e CONCOURSDE PLAIDOIRIES DES ÉLÈVES AVOCATS

Samedi 30 janvier 2016

AU MÉMORIAL DE CAEN

Le Mémorial de Caen propose aux élèves des écoles des avocats de Paris (E.F.B.), de Versailles (HEDAC), du Nord-Ouest (IXAD), du Grand Est (ERAGE), de Rhône Alpes (EDARA), du Sud Est, du Centre Sud (EFACS), du Sud Ouest Pyrénées, de Bordeaux (Aliénor), du centre Ouest (ECOA) et du Grand Ouest (EDAGO) de défendre une cause de violation des droits de l’homme.

Chacun des 11 centres de formation invite ses étudiants à rédiger une plaidoirie défendant la cause d’une victime dont les droits fondamentaux ont été bafoués. Après une première sélection, les lauréats de chaque école se retrouvent en finale au Mémorial de Caen pour présenter leurs plaidoiries devant un jury composé d’avocats, de magistrats, de journalistes et de personnalités en-gagées dans la défense des droits de l’homme. Trois prix récom-pensent les causes qui ont été les mieux défendues.

Le Barreau, la Ville et le Mémorial de Caen n’entendent donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises par les candidats ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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Le Mémorial de Caen • Recuei l des Plaidoir ies 2016 • ÉLÈVES AVOCATS

6e CONCOURSDE PLAIDOIRIES DES ÉLÈVES AVOCATS

Samedi 30 janvier 2016

TABLE DES MATIÈRES

LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES ÉLÈVES AVOCATS

Juste une illustration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127Lucas Hervé / École des avocats de Rennes

Un châtiment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135Gaspard Cuenant / École des avocats de Montpellier

Tant de force inutile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143Nicolas Jérusalémy / École des avocats de Poitiers

Elle les a vus, ces hommes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153Audrey Leboeuf / École des avocats de Lille

2015, l’odyssée de la rue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161Inès Germain / École des avocats de Versailles

L’éternel retour de l’impunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169Robin Sénié-Delon / École des avocats de Toulouse

Un conte de fouet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177Tristan Jannot / École des avocats de Lyon

Mondial 2022 : quand l’or cache le prix du sang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185Océane Phan Tan Luu / École des avocats de Marseille

La République de l’ombre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193Flora Diana-Martinez / École des avocats de Bordeaux

Au pays des Hommes libres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203François Bourguignon / École des avocats de Paris

La perle du Sahel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211Clémence Teillaud / École des avocats de Strasbourg

LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

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Juste une illustration

Lucas HervéÉcole des avocats de Rennes

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Le Mémorial de Caen • Recuei l des Plaidoir ies 2016 • ÉLÈVES AVOCATS

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs les membres du jury,

Mesdames, Messieurs,

Nous sommes le 8 octobre 1981, Stéphane a quatorze ans. Il est en classe de troisième au collège des Louvrais à Pontoise. Stéphane, c’est un jeune homme classique : il aime la musique de son temps, apprécie les cours d’histoire-géographie. Mais en cours, ce qu’il préfère, par-dessus tout, Stéphane, c’est provoquer parfois et dessiner le reste du temps.

Stéphane a des facilités de compréhension, c’est ce qui lui permettra d’avoir une scolarité sans encombre. D’ailleurs, grâce à ses facilités, grâce à son esprit vif de provocation, grâce à la qualité indéniable du trait qui est le sien, Stéphane fera le métier de ses rêves.

Stéphane a quarante-sept ans maintenant. Il est là, au milieu du journal satirique dont il est le chef. Il entend, ce 7 janvier 2015, une première détonation. Puis bientôt une seconde, sans bien comprendre ce qu’il se passe. La troisième détonation, il comprendra, par la force des choses sa signification, lorsqu’il verra, devant lui s’effondrer le corps sans vie de l’un de ses collègues de travail. La quatrième, la cinquième, la sixième, et les détonations suivantes seront pour lui.

Stéphane Charbonnier, dit « Charb », et une grande partie de son équipe viennent de se faire assassiner. Assassinés par des ennemis de la provocation. Assassinés par des ennemis de la liberté d’opinion et d’expression. Assassinés par des ennemis de l’État de droit et de la démocratie.

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Le Mémorial de Caen • Recuei l des Plaidoir ies 2016 • ÉLÈVES AVOCATS

C’était juste pour une illustration.

Nous sommes le 8 janvier 2015, Emin a quatorze ans. Il est en classe de troisième au collège Pierre-Hyacinthe-Cazeaux à Morez. Emin, c’est un jeune homme classique, il aime lui aussi la musique, lui aussi les cours d’histoire-géographie.

Mais Emin, c’est un jeune homme d’origine turque. Emin est musulman. Il est meurtri au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo alors qu’une attaque se poursuit à Montrouge et que la tuerie de l’Hypercasher n’a pas encore eu lieu.

Dans la cour de récréation, la fuite des frères Kouachi est de toutes les discussions. Les langues sont libres. L’expression est libre. Tant et si libre que le jeune Emin sera l’objet de maladroites et infantiles attaques sur ses origines, sa couleur, sa religion.

Vexé, humilié, Emin commettra lui-même l’amalgame.

En rentrant de l’école, Emin publie une illustration sur son profil Facebook. Cette illustration, c’est celle d’un poing tenant une arme, agrémentée de la mention « t’as cherché, t’as trouvé ». La publication sur le réseau social sera dénoncée par les amis virtuels d’Emin. Cinq jours plus tard, le mardi 13 janvier 2015, Emin est réveillé par des gendarmes. Emin, quatorze ans, est interpellé au domicile de ses parents. Emin, quatorze ans, est placé en garde à vue. Emin, quatorze ans, est déféré au parquet. Emin, quatorze ans, est mis en examen pour avoir publié.

Au sens de la loi, Emin a commis un délit ; celui de l’apologie du terrorisme. En effet l’article 421-2-5 du Code pénal punit « le fait de faire publiquement l’apologie des actes de terrorisme ». À sa lecture, il n’échappera pas un caractère éminemment imprécis, lacunaire, d’un texte de nature pénale qui définit de la manière la plus large qui soit cette infraction. Étonnant de définir le délit d’apologie du terrorisme, par le simple fait de faire l’apologie. L’apologie serait donc tout, ou plutôt rien ?

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Le Mémorial de Caen • Recuei l des Plaidoir ies 2016 • ÉLÈVES AVOCATS

Nous sommes ici à coup sûr, face à une entorse au principe de légalité pénale qui commande pourtant au législateur de veiller à une précision de ses termes lorsqu’il crée une nouvelle incrimination. Pas de délit sans loi, pas de peine sans loi, mais encore faut-il que la loi soit suffisamment précise.

La procédure, en cette matière, est elle aussi d’une extensibilité sans grande limite. Il existe, très formellement, une procédure dérogatoire du droit commun, en matière de terrorisme : c’est le titre XV du livre IV du Code de procédure pénale.

Ce droit dérogatoire, il permet en toute légalité de proroger l’absence de l’avocat jusqu’à la 72e heure de garde à vue. 72 heures sans avocat. Ce droit dérogatoire, il permet aux gendarmes d’étendre la durée de la garde à vue jusqu’à 144 heures ; soit six jours de garde à vue, soit six jours de privation de liberté sans avoir pu débattre une seule fois, au fond, devant un véritable juge judiciaire pourtant gardien des libertés individuelles. Ce droit dérogatoire l’est davantage encore en situation d’état d’urgence.

Ce droit dérogatoire n’a de droit que le nom. Les droits de l’homme, qui sont de toutes les femmes et de tous les hommes, ne sont pas négociables.

Or, catégoriser, c’est déjà déroger. Y aurait-il certaines personnes qui, du fait de la commission supposée d’un acte, seraient impropres à bénéficier des garanties et droits fondamentaux, pourtant universels ?

Cette thèse ne résisterait pas à l’analyse de l’État de droit. C’est pourtant, la réalité du dispositif légal en vigueur.

« Agis de telle sorte que tu considères autrui toujours en même temps comme une fin et jamais uniquement comme un moyen. » Les préceptes de Kant1, sur l’homme, l’humain, le sujet ne sont plus pris en compte par l’État moderne.

1 Fondements de la métaphysique des mœurs (1785)

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Le Mémorial de Caen • Recuei l des Plaidoir ies 2016 • ÉLÈVES AVOCATS

Non, au contraire, on exclut encore avec la déchéance de nationalité.

Vous percevez ici toute l’aberration d’un système qui entend lutter contre le terrorisme en omettant les garanties fondamentales pourtant attachées à l’homme. Partout où l’État de droit recule et concède ne serait-ce qu’une partie des garanties fondamentales que sont les droits de l’homme, c’est l’obscurantisme, la peur et finalement la terreur qui en sortent vainqueurs.

Vous êtes, nous sommes, les citoyens d’aujourd’hui. Vous êtes, nous sommes, les acteurs de la justice d’aujourd’hui et de demain. Lorsque l’obscurantisme se dessine, c’est à nous de rallumer les lumières. La France de la division ne sera plus la patrie des droits de l’homme.

De cette ambiance, l’histoire d’Emin en est juste l’illustration. Dans quelques semaines, le jeune Emin, quatorze ans, sera jugé par le tribunal pour enfants de Lons-le-Saunier pour avoir publié sur Facebook. Emin encourt, par combinaison des textes du Code pénal et de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, jusqu’à trois années et six mois d’emprisonnement.

Dans le contexte qui est le nôtre, et puisque la loi le prévoit, la liberté est loin d’être le principe pour les présumés apologistes du terrorisme, même mineurs. Faisons triompher l’État de droit, en n’envoyant pas un mineur de quatorze ans dans une prison. C’est là l’ultime contradiction d’un système qui ne tourne que sur lui-même : car la prison ne fonctionne même pas.

La réalité décrite un temps par Robert Badinter a malheureusement, depuis, évolué. Aujourd’hui, semblerait-il, en prison « on y rentre délinquant, on y devient criminel, et on en sort terroriste ». C’est celui-là, le parcours de Chérif Kouachi. C’est celui-là, le parcours d’Amedy Coulibaly. C’est celui-là le parcours d’Abdelhamid Abaaoud.

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Le Mémorial de Caen • Recuei l des Plaidoir ies 2016 • ÉLÈVES AVOCATS

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du jury, Mesdames, Messieurs, face à la barbarie qui nous touche tous, les réactions épidermiques sont légitimes. Mais c’est justement au cœur de l’état d’urgence, lorsqu’à l’émotion se joint la raison, que doit constamment être rappelée la force du droit comme rempart au fanatisme.

Ainsi, au moment de conclure, faisons résonner, dans cette enceinte consacrée à l’histoire et à ses enseignements, toute la vigueur d’une juste lutte contre l’obscurantisme en rappelant les mots de Victor Hugo : « Celui qui ouvre une porte d’école ferme une prison. »2

Ne faisons pas de ce jeune commentateur, Emin, un acteur.

Pour que ce bref passage à l’acte demeure un acte de passage, saisissons l’occasion, pour ne pas rajouter de la peine à la peine.

2 Citation attribuée à Victor Hugo, qui ne figure nulle part dans son œuvre. (N.d.É)

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Un châtiment

Gaspard CuenantÉcole des avocats de Montpellier

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Raif Badawi est âgé d’une trentaine d’années et il est saoudien. Il appartient à cette classe moyenne composée de gens qui ont étudié et qui vivent – matériellement du moins – dans un certain confort.

Parce que les mœurs en son pays sont différentes des nôtres, il est – depuis ses vingt-cinq ans – déjà marié et père de trois enfants.

Parce que les mœurs en son pays sont différentes des nôtres, il est – qu’il le veuille ou non – le gardien de son épouse, le serviteur de son père et le sujet de son roi.

Parce que les mœurs en son pays sont différentes des nôtres, sa liberté ne s’arrête pas là où commence celle d’autrui, mais là où Dieu l’a décidé.

Et lorsque je cite Dieu, je suis quelque peu malhonnête car, si la spiritualité nourrit parfois l’avilissement, c’est de la faute des hommes, du moins de certains d’entre eux.

Raif Badawi se définit comme un libéral. Cela veut dire – et ce sont ses mots – qu’il faut « vivre et laisser l’autre vivre », que ceux qui naissent sur la même terre ont les mêmes droits et qu’il aspire à vivre dans un État où « la liberté d’expression est l’air que respire tout penseur ainsi que le combustible qui enflamme sa pensée ».

Ces mots, il n’a le droit ni de les écrire, ni de les verbaliser, ni même de les penser. Cet interdit, ce tabou, lui, il ne l’accepte pas.

En Arabie saoudite la parole publique est accaparée par les gardiens du temple. Raif Badawi, pour s’exprimer, devra créer sa propre tribune. C’est ainsi qu’en 2008 il donne naissance à son site Internet, un espace lui permettant de partager ses textes, ses réflexions, sur l’émancipation des femmes, sur la religion, sur la répression dont sont victimes ceux qui, comme lui, « pensent mal ».

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Plus le temps passe, plus il use de cette liberté nouvelle. Il comprend que ses essais sont lus et commentés. Le ton se fait volontairement libre et son propos de plus en plus ironique.

Il raille cette phobie perverse et maladive de la mixité et remercie chaleureusement la police religieuse de le conduire – lui et ses frères – vers les chemins vertueux du paradis et de les tenir éloignés du vice en cachant leurs femmes.

Plus le temps passe, plus l’affront devient insupportable. Les autorités contraignent son épouse et ses enfants à l’exil, et lui interdisent de quitter le territoire. Il est amputé des siens et sait que son arrestation n’est plus une hypothèse, mais une fatalité.

Raif Badawi est arrêté le 17 juin 2012, et placé en détention. À compter de ce jour, il perd son statut de libéral, il perd son statut de blogueur subversif, il devient criminel parce qu’il a commenté l’ordre établi, et cet ordre tient son pouvoir du sacré.

Et c’est un criminel d’autant plus dangereux qu’il est lourdement armé. Son arme, c’est son humour, qui lui aussi était sacré dans un pays où beaucoup ont perdu l’envie de rire. Son arme, ce sont ses sarcasmes qui visaient une police morale incapable de lui répondre autrement que par la force.

Son arme c’est son esprit. Et ce que l’on va lui faire est désarmant.

À compter du jour où Raif Badawi est arrêté, il est pris au piège. Parce qu’il est placé au cœur d’une machine infernale et malsaine : une procédure judiciaire interminable conçue comme un système de répression qui n’aura pour seul et unique but que de le briser physiquement et mentalement.

Tout va être savamment orchestré pour qu’il lâche prise, pour qu’il s’estime vaincu, et qu’il reconnaisse publiquement s’être trompé, s’être égaré. Et à cette condition, à cette condition seulement, peut-être pourra-t-il espérer bénéficier d’une certaine forme de clémence.

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Mais il refusera de se plier et de faire amende honorable, car au plus profond de lui il sait que ce qu’il dit est juste, car il est bien trop honnête envers lui-même, et trop loyal envers ses idéaux pour se préserver en les reniant.

Alors, pendant son premier procès il aura le courage de dire à son juge que tout le monde a le droit de croire ou de ne pas croire et que lui croit en la liberté de conscience. Et son juge, armé d’un pouvoir d’arbitraire absolument illimité va le condamner – à l’appui de charges abstraites – à sept longues années d’emprisonnement et à six cents coups de fouet, pour son impertinence, pour sa témérité, pour l’ensemble de son œuvre.

Raif Badawi fera appel de cette condamnation, ce qui va atteindre la justice saoudienne en son honneur. Parce qu’il a osé contester une décision rendue par des hommes en vertu de la loi de Dieu, sa peine ne pourra qu’être plus lourde. Il comparaîtra seul, seul parce que privé de son avocat qui était emprisonné quelques jours auparavant.

Le 7 mai 2014, Raif Badawi sera définitivement condamné à subir dix années d’emprisonnement et à recevoir mille coups de fouet, sa liberté lui sera enlevée, et ses chairs seront meurtries.

Cent coups de fouet suffisent à tuer un homme, alors le supplice sera scindé en vingt séries de cinquante coups, qui seront administrés en public, aux portes de la mosquée de Djeddah, un vendredi, jour de prière. De sa première séance, son corps en ressortira tant abîmé que le médecin de la prison empêchera que se tienne la seconde, du moins tant que son état ne se sera pas stabilisé.

Raif Badawi sera donc maintenu en vie le plus longtemps possible, mais sa vie ne sera faite que de souffrances. Et pendant qu’il survit accroupi dans sa cellule, il devra panser ses plaies dans l’attente insupportable d’une nouvelle séance de torture, sans savoir si avant le cinquantième coup son cœur ne se sera pas déjà arrêté de battre.

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Dans la maison du roi Saoud, celui qui n’a que des mots pour s’opposer à l’oppression, celui qui tire de son courage la force de supporter toutes les violences, celui qui n’a pour seules armes que celles de l’esprit, celui-là perdra toujours la première bataille.

Depuis peu c’est une nouvelle bataille qui est engagée, car Raif Badawi n’est plus un anonyme. Pour la qualité de ses écrits et le pacifisme de son combat, il était pressenti en 2015 pour recevoir le prix Nobel de la paix. Et le Parlement européen lui remettait finalement – le 29 octobre dernier – le prix Sakharov.

Tout petit qu’il soit au fond de sa cellule, et comme un pied de nez aux autorités qui l’ont condamné, il est d’ores et déjà entré au panthéon des gardiens de la liberté de l’esprit. Peut-être ces honneurs ont-ils porté leurs fruits, car depuis dix mois – malgré les conditions déplorables dans lesquelles il est détenu – il n’a plus été fouetté.

Mais ces lauriers ne seraient-ils pas le cache-misère d’un constat d’échec ?

Car le mal est déjà fait, et les textes de protection internationale des droits de l’homme ont été totalement inopérants en amont pour protéger Raif Badawi du déchaînement de la violence d’un État.

En 1997 l’Arabie saoudite a adhéré à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle s’est donc engagée à tout mettre en œuvre pour empêcher que soit commis sur son sol « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment de la punir », ce sont les termes du premier article de ladite convention.

La Convention contre la torture met en place un comité, le Comité contre la torture, auquel les États parties doivent adresser des rapports relatifs aux mesures qu’ils ont prises pour assurer l’effectivité de leurs engagements. Ce comité dispose de pouvoirs d’enquête conformément aux dispositions de l’article 20 de la Convention.

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Mais l’Arabie saoudite lors de son adhésion a formulé un certain nombre de réserves de sorte qu’elle ne reconnaît – entre autres – aucune compétence à ce comité.

C’est dire s’il est aisé pour un État d’adhérer à un mécanisme de protection des droits de l’homme, tout en organisant le rejet de toutes les dispositions qui lui paraissent contraignantes. C’est une adhésion de façade, et cette façade n’est pas crédible.

Aujourd’hui Raif Badawi est détenu depuis près de trois ans et demi dans les geôles saoudiennes et il est une question que je me suis posée : qui sera-t-il le jour où il sortira de prison ?

Seront-ils arrivés à leurs fins ? L’auront-ils tant brisé qu’il s’enfermera dans le mutisme de ceux dont l’âme a été obscurcie par trop d’années de souffrance ?

Je ne sais pas. Je ne le souhaite pas. Alors je crois – par optimisme – que, malgré tout ce qu’il aura enduré, son courage, ses convictions, son esprit seront intacts.

Qu’il sorte debout, la tête haute et fier, ou qu’il sorte assis sur un fauteuil parce que trop faible pour se lever, peut-être trouvera-t-il l’occasion de faire siens ces mots que l’on prête à Beaumarchais et qu’il dira que les paroles imprimées « n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »1

1 Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro, Paris, 1784. (N.d.É.)

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Tant de force inutile

Nicolas JérusalémyÉcole des avocats de Poitiers

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Certains chercheurs, le croiriez-vous, ont pu considérer que les grenades offensives étaient des instruments de civilisation des rapports de force.

Ces armes qui servent à la dispersion de groupes menaçants et hurlants explosent à proximité, et le bruit, et le souffle les conduisent à s’égailler, permettant d’éviter ainsi le contact physique avec les forces de l’ordre.

Le directeur général de la Gendarmerie nationale nous le certifie : les grenades offensives ne sont « pas une arme qui tue, il n’y a jamais eu de problème en maintien de l’ordre avec des grenades offensives ».

Des grenades inoffensives en somme.

C’est bien pour cela que dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, sur le site du futur chantier du barrage de Sivens, on ne s’est pas privé d’en jeter 23 en direction des manifestants, accompagnées de 275 grenades lacrymogènes et de 41 balles de défense avec lanceur.

Une de ces grenades offensives a tué Rémi Fraisse. Quelques jours plus tard, elles furent interdites dans les opérations de maintien de l’ordre public, et nous sommes devenus orphelins de ces extraordinaires outils de civilisation des rapports de force.

Le 25 octobre 2014, pour défendre la zone de chantier du barrage de Sivens, une vingtaine de cars de compagnies républicaines de sécurité et de gendarmes mobiles, soit près de trois cents personnes munies de lance-grenades et recouvertes d’armures, sont positionnés à proximité d’un rectangle de terrain entouré d’un grillage de 1,80 m et d’un large fossé rempli d’eau.

Ces troupes ont pour mission de protéger la « base-vie » du

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chantier, laquelle était d’ailleurs presque totalement vidée de ses machines et de tout matériel de valeur.

Rémi Fraisse, lui, est là depuis quelques heures. Il a un sac sur le dos, des amis. Il ne sait pas bien ce qu’il se passe ici.

Il a quitté sa mère quelques heures plus tôt. Elle était inquiète. Mais Rémi Fraisse est un enfant calme, qui sait comment rassurer sa mère. Et les mères d’enfants calmes savent comment leur faire croire qu’elles sont rassurées.

Ce week-end-là, un grand rassemblement festif est organisé sur le site occupé par des militants depuis l’été. On doit faire de la musique, parler, expliquer pourquoi ces travaux décidés par le conseil départemental du Tarn vont irrémédiablement pulvériser l’écosystème de la zone humide.

Le préfet a autorisé la manifestation.

Il avait aussi assuré qu’il n’y aurait pas de gendarmes.

Très rapidement, à quelques centaines de mètres de Rémi Fraisse, ce soir-là, on entend des explosions, des tirs et des cris. On voit des lueurs intermittentes et on perçoit dans la plaine, dans le sol, le bruit que font la peur et les hommes qui courent.

Et Rémi Fraisse est allé voir.

Il se retrouve très vite piégé dans cette furie et progresse tant qu’il peut dans la fumée des bombes qui éclatent autour de lui. Protégés par leur grillage et leur fossé, les gendarmes tirent et c’est la panique totale. Il fait noir. Les projecteurs et les mégaphones sont en panne.

L’un des gendarmes s’entend alors donner l’ordre de jeter une grenade offensive. Mais où ? La nuit, la fumée le désoriente, il ne sait qu’une chose : des manifestants sont en train de le bombarder avec des pierres, des mottes de terre, des objets lourds et dangereux et ils sont en face de lui, à quelques mètres.

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Alors il court pour aller chercher des lunettes de vision nocturne dans un fourgon garé à dix mètres de là. Ceux qui ont la garde de l’instrument ne se souviennent pas de lui, mais le gendarme dit pourtant avoir voulu s’assurer que la zone où il lancera la grenade sera dégagée.

De son propre aveu, ce n’est pas très évident à déterminer, car les manifestants ont cette particularité que les gendarmes chargés de les contenir détestent : ils bougent.

Il n’a sans doute pas procédé aux sommations réglementaires puisque le mégaphone était en panne. Alors, il a dû crier, tenter quelque chose. Ce qui est certain c’est qu’il a lancé la grenade, en cloche, par-dessus le grillage qui le séparait des manifestants.

Quand elle a explosé, elle a tué Rémi Fraisse.

« Violences par une personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner », c’est sous ce chef d’inculpation que l’instruction a été ouverte.

C’est donc le gendarme qui est visé.

Je ne connais pas ce gendarme. J’ignore s’il éprouve du remords. Je ne sais pas si c’est un homme mauvais ; je sais qu’il est un homme.

Et cet homme a reçu un ordre, cet ordre est légitime et son acte, quoi qu’on en pense, n’était pas illégal. Il n’était pas seul à apprécier le danger ce soir-là et pour cette raison, sa décision d’homme n’existe pas.

Dans les opérations de maintien de l’ordre public, c’est le groupe qui doit nous parler. La loi réclame donc qu’après la violence, on puisse percevoir les échos de sa voix et que cette voix soit claire. Les ordres doivent être identifiés, tracés jusqu’à leur origine.

Pourtant ce qu’on trouve face à nous à Sivens, c’est une masse informe où se mêlent le commandement et l’individu, la peur et la menace, la légitime défense et la mort d’un homme.

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Se concentrer sur l’acte du gendarme, c’est se perdre sur le chemin de la cause qui n’est jamais aussi tortueux que quand cette cause implique une décision de l’État. L’auteur direct de la mort de Rémi Fraisse ne dit-il pas qu’il a lui-même pris l’initiative de lancer la grenade ? Alors que son supérieur affirme qu’il lui en a donné l’ordre, pendant que le supérieur de ce supérieur soutient que son propre supérieur, le préfet, lui a donné des consignes de fermeté quand le préfet s’en défend (après que le ministre lui aura conseillé de le faire sans doute) conduisant finalement le supérieur de l’auteur du jet de grenade à ne plus très bien se souvenir des consignes si claires qu’on lui a données.

En définitive, l’ordre est intraçable et où qu’on regarde, quoi qu’on entende, c’est de désordre qu’il est question.

En France, la police, dans ses opérations de maintien de l’ordre public, est placée sous le contrôle direct de l’autorité administrative civile. La République française n’a pas suffisamment confiance en sa police pour lui laisser la liberté de décider de son propre comportement face à des manifestants potentiellement dangereux.

C’est, comme ici, le préfet du département qui décide. Et il a décidé qu’à Sivens – un endroit plongé dans le bouillon protestataire national dont il goûtera encore à Rennes puis à Nantes et Toulouse, quelques jours et mois plus tard – la priorité était de préserver la possibilité de reprendre les travaux du barrage, le lundi matin.

Reprendre les travaux ? Mais des centaines de gens protestent contre eux ! La tension est si forte qu’elle justifie le déploiement de trois cents gendarmes !

Et pourtant dans deux jours, la terre doit se préparer à accueillir le barrage de Sivens.

La seule responsabilité ici est celle de l’État.

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D’abord parce qu’il est enserré dans un cadre juridique fondamental qui le dépasse et qui nous dit que le maintien de l’ordre ne doit pas servir un but politique.

Tenir Sivens ce soir-là n’avait pas de sens. Protéger un rectangle de terre, déployer des centaines de gendarmes sans même savoir, au moment où ils ont pris position, si des violences allaient éclater et le faire dans le seul but de permettre à des travaux contestés devant les autorités administratives et judiciaires, sans parler du soulèvement populaire, de reprendre deux jours plus tard… Cela n’avait de sens ni juridiquement ni politiquement.

La question n’est donc pas de savoir, comme la Cour européenne des droits de l’homme se l’est déjà posée, si l’agent auteur du jet de grenade a agi dans la conviction honnête que sa propre vie et son intégrité physique se trouvaient en péril ; mais bien de savoir si l’État a rempli l’obligation positive qui lui est faite de protéger la vie.

La question est de savoir s’il a pu exister des défaillances de la part de l’État qui peuvent être mises en relation directe avec le décès de Rémi Fraisse, notamment dans l’organisation et la planification de l’intervention des forces de l’ordre dans la journée puis la nuit du 25 au 26 octobre 2014.

Voyez les contradictions, les témoignages, le travail mené par la Ligue des droits de l’homme dans son rapport sur la commission d’enquête citoyenne menée sur les conditions de la mort de Rémi Fraisse : les défaillances étaient évidentes et elles ont été révélées dès les premières heures.

Aucune n’a pourtant empêché le Premier ministre de tonner : « Il n’y a pas de place dans notre République, en démocratie, pour les casseurs ! »

Mais si. Il y a de la place pour tout le monde dans notre République, en démocratie. Pour les casseurs, pour les désespérés, pour les gendarmes, pour les « zadistes », pour les inutiles. Il y a même de la place pour les morts.

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Quand nous en aurons fini avec cela, quand vous vous serez levés de vos sièges et que j’aurai quitté cette tribune, aussi tétanisé que je l’étais quand j’y suis monté, la nuit tombera de nouveau. Comme elle est tombée le 13 novembre dernier.

Comme elle est tombée le 26 octobre 2014.

Le barrage de Sivens sera construit sur les débris du corps de Rémi Fraisse. Comme les aéroports, comme les autoroutes qui creusent les montagnes. Il n’aura pas suffi que meure un botaniste apeuré, étouffé par les gaz.

Il ne suffira pas de tous ces gens inutiles qu’on voit sur les vidéos jouer du violon, danser et trimbaler sans but, au gré du vent et du souffle des gaz lacrymogènes, des paniers de pique-niques en osier sous le soleil de la ZAD du Testet.

Ces colères sont dérisoires.

L’enquête que mène la justice pour démêler l’écheveau des causes et des conséquences morbides de décisions absurdes est rendue pénible par tant d’inutilité. Je crains qu’en cela, nous ne soyons pas très loin des grandes boucheries qui nous sont familières et qui nous ont menés là, aujourd’hui, survivants assis sur nos sièges.

À Sivens, l’État déconcentré, effaré et paniqué a répondu inutilement à l’inutilité rendue féroce et stupide.

Nous devons être inquiets. Ce que la mort de Rémi Fraisse nous dit de la force de l’État doit nous inquiéter. Ce que l’état d’urgence décrété sur notre territoire permet dans l’utilisation de cette force doit nous inquiéter.

Voilà des semaines maintenant qu’on viole impunément les droits fondamentaux de Français suspectés, sur la foi de convictions policières invisibles aux citoyens, d’avoir un lien avec le terrorisme. Des militants écologistes ont été assignés à résidence deux jours avant la COP21, des manifestations interdites.

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La sécurité n’est pas le plus grand des droits. C’est un droit parmi d’autres.

Ce qui n’a pas sa place dans notre République, dans notre démocratie, c’est la passion, la panique et l’émotion, surtout quand elles s’expriment en état d’urgence.

Ces sentiments provoqueront des drames. Comme elles en ont provoqué à Sivens.

Alors il n’y a pas beaucoup d’espoir.

À moins d’une justice.

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Elle les a vus, ces hommes

Audrey LeboeufÉcole des avocats de Lille

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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« Je les ai vus. Ils étaient là. Ces hommes. Ma mère. Mes sœurs. Et pourtant ce matin, tout avait bien commencé.

Dans notre village, situé au pied des pentes rocheuses des monts Sinjar, il faisait beau. De la cuisine de notre maison de torchis, s’échappait une douce odeur de potage. Mes sœurs jouaient dehors. Ma mère préparait le déjeuner. Les hommes de la maison étaient occupés à réparer la cheminée. Nous étions neuf dans notre famille.

C’était une journée comme les autres. Même si, au fond, nous craignions tous qu’ils arrivent un jour.

Et puis au loin, des coups de feu. Des pick-up au drapeau noir. L’affolement du village. Des hommes en noir, la kalach en bandoulière. Les pleurs de ma mère. Je les ai vus, je les ai vus ces hommes. Ces hommes qui arrivaient au loin. »

Madame la présidente, Mesdames, Messieurs du jury, Mesdames, Messieurs,

Elle a quinze ans.

Elle a tenté de leur échapper. Son père et ses sœurs sont montés dans la voiture. Sa mère et elle les ont rejoints avec des couvertures et une gourde d’eau. Ils ont roulé vite.

Un convoi lourdement armé les a encerclés rapidement. Ils les ont immédiatement séparés par âge et par sexe. Les jeunes hommes d’un côté et les jeunes femmes de l’autre.

Elle avait peur. Ils l’ont fait monter dans un camion, avec sa mère et ses sœurs. Puis, ils se sont arrêtés dans la ville la plus proche, non loin de la frontière syrienne. Et là, ils l’ont séparée de

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sa mère. Elle a ensuite dû monter dans un bus. La route a duré six longues heures. Elle a été retenue captive pendant deux mois dans la ville irakienne de Mossoul.

Ils l’ont traitée de païenne. Ils l’ont forcée à se convertir à l’islam. Elle a refusé. Ils étaient furieux. Ils l’ont insultée en lui disant que sa croyance était maudite.

Elle dormait à même le sol et on lui donnait à manger une seule fois par jour.

Ils l’observaient.

Puis, un jour ils sont arrivés et l’ont conduite dans une base militaire de l’armée irakienne. Sur le parking, elle a entendu pour la première fois le mot « sabaya », qui signifie « esclave ». Elle a été vendue à un combattant irakien d’une vingtaine d’années. Elle vivait recluse dans une petite pièce sombre. Un jour, il est entré. Elle était, là, debout, devant lui. Il a fixé ses yeux, sa bouche, sa poitrine, ses jambes. Impassible, d’une voix grave, il lui a demandé de s’allonger. Elle a regardé la porte fermée. Ses yeux se sont humidifiés, sa respiration s’est accélérée, ses mains sont devenues moites. Elle l’a dévisagé comme pour le défier.

Il l’a alors violemment agrippée et l’a contrainte à s’allonger sur le matelas. Elle s’est débattue. Il l’a frappée. Elle s’est résignée, pensant ainsi moins souffrir. Cette jeune yézidie a été violée pendant des mois. De son corps se dégageait une odeur pestilentielle résultant des forts saignements liés à une infection génitale non soignée.

À chaque fois qu’il venait la violer, il priait. Il disait que le fait de la violer était sa prière à Dieu, que c’était autorisé, que c’était halal.

Ce témoignage est celui d’une jeune fille yézidie. Son prénom commence par la lettre F, mais elle n’a pas souhaité dévoiler son identité, à cause de la honte associée au viol.

Ces hommes qu’elle a vus, ce sont ceux-là même qui

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brandissent le drapeau noir,

Ceux-là même qui redessinent la carte du Moyen-Orient,

Ceux-là même derrière qui se cache une machine politique et militaire pleinement engagée dans la création d’un État,

Ceux-là même qui proclament un califat islamique,

Ceux-là même qui s’adonnent à un prosélytisme agressif, en vue d’imposer un salafisme radical,

Ceux-là même qui se glorifient du massacre ethno-religieux qu’ils sont en train de perpétrer,

Ceux-là même qui s’en prennent au peuple yézidi,

Ceux-là même qui ont violé cette jeune femme qui n’ose même plus révéler son prénom.

Ceux-là même qui s’appellent ISIS, l’EIIL, Daech ou l’État islamique.

L’horreur aurait-elle plusieurs noms ?

Elle a été violée, puis vendue sur le marché des esclaves pour quelques euros.

L’esclavage de ces femmes capturées est géré et mis en œuvre par une bureaucratie bien organisée :

1/ Des contrats de vente authentifiés par une personne habilitée.

2/ Un document officiel intitulé « Le prix de vente des butins », les butins étant des femmes. Le prix de vente varie selon l’âge de celles-ci : de 50 000 dinars (soit 35 euros) pour les femmes les plus âgées, entre quarante et cinquante ans, jusque 200 000 dinars (soit 138 euros) pour les plus jeunes, âgées entre un et neuf ans. Des nourrissons, des enfants.

3/ Un guide rédigé par le « Département des prisonniers et des

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affaires de la femme ». Ce guide légitime les violences sexuelles à l’égard des femmes et des jeunes filles yézidies, au nom de la religion. Une véritable théologie du viol.

4/ Un réseau d’entrepôts où les victimes sont « stockées », selon les termes de l’État islamique, en attente des jours de « marché ». Dans ces entrepôts, il existe des salles d’observation où elles sont inspectées, évaluées, catégorisées. Il est également prévu un planning de marchés aux esclaves ainsi qu’une flotte d’autobus dédiée à les transporter.

Ce même autobus qui a transporté cette jeune yézidie…

Au total, ce sont 5 270 femmes yézidies enlevées l’année dernière et près de 3 144 d’entre elles seraient encore retenues captives.

Pourquoi elles ?

Parce que c’est une minorité vivant au Kurdistan irakien ?

Parce qu’elles ne pratiquent pas la même religion ?

Parce que leur Dieu est faussement pris pour le diable ?

L’Irak a pourtant ratifié, le 14 février 1956, les conventions de Genève qui consacrent des règles juridiques assurant le respect de la dignité de l’être humain, commandant notamment que les civils ne soient pas impliqués dans les hostilités et que ceux qui souffrent soient secourus.

Toutefois, l’État islamique, ce n’est pas l’Irak.

L’État islamique, ce n’est pas non plus un État belligérant au sens classique du terme.

L’État islamique est une organisation tentaculaire qui profite, avec une efficacité démoniaque, des réseaux sociaux pour recruter ses membres, obtenir des fonds et répandre un climat de terreur.

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L’État islamique est un véritable cancer islamiste qui défigure aujourd’hui le monde musulman. Il parvient à convaincre ses compatriotes du bien-fondé des opérations kamikazes, à l’échelle internationale.

L’État islamique est un État nécrophage, d’abord parce qu’il sacrifie sa chair et son sang pour asseoir son autorité, à défaut d’une réelle légitimité. Ensuite, car il viole, égorge, massacre et extermine des populations entières, tel que le peuple yézidi.

Face à cette réalité inhumaine et monstrueuse, la question de la pertinence du droit international humanitaire se pose inéluctablement.

Par ailleurs, l’État islamique porte-t-il atteinte à l’ordre public ou la sécurité nationale ? Ses membres sont-ils des criminels ou des ennemis engagés dans une guerre pour renverser des régimes qu’ils considèrent illégitimes ? Celui de l’Irak, celui de la Syrie et, depuis peu, celui de la France, par exemple ?

Alors, sommes-nous en guerre ? À en croire certains philosophes et hommes d’État, nous sommes en guerre.

Nous le sommes assurément.

Parce qu’il y va de l’honneur de la démocratie de s’élever contre ces fascismes religieux et de refuser l’anéantissement des êtres humains ;

Parce qu’il y va aussi de l’honneur de la démocratie de redonner aux femmes et aux jeunes femmes yézidies cette humanité que l’État islamique leur a volée.

Son prénom commence par la lettre F, elle est yézidie, elle avait quinze ans, et ces hommes, elle les a vus.

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2015, l’odyssée de la rue

Inès GermainÉcole des avocats de Versailles

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Aujourd’hui, Michel est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas.

Il faut dire qu’on ne remarque plus ce vieil homme à la peau tannée par le vent, qui porte les stigmates de l’acharnement du temps. Caché sous un bonnet défraîchi, emmitouflé dans une parka usée jusqu’à la corde, on ne peut lui donner d’âge. Sa barbe broussailleuse dissimule des joues creuses, des joues rongées par la brutalité d’une vie, cette vie qu’il fait tenir dans un sac plastique. Les premières nuits dans la rue, porté par sa colère, il a lutté, il a hurlé pour se faire entendre. Mais, dans le vacarme de la vie, sa voix s’est étouffée, les regards se sont détournés. Peu à peu, son identité a été réduite au silence, brisée. Au fil des ans, il a fini par disparaître, par se fondre dans ce banc qu’il ne quitte qu’à la nuit tombée. Lentement, il s’est laissé effacer ; triste spectateur d’une civilisation dont il est l’oublié !

Ce soir de février, de rudes bourrasques s’engouffrent dans les ruelles. Le givre se propage. Le froid est saisissant. Michel est épuisé par cette vie de misère et de tourments. Il regagne son abri de fortune, une carcasse de voiture d’un parking de Melun. Les portières laissent s’infiltrer le souffle hivernal. Michel se met à trembler.

Au loin, la brume laisse apparaître des bâtiments ; les locaux désaffectés d’un centre médical. Ces immeubles semblent secs, rassurants, mais Michel ne veut pas d’ennuis. Ses dents claquent, ses doigts se raidissent, la température continue de baisser. Un vent impitoyable le transperce. Michel tente d’oublier cette douleur qui le consume, il observe le sang fuir ses mains. Michel est exténué, transi. Il se replie sur son siège, essaye désespérément de retenir le peu de chaleur qu’il lui reste. Seul, Michel a peur. Et si la situation empirait ? Et s’il n’était pas secouru à temps ?

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Mais il n’a déjà plus la force d’aller chercher de l’aide, il n’arrive plus à bouger.

L’étau glacial se resserre.

Chaque inspiration devient souffrance, le brûle de l’intérieur. Ses pensées sont confuses et désordonnées. Michel abandonne le combat. Il laisse son esprit divaguer. Sa respiration s’affaiblit, son rythme cardiaque ralentit, ses muscles se figent. Le froid l’a submergé.

Dans le grondement sourd et indifférent de la ville, seul, sur un parking, Michel perd la vie.

Michel, c’est l’homme qui n’a pas osé déranger, c’est l’homme qui est resté dehors au lieu d’être hébergé, c’est l’homme qu’on a retrouvé mort, mercredi 4 février 2015 à 8 h 30, sur le parking d’un centre hospitalier. Michel c’est vous, c’est moi… Mais avec un peu moins de droits.

En France, pays des droits de l’homme, on prône le droit à la vie. On condamne tout traitement inhumain ou dégradant. On ratifie la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte sociale européenne, la Convention européenne des droits de l’homme… La République s’est engagée à protéger chaque personne sur son territoire, à prendre toutes mesures nécessaires pour préserver la vie.

Qu’en était-il de ces belles résolutions le mercredi 4 février ? Le froid n’est-il pas un danger prévisible, réel et immédiat pour la vie des personnes sans abri ?

Pour rassasier sa bonne conscience, l’État a consacré dans son Code de l’action sociale et des familles, un droit inconditionnel à un hébergement d’urgence conforme à la dignité humaine. Quelle belle et généreuse initiative. Nourris, logés, blanchis. Ah ! la France, ce pays où il fait bon vivre ! Tout leur est donné, ils n’ont rien à exiger. Au pays des droits, la pauvreté, on l’a gérée. Alors, circulez, il n’y a rien à voir !

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Pourquoi remettre en question ce système ? Après tout l’homme de la rue est maître de son destin, indépendant comme tout un chacun, libre de ses choix, comme celui de dormir dehors.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du jury et de l’auditoire, peut-on sérieusement soutenir qu’en refusant l’hébergement d’urgence Michel a choisi de mourir ? Ne peut-on envisager que ce refus ait pour cause les conditions de cet hébergement ?

Là où la dignité étincelante des hommes rencontre la précarité et ses outrages, alors la fierté doit, pense-t-on, laisser place à l’humilité. Et quelle humilité !

Aller dans un centre d’hébergement d’urgence, c’est avant tout laisser sa place dans la rue, un endroit où survivre, une planque, et ce pour être rejeté sur le trottoir au petit matin. C’est aussi abandonner son animal de compagnie, seul réconfort de la personne isolée.

Sur place, la vérité est crue. La plupart des sans-abris en ont fait l’amère expérience.

La longue attente dans le froid avant l’ouverture, l’incertitude d’être accepté ne sont que les prémices d’une nuit de misère.

Quand le centre n’est pas surchargé, lorsqu’après des heures on vous laisse entrer, il faut se dévêtir de sa dignité. Chacun est fouillé, désinfecté, déshumanisé avant d’obtenir le droit de s’installer. Les bâtiments vétustes abritent le plus souvent des dortoirs où s’entassent des lits à étages pour rentabiliser l’espace.

Dans les centres, on doit supporter le manque d’hygiène. Pour les couchettes on se bat, car la gravité impose à celui du dessous les souillures de celui du dessus. Les matelas, infestés de parasites, exposent leurs hôtes à d’insupportables maladies. Les bénéficiaires ne disposent que de simples draps jetables pour s’en protéger. Les sanitaires sont très vite bouchés, les douches, insalubres, sont généralement évitées.

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Les centres d’accueil, c’est aussi une violente promiscuité. Le dortoir est bondé de personnes que la rue a éprouvées, qui ont trouvé refuge dans l’alcool, les addictions, la folie. Il faut rester discret, ne pas attirer l’attention. Toujours en alerte, les personnes hébergées dorment dans la peur d’être dépouillées. Elles cachent le peu qu’elles ont, ne s’en séparent jamais.

Dans l’ombre de la nuit se dessine une jungle où la vie est détresse et la méfiance, survie.

Alors, en effet Michel avait le choix, celui de subir la violence des hommes ou celle du temps, celui du traitement inhumain ou dégradant auquel il préférait être exposé.

Face à une telle alternative, peut-on encore affirmer que la France garantit le droit à la vie et la dignité ?

Pour les personnes de la rue, la dignité est tout ce qui leur reste et c’est pour la préserver que 48 % d’entre elles refusent d’être hébergées. C’est pour cette réalité qu’en février Michel est décédé.

Aujourd’hui, notre pays souffre. Sur nos trottoirs, beaucoup sont privés des libertés les plus élémentaires, subissent le rejet de leurs semblables, sont condamnés à mort à plus ou moins brève échéance. La France, cinquième puissance économique mondiale, compte plus de 150 000 personnes dans la rue et chaque année, plus de 500 d’entre elles y meurent. Chaque hiver montre les lacunes de notre société à protéger les plus démunis.

On s’indigne, on se révolte quand, dans des pays du tiers-monde, certains sont maltraités. Ces atteintes sont tout aussi dramatiques, mais n’oublions pas que, sur notre propre territoire, des violations inacceptables des droits de l’homme se produisent quotidiennement et sont bien trop souvent occultées.

« Borné dans sa nature, infini dans ses voeux, L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux »1, disait Lamartine.

1 Alphonse de Lamartine, « L’Homme », Méditations poétiques. (N.d.É.)

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Mais quel souvenir reste-t-il à l’homme déchu ?

Même si la tâche est ardue de porter un secours adapté à ceux qui en ont besoin, nous devons tous oeuvrer pour qu’aucun d’entre eux n’ait à subir l’abîme de traitements dégradants.

Rendons à l’homme de rue, parmi ses droits oubliés, au moins la dignité que la France lui a perdue.

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L’éternel retour de l’impunité

Robin Sénié-DelonÉcole des avocats de Toulouse

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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« Toutes les choses reviennent éternellement, et nous-mêmes avec elles. Tout s’en va, tout revient […]. Tout meurt et tout refleurit, éternellement se déroule l’année de l’être. »

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, « Le convalescent ».

Monsieur le Président, Mesdames Messieurs les membres du jury, Mesdames, Messieurs,

Pour Issa1, le jour succède à la nuit, mais la nuit revient toujours…

La nuit, il y a grandi. Une enfance ténébreuse, dans un désert d’humanité. Étranger chez lui, Issa voit sa République centrafricaine à l’agonie, meurtrie par des conflits où seul le rouge transparaît au milieu de cette obscurité.

À l’approche de sa dixième année, l’obscurantisme est venu s’ajouter à l’obscurité. Issa découvre sa capitale mise à feux, mise à sang, mise à terre… Les affrontements entre Seleka et Anti-Balaka font rage, des milliers de morts pour l’amour de Dieu. En Centrafrique, il ne tombe de ce ciel sans merci que des larmes de sang.

Mais après la nuit, avant le jour, l’espoir de l’aurore revient toujours. Issa voit surgir une communauté d’humanité pour protéger une terre en pleurs où les ténèbres avaient pris bien trop d’ampleur. Les casques colorés, brandissant drapeaux et branches d’olivier, sont pour Issa synonymes d’espoir. Leur présence illumine le quotidien d’Issa qui, pour la première fois, chasse les fantômes qui le hantent et se permet de rêver.

1 Nom fictif au regard de l’anonymat de la victime et du respect de la présomption d’innocence.

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À présent réfugié dans le camp de M’Poko où les conditions de vie restent trop précaires, Issa se sent néanmoins en sécurité, l’armée est à ses côtés. L’aéroport voisin de Bangui héberge des héros, des soldats, alors Issa est de nouveau autorisé à jouer. Avec l’innocence du devenir, il se met à colorier le dessin de son enfance.

En ce mois de décembre 2013, le crépuscule colore le ciel de mille et une couleurs. Issa ne sait pas encore que cette lumière trop crue annonce le retour de la nuit, le crépuscule de son enfance. Alors que le soleil s’enfonce, que cette interminable partie de football s’achève, la faim se fait de plus en plus pressante et insistante. En prenant la route pour le camp de M’Poko, Issa admire ces invincibles soldats.

La nuit noire est tombée, même la lune paraît blafarde. Tapi dans l’ombre, Issa entend : « Petit, viens par-là. » Il suit cette voix, croit entrevoir la lumière. La nourriture tant espérée est là, à portée de mains. Issa entre. Les portes se referment. Il est au seuil des ténèbres.

Issa a été violé par des soldats venus pour le libérer. Il était affamé, les soldats lui ont imposé des rapports sexuels contre de la nourriture.

Un crime. Un crime aggravé. Un crime contre l’humanité. Apparu dans les statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, le viol commis lors d’un conflit armé et dirigé contre une population civile relève désormais du crime contre l’humanité. Confirmée par la jurisprudence internationale, cette incrimination est définitivement consacrée par le Statut de Rome et à présent transposée dans notre Code pénal.

Dès lors, au regard de notre arsenal juridique national, régional et international, la violence sexuelle en temps de conflit ne peut plus être considérée comme un malheureux dommage collatéral.

Pourtant, à ce jour, personne n’a été jugé. Personne. Qui sont

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les coupables ? Je n’en sais strictement rien. Mais cette situation engage la conscience de la société tout entière, car de tels faits ne sont pas seulement des torts envers Issa, ce sont des crimes à l’encontre de notre humanité.

Quoi qu’il en soit, une certitude demeure. S’il ne peut y avoir de coupable sans jugement, il peut parfaitement y avoir des victimes sans jugement.

Une instruction est ouverte à Paris, une commission indépendante à l’ONU. Mais malgré les déclarations des prédicateurs de basses heures criant tout haut que la France sera implacable et que l’armée n’a rien à cacher, il y a fort à parier que les juges d’instruction se succéderont des années durant, et que la chance de voir un procès est équivalente à celle de voir Issa grandir en paix.

Il est tenu à l’écart de ces procédures, comme s’il n’y avait pas sa place, comme s’il était invisible. « Secret défense » en France, « confidentiel » à l’ONU, les droits d’Issa sont bafoués, ignorés. À trop demeurer secret, voilà l’éternel retour de l’impunité…

C’est parce qu’il n’y a pas de procès, parce qu’il n’y a jamais de procès, qu’il n’y a jamais de jugement et qu’il n’y a jamais de coupable. Voici le triste mécanisme de l’impunité.

L’impunité constitue par nature la négativité, le néant. L’impunité, ce n’est pas le fait de ne pas être puni, c’est le fait de ne même pas risquer d’être puni.

L’impunité est insidieuse, sournoise, impalpable, d’autant plus meurtrière qu’elle est par nature silencieuse. Les victimes n’osent pas parler, les auteurs ne sont pas recherchés, les autorités n’ont pas la volonté.

Dès l’Antiquité, Platon enseignait que « les hommes, s’ils disposaient du pouvoir d’invisibilité, en abuseraient, adopteraient un comportement injuste parce qu’ils échapperaient ainsi à tout

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reproche, à tout châtiment, à toute punition. »2

Bien souvent, le pouvoir permet à l’homme de se placer au-dessus de la loi. De tout temps, la perversion de l’homme a permis au privilège de l’impunité de se mouvoir comme le pouvoir. Du patriarche antique, irresponsable de tous crimes, au monarque absolu, l’impunité et le pouvoir marchent main dans la main.

Mais que penser quand le pouvoir se résume à une arme ? Pire à un bout de pain…

L’impunité n’est finalement que le privilège des faibles, la bannière des bas-fonds de l’âme, d’un humain bien trop humain… Cette fâcheuse anomalie est une si grande honte pour nos sociétés, une telle injure pour notre justice, qu’on a toujours et partout essayé de la cacher, de la nier, hypocritement.

Combien d’Issa hier au Rwanda ? Combien d’Issa aujourd’hui au Burundi ? Combien d’Issa demain dans chaque conflit ?

Voulons-nous ressembler à ces cochons de La Ferme des animaux qui proclament fièrement « tous les animaux sont égaux », pour finalement appliquer la maxime « tous les animaux sont égaux, mais certains plus que d’autres ? »3

En Centrafrique, le temps passe, la pluie efface les commandements.

Si l’obscurité revient assombrir notre idéal de justice, les victimes seront nombreuses…

Parce que refuser de juger, c’est nier les fondements de nos sociétés, nier les fondations de l’État de droit, nier l’existence de tout droit. À quoi bon proclamer un droit à la vie, une interdiction de la torture, un respect de la dignité humaine, si c’est pour refuser à Issa que sa cause soit entendue, si c’est pour abandonner la justice au pied de l’impunité, celle-là même qui avilit l’ensemble de l’humanité ?

2 Platon, La République, Livre II, 357-362 (N.d.É.)3 Georges Orwell, La Ferme des animaux, traduction de Jean Quéval, Paris, Éd. Champ libre, 1981. (N.d.É.)

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Par-delà le bien et le mal, ce fléau est à l’origine du nihilisme de notre temps, à l’origine de la perte de croyance en toutes valeurs supérieures, en tout idéal commun.

Comme si une des erreurs de nos sociétés occidentales avait été de croire que « vouloir » est synonyme d’« agir ». Or on peut écrire, penser, et désirer un idéal, tout en niant, refusant et abandonnant ce même corpus à un enfant centrafricain.

Pourtant, des juridictions sont compétentes. Tous les pays européens et africains ont signé puis ratifié le Statut de Rome. Son préambule prévoit que « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et leur répression doit être effectivement assurée ». Il rappelle même « qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». En pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.

Au risque de me méprendre, je me devais de parler de ce jeune Issa, de lui donner la parole, parole qu’il n’aura sans doute jamais. Cette impunité voudrait nous clouer dans un silence de mort, la dénoncer est un premier pas pour y remédier.

Si nous voulons éviter que dans chaque pays, que dans chaque conflit, ne surgisse l’éternel retour de l’impunité.

Si nous voulons briser cette permanence des thèmes, des thèses et des acteurs, cette permanence du tragique dans le réel.

Si nous voulons un jour, revoir cet enfant avec le sourire aux lèvres.

Notre tâche est immense…

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du jury, Mesdames, Messieurs, il ne s’agit plus de refaire le monde, mais d’empêcher que le monde se défasse.4

4 « Pour reprendre les propos d’Albert Camus dans son discours qu’il prononça à Stockholm le 10 décembre 1957 après avoir reçu le prix Nobel : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » (Albert Camus, Discours de Suède, Paris, Gallimard, 1958) » (N.d.É.)

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Un conte de fouet

Tristan JannotÉcole des avocats de Lyon

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du jury, laissez-moi vous raconter l’histoire d’Ahmad.

Il était une fois une région dominée par des monts couleur sable s’élevant à trois mille mètres, une nature complètement épargnée par les constructions humaines. Complètement, car même les villages formés dans cette province, comme celui de Feroz Koh, se fondent dans cet environnement. C’est là, en Afghanistan, qu’Ahmad naquit au cours de l’année 1994.

Ahmad connaît parfaitement ces montagnes qui modèlent le paysage. Il connaît aussi ce climat ni trop chaud ni trop froid qui ne déphaserait aucunement l’homme occidental. Mais Ahmad connaît surtout le tumulte qui anime son pays depuis sa naissance.

Quand il avait sept ans, il apprit que deux tours s’effondraient en Amérique. À plusieurs reprises, il entendit vaguement parler de cette « Amérique » sans savoir ce que cela signifiait. Et pour cause, en 2001, Ahmad vit les événements historiques avec les yeux d’un enfant de sept ans. Il remarquait surtout les grands de son village s’agiter, s’exciter, s’inquiéter. Ahmad ne le comprendra que plus tard, mais pour les grands, 2001 ce n’était pas la chute de deux buildings en Amérique, 2001 c’était la chute du gouvernement taliban.

Il observait avec méfiance l’arrivée d’étrangers armés et casqués dans son village. Mais un sourire perceptible à la commissure des lèvres de ces soldats dissipait cette méfiance. Il questionnait souvent son père et sa mère sur ce qui se déroulait. Comme tous parents, ceux d’Ahmad rassuraient leur enfant sans avoir réellement de réponses à ses interrogations.

Ahmad vivait donc son adolescence sans repères, sans

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réponses. Même la nature qui l’entourait n’était plus une référence pour le jeune garçon. Ces terres qui furent autrefois foulées par Gengis Khan étaient alors meurtries par le passage des blindés, assourdies par le vacarme des drones et souillées par les douilles des armes.

Le jeune garçon trouvait de la stabilité dans la sphère familiale, dans l’éducation pieuse que lui donnaient ses parents. La lecture du Coran, dont le sens de certains mots lui échappait, était un moment qu’il affectionnait, comme un écrin de tranquillité dans l’agitation ambiante.

Zinâ. Petit, il interrogeait souvent ses parents, ses frères sur ce terme. Zinâ est un mot tabou comme il en existe dans toutes les cultures. C’est un terme que l’on n’emploie pas devant les enfants, pas devant le jeune Ahmad.

C’est finalement grâce à une rencontre qu’Ahmad découvrira le sens de zinâ.

Adolescent, Ahmad croisait souvent le chemin de Zarmina dans les ruelles de Feroz Koh. Intrigué, il tentait parfois de percevoir son regard dissimulé par sa burqa. Progressivement les barrières culturelles et religieuses s’abaissèrent, venaient alors les premiers mots, les premiers gestes. Ahmad s’isolait souvent avec Zarmina. Il chérissait l’intemporalité de ces instants qui lui faisaient oublier la rudesse de son quotidien. Néanmoins, il percevait difficilement la passion irraisonnée qu’il éprouvait à son égard.

Pourquoi adorait-il s’abandonner à ses étreintes fuyantes ?

Pourquoi pouvait-il aimer comme il n’avait jamais aimé ?

Pourquoi était-il envahi par un sentiment de culpabilité lorsqu’il se retrouvait seul ?

Au-delà des simples questions adolescentes, un poids qui les dépassait tous deux pesait sur leur relation.

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Peu à peu, Ahmad comprit. Zinâ : c’est avant tout un péché, celui de se laisser guider par la passion avant ou en dehors d’un mariage. Cela est si grave que commettre le zinâ lui ôterait toute foi en Allah.

Ahmad savait qu’il avait fauté, qu’il était coupable d’avoir transgressé les principes qu’on lui avait enseignés. Mais que pouvait représenter la gravité de cette faute à l’égard de l’enfant dont il devait à présent assumer la paternité ? Quelle ambivalence dans l’esprit d’Ahmad ! Il avait pêché, mais il était père.

Un lien indescriptible, mais pourtant fragile l’unissait désormais à Zarmina comme allait en témoigner la suite des événements.

Les autorités afghanes arrêtèrent Ahmad et Zarmina, tous deux suspectés d’avoir commis le zinâ. Conscient de sa faute, il se soumettait donc avec rédemption à la juridiction de Feroz Koh. Il savait donc que son sort ne serait pas soumis à la justice talibane, mais à un tribunal reconnu par la communauté internationale.

Lors du procès, il ne pouvait s’abstenir de jeter des regards furtifs vers Zarmina, sa complice de toujours.

Le délibéré fut expéditif. Après quelques secondes d’un semblant de collégialité, le tribunal rendait sa décision. La sanction d’Ahmad ne fut pas la prison, mais la flagellation. Ainsi, les juges le condamnaient à recevoir cent coups de fouet pour avoir commis le zinâ. Mais pour Ahmad, la peine était double, les juges condamnaient Zarmina à cette même sentence.

Ahmad fut alors sommé de se placer au centre de l’arrière-cour du tribunal, encerclé par un mur de dignitaires religieux. Il se mit à genoux, baissa la tête et recourba le dos afin d’accueillir les coups de son bourreau.

Pour mesurer le temps du supplice, il tenta de compter les coups. Toutefois, son esprit se focalisait uniquement sur les brûlures que lui occasionnait le fouet. À chaque contact de celui-ci avec sa peau, il ressentait une douleur immense accompagnée

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d’un sentiment de honte. La honte de subir cette souffrance intense sous les yeux de Zarmina.

Mais le dernier coup de fouet ne sonna pas le glas du tourment d’Ahmad. Il fut contraint d’assister au châtiment de la mère de son enfant. Ce rituel aux allures de cérémonies sacrificielles se répétait pour Ahmad.

Il regardait les coups s’abattre sur Zarmina. Il voyait son corps chanceler, tressaillir et saigner à chaque lacération. Il haïssait les regards impitoyables et cruels des notables assistant à ce funeste spectacle. Assommé par l’effroi de la scène, il remarqua à peine la dignité de la suppliciée qui ne poussait pas le moindre cri de douleur. Puis, le bras du bourreau fatiguant, l’intensité des coups diminua jusqu’à l’ultime déchirement.

Le lien qui unissait Ahmad à Zarmina était alors abîmé par le fouet, abîmé par la honte, abîmé par la culpabilité. Mais Ahmad n’avait pas encore conscience que sa peine n’était pas purgée.

Pour l’avoir tant aimée, Ahmad fut condamné à voir Zarmina cloîtrée, loin, bien trop loin de Feroz Koh. Les juges le privèrent également de son enfant qu’ils considéraient non pas comme le fruit de l’amour, mais comme le fruit d’un crime. Ainsi, bien au-delà du lien unissant Ahmad à Zarmina, une famille fut brisée.

Nous ignorons ce qu’est devenu Ahmad, ce qu’est devenue Zarmina, ce qu’est devenu l’enfant.

Ne nous y trompons pas, cher jury, cette histoire est un conte qui se répète de génération en génération mais que l’on occulte rapidement tant elle est devenue la norme. Ce conte ne fait qu’appuyer la thèse selon laquelle les violations des droits de l’homme doivent se crier pour être entendues. Certaines régions du monde ont perdu leurs voix ou n’en ont pas assez pour les combattre. Cela doit être l’objet de l’événement auquel nous participons. Nous, modestes plaideurs, devons porter notre voix pour ces personnes qui n’en ont plus.

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Alors, cher jury, pour ne pas oublier ces exclus des droits de l’homme, pour ne pas oublier les milliers d’Ahmad et de Zarmina à travers le monde, rappelons-nous cette histoire et crions ensemble afin qu’elle ne se reproduise plus.

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Mondial 2022 : quand l’or cache

le prix du sang

Océane Phan Tan LuuÉcole des avocats de Marseille

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Une chaleur suffocante. Un soleil écrasant, brûlant. La sueur, la gorge sèche, les yeux usés par la poussière. Des membres qui hurlent leur douleur. Des membres qui, depuis des jours, commencent à lâcher, par manque de soins, de nourriture, d’eau.

L’entêtante musique des râles des hommes mourant par milliers sous le soleil d’Orient.

Ganesh Biskawarma a seize ans, lorsque, ivre de jeunesse et de vie, il décide de quitter le Népal et de devenir travailleur migrant pour le Qatar. Ganesh, il ressemble à tous les jeunes de son âge, des rêves plein la tête : la vie, il veut la croquer, la découvrir, il veut la vivre tout simplement…

Ganesh, c’est votre fils, votre frère, votre neveu ou encore votre voisin.

Mais Ganesh, lui, il n’a pas la chance de tous les jeunes de son âge, de tous ces fils, ces frères ou ces neveux. Non. Ganesh vient d’un des pays le plus pauvre au monde, le Népal, il n’a pas pu faire d’étude et sait à peine lire.

Alors pour aider sa famille, il décide de faire comme 70 % de la jeunesse népalaise d’aujourd’hui, il décide d’émigrer vers d’autres contrées. Dans l’espoir chimérique d’une vie meilleure.

Lorsque Ganesh arrive au Qatar, dans un des avions affrétés par le plus petit pays au monde, mais aussi le plus riche, il ne comprend pas vraiment ce qui lui arrive, il ne comprend pas la langue, la culture. Il sait juste une chose, une chose que lui a dite son sponsor du bureau de placement qatari : il va participer au plus grand chantier du monde, à l’événement le plus important du monde ! Il va participer à la construction des stades pour la Coupe du monde de football 2022.

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Ganesh ne peut donc pas réaliser que sa vie d’homme libre est finie quand le responsable de son chantier lui confisque son passeport et son visa. Il ne comprend pas qu’à ce moment même, ce moment où des étoiles plein les yeux il rêve de ballon rond et de hourra, il ne comprend pas qu’à ce moment il n’est plus rien. Il n’est même plus un être humain aux yeux des lois qataries.

Il ne comprend pas non plus que le papier qu’il signera d’une croix signifie qu’il devra désormais rembourser au Qatar tous les frais qui ont été engagés pour le faire venir. Une dette tellement lourde qu’il lui faudrait des années avant de pouvoir la rembourser.

Les différentes sociétés de constructions qataries, mais également européennes, volent – car il n’y a pas d’autre mot, on ne confisque pas l’identité de quelqu’un, on la lui vole –, ces sociétés volent donc les passeports et tous les documents officiels des travailleurs étrangers, afin de les forcer à rester sur le territoire. Pris au piège, ils ne peuvent plus s’enfuir, sous peine de risquer la prison à vie, voire la mort.

Ce sont les compagnons de misère de Ganesh qui vont lui expliquer que désormais il n’a plus le choix, il n’est plus libre, il est devenu une chose, un esclave.

C’est à ce moment-là que Ganesh perdra son insouciance, dans une chambre insalubre partagée avec treize autres travailleurs étrangers, comme lui. À seize ans…

Il sera forcé à travailler plus de quinze heures par jour, sous des températures caniculaires pouvant atteindre 50 °C, sans pause ni répit… Il n’y a pas d’eau sur le chantier, ni nourriture. Il n’y a pas de congé maladie ou même de médecin. Et comme tant d’autres avant lui, il ne sera pas payé.

Chaque jour il sera le témoin de la mort d’un de ses compagnons d’infortune. La liste est longue, crise cardiaque, arrêt des organes vitaux, accidents, infections… Ganesh va apprendre à ne plus voir. À ne plus entendre. Savez-vous quel est le son

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que produit un corps humain, sans vie, en tombant sur le sol ? Pouvez-vous imaginer avancer chaque jour, vos pas foulant le sol au rythme du son des morts tombant comme des fruits mûrs ?

Une pile de cercueils rouges à l’aéroport…

Ganesh va devenir ce qu’on appelle aujourd’hui « un esclave moderne ». Un esclave moderne, dit-on… Mais qu’y a-t-il de moderne dans l’esclavage ? L’exploitation de l’homme est aussi ancienne et barbare que le monde lui-même, y apposer un ruban doré que l’on appellera « modernité » n’y change rien.

Toute forme de servitude, d’exploitation d’autrui est condamnable ! Moderne ou non.

Ganesh va donc « travailler » à la construction du stade principal, le Khalifa Stadium pendant six semaines… Six semaines pour mourir. Six semaines avant que son corps épuisé par les privations ne cesse de fonctionner. 42 jours…

Crise cardiaque.

À seize ans…

Ganesh, dans son petit cercueil rouge, va enfin pouvoir rentrer chez lui…

Malgré les promesses faites aux différentes organisations internationales, le Qatar ne respecte pas les droits de l’homme, non seulement il ne les respecte pas, mais il les bafoue depuis plus de trois ans en asservissant les peuples les plus pauvres. Il les réduit en esclavage, parce que, soyons clairs, on ne peut pas décemment appeler cela du travail !

Plus de deux millions et demi d’étrangers migrants pour la construction du Mondial. Pour que les populations les plus riches puissent regarder du sport à la télévision.

Deux millions et demi de victimes.

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Deux millions et demi d’esclaves.

Pour un seul trophée en or.

Il y a 168 ans, la France, par le décret du 27 avril 1848, a aboli l’esclavage. Des textes, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, et même des institutions internationales, comme l’Organisation internationale du travail, ont pour but d’interdire l’esclavage ou le travail forcé à un niveau mondial.

Et pour autant, c’est bien au niveau mondial que l’on accepte que l’événement sportif le plus médiatisé au monde soit hébergé au Qatar.

Le gouvernement qatari l’assure pourtant : il y a des règles strictes encadrant les travailleurs étrangers ! Il y a un droit du travail !

D’ailleurs il y a quelques mois, le Qatar a tenu à montrer les innovations faites pour la sécurité et le bien-être des employés, et a organisé une visite guidée pour les journalistes venus des quatre coins du monde. Ce 18 mai 2015, lors de cette visite, Mark Lobel, journaliste à la BBC, a été incarcéré pour avoir échappé aux guides et filmé les véritables conditions de vie de ces travailleurs.

Abdullah Al-Khulaifi, ministre du Travail au Qatar, conseillé par les meilleures agences de communication européennes, l’a pourtant assuré : « Nos camps de travail ont beaucoup évolué. »

Camps de travail… Vous tous, réunis ici, apprécierez le choix des mots… Une salle de bains et une cuisine pour 600 personnes, les privations, la douleur, les larmes, la mort.

Camps de travail ou camps de la mort ?

Ces conditions de (sur)vie – le nombre hallucinant de travailleurs vulnérables décédés vont au-delà du travail forcé– c’est de l’asservissement, un point où l’être humain n’est plus qu’une marchandise.

La construction d’un Mondial par l’exploitation des plus faibles n’est plus une éventualité. C’est une réalité.

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L’ONG Sherpa a d’ailleurs décidé de porter plainte contre la société française Vinci, implantée au Qatar, pour esclavage et travail forcé.

Au milieu des tours géantes scintillantes, au milieu de l’opulence et de la richesse, il y a une vérité bien plus sombre, bien plus triste, il y a ces milliers d’esclaves qui meurent sans que l’Europe, ou le monde ne réagisse.

Ganesh, c’est votre fils, votre frère, votre neveu ou encore votre voisin.

Mais Ganesh, c’est également trente millions de personnes dans le monde qui sont asservies, brutalisées, assassinées, dans l’indifférence la plus totale.

Ganesh, c’est plus de quatre mille Népalais, Indiens, Malaisiens, morts pour construire des stades, pour une manifestation sportive.

Alors peut-être qu’en 2022 vous aurez oublié ma plaidoirie. Vous m’aurez même sûrement oubliée… Et je ne vous en veux pas.

Mais lorsque vous vous installerez devant votre télévision pour regarder le match de lancement de la Coupe du monde, à ce moment-là, pensez à Ganesh, seize ans, et aux milliers de personnes qui dans le sang et la sueur ont donné leur vie pour cela.

Pensez à eux, car l’asservissement d’un seul homme est une injure permanente faite à l’humanité…

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La République de l’ombre

Flora Diana-MartinezÉcole des avocats de Bordeaux

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Aujourd’hui, Hocine est mort.

Il était seul. Il a attendu la nuit. Sa solitude. Ses ténèbres. Il a déchiré ses draps, en a fait une corde.

Il l ’a nouée à l ’armature du lit et soigneusement, irrémédiablement, l’a attachée autour de son cou.

Puis, il s’est laissé tomber, de tout son poids. Il a senti l’air lui manquer. Il a eu peur. Il a lutté quelques secondes. Puis il a laissé venir la mort, sa délivrance, son désespoir.

Les murs de la chambre d’Hocine sont les murs d’une cellule.

Aujourd’hui, Hocine, quarante et un ans, écrou n° 63411, s’est pendu dans une prison française.

Ce n’est pas la première fois qu’Hocine est en prison. Mais cette fois il a tué un homme et il purge une peine de sept ans.

Hocine est malade : un détenu malade.

Depuis 1992, il fait des séjours réguliers en hôpital psychiatrique, souvent contre son consentement. Et il alterne avec des séjours en prison. Depuis 1992, dans les rapports, comptes rendus, expertises, procès-verbaux, on lit : « pathologie dépressive – personnage très dangereux – très grande difficulté d’insertion – troubles psychiatriques aigus – fou ».

La machine hospitalière, judiciaire et pénitentiaire parle de lui. Mais qui parle avec lui ?

Placer un individu en détention, c’est le priver de sa liberté d’aller et venir, c’est tout.

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Il doit continuer à bénéficier de la jouissance de tous ses autres droits.

En théorie, c’est bien ce qui ressort de l’article 22 de la loi pénitentiaire de 2009.

Question : En réalité, le pays de la Déclaration des droits de l’homme donne-t-il à son administration pénitentiaire les moyens d’assurer aux détenus la jouissance de ces droits ? Garantit-il le respect des libertés qu’ils tirent de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

Article 2, droit à la vie ; article 3 : droit à la dignité ; article 8 : droit à la vie privée et familiale.

Réponse : Non.

En prison on est comme un nouveau-né : on n’a pas la maîtrise de soi-même.

De sa vie. De sa volonté. De son corps.

Ce sont eux qui décident. Pas vous. Ce sont eux qui vous disent à quelle heure il faut manger. Ce sont eux qui vous donnent l’injonction de vous laver, de vous habiller. Encore eux qui vous permettent de voir la lumière du jour. Toujours eux qui vous laissent, ou pas, serrer votre maman dans vos bras.

C’est ça la prison. L’homme n’a plus le choix de rien. Il subit.

« Le détenu est dans une situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration. » Ce sont les mots de la Cour européenne des droits de l’homme. Autrement dit, un homme vulnérable. Homme fragile. Homme soumis. Comme on doit s’occuper d’un tout petit enfant qui ne peut rien faire seul, lorsqu’un individu est placé en détention, c’est à l’État de s’occuper plus de lui. De s’assurer qu’il vit dans des conditions dignes. De vérifier qu’il est protégé des autres, et de lui-même.

Mais personne, je dis bien personne, n’a pris soin d’Hocine.

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Peut-être parce qu’Hocine est violent, peut-être parce qu’Hocine fait peur, peut-être parce qu’Hocine est différent, personne ne veut voir sa souffrance.

Personne.

Alors, comme un enfant malheureux, Hocine fait tout pour se faire remarquer. Il pose problème. Il est violent. Insultant. Agressif.

Les autres détenus le trouvent bizarre. Les surveillants pénitentiaires ont peur de lui.

Face à lui, quelle est la réponse de l’administration pénitentiaire ? La sanction disciplinaire !

Hocine est placé au QD, « quartier disciplinaire », de façon récurrente. Dans les cinq mois qui ont précédé sa mort, il est sanctionné neuf fois. Cinq mois, neuf sanctions !

En tout, un peu plus de deux mois et demi au quartier disciplinaire ; dont quarante-cinq jours d’affilée. Quarante-cinq nuits.

La prison dans la prison ? C’est une cellule de huit mètres carrés où la fenêtre est entièrement grillagée.

Le mobilier ? Un lit, une armoire. Dans un coin, une douche où le trou de l’eau sert aussi de toilettes.

Sa seule activité ? Une heure de sortie par jour dans une cour de quinze mètres carrés au plafond complètement grillagé.

Des contacts avec ses proches ? Interdits ! Pas limités, pas conditionnés, interdits !

Pour quelqu’un comme Hocine, le traitement est indigne, inhumain, dégradant.

Aux yeux de l’administration pénitentiaire, Hocine est un détenu difficile. Alors que fait la machine ?

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Elle l’isole au quartier disciplinaire et dans le même temps, tente de le faire hospitaliser. Sans relâche, dans les mois qui précèdent son suicide, elle s’y emploie.

Le 14 septembre, le directeur de la prison écrit au directeur départemental des Affaires sanitaires et sociales pour demander l’hospitalisation d’office d’Hocine.

Le 22 septembre, il redemande : « L’état de santé d’Hocine est à présent totalement dégradé. Son placement en hospitalisation d’office m’apparaît indispensable. »

Le 24 septembre, il insiste : « L’état de santé d’Hocine s’est aggravé, une hospitalisation d’office est à présent absolument indispensable. »

Le 25 septembre, une corde faite avec les draps est retrouvée dans sa cellule disciplinaire. Hocine n’a pas pu voir sa famille depuis presque deux mois. Deux mois.

Le 5 novembre, le directeur finit par dire qu’« Hocine n’a plus sa place en milieu pénitentiaire ».

L’a-t-il jamais eue ?

Le 20 novembre, il sera enfin hospitalisé d’office.

Mais tout le monde sait que ce n’est qu’un pansement sur une plaie béante ! L’hôpital se dira « inadapté à la dangerosité du patient. »

Il y est resté quinze jours en chambre fermée, attaché, étroitement surveillé, le tout avec injection régulière de neuroleptique.

Puis il est renvoyé dans sa cellule. Seul.

Sa famille n’a pas été informée de cette hospitalisation. Ils n’ont aucune nouvelle d’Hocine depuis plus de trois mois. À son retour au centre pénitentiaire, un peu avant Noël, Norah, sa petite

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sœur, peut enfin le voir. Elle retrouve un frère amaigri, affaibli, dans un état de dépression profonde, faisant face à une souffrance insurmontable.

Mais le directeur de la prison ne s’inquiète plus parce qu’Hocine ne pose plus de difficulté. Il n’est plus violent. Il n’est plus agressif.

D’ailleurs il n’est plus grand-chose.

Il ne parle presque plus, se nourrit peu, et ne prend plus la peine de s’habiller.

On oublie Hocine qui passe six semaines à l’ombre de lui-même.

La prison l’avait terrassé, l’hospitalisation l’a achevé.

Mais pour l’administration pénitentiaire, le problème est résolu.

Alors, la nuit, les surveillants ne prennent pas la peine de faire des contrôles visuels dans la cellule d’Hocine quand ils font leur ronde. Un contrôle ? Pour quoi faire ?

Hocine meurt lorsque le jour tombe. Son corps est retrouvé au petit matin, au bout du petit matin. Froid. Violacé.

Non, le détenu ne faisait pas l’objet d’une surveillance particulière.

Non, aucune mention le concernant n’apparaissait sur le cahier des rondes.

Oui, il est tellement plus facile de ne pas voir.

Hocine peut se pendre tranquillement, dans la solitude et l’ignorance la plus absolue.

Ils ont bafoué la dignité d’Hocine. De façon répétée. Sans lui laisser le moindre répit. Et ils ont fini par atteindre le dernier droit auquel un individu peut prétendre : son droit à la vie.

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Je vous ai parlé de la prison. Je vous ai raconté l’histoire d’Hocine.

Mais j’aurais pu vous raconter celle de Younes qui voit des surveillants cracher dans son repas tous les jours parce qu’il a eu le culot de déposer plainte contre eux pour violence.

J’aurais pu vous décrire l’angoisse de Pierre qui se réveille toutes les nuits avec des cafards dans son lit.

J’aurais pu vous parler de Marc à Fleury-Mérogis, de Mélanie aux Baumettes, de chaque détenu dans tous les mouroirs de la République.

Ces atteintes aux droits de l’homme n’ont rien d’extraordinaire.

La mort d’Hocine n’a rien de spectaculaire.

Elle est, au contraire, d’une banalité navrante.

En prison la violation des libertés fondamentales de l’individu est quotidienne.

Le suicide est un acte ordinaire.

Alors bien sûr, la famille sera indemnisée… Bien sûr, l’État va payer pour sa faute… Mais est-ce la question ? Qui ira mettre de l’argent dans les prisons ? Qui sera prêt à admettre que la France traite ses détenus comme des chiens ?

Ce n’est pas une fatalité. Non ! C’est un choix.

À l’ombre de la République des droits de l’homme, des êtres humains, souvent nés au mauvais endroit, au mauvais moment, souvent coupables, souffrent.

Et personne ne recueille leurs douleurs. Certains choisissent la violence. Certains se réfugient dans la religion. D’autres, comme Hocine, décident de mourir.

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« Il n’y a qu’un seul problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. » Pour reprendre Camus : « Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue » est la seule question qui mérite d’être posée. »1

Hocine se l’était-il déjà posée ? Avant la prison, je veux dire. Peut-être. Mais c’est en prison qu’il s’est tué. C’est en prison que l’absurdité de son existence lui est apparue aussi violemment.

Tous ces jours passés dans sa cellule disciplinaire, toutes ces heures, attaché à un lit d’hôpital, toutes les humiliations de cet enfermement inhumain. Non, sa vie ne valait plus la peine d’être vécue.

Hier, Hocine est mort.

Aujourd’hui, je suis la voix de celui qui n’a plus de voix. Je porte un peu de la mort d’Hocine, un peu de sa souffrance.

Aujourd’hui, il vous demande, comme personne ne l’avait fait, de l’écouter enfin.

1 Jacques Prévert, « Intermède », Spectacle, Paris, NRF, 1951. (N.d.É.)

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Au pays des Hommes libres

François BourguignonÉcole des avocats de Paris

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Regardez cette belle affiche publicitaire du gouvernement ! Le pays est paré de ses plus beaux atours : temples dorés, moines en robe safran, plages vierges et sourire généreux des habitants. L’« incroyable Thaïlande » ne décevra pas les touristes.

Ces touristes découvriront peut-être dans la jungle d’étranges constructions en bambou tissées entre les arbres. Ce sont des cages. À l’intérieur, des centaines de formes chétives s’entassent. Ce sont des hommes. En creusant la terre alentour, ces touristes trouveront un os, une dépouille entière, plusieurs cadavres. Ce sont des charniers.

La police thaïlandaise a découvert sept camps semblables en 2015. Deux cents corps ont été exhumés. Tous étaient des migrants venus chercher du travail ; tous ont été victimes de trafiquants qui les ont réduits en servitude.

Mesdames, Messieurs, le travail forcé et la traite des êtres humains n’ont pas disparu de notre monde. Pire, ils progressent.

Lorsque Lang Long quitte le Cambodge à vingt-six ans pour rejoindre « le pays des hommes libres »1, comme on l’appelle en langue thaïe, c’est le cœur rempli de l’espoir d’y occuper un emploi pour nourrir ses proches. Le passeur le lui a promis.

Mais une fois sur place, au port thaïlandais de Samut Prakan, des hommes armés attendent Lang pour le vendre. Mais le vendre à qui ? Son corps est fluet. Cela dit, ses larges mains sont taillées pour la besogne. Un capitaine de chalutier fait l’acquisition du jeune homme pour 530 dollars, un peu moins que le prix d’un buffle. Une bonne affaire. Commencent alors pour Lang trois années de captivité en haute mer.

1 En langue thaïe, la Thaïlande se dit « Prathet Thaï » qui signifie « pays des hommes libres. »

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Le chalutier chasse le hareng, la sardine et le maquereau. Des poissons sans grande valeur. Il faut en pêcher beaucoup. Énormément. Lang travaille vingt-deux heures par jour, qu’il pleuve à torrents ou que le soleil fasse gondoler la tôle. Il doit préparer les filets, les mettre à l’eau, les surveiller, les hisser. En extraire les poissons qu’il faut trier et mettre dans la glace, puis réparer le matériel et tout recommencer. Sans cesse.

Lang travaille pieds nus. Des vagues plus hautes que le pont s’abattent sur ses genoux. La nuit, il ne voit pas toujours surgir les déferlantes et manque d’être emporté par-dessus bord. Gare à celui qui tombe à l’eau : le capitaine pêche le poisson sans relâche, mais repêche rarement un travailleur.

La moindre faute commise appelle ses sévices. Un maquereau jeté dans le bac des harengs et le capitaine frappe l’étourdi avec ce qui lui passe sous la main. Un filet réparé trop lentement et plusieurs coups de fouet lui lacèrent le dos. Un peu de glace dérobée pour étancher sa soif et il est privé de l’unique repas quotidien.

Durant les deux seules heures de sommeil, chacun essaye d’échapper comme il le peut à l’odeur du poisson qui imprègne tout, à l’épaisse fumée que le moteur recrache, et à la douleur des plaies ouvertes que le sel maintient à vif. Le capitaine ne soigne pas les travailleurs ; il leur administre des amphétamines pour tromper la fatigue.

Le calvaire de Lang n’est malheureusement pas un cas isolé. Chaque travailleur migrant connaît sa litanie de souffrances.

La souffrance a le regard désespéré de Zura, une mère birmane, qui attend depuis des mois des nouvelles de son mari. Elle craint qu’il soit détenu dans un camp et qu’il faille payer une rançon pour le libérer.

La souffrance a la jeunesse de Hussein, seize ans. Sa famille n’a pas réussi à verser cette rançon. Il a été torturé puis obligé de creuser une fosse commune pour enterrer les migrants qui n’avaient pas survécu.

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La souffrance a le visage livide de Pak, qui a vu un camarade se jeter par-dessus bord en pleine mer pour en finir avec la torture.

Les rescapés qui témoignent sont peu nombreux au regard des cinquante mille travailleurs migrants exploités et revendus pour enrichir l’industrie agroalimentaire.

La Thaïlande a ratifié en 1969 la convention no 29 de l’Organisation internationale du travail. Celle-ci définit le travail forcé comme celui « exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel [il] ne s’est pas offert de plein gré ». Cet État nous berne. Il a été le seul en 2014 à s’opposer à l’adoption d’un nouveau traité plus contraignant.

Lang et les autres ont subi des menaces et des peines pour un travail auquel ils n’avaient même pas consenti. Ils méritent justice. Pourtant le droit international semble impuissant. Des dizaines de textes condamnant le travail forcé existent. Aucun n’a permis de les en prémunir.

Ces travailleurs migrants sont victimes d’une violation encore plus grave de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cette barbarie, c’est l’esclavage. Oui, Lang et tous les autres sont des esclaves. Ils sont la propriété de trafiquants qui les ont capturés, détenus et vendus comme bêtes de somme. Lang a été revendu à deux reprises et chaque fois son sort s’est assombri. Plus il travaille sur un chalutier, plus son expérience et sa valeur marchande croissent. Et plus le prix de sa liberté devient inatteignable.

« Dois-je montrer que l’esclavage est mal ? S’agit-il d’un débat qu’il faut trancher par les règles de la logique et de l’argumentation ? Faut-il que j’argumente qu’il est mal de transformer les hommes en brutes, de leur voler leur liberté, de lacérer leur chair avec des fouets, d’alourdir leurs membres avec des chaînes, de les vendre aux enchères, de les affamer pour qu’ils obéissent et restent soumis à leurs maîtres ? Non, je refuse ! Il faut exposer l’hypocrisie de la nation. »

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Ces mots prononcés en 1852 sont ceux de Frederick Douglass, un esclave américain affranchi. Avons-nous réellement progressé en cent soixante ans ? Actuellement, les Nations unies estiment que deux cent cinquante millions d’êtres humains dans le monde vivent encore en situation d’esclavage. Chacun d’entre nous comprend que c’est notre échec et qu’il est insupportable.

En remontant les filets, Lang a souvent observé les poissons : seuls quelques-uns pressentent l’issue fatale et luttent pour fuir. En haute mer, les créatures vivent libres ou meurent asservies.

Lang a tenté de s’échapper. Il a sauté sur le bateau ravitailleur qui venait parfois apporter au chalutier des vivres et du carburant. Il s’est fait prendre. Le capitaine lui a passé un lourd collier de métal autour du cou et l’a attaché à la coque avec une chaîne. En haute mer, les créatures vivent libres ou meurent asservies.

Tapi sur le pont, rongé par le désespoir, Lang se demande pour qui sont ces maquereaux, harengs et autres sardines. Ils sont exportés partout, notamment vers l’Europe. Mais soyons rassurés : nous ne les consommons pas. Ces poissons grossiers sont transformés en farine. Et ce sont nos chats, nos chiens, nos volailles et nos cochons qui en mangent. Chaque jour, nous engraissons nos bêtes avec le poisson que Lang s’épuise à pêcher. Chaque jour, notre argent renforce un système qui maintient nos frères humains en servitude.

Mesdames, Messieurs, le travail forcé, la traite des êtres humains et l’esclavage n’appartiennent pas au passé. Ce sont des pratiques établies de notre présent. Les laisserons-nous souiller notre avenir ?

Lang n’a pas été sauvé par le droit international. Il a été revendu. Une nouvelle fois. Mais cette fois-ci à une organisation non gouvernementale qui l’a racheté et libéré de son propriétaire.

Le regard vide, Lang semble ailleurs : ses tortionnaires sont libres et ne seront pas inquiétés. Justice ne lui sera pas rendue. À cette heure-ci, un esclave remonte un filet à sa place.

Bienvenue au pays dit des « hommes libres. »

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La perle du Sahel

Clémence TeillaudÉcole des avocats de Strasbourg

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Durant l’Antiquité, à Carthage, les familles aisées achetaient une ou deux perles à leurs filles chaque année.

Elles les mettaient les unes après les autres sur un fil qui finissait par constituer un collier à leur majorité.

Il existe en Afrique du Nord une ville au sable blanc à qui on a donné le nom de « Perle du Sahel ».

C’est dans cette ville, à Sousse, en Tunisie, qu’a grandi Marwan. Il n’a que 22 ans.

La veille encore, il marchait insouciant dans les rues de la vieille médina au milieu des senteurs de safran, de santal et de jasmin.

Arrêté dès l’aube par la police sans en connaître la raison, Marwan attend des heures durant, dans un commissariat infâme où se mêlent odeurs nauséabondes et bruits sourds de coups infligés aux gardés à vue.

Des policiers lui expliquent enfin qu’ils ont découvert son contact dans le répertoire du portable d’un homme retrouvé mort et qu’ils veulent connaître ses liens avec cet homme.

Marwan va d’abord dire qu’il ne sait pas.

Après avoir été battu et torturé, il finira, épuisé, par avouer qu’ils avaient eu une relation homosexuelle. Dès lors, l’affaire prend une autre tournure.

Les policiers considèrent que ce qu’ils viennent de découvrir est une obscénité incriminée pénalement. Le jeune homme est inculpé en vertu de l’article 230 du Code pénal tunisien.

Non, Marwan n’est pas un meurtrier !

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Marwan est un homme et il aime les hommes. Voilà le crime ! Il est devenu la proie d’un code pénal rétrograde.

Un code pénal qui ne réprime pas officiellement l’homosexualité.

Insidieusement, c’est à trois ans d’emprisonnement que ce code condamne quiconque aura eu une pratique sexuelle laissant présager la déviance.

Cette pratique aboutit à un délit dont l’administration de la preuve constitue le bras armé de l’humiliation, de la haine et de la torture.

Pour disposer d’un élément à charge, le juge va ordonner un test anal.

Pour rendre possible ce test, Marwan est brutalisé, malgré son refus et ses cris de supplication. Imaginez-vous ce que Marwan a subi au moment de la pénétration probatoire forcée ?

Savez-vous ce qu’il a ressenti, lorsqu’à genoux, le visage maintenu au sol, le médecin a procédé au test ?

Cet acte de procédure qui le pénètre froidement.

Cette humiliation corps et âme, cette dégradation absolue.

Quel paradoxe lorsque l’on sait qu’un proverbe tunisien affirme : « La cruauté est la force des lâches. »

Quel paradoxe encore lorsque l’on sait que le test ordonné par l’État tunisien est un acte dégradant condamné par la Convention internationale contre la torture des Nations unies. Convention signée par la Tunisie.

Pour se soustraire à ce paradoxe, l’État tunisien dit que l’accord préalable du prévenu est nécessaire avant de pratiquer ce test.

Croyez-vous vraiment qu’on leur demande leur avis ? Difficile de s’opposer quand on connaît si peu ses droits. Difficile de

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s’opposer seul face aux forces de l’ordre… moral.

Les prévenus sont contraints et forcés de s’y soumettre, ils savent que leur refus vaut présomption de culpabilité.

Marwan n’a pas osé refuser. Ahmed n’a pas osé refuser. Pas davantage Jalil, Hassen, ni Zied. Autant de pseudonymes choisis par peur.

Tous ces hommes ont vécu les mêmes histoires, les mêmes souffrances, le même traumatisme dans le silence et l’isolement.

Personne en Tunisie ne parle ouvertement d’homosexualité ni des tests anaux pratiqués sans consentement.

Personne ne porte plainte non plus contre les actes homophobes subis quotidiennement. Mais à quoi bon ? Les policiers ne poursuivraient pas les auteurs de ces actes.

Beaucoup quittent la Tunisie pour se protéger, pour se soustraire aux violences physiques, au harcèlement et parfois même aux menaces de mort.

Mais ceux qui font le choix de rester le savent, ils doivent vivre leur sexualité à l’abri des regards. Pour vivre heureux, ils doivent vivre cachés.

L’homosexualité ne doit pas s’extérioriser.

Il ne faut pas le montrer aux autres, ne pas le dire, ne pas se faire remarquer dans la rue.

Marwan n’a pas eu de chance, il ne s’est pourtant pas fait surprendre.

En Tunisie, on a parfois l’impression que l’homosexualité n’existe pas.

Il y va déjà de l’honneur de la famille.

Cette famille qui n’hésitera pas à tout faire pour préserver

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l’orthodoxie sexuelle admissible. Mais qui garantira leur honneur et leur dignité à ces amoureux clandestins ?

L’ombre de la religion plane sur la morale publique tunisienne et dicte la police des mœurs.

Pourtant, à l’époque de Carthage et des califes ottomans, les relations homosexuelles avaient cours librement.

L’interdit de l’homosexualité dans le Coran fait encore amplement débat comme dans les autres religions du Livre.

De toute part les pratiques religieuses, les ordres juridiques qui en procèdent, les opinions publiques diabolisent l’homosexualité.

Seules quelques voix s’élèvent dans la société civile en faveur de l’abolition. Une voix en particulier a eu un écho retentissant : celle du ministre de la Justice.

À la suite de l’affaire Marwan, il a appelé publiquement à la dépénalisation des relations homosexuelles.

L’euphorie a été de courte durée.

L’appel public est fermement écarté par le chef de l’État.

Sur la scène internationale, la répression de l’homosexualité ternit le tournant démocratique de la Tunisie.

Son peuple a réussi une révolution pacifique en construisant une société plurielle et tolérante. Pour autant, toutes les chasses aux sorcières n’ont pas disparu.

Curieusement, alors que la dignité de la personne, son intégrité physique et sa vie privée sont protégées par les articles 23 et 24 de la nouvelle Constitution tunisienne, l’homosexualité reste toujours passible de sanctions dans son expression la plus intime.

Le 9 octobre 2015, le prix Nobel de la paix a été décerné au quartet du dialogue national en Tunisie pour son travail de

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consolidation des droits de l’homme à l’issue du printemps tunisien.

Est-ce ce prix qui a amené les autorités tunisiennes à libérer sous caution Marwan le 5 novembre dernier ?

La Tunisie est porteuse aujourd’hui d’un immense espoir pour tant d’hommes et de nations.

Mais c’est encore en Tunisie que des individus sont arrêtés et détenus uniquement en raison de leur orientation sexuelle.

Et Marwan attend toujours son procès.

Rappelons-nous que les apparences de respect des droits de l’homme peuvent être trompeuses. Rappelons-nous aussi qu’aimer ce n’est pas renoncer à sa liberté, c’est lui donner un sens.

Ce ne sont pas les perles qui font le collier. C’est le fil.

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PLAIDOIRIES DES AVOCATS2016

Esplanade Général EisenhowerCS 55026 - 14050 CAEN Cedex 4

Tél. : 02 31 06 06 44www.memorial-plaidoiries.fr

E-mail : [email protected]

27e ÉDITION - 31 JANVIER 2016

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27e CONCOURS INTERNATIONALDE PLAIDOIRIES DES AVOCATS

Dimanche 31 janvier 2016

AU MÉMORIAL DE CAEN

En 1989, le Mémorial, le Barreau et la Ville de Caen organisaient le 1er Concours international de plaidoiries. 26 ans plus tard, ce sont 260 avocats venus des cinq continents (Algérie, Australie, Argentine, Belgique, Bengladesh, Birmanie, Bolivie, Brésil, Bulga-rie, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Cameroun, Canada, Costa Rica, Côte d’Ivoire, Croatie, Équateur, Espagne, États-Unis, France, Gabon, Grèce, Guinée, Inde, Israël, Italie, Luxembourg, Malaisie, Mali, Maroc, Mauritanie, Népal, Niger, Nouvelle-Guinée, Pays-Bas, République Démocratique du Congo, République du Congo, Roumanie, Royaume-Uni, Sénégal, Tchad, Togo, Tunisie, Turquie, Zimbabwe…) qui sont venus au Mémorial plaider la cause d’une victime de violation des droits de l’homme.

Le Mémorial, le Barreau et la Ville de Caen remercient leurs par-tenaires qui, au sein des différents barreaux dans lesquels ils exercent leur profession, soutiennent la promotion du concours : le Conseil National des Barreaux, la Conférence des Bâtonniers, le Barreau de Paris et l’Union Internationale des Avocats.

Le Barreau, la Ville et le Mémorial de Caen n’entendent donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises par les candidats ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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27e CONCOURS INTERNATIONALDE PLAIDOIRIES DES AVOCATS

Dimanche 31 janvier 2016

TABLE DES MATIÈRES

LE CONCOURS DE PLAIDOIRIES DES AVOCATS

L’histoire de Mustafa Hosseini ou les carences de la France dans l’accueil des mineurs étrangers isolés . . . . . . . . . 225Maître Mélanie Trouvé / Barreau du Val de Marne - France

Reyhaneh, pendue à Téhéran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235Maître Rachel Franco / Barreau de Tel-Aviv - Israël

Je veux vivre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245Maître Fekria Bedhief / Barreau de Tunis - Tunisie

Rêves d’enfants pendus à la barrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255Maître Max Adam Romero / Barreau de Séville - Espagne

Contre les aveux extorqués par la torture. Yecenia Armenta Graciano doit être libre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263Maître Pauline Carrillo / Barreau de Paris - France

De sang-froid . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271Maître Anaïs Place / Barreau du Val d’Oise - France

Raif Badawi, ou quand l’exercice de la libertéd’expression conduit à la flagellation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281Maître Laurie Comerro / Barreau de Bordeaux - France

L’ironie du destin de Mahmoud Hussein, jeune militant contre la torture . . . . . . . . . 291Maître Matisse Belusa / Barreau de Paris - France

Mahinour : lumière d’Égypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299Maître Roxane Allot / Barreau de Genève - Suisse

Des dizaines d’années de prison pour crime de fausse couche : l’inacceptable sort des femmes au Salvador . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 309Maître Gwendoline Tenier / Barreau de Rennes - France

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L’histoire de Mustafa Hosseini

ou les carences de la France dans l’accueil des mineurs étrangers isolés

Maître Mélanie TrouvéBarreau du Val de Marne - France

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Il était une fois un orphelin né en Afghanistan.C’est une histoire qui commence mal.C’est l’histoire de Mustafa Hosseini.Un orphelin afghan placé à l’âge de quatre ans dans une

famille iranienne. À Téhéran.Mustafa y connaîtra la violence et la maltraitance jusqu’à ce

qu’il parvienne à fuir, à douze ans.Direction la liberté, la richesse, l’éducation.Direction la France.

Il mettra trois ans à rejoindre notre pays.Qui sait ce que ses yeux ont vu durant son périple ?Qui sait les embûches sur la route de Téhéran à Paris ?Qui sait la peur, la solitude, la violence quand on connaît l’exil

à douze ans, dans ces conditions ?

Nous ne savons pas, ne saurons jamais précisément ce qu’il aura vécu sur la route de son exil.

Nous savons que ce parcours fut marqué par des agressions multiples et graves.

Nous savons qu’il durera trois ans.Mustafa arrive en France en janvier 2010, âgé de quinze ans.Il est recueilli et aidé par des associations compétentes et

investies, dans le département du Val-de-Marne.Mais il va mal. Mustafa souffre d’un « stress post-traumatique ».Et le secteur associatif n’est pas suffisamment armé pour le

prendre en charge de manière complète et adaptée.Mustafa a besoin d’être suivi sur le plan psychologique,

notamment. Les éducateurs qui le rencontrent s’en aperçoivent immédiatement. Confronté à l’horreur du monde bien trop tôt.

En application de l’article L. 112-3 du Code de l’action sociale et des familles, Mustafa est confié à l’aide sociale à l’enfance.

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Un enfant isolé sur le territoire doit être pris en charge par les services sociaux français de l’enfance, quelle que soit sa nationalité, comme le prévoit l’article L. 111-2 du Code de l’action sociale et des familles.

Il est mineur. Il n’est pas entouré d’adultes structurants et bienveillants. Il est en danger. Et doit être protégé.

Un juge pour enfants prononce une mesure de placement provisoire. Mais il est bien exceptionnel pour un mineur étranger de bénéficier d’une prise en charge adaptée, en foyer éducatif. Pour Mustafa, comme pour nombre de mineurs étrangers, isolés, ça sera un hôtel social miteux, lugubre, où aucun de nous, présents dans cette assistance, ne mettrait les pieds.

Seuls ses besoins vitaux sont pris en charge : un toit inhospitalier et un pécule hebdomadaire, insuffisant pour se nourrir. Et c’est tout. Pas de scolarisation, pas de suivi socio-éducatif, pas de prise en charge psychologique.

Seulement l’attente… L’attente forcée que le sablier du temps s’écoule et annonce sa majorité pour que l’aide sociale à l’enfance puisse, en toute légalité, et dès le premier jour de ses dix-huit ans, le renvoyer à la rue et à la clandestinité.

En février 2011, une lueur d’espoir néanmoins, une nouvelle ordonnance de protection ordonne le placement de Mustafa dans un foyer en Normandie. Mustafa a déjà seize ans et après l’abandon de ses parents, après la violence à l’orphelinat et au sein de sa famille d’accueil iranienne, après l’exil et son lot de mauvaises rencontres, après la solitude et l’incompréhension induites par treize mois d’hôtel social, il est fragile, perdu et peu enclin à placer sa confiance dans les adultes – eux qui l’ont si souvent trahi. Le placement échoue. Comme des milliers de placements de mineurs français échouent chaque année.

Mais difficile d’avoir une deuxième chance pour un mineur étranger. Mustafa est renvoyé dans le département du Val-de-

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Marne et c’est le retour à la case départ. On ne lui propose plus de placement en foyer, il retourne à l’hôtel, cette prison ouverte où son état psychologique se détériore.

L’attente de nouveau. Plusieurs mois. Cinq cents jours au total. À attendre.

Désœuvré et privé des soins que son parcours de vie a rendus indispensables.

Cette inexorable mécanique aurait pu perdurer deux années encore, jusqu’à ses dix-huit ans. Mais dans le cas de Mustafa, les carences de sa prise en charge vont avoir des conséquences graves et immédiates. Un soir de juillet 2011, sous l’emprise de produits stupéfiants et d’alcool, Mustafa s’en prend à une jeune femme. Il est immédiatement arrêté et placé en garde à vue.

Il existe bien sûr, en France, une procédure de poursuites et de condamnations pénales pour des auteurs d’infraction, mineurs au moment des faits. Mais pas question que Mustafa soit présenté en justice selon une telle procédure, jugée sans doute trop indulgente.

Alors que jamais l’autorité de poursuite ne se serait posé la question s’agissant d’un mineur français pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, alors que deux décisions de justice reconnaissent sa minorité, le Procureur de la République ordonne que Mustafa subisse un test osseux.

Cet examen radiologique vise à déterminer l’âge d’un individu selon une méthode que d’aucuns voudraient qualifier de scientifique, mais qui est très largement contestée par de nombreuses institutions juridiques et médicales, telles que le Défenseur des droits, l’Académie de médecine, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, pour ne citer que les principales. Sur ces seuls tests aux méthodes très critiquables et aux résultats d’une fiabilité fort douteuse, Mustafa est, durant les vingt-quatre heures de sa garde à vue, déclaré majeur. Il sera dès lors traité comme tel par le système judiciaire français.

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Il se voit ainsi déféré devant un tribunal correctionnel selon la procédure de comparution immédiate et placé en détention le soir même. Cinq mois d’emprisonnement. Cinq mois durant lesquels Mustafa est de nouveau exposé à la violence des adultes que sont ses codétenus, à tel point que l’administration pénitentiaire le place au quartier disciplinaire pour sa propre sécurité.

À sa sortie de détention, la santé mentale de Mustafa s’est très largement détériorée, comme le constatent les travailleurs sociaux qui lui ont rendu visite. Il se retrouve rapidement à la rue.

Mineur isolé soudainement déclaré majeur, malade psychique non encore diagnostiqué, entièrement livré à lui-même, dans la plus grande errance sociale et psychologique et une fois de plus dans un état d’ébriété avancé, Mustafa s’en prend à nouveau à une jeune fille.

Il est alors incarcéré pendant trois ans. Au cours de cette seconde incarcération, en décembre 2014, Mustafa est confié à une unité hospitalière de soins aménagés.

C’est à ce moment-là qu’un diagnostic est posé. Parce qu’il n’a pas été correctement pris en charge, qu’il n’a pas eu accès aux soins que son état nécessitait, que le cadre de vie dans lequel il a évolué depuis son arrivée en France ne pouvait convenir à l’enfant qu’il était, son « stress post-traumatique » est devenu « schizophrénie paranoïde ».

Le psychiatre demande son placement sous tutelle et sa prise en charge comme handicapé. Il reçoit dès lors un traitement médicamenteux approprié et son état est stabilisé.

Pourtant, à sa sortie de détention, en juin 2015, c’est la police aux frontières qui attend Mustafa.

Quittant une prison pour en rejoindre une autre, le voilà placé en centre de rétention administrative.

Sa demande d’asile est rejetée.

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À l’issue de ce parcours chaotique et malgré un appel formé devant la Cour nationale du droit d’asile, le lundi 24 août 2015, Mustafa Hosseini, mineur isolé arrivé en France à quinze ans devenu jeune majeur, malade mentalement et incapable cognitivement de se débrouiller, est expulsé sans papiers en Afghanistan, pays qu’il ne connaît pas, où il n’a aucune famille ni groupe social pour l’accueillir, le protéger, l’aider à vivre et à se soigner.

C’est une histoire qui finit mal. Personne aujourd’hui n’a de nouvelle de Mustafa et personne ne s’attend à en avoir.

En refusant à Mustafa Hosseini des conditions d’accueil et de vie adaptées à son âge et à sa situation de grande vulnérabilité, en le laissant livré à lui-même, sans suivi éducatif efficient, la France a violé l’article 19 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, qui lui impose de protéger les enfants contre toute forme de brutalité physique ou mentale, d’abandon ou de négligence.

En ne permettant pas à Mustafa Hosseini, enfant malade mental, d’avoir une vie pleine et décente, dans des conditions garantissant sa dignité, favorisant son autonomie et facilitant sa participation active à la société, en le privant de son droit d’accès à des soins adaptés à son handicap psychique, la France a violé les articles 23 et 24 de la même Convention.

Enfant victime de négligence et de traitements cruels, inhumains et dégradants durant les premières années de sa vie, Mustafa Hosseini avait le droit de voir l’État prendre toutes les mesures appropriées pour faciliter sa réadaptation physique et psychologique et sa réinsertion sociale. En s’abstenant de prendre de telles mesures, la France a violé l’article 39 de la Convention des droits de l’enfant.

Niant sa minorité et le privant ainsi de la procédure s’appliquant à cette qualité pour le juger en tant qu’auteur d’une infraction pénale, l’État français a enfreint l’article 40 du même texte au préjudice de Mustafa Hosseini.

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L’histoire honteuse de Mustafa Hosseini est une illustration d’une situation plus globale. En 2015, la France continue de violer plusieurs des droits fondamentaux de nombreux enfants étrangers présents sur son territoire.

En régissant parfois l’accueil des mineurs étrangers isolés selon une logique de gestion de stocks, soumise principalement à des considérations financières, la France ne respecte pas son engagement de donner la primauté à l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions le concernant, comme le lui impose pourtant l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

En distinguant les mineurs français et étrangers sous la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance, en ne leur offrant par les mêmes conditions d’accueil et de prise en charge, en proposant des réponses différentes à des besoins équivalents, la France viole aussi l’article 1er de cette Convention, prohibant la discrimination.

Parce que ce traitement différencié se traduit régulièrement par l’absence de scolarisation des mineurs étrangers, la France viole également l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, prohibant la discrimination, mis en relation avec l’article 2 du protocole n° 1 du même texte, consacrant le droit à l’instruction.

Si l’histoire de Mustafa se termine par un épilogue tragique, celle de tous les mineurs étrangers isolés sur le territoire, elle s’écrit encore aujourd’hui.

Poursuivons-la avec le courage, la dignité et l’humanité qui siéent aux pays attachés aux droits humains.

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Reyhaneh, pendue à Téhéran

Maître Rachel FrancoBarreau de Tel-Aviv - Israël

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Extrait de la lettre adressée à sa mère par Reyhaneh, quelques jours avant d’être pendue en haut d’une grue, lors d’une exécution publique à Téhéran.

« Le monde m’a permis de vivre pendant 19 ans. Durant cette nuit inquiétante, j’aurais dû être tuée. Mon corps aurait été jeté dans un coin de la ville, et après quelques jours, la police t’aurait conduite dans le bureau du médecin légiste, afin d’identifier mon corps. Là, tu aurais appris que j’avais également été violée.

Le meurtrier n’aurait jamais été retrouvé puisque nous n’avons ni sa richesse ni son pouvoir. Tu aurais alors continué ta vie dans la douleur et dans la honte, et quelques années plus tard tu serais morte de cette douleur. »

Reyhaneh a été condamnée à mort par pendaison, car son violeur a succombé aux coups donnés dans le cadre de sa légitime défense. Le violeur n’était pas n’importe qui, mais agent de l’État, au ministère des Renseignements.

Ces fonctionnaires sont redoutables. Ils prennent tous les droits sans avoir aucun devoir.

Ils décident de la vie ou de la mort de leurs concitoyens sur simple dénonciation et la plus petite suspicion suffit pour arracher d’une vie banale, des hommes et des femmes et les jeter dans l’enfer ignoble des prisons iraniennes. Ce pouvoir confère à ces fonctionnaires une toute-puissance dont ils s’abreuvent avec délectation.

Entendez-moi ! Tous les Iraniens sont concernés : les opposants au régime des mollahs, les homosexuels, les jeunes qui osent danser sur des musiques occidentales, les minorités ethniques

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et les femmes, bien sûr. Ce sont elles, les femmes, qui sont comme toujours les premières victimes du fanatisme religieux, les esclaves sexuelles des guerres et les assassinées des fameux crimes d’honneur. D’ailleurs dans les provinces profondes et les villes dites « modernes », les patrouilles de police de la Moralité veillent sévèrement à la moralité des femmes et des jeunes filles. Parfois, ils patrouillent à moto et jettent de l’acide sur les visages de femmes dites « immorales », au regard des lois de la charia.

Reyhaneh portait la beauté de ses dix-neuf printemps, mais le chasseur de jeunes filles avait ciblé sa proie. Il l’avait attrapée, mais cette gamine n’était pas facile. Comment osait-elle lui résister, lui si connu et redouté de tous ? Comment avait-elle cet affront ? Alors il l’a battu encore et encore, et encore, avec forte brutalité afin de la violer, et jeter son pauvre corps comme un chiffon sale.

Reyhaneh n’a pas su dire aux juges d’où lui était venue la force de se défendre, de griffer, de le frapper avec le premier objet qui s’était trouvé à portée de main. Elle a porté un coup fatal à son agresseur, mais ce coup s’est aussi retourné contre Reyhaneh.

Mesdames et Messieurs, elle avait la force du désespoir ! Reyhaneh ne voulait pas mourir, elle ne voulait pas être salie, ni vivre la honte clouée au ventre. Plus il frappait et plus elle comprenait que sa vie se terminerait avec cet individu abject qui cognait et cognait ; toutes les fibres de son être refusaient le viol, la mort, refusaient l’injustice qui lui était faite.

Elle était née pour vivre et non pour mourir, pour rire, non pour se lamenter. Elle était née pour fonder une famille, non pour être rejetée.

Venez avec moi, là-bas dans les prisons de Téhéran. Je veux qu’ensemble, nous accompagnions Reyhaneh, pour qu’elle soit moins seule.

Il n’y a pas de justice à Téhéran.

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Reyhaneh a vécu sept longues années dans les couloirs de la mort de la terrible prison d’Evine, parce que l’article 33 du code iranien de procédure pénale ne fixe aucune limite à la durée de détention préventive.

Imaginez une minuscule cellule d’isolement ! Ces cellules sont des cagibis sales, obscurs, avec des souris, des cafards et une odeur insupportable d’urine.

Durant sept années, Reyhaneh a été fouettée, torturée. Elle a vécu dans des conditions épouvantables, couverte de crasse, le corps rongé par des plaies ouvertes.

Faut-il décrire les interrogatoires ? Les insultes grasses et vicieuses, les rires jouissifs devant sa peur ? Ses bourreaux diffusaient en chaîne des cassettes de hurlements des autres prisonniers sous la torture, histoire de nourrir l’imagination fébrile de la jeune fille.

Reyhaneh raconte son procès :

« Je n’ai pas versé une larme. Je n’ai pas supplié. Je n’ai pas pleuré toutes les larmes de mon corps, car je faisais confiance à la loi. Mais j’ai été accusée d’être indifférente au crime. »

Tu faisais confiance à la loi, douce Reyhaneh ?

Une loi qui permet l’application de la peine de mort aux prisonniers politiques, aux mineurs, aux femmes adultères, à la récidive de consommation d’alcool, aux infractions pour blasphème ou insulte au Guide suprême ?

Il n’y a pas de justice en République islamique d’Iran ! Le pouvoir judiciaire n’a aucune indépendance. Il reste soumis aux ingérences des services de sécurité et dignitaires religieux.

Si des aveux obtenus par la torture physique et psychologique ont valeur de preuve dans un procès, où est la justice ?

Si on permet le placement à l’isolement sur une période

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prolongée, les simulacres d’exécution, les violences physiques, la suspension par les membres, les chocs électriques, les brûlures, où est la justice ?

Reyhaneh a écrit à sa mère :

« C’était si optimiste d’attendre de la justice de la part des juges ! […] Ce pays que tu m’as fait chérir n’a jamais voulu de moi et personne ne m’a soutenue quand, sous les coups des interrogateurs, je criais et j’entendais les mots les plus vulgaires… »

Oui, Reyhaneh, ton espoir de justice était utopique. Ton pays n’a pas voulu t’entendre parce que tu es une femme et que les femmes restent suspectes par nature, coupables de leur féminité.

Elle écrivait encore :

« Le monde ne nous a pas aimées. Il n’a pas voulu mon destin. À présent, je renonce et j’embrasse la mort. Dans la cour de Dieu, j’accuserai les inspecteurs… les juges de la Cour suprême qui m’ont tabassée et n’ont cessé de me harceler.

Dans la cour du Créateur, j’accuserai… tous ceux qui, par ignorance ou mensonges, m’ont fait du mal, ont piétiné mes droits. »

Reyhaneh, que ton âme repose en paix, jeune fille ! Car je les accuse pour toi à cet instant et je porte le flambeau de tes droits fondamentaux piétinés par ces barbares.

Mesdames et Messieurs, l’acte d’accusation se fonde essentiellement sur deux rapports publiés par les Nations unies, le Pacte international du Comité des droits de l’homme, relatif aux droits civils et politiques, signé par l’Iran en 1968 et celui de la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, d’août 2014 et je pointe les discriminations iraniennes contre les femmes, en contradiction avec les normes internationales :

1. Un mariage ne peut être légalisé qu’avec l’accord du père ou du grand-père paternel.

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2. En cas de divorce, la mère est subordonnée au père en matière de garde d’enfant.

3. Obligation légale faite à toute femme d’obéir à son mari.4. Interdiction de travailler sans l’autorisation du mari.5. Absence de dispositions légales contre les violences au foyer.6. Lapidation comme méthode d’exécution.7. Peine d’amputation, flagellation.8. Esclavage des femmes et des enfants, en particulier dans

les régions rurales.9. Mariages précoces et forcés : l’âge légal du mariage est de

treize ans et même neuf petites années avec l’autorisation d’un tribunal.

10. Le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme, en conformité avec la charia.

11. Dans les lieux publics, les femmes étant la propriété des hommes, mari, père et frères, doivent porter un voile et des vêtements amples.

Ces discriminations sont contraires aux cinq conventions des Nations unies relatives aux droits de l’homme qui imposent à l’Iran des obligations internationales. Précisons que si l’Iran a ratifié les deux pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, le Conseil des gardiens a rejeté en 2003 deux projets de loi prévoyant l’adhésion à la Convention sur l’élimination des discriminations contre les femmes et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels.

Il n’y a pas de justice en Iran !

Que valent les déclarations de principe, les signatures sur des conventions internationales puisqu’elles ne sont pas respectées. Puisque la déclaration des droits de l’homme en islam adoptée au Caire en août 1990 par l’Organisation de la conférence islamique permet des violations à la Déclaration universelle des droits de l’homme, notamment le fameux article 24 « Tous les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration sont soumis à la charia islamique » et l’article 19 : « Il n’y aura pas de crime ou de la peine, sauf tel que prévu dans la charia ».

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Nous, nous savons ce que cela veut dire ; Reyhaneh, elle, l’a vécu dans sa chair. Les droits garantis par le Pacte international n’ont pas été respectés ; ni l’article 6 sur le droit à la vie, ni l’article 7 sur la torture, ni l’article 9 sur la détention provisoire, ni l’article 10 obligeant au traitement avec humanité.

Ainsi se termine la lettre de Reyhaneh :

« Ma tendre mère, qui m’est plus chère que ma propre vie, je ne veux pas pourrir sous terre. Je ne veux pas que mes yeux ou mon jeune cœur deviennent poussière. Tu dois les supplier pour que, dès que je serai pendue, mon cœur, mes reins, mes yeux, mes os et tout ce qui peut être transplanté soit retiré de mon corps et donné à quelqu’un qui en a besoin…

Je te le dis depuis le plus profond de mon cœur : je ne veux pas d’une tombe où tu viendrais pleurer et souffrir. Je ne veux pas que tu portes du noir pour moi. Fais de ton mieux pour oublier mes jours difficiles. Donne-moi au vent, afin qu’il m’emporte.

Je voulais t’embrasser jusqu’à ma mort. Je t’aime. »

Reyhaneh a voulu faire don des organes de son pauvre corps. C’était son vœu le plus cher : aider autrui, que sa mort ne soit pas vaine et vaincre ainsi les fossoyeurs iraniens qui ont eu raison de sa petite vie.

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Je veux vivre

Maître Fekria BedhiefBarreau de Tunis - Tunisie

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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En élevant l’enfant, nous élevons l’avenir. « Élever », mot profond ! En améliorant cette petite âme, nous faisons l’éducation de l’inconnu. Si l’enfant a la santé, l’avenir se portera bien ; si l’enfant est bien élevé, l’avenir sera bon. Éclairons et enseignons cette enfance.

Voici une histoire authentique, réelle, que j’ai intitulée : « Je veux vivre ».

C’est une plaidoirie posthume à travers laquelle j’ai tenu à rendre un vibrant hommage à Chiraz Ghallebi, une fillette de douze ans qui a mené avec courage et détermination un combat contre l’injustice qui est, à mon sens, l’une des plus infâmes violations des droits de l’homme.

En effet, la vie de Chiraz avait commencé sous les plus mauvais auspices. Issue d’une famille très pauvre, Chiraz vivait avec ses parents au sommet d’une montagne, dans une région défavorisée de la Tunisie.

À droite, on distingue le chemin de terre qui permet d’accéder aux maisons isolées, sur les hauts plateaux de la région, où les parents de Chiraz survivent de l’élevage de quelques chèvres et moutons, associé à la culture d’un peu de blé.

Pour être à l’école à 8 heures du matin, Chiraz quitte son domicile à 5 h 30. Il faut imaginer son réveil, alors que le jour n’est pas encore levé et que le vent glacial souffle en rafales dehors. Les efforts d’une petite fille de douze ans pour quitter la douceur de l’épaisse couverture, se laver le visage à l’eau glacée, puis s’habiller en grelottant, avant de s’emmitoufler pour affronter le froid cinglant de cette région où le climat est particulièrement rude.

Pour arriver plus rapidement jusqu’à la route la conduisant à l’école, elle avait l’habitude de dévaler une pente abrupte, en se raccrochant aux branches des buissons et de plantes sèches pour freiner sa descente.

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À la fois très éveillée et généreuse, Chiraz avait très vite compris la pénibilité, la dureté de sa vie et de celle des habitants jeunes et vieux des villages avoisinants. Elle voulut « vivre sa vie » avec une très grande ambition pour elle et les autres : apporter le progrès social.

Alors qu’elle pourrait se laisser gagner par le désespoir, abandonner l’école et sombrer dans la délinquance, Chiraz reste déterminée à réussir pour réaliser son rêve et devenir une avocate militante et défenseur des droits de l’homme, active dans le monde entier, qui travaille en vue de promouvoir le respect des droits humains dans sa propre communauté en enquêtant sur leurs violations.

« Je ne veux pas rester pauvre, je veux concrétiser, vivre mes rêves », se confie la petite fille.

Chiraz avait un confident, un ami à qui elle parlait régulièrement de ses projets, de ses désirs. Ce confident : c’est un arbre ! un amandier, Mesdames et Messieurs.

Elle aimait la couleur de son écorce, de ses feuilles, et se sentait en sécurité et en confiance sous son bel ombrage.

Quel plus beau symbole de la vie, de l’élévation de l’âme que représente, en effet, un arbre !

L’amandier pour elle est le symbole de l’élévation, de la vie, de culte, du chemin ascensionnel, de la mort, de la régénération. Il contient une foule de significations cachées et son symbolisme est présent dans la quasi-totalité des cultures et des religions.

Cet amandier est devenu son confident et son protecteur.

« Je veux vivre », disait Chiraz à cet amandier, elle lui faisait part de son ambition, pour elle et pour les autres, de vivre mieux ! Tout simplement vivre mieux ! Pour atteindre cette fin, Chiraz s’était fixé deux objectifs : apprendre et être patiente. D’instinct, elle s’était approprié la pensée de grands philosophes de l’Antiquité et du Siècle des lumières.

Après chaque difficulté vient le temps de l’embellie, de

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l’amélioration. L’espoir fait vivre !

Malgré la pauvreté de son milieu et en dépit des nombreuses coupures d’électricité, Chiraz avait accès à la télévision. Grâce à des documentaires, des débats sociétaux et politiques, elle s’était réveillée et avait pris conscience des « choses de la vie ». Son esprit altruiste lui avait fait comprendre une notion essentielle de l’espèce humaine : les Droits de l’Homme.

Qui dit « droits de l’homme », dit développement économique et social dans toutes les régions sans distinction aucune. Dit aussi droit à l’éducation, qui est garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Les enfants du monde ont droit à accéder à l’école et à recevoir un haut niveau d’éducation.

Un minimum pour cette région pauvre où vivait Chiraz est vivement souhaitable.

Chiraz ainsi que tous les enfants de la région luttent quotidiennement contre la pauvreté et la cruauté de la vie pour échapper à leur condition de naissance inspirée de misère et de pauvreté. Ils poursuivent leurs études dans une école située à sept kilomètres de chez eux.

Chiraz, malgré son âge et grâce aux débats télévisés qu’elle regardait régulièrement, savait bien que tous ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté ont droit à l’éducation. Ces personnes ont le droit d’accéder à l’éducation de base et à tous les niveaux de scolarité qu’offre le système éducatif, sans être exposées à aucune forme d’exclusion ou de discrimination. Chiraz savait aussi que tous ceux qui sont pauvres ont le droit d’accès à la culture et aux arts. Des programmes spéciaux de formation, de lecture, et de littérature doivent être mis en œuvre en coopération et avec la participation active des pauvres et de leurs familles en tant que moyens d’éradication de la misère. Les programmes de formation et de culture doivent viser au respect de la dignité des pauvres, promouvoir la connaissance de leurs droits et valoriser leur expérience.

« Je veux vivre », disait Chiraz et c’est avec détermination qu’elle a

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décidé de réaliser son ambition. Finalement, elle a réussi à obtenir une place dans un internat. Ce qui lui donna l’espoir de pouvoir alléger ses souffrances et réaliser ses rêves. Pour elle, l’internat représente un atout déterminant pour la réussite scolaire et l’intégration sociale de nombreux enfants, notamment pour ceux qui ne trouvent pas des conditions favorables dans leur environnement familial.

Dans cet internat, Chiraz constatait que chacun de ses camarades était marqué par sa propre histoire, comme une trace indélébile. Tous ont en commun un passé en général tragique ou très dur. Ils sont souvent incompris et doivent parfois se réfugier dans le silence ou encore le rejet.

C’est comme s’ils avaient dressé un mur, un rempart de protection contre le monde extérieur, contre une vie qui fut sans doute beaucoup trop dure et impitoyable pour eux ; au regard de leur innocence enfantine.

Chiraz a découvert la réalité de cet internat qui était cruelle, choquante : dortoirs froids, douches défectueuses, eau chaude inexistante, réfectoires délabrés, vitres cassées, murs suintants d’humidité, casiers rongés de rouilles, toilettes immondes, cuvettes pleines de saleté : absence d’hygiène ! Que dire aussi de vieux matelas crasseux et troués de partout ? Maltraitance physique et émotionnelle que subissent ces enfants victimes et négligence dans toutes ses formes ?

Chiraz disait : « Un tel état d’insalubrité et de négligence ne peut être que démotivant pour moi. Loin de mes parents et mes repères, comment je peux être à l’aise et avoir envie de poursuivre mes études et devenir avocate ? »

Les turpitudes auxquelles elle assista, dans ce qui était une véritable prison, infligées aux petits pensionnaires, l’absence totale de liberté et la discrimination… Tout ceci du fait des enseignants eux-mêmes qui firent comprendre à Chiraz que nul espoir d’une vie meilleure ne pouvait naître dans cette région défavorisée de son pays.

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Avec le temps, Chiraz comprit que personne – même au plus haut niveau de l’État – ne faisait respecter les droits fondamentaux de l’égalité entre les êtres humains, de la non-discrimination, du droit de chacun à la jouissance de ses droits.

Personne ne garantissait les droits des individus de son pays et ceci en contradiction la plus absolue avec la Constitution du pays, de même qu’avec les conventions, les traités internationaux et surtout le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.

Chiraz voit que le sort continuait de s’acharner sur les jeunes des zones rurales exposées à toute forme d’injustice et de marginalisation.

« Dans des conditions de vie aussi pitoyables et avec une scolarité aussi calamiteuse, comment était-il possible de réussir dans la vie ? », se demandait Chiraz qui, totalement désabusée et en proie à la plus vive douleur, comprit qu’elle ne pourrait – à elle seule – apporter des remèdes à une crise si profonde.

Chiraz ainsi que beaucoup d’autres enfants ont dénoncé plus d’une fois les conditions précaires de l’internat, mais les parents impuissants n’avaient d’autre alternative : l’internat ou l’abandon. C’est alors que Chiraz pensa à son amandier, son confident, son ami. Elle lui parla de son désespoir et en le voyant et en lui parlant, elle décida qu’un geste fort, définitif, irrémédiable, pourrait peut-être secouer la conscience des gens.

« Je veux mourir », disait Chiraz. Elle décide de s’immoler et c’est dans son amandier qu’elle voulut mourir. Elle y attacha une corde et se jeta dans le vide.

Son Amandier, son ami, l’avait aidée à mourir.

Je veux mourir disait Chiraz. Elle décida de s’immoler et c’est dans son Amandier

Chiraz a laissé une lettre d’adieu avant de se sacrifier en disant : « Ma mère, mon père, pardonnez-moi, j’ai choisi de mourir parce

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que je ne pourrai jamais réaliser mes rêves. »

Nous devons être tous conscients qu’il faut unir nos efforts pour réduire l’égoïsme et l’avidité des hommes.

Car seul l’intérêt général compte. Que lui seul est gage de progrès et de prospérité pour tous.

Je suis – en toute modestie – un peu Chiraz et j’ai voué ma vie à ce que voulait défendre Chiraz : les Droits de l’Homme.

Chiraz est un symbole.

Ce symbole n’est pas mort. Il ne mourra jamais.

C’est le symbole de la vie, de la lutte pour un avenir meilleur.

Mesdames, Messieurs, je ne suis pas de ceux qui croient qu’on peut supprimer l’inégalité dans ce monde, l’inégalité est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère.

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Rêves d’enfants pendus à la barrière

Maître Max Adam RomeroBarreau de Séville - Espagne

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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L’affaire qui nous occupe est l’histoire de Diakaridia Diallo, un enfant malien que les forces de sécurité espagnoles ont renvoyé illégalement sur le territoire marocain, alors qu’il tentait d’entrer en Europe en sautant par-dessus la barrière frontalière de Melilla l’an dernier, lui refusant toute possibilité d’asile ou d’accueil.

Le saut raté a eu lieu le 2 décembre 2014. L’enfant avait été stoppé lorsqu’il était juché sur la dernière des trois barrières qui délimitent la frontière celle qui se trouve déjà sur le territoire espagnol. D’après le témoignage de la victime elle-même, il n’avançait plus par peur d’être arrêté par les autorités espagnoles et d’être renvoyé au Maroc. Il a été arrêté après avoir passé six heures accroché à la clôture. Il était alors descendu par une échelle placée par nos agents, appuyée contre la barrière, tournée vers le territoire espagnol et européen. Diakaridia a incontestablement foulé le sol de la juridiction espagnole. Pourtant, à aucun moment il n’a été écouté. Personne ne lui a demandé son nom, son âge, sa nationalité. Il n’a pas non plus été informé des possibilités de demander l’asile. Il n’a reçu l’assistance d’aucun avocat ni d’aucun interprète. Simplement, il a été arrêté et il a été renvoyé sans garantie, souffrant des blessures qu’il a dénoncées.

Ces faits révèlent une pratique quotidienne : le retour de personnes étrangères qui arrivent sur notre territoire, par une simple voie de fait, procédure dénuée de tout fondement et enfreignant notre système juridique, la réglementation communautaire et de nombreux traités internationaux que l’Espagne a ratifiés.

Notre législation dispose que « les forces et les corps de sécurité de l’État en charge de la surveillance des côtes et des frontières qui interceptent les étrangers tentant d’entrer irrégulièrement en Espagne les conduiront dans les meilleurs délais au commissariat du corps national de police compétent, afin qu’il soit procédé à leur identification et, le cas échéant, à leur retour ». Cette décision administrative de

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retour doit être adoptée dans un arrêté des autorités gouvernementales et implique de respecter les garanties visées par la loi : assistance juridique et assistance d’un interprète si la personne ne comprend pas ou ne parle pas les langues officielles. Par conséquent, telle devrait être la procédure à suivre lorsque l’étranger est intercepté à la frontière ou à ses abords en vue d’accéder en Espagne par une zone non autorisée à cet effet. Nos lois n’envisagent pas la possibilité pour les forces et les corps de sécurité de l’État d’expulser des citoyens étrangers se trouvant sous leur surveillance sur le territoire espagnol par des voies de fait. Les personnes qui tentent d’entrer sur le territoire national par cette voie doivent être transférées au commissariat du corps national de police. Un avocat doit leur être désigné. Elles doivent être assistées d’un interprète et être identifiées. Un arrêté de reconduite doit être pris afin de pouvoir être exécuté. En conséquence, la remise de la personne aux autorités du pays voisin, comme cela s’est produit pour cet adolescent, par une simple voie de fait, enfreint ouvertement les dispositions de la législation sur les étrangers.

Notre Constitution espagnole exige une interprétation des droits fondamentaux conforme à la Déclaration universelle des droits de l’homme et autres accords internationaux développés et mis en œuvre. Ainsi, les exigences de la législation sur les étrangers concernant la nécessité d’offrir l’opportunité aux citoyens étrangers interceptés par les autorités espagnoles d’invoquer leur situation personnelle découlent du respect des obligations internationales en matière de droits de l’homme.

La nécessité de protéger des personnes et des groupes vulnérables tels que les enfants, comme c’est le cas ici, est ce qui nous a amenés à élaborer et à signer des accords internationaux visant à la reconnaissance et au développement de certaines garanties permettant leur défense. Il en découle que la législation sur les étrangers des pays démocratiques, dont l’Espagne, prévoit que toute entrée clandestine sur leur territoire ne se termine pas systématiquement par une reconduite, justement au regard de certaines circonstances qui exigent un meilleur cadre de protection.

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Mieux encore, cette pratique, qui n’a pas permis d’individualiser et d’identifier ce citoyen étranger remis aux autorités marocaines, tomberait également sous le coup de l’interdiction de procéder à une expulsion collective. Elle enfreint également le principe de non-retour établi, entre autres, par notre Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon laquelle : « Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Il s’agit d’un droit qui ne peut être soumis au principe d’opportunité de la réglementation nationale. Par conséquent, il n’est pas possible de procéder à des expulsions collectives pour des motifs d’intérêt général ni pour des besoins de protection d’autres droits et libertés d’autrui. Concernant ce précepte, le contenu des rapports d’organisations et d’organismes internationaux doit être pris en compte pour agir tel que cela a été fait avec des migrants d’origine subsaharienne, comme c’est le cas de Diakaridia Diallo. Ainsi, les retours prévus en vertu de la législation sur les étrangers doivent être organisés après analyse personnalisée et motivée de chaque dossier, afin de garantir ce principe de non-refoulement.

Dans le même ordre d’idées, notre si sacrée Convention européenne des droits de l’homme et notre Cour européenne des droits de l’homme invoquées établissent l’interdiction de soumettre une personne à la torture et à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. Ces textes incluent l’interdiction d’expulser des étrangers vers un pays dont il existe des raisons suffisantes de penser que la personne expulsée pourrait y être soumise à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants. Par conséquent, il existe une jurisprudence qui consacre le principe de non-retour et qui, bien qu’elle ait été mise en œuvre dans différents cas d’expulsion ou de déportation de demandeurs d’asile1 est applicable à toute situation d’expulsion, puisque les États ont l’obligation de s’assurer du traitement auquel sont exposés les migrants renvoyés dans leur pays d’origine ou de provenance2.

En conséquence, il convient avant tout de s’assurer qu’aucun étranger n’est expulsé sans que sa situation ait été examinée de

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manière individualisée et sans qu’il ait pu avoir l’opportunité de faire valoir ses arguments3. Dans le cas contraire, cela constituerait une violation de la garantie procédurale du droit à un recours effectif dans les procédures d’expulsion4. Les expulsions par voie de fait empêchent l’accès aux procédures réservées aux étrangers et privent ainsi les personnes expulsées de la possibilité de contester l’illégalité de leur expulsion et la violation de leurs droits.

En approfondissant le cas de Diakaridia Diallo, le manquement de la part de nos autorités espagnoles est d’autant plus grave qu’il a empêché un enfant, qui avait de toute évidence besoin de protection, de pouvoir accéder à ses droits de base en tant que mineur. Si les autorités avaient procédé correctement à son identification, après avoir constaté qu’il était mineur, elles l’auraient placé entre les mains des services de protection existant à cet effet dans la ville autonome de Melilla. Ses besoins en termes de soins médicaux auraient dû être satisfaits et il aurait dû être informé de la possibilité de présenter une demande de protection internationale en vertu des dispositions de la loi 12/2009 du 30 octobre sur le droit d’asile. Celle-ci établit en effet un précepte spécifique pour les demandes formulées par des mineurs, en vue d’une meilleure garantie de leurs droits.

N’oublions pas que l’Espagne n’est pas seulement partie à la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies du 20 novembre 1989. Sa législation contient également d’autres textes tels que la loi sur la protection des enfants 1/1996 du 15 janvier, ainsi que la loi sur les étrangers qui reprend les droits et les procédures établis pour la protection intégrale de l’enfant, s’agissant de mineurs étrangers non accompagnés. Son développement est complété par le protocole du parquet général de l’État de juillet 2014 relatif aux enfants non accompagnés. Ce texte légal établit que l’État espagnol a une série d’obligations qui, non seulement, n’ont pas été respectées dans le cas de Diakaridia, mais qui, en outre, le considérant comme

1 CEDH, arrêt du 19 décembre 2013, N.K. c. France2 CEDH, arrêt du 3 décembre 2009, Daoudi c. France3 CEDH, arrêt du 23 février 2012, Hirsi Jamaa et autres c. Italie4 CEDH, arrêt du 22 avril 2014, A.S. et autres c. Espagne

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étranger avant de le considérer comme mineur, ont fait qu’il a été procédé immédiatement à son refoulement par voie de fait vers les forces de sécurité marocaine.

Même la directive européenne 2008/115/CE sur le retour prévoit, une fois un mineur étranger non accompagné identifié, la nécessité de l’éloigner vers un pays tiers autre que le pays d’accueil et le pays d’origine, dès lors que la garantie qu’il existe dans ce pays des services sociaux de protection adaptés pour garantir son bien-être est acquise. Dans le cas présent, nos forces de sécurité ont omis le passage essentiel par l’identification, qui aurait permis de constater que l’enfant était mineur et de pouvoir ainsi lui offrir une protection adaptée.

Ces faits ont atteint une dimension plus alarmante encore en présence du grave résultat que peut causer la violation des droits : une agression de l’enfant Diallo, à qui des blessures d’une gravité importante ont été causées, certaines avec de graves séquelles.

Nous ne devons pas et nous ne pouvons pas oublier que l’histoire de Diakaridia Diallo n’est pas un cas isolé. Chaque jour, ce sont des dizaines de citoyens étrangers d’origine subsaharienne, dont de nombreux mineurs, qui ne peuvent accéder aux postes habilités aux frontières de Ceuta et Melilla afin de demander la protection internationale. Ils ne peuvent même pas accéder au périmètre de la barrière frontalière, après avoir attendu des mois dans les campements et dans les bois alentour. S’ils parviennent à entrer, ce sont les forces de sécurité espagnoles elles-mêmes qui, comme dans le cas présent et sans aucune couverture légale, les remettent de nouveau au pays voisin en vertu de l’accord de réadmission souscrit, sans chercher à connaître en aucune manière les situations particulières, pourtant si importantes, comme c’est le cas de la minorité. Il serait bien difficile de trouver un cas violant davantage de préceptes et enfreignant plus de lois nationales, internationales, communautaires et universelles, comme dans le cas présent, dans lequel, avant de porter atteinte aux droits d’une personne étrangère, l’assistance et les droits universels ont été refusés à un enfant.

Merci beaucoup.

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Contre les aveux extorqués par la torture.

Yecenia Armenta Graciano doit être libre

Maître Pauline CarrilloBarreau de Paris - France

LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

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Son nom est Yecenia Armenta Graciano.

Son histoire est emblématique d’un système où la recherche absolue d’un aveu judiciaire s’exerce sans limite ni contrôle, et en violation totale des droits les plus fondamentaux.

Son nom est Yecenia Armenta Graciano.

Elle est mexicaine, elle a trente-neuf ans, brune, élancée, le regard doux, le timbre clair. Elle est la mère de deux enfants. Deux enfants qui se demandent, depuis trois ans, quand Maman rentrera.

10 juillet 2012.

Yecenia conduit sa soeur et sa belle-soeur à l’aéroport de Culiacan, dans le nord-ouest du Mexique. Sur le bas-côté de la route, des policiers en civil lui font signe de s’arrêter. Ils lui indiquent contrôler les véhicules à la suite d’un vol de voiture. Ils demandent à Yecenia de descendre. Yecenia obéit. Ils l’embarquent à bord de leur véhicule. Yecenia obéit toujours.

Et le calvaire commence. Les policiers lui couvrent la tête d’un sac, la menottent puis l’emmènent. Elle ne sait ni où ni pourquoi. Aucun des hommes qui l’accompagne ne répond à ses questions ; le silence pour seule réponse.

Puis l’horreur. Les hommes – les policiers – la déshabillent, la ligotent et la suspendent, tête en bas, comme un morceau de viande ; leurs mains sur son corps, leurs bouches, leurs dents, leurs griffes, sur elle, attachée.

Ce n’est plus le silence à présent. C’est le bruit terrible des coups qui résonnent sur son corps et dans sa tête.

C’est le cri qui s’étrangle dans sa gorge, qui n’en finit pas de s’étrangler, depuis ce 10 juillet 2012. Les policiers veulent obtenir des aveux. Mais Yecenia tient bon. Elle ne dit rien. Elle se refuse à avouer

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un crime qu’elle jure ne pas avoir commis. Les coups, le viol… quinze heures durant. Elle ne dit rien.

Alors, les policiers utilisent leur dernière carte, la plus cruelle : « Si tu n’avoues pas, nous ferons la même chose à tes deux enfants. » Yecenia se sent mourir. La douleur physique, ce n’est rien en comparaison de la vision de ses deux enfants, la chair de sa chair, souffrant, implorant, sous les coups de ces hommes. Éplorée, suppliciée, Yecenia leur demande de s’arrêter. C’est d’accord, elle avoue tout. Les yeux bandés, le corps blessé, l’esprit en sang, elle signe tout, pour que cela cesse, pour que personne, jamais, n’inflige cela à ses deux enfants.

Pour les forces de police de Culiacan, l’enquête est bouclée. Leur principal suspect a reconnu les faits. À l’issue de l’interrogatoire, Yecenia Armenta Graciano a admis être l’auteur de l’homicide, par balles, de son époux. C’est tout ce qui compte. Effacés les violences, la torture, le viol, les quinze heures d’interrogatoire et les menaces de mort. Peu importe, puisqu’une criminelle sera derrière les barreaux. La machine judiciaire peut se mettre en marche.

Mais si Yecenia parlait ? Si elle révélait le viol, les coups, puis les aveux, presque ridicules, après quinze heures de torture ?

Après avoir voulu mourir, Yecenia revient à la vie. Et elle parle, depuis sa cellule. Elle raconte les sévices subis de la part des autorités en charge de l’enquête. Elle explique que ses aveux ne valent rien et demande de l’aide afin de pouvoir établir son innocence.

De l’autre côté de la lourde porte de sa cellule, personne ne se soucie d’elle. Peu importe sa voix et la gravité des accusations portées contre l’État mexicain, la police tient la coupable qu’elle s’est choisie ; le simulacre de justice peut continuer.

À force de le demander, des médecins examinent Yecenia. Elle porte encore sur son corps les traces de la torture. Ces médecins appartiennent au bureau du procureur, qui est en charge de sa détention, et auquel les policiers sont aussi rattachés, ceux-là mêmes qui ont torturé Yecenia. Les conclusions des médecins sont claires et sans surprise : aucune trace de torture ne peut être relevée sur le corps de Yecenia.

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En septembre 2012, deux mois plus tard, des experts médicaux indépendants examinent Yecenia selon les directives préconisées par le Protocole d’Istanbul relatif aux victimes de torture. Leur analyse est tout à fait différente de celle des médecins du bureau du procureur. Ils concluent à une forte cohérence entre les allégations de torture avancées par Yecenia et les signes physiques et psychologiques qu’ils relèvent lors de leur examen.

À nouveau, en 2013, deux médecins légistes qui sont rattachés au bureau du procureur général effectuent des examens complémentaires. Constatant qu’aucune trace de sévices n’avait été relevée sur le corps de Yecenia par leurs collègues en juillet 2012, ils concluent qu’aucun acte de torture n’a été commis.

Ces analyses ont été remises en cause par deux experts médicaux appartenant au Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture.

Mais l’appareil judiciaire mexicain demeure sourd, refuse d’entendre l’évidence et de reconnaître que Yecenia a été victime de torture. Car s’il le reconnaît, tout s’écroule. Comment justifier trois années de détention et maintenir des poursuites uniquement basées sur des aveux extorqués à l’issue de quinze heures de torture ?

Car hormis les aveux de Yecenia, le dossier de l’instruction est vide. La partialité et la violence des enquêteurs ont entaché l’ensemble de l’instruction. Ainsi, outre les aveux de Yecenia, extorqués par la torture, trois témoignages incriminaient Yecenia dans le meurtre de son époux. Ces témoignages étaient fragiles, sur le plan probatoire, puisqu’aucun des témoins n’avait directement assisté à la scène de meurtre.

Pire encore, d’après Amnesty International, il semblerait que les trois témoins aient en réalité été forcés à signer des « aveux », ici encore, à la suite d’actes de torture. Devant le juge, ils sont revenus sur leurs prétendus aveux.

D’après les associations ayant eu accès au dossier pénal, il semble que le ministère public ne dispose d’aucun autre élément de preuve contre Yecenia. Cela veut donc dire que Yecenia est enfermée depuis trois ans sur la seule base d’aveux signés après quinze heures de torture.

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Son maintien en détention est inacceptable.

Il est inacceptable sur le plan juridique et il démontre à quel point l’État mexicain se moque de ses engagements internationaux.

Dès 1986, le Mexique a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par les Nations unies. Il a également ratifié en 1987 la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture.

Le Mexique a, à plusieurs reprises, publiquement pris position sur la scène internationale, en s’engageant à supprimer toutes formes de torture sur son territoire.

Mais affirmer l’abolition de la torture par les textes est illusoire s’il n’existe pas de volonté étatique de lutter contre la torture dans les faits. L’État mexicain n’applique pas les règles de droit qu’il proclame haut et fort.

En mai 2014, le rapporteur spécial sur la torture des Nations unies déclarait, à l’issue de sa visite au Mexique que « la torture et d’autres formes de mauvais traitements restent une pratique généralisée dans le pays ».

Le recours à la torture est endémique. Entre 2010 et 2013, 7 164 plaintes pour torture et autres mauvais traitement ont été déposées auprès de la Commission nationale des droits de l’homme. En dépit du nombre très élevé de plaintes, seules quarante-quatre affaires ont fait l’objet d’une recommandation publique par la Commission nationale des droits humains, ce qui démontre l’absence totale de volonté politique de se saisir du problème.

Non seulement l’État n’agit pas, mais c’est dans ses rangs que se trouve l’essentiel des tortionnaires. Ainsi, d’après Amnesty International, la plupart des plaintes pour torture et mauvais traitements concernent des actes commis par des membres des forces de police. Ceux-là même dont la mission est de protéger les populations se transfigurent en bourreaux.

L’impunité dans laquelle demeurent les auteurs de torture est l’autre face monstrueuse du recours généralisé à cette pratique. Personne n’ignore, dans les rangs de l’État, que la torture est pratiquée par

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certains fonctionnaires pour obtenir des aveux. Mais la guerre ouverte contre le crime organisé semble pouvoir tout justifier, même les pires violations des droits de l’homme. La recherche de la vérité à tout prix conduit les fonctionnaires aux pires pratiques lors des interrogatoires, en violation des instruments internationaux auxquels le Mexique a pourtant volontairement adhéré. Le cas de Yecenia est emblématique de ce phénomène. Même quand des experts attestent qu’un suspect a été victime de torture ou de mauvais traitements, l’impunité prévaut pour les auteurs, qui ne sont jamais poursuivis. Et qui, de fait, continuent à utiliser la torture comme un procédé d’enquête.

Il faut que cela cesse. Conformément aux engagements internationaux qu’il a pris, le Mexique doit agir pour qu’aucun des représentants de l’État, sous quelque prétexte que ce soit, ne puisse recourir à la torture. Il doit assurer aux victimes alléguées une enquête effective et, en cas de torture avérée, en punir les auteurs, et en tirer toutes les conséquences sur le plan judiciaire, lorsque des aveux ont été extorqués par le recours à la torture.

Car enfin, comment imaginer que les aveux recueillis après avoir violenté, supplicié, menacé, puissent correspondre à une quelconque vérité ? En 1764, déjà, Beccaria l’affirmait : « C’est faire fi de toute logique que d’exiger que la douleur devienne le creuset de la vérité comme si le critère de celle-ci résidait dans les muscles et dans les fibres d’un malheureux. »

Comment continuer à croire que c’est de la souffrance que pourra naître la vérité judiciaire ?

Le recours à la torture, comme mode d’enquête, n’est ni fiable ni efficace. C’est la négation même de l’humain.

Nous ne pouvons tolérer que Yecenia Armenta Graciano demeure une heure de plus en détention, alors que deux expertises indépendantes ont établi qu’elle avait été torturée afin d’obtenir des aveux, et que c’est sur la base de ces seuls aveux qu’elle est emprisonnée. Toutes les poursuites doivent être abandonnées, elles sont viciées dès l’origine.

Yecenia doit être libre et ses bourreaux jugés.

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De sang-froid

Maître Anaïs PlaceBarreau du Val d’Oise - France

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« Les juges, au fond de la salle, avaient l’air satisfait, probablement de la joie d’avoir bientôt fini. Le visage du président, doucement éclairé par le reflet d’une vitre, avait quelque chose de calme et de bon, et un jeune assesseur causait presque gaiement en chiffonnant son rabat avec une jolie dame en chapeau rose, placée par faveur derrière lui. »1

Les jurés seuls paraissaient blêmes et abattus, mais c’était apparemment de fatigue d’avoir veillé toute la nuit. Quelques-uns bâillaient. Rien, dans leur contenance, n’annonçait des hommes qui viennent de porter une sentence de mort, et sur les figures de ces bons bourgeois je ne devinais qu’une grande envie de dormir. »

Plus d’un siècle nous sépare du jour où Victor Hugo coucha ces mots sur le papier pour les rendre immortels, intemporels, pour que Le Dernier Jour d’un condamné traverse les décennies sans cesser de devoir nous saisir d’effroi.

La résignation placide de l’homme qui attend que sa tête soit détachée de son corps, par la lame lisse et tranchante de la guillotine, l’impassibilité du juge qui l’y conduit, son ennui même, le sang-froid, l’indifférence, de l’institution qui ôte la vie…

L’homme dont je vais vous parler aujourd’hui n’a pas été décapité. Il s’est simplement endormi.

Ainsi Cecil Clayton, citoyen américain reconnu coupable d’avoir assassiné un policier en service, dans un élan de folie meurtrière, aveugle, absurde, monstrueuse, a-t-il eu le privilège de mourir paisiblement. Sans bavure. Sans douleur. Malgré la violence de son crime.

1 Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné, Paris, Charles Gosselin, 1829. (N.d.E.)

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Le 17 mars 2015, le soleil déclinant derrière les murs de la prison où il attendait ce jour depuis près de vingt ans, Cecil Clayton s’est confortablement allongé sur une table matelassée, ses membres maintenus immobiles par de larges sangles de cuir. Deux cathéters soigneusement stérilisés au préalable ont été glissés sous sa peau, jusque dans ses veines. Une première injection l’a plongé dans un état de semi-conscience, lui épargnant d’assister à son départ définitif pour un au-delà incertain. Une deuxième injection a paralysé ses muscles, de telle sorte que parmi les spectateurs, nul ne puisse percevoir les soubresauts dégradants de l’agonie d’un homme. La troisième enfin, l’ultime, de chlorure de potassium, provoquant l’arrêt cardiaque. Aucune difficulté signalée durant cette exécution. Le dernier souffle rendu, la dernière pulsation… À 21 h 21, Cecil Clayton était mort. Parti, à soixante-quatorze ans, sans douleur et sans cri.

Christopher Castetter avait vingt-neuf ans, lui, lorsqu’il fut abattu, comme un sanglier au cours d’une partie de chasse, par Cecil Clayton. Ses dernières pensées sont sûrement allées à sa femme, à ses trois enfants, encore si petits pour grandir sans leur père. Cecil Clayton a commis l’irréparable ; il a tué un homme innocent, qui ne faisait que son devoir, qui incarnait la droiture, le bien commun.

Ce n’est donc pas sa mort judiciairement programmée, infiniment moins sanglante que celle de sa victime, qui aura soulevé les foules. Elle aura indigné les opposants de la peine de mort, certes, pour le principe, et pour quelque temps. Mais elle aura été bien vite oubliée.

Les États-Unis d’Amérique prohibent de manière fondamentale, puisque dans le corps même de leur Constitution, prise en son 8e amendement, les peines « cruelles ou inhabituelles ». Éclairés dans le texte, ils n’ont pas abandonné la peine capitale pour autant. La justice se veut ferme ; elle n’est pas vengeresse… mais dissuasive, nous dit-on.

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Nous nous sommes habitués à cette contradiction d’outre-Atlantique ; elle a presque cessé de nous révolter, puisque la barbarie nous semble n’être qu’ailleurs, dans les lapidations de femmes adultères, l’immolation dans une cage d’un soldat à l’aube de sa vie, dans l’égorgement froid et méthodique d’hommes agenouillés face à la mer, dans le fanatisme de leurs bourreaux, dans les bus qui explosent au milieu d’un marché, d’un musée, d’une école… Oui, la barbarie est ailleurs, elle est à nos portes. Face à telles atrocités, on lève une armée, nous sommes prêts à verser du sang, de la sueur et des larmes.

Mais la simple peine de mort, si j’ose dire, ne nous mobilise plus, parce qu’aux États-Unis on exécute, certes, mais la puissance de l’État souverain ne s’exprime plus par une débauche de férocité sur le corps du condamné, quelle que fût la gravité de son crime. Sa mort est propre. Silencieuse. Elle n’est plus assez spectaculaire pour nous révulser. Alors nous bâillons.

Derrière chaque meurtrier éliminé, il y a pourtant un homme, et l’humanité tout entière.

Cecil Clayton a été lentement broyé par la vie avant d’être froidement éliminé par la machine judiciaire. Lui aussi était dans la force de l’âge lorsqu’un éclat de bois est venu se loger dans son crâne, ce jour maudit de janvier 1972. Le jour où tout bascule, où le destin appuie sur la gâchette, mais sans crier gare : un accident de travail, cela peut arriver à tout le monde. Il suffit d’une mauvaise chute, d’une faute d’inattention, d’une machine qui s’emballe. C’est la vie.

Pour Cecil Clayton, le morceau de bois indélogeable a nécessité une opération aux conséquences irréversibles. Il a fallu retirer une partie du cerveau : 20 % du lobe frontal. Une prise en charge médicale très insuffisante… Et c’est ensuite la descente aux enfers ; les lésions traumatiques qui entraînent la démence, des fonctions cognitives amoindries, les délires, les hallucinations. Cecil Clayton a perdu la raison, puis son travail, sa femme, ses proches, ses

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repères. Tandis que son esprit s’enfonçait inexorablement dans le marasme de sa folie, le monde de Cecil Clayton s’est délité autour de lui.

Amputé de sa conscience, le 27 novembre 1996 il commit un meurtre.

Durant vingt ans, il y eut la valse des avocats, des juges, des procureurs, et des experts. Les psychologues et les psychiatres se sont succédé. Tous se sont accordés à constater les troubles psychotiques, directement liés aux lésions traumatiques du cerveau, et la déficience mentale du condamné, dont le quotient intellectuel était évalué à 71. L’accusé était incapable de comprendre les tenants et aboutissants de son procès, mais qu’importe.

La défense de Cecil Clayton n’a cessé de se battre, jusqu’au point d’orgue de cette symphonie barbare : la suspension de l’exécution dans l’attente de la décision de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, sur l’ultime recours introduit par ses avocats. L’injection était programmée à 18 heures, et ce n’est qu’à 20 h 30 que le couperet est définitivement tombé. C’est pour cela qu’on stérilise les cathéters… sait-on jamais…

Pas de miracle pour Cecil Clayton. Le pouce de la justice s’est tourné vers le bas. Une justice aveugle et sourde. Aux États-Unis d’Amérique, au xxie siècle, un procureur peut encore soutenir que la peine doit être adaptée au crime. Comprenez qu’elle n’a pas à l’être au criminel. Il faut punir. Il faut châtier. C’est ainsi que Cecil Clayton a pu être passé au rouleau compresseur d’une accusation aussi irrationnelle que tyrannique, bras armé d’un souverain qui séduit les masses par sa force et son absurde intransigeance, en écrasant les plus démunis, ceux qui ont perdu jusqu’à leur propre conscience.

Beccaria écrivait, dans Des délits et des peines, en 1764, que « la peine de mort n’est appuyée sur aucun droit. Elle n’est qu’une guerre déclarée à un citoyen par la Nation, qui juge nécessaire ou au moins utile la destruction de ce citoyen ».

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C’est une société belligérante qui s’est acharnée sur Cecil Clayton, un homme abîmé par le labeur, devenu encombrant, reclus derrière les murs de son esprit ravagé puis d’une cellule de quelques mètres carrés. C’est un crime, qui a été commis à son encontre, par le gendarme du monde, un État fondateur de l’Organisation des Nations unies, membre permanent du Conseil de sécurité.

Un État à l’origine même de la rédaction puis de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont le préambule affirmait « que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ; que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme ».

C’est ce même État qui, le 18 décembre 2014, aux côtés de l’Arabie saoudite, de la Corée du Nord, de la Libye, du Soudan, de la Syrie, du Yémen, se prononçait devant l’Assemblée générale des Nations unies contre l’adoption d’une nouvelle résolution pour un moratoire universel de la peine de mort. S’abstenant même… de s’abstenir…

C’est ce même État qui a déclaré la guerre aux dictatures et au terrorisme, et oublie sur ses propres terres le plus essentiel des droits de l’homme : le droit à la vie.

Et dans quel but ? Fallait-il que Cecil Clayton cesse d’exister pour que justice ait été rendue ?

Œuvre de prudence, de dissuasion, de fermeté ? Le corps social serait-il plus sain désormais que le cœur d’un fou s’est arrêté de battre ? S’agissait-il vraiment d’une tumeur dont il fallait se purger ? Quel intérêt supérieur pourrait justifier l’élimination d’un

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individu qui n’a pas la capacité de discerner le bien du mal ?

Et l’eût-il discerné… Si nous cherchons à donner un sens à une telle débauche de violence, à une telle barbarie, alors la dignité de la personne humaine n’est plus que lettre morte, littérature… et l’alibi de notre bonne conscience. Parce que c’est une atrocité que de décider de la mort d’un homme, quel qu’il soit, dans le silence feutré de nos institutions, c’est une atrocité, insupportable, fût-elle aseptisée, fardée d’anesthésiants, de vitres sans tain, de cathéters stérilisés.

Nous ne devons ni nous habituer, ni nous endormir. L’ère du châtiment, du supplice pénal qui restaure la souveraineté blessée en s’abattant sur le sujet, aussi inutile que soit la peine, cette ère n’est pas révolue. Elle est la nôtre. À défaut de nous révolter contre elle, nous en serons les acteurs.

Nous serons tous complices de la mort de Cecil Clayton. Et le monde, pour autant, n’en sera pas plus sûr.

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

Raif Badawi, ou quand l’exercice

de la liberté d’expression conduit à la flagellation

Maître Laurie ComerroBarreau de Bordeaux - France

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Mille.

Avez-vous déjà, Mesdames et Messieurs, compté jusqu’à mille ?

Mille, c’est le nombre de coups de fouet auquel Raif Badawi a été condamné par la Cour suprême d’Arabie saoudite en ce mois de juin 2015, confirmation et aggravation d’une sentence précédente qui avait été prononcée en novembre 2014.

Revenons alors un peu en arrière.

Imaginons-nous. Nous sommes désormais en Arabie saoudite. Nous sommes vendredi matin, l’appel à la prière se termine.

Nous sommes le 9 janvier 2015, Raif Badawi approche de sa trente et unième année et reçoit les cinquante premiers coups de fouet sur les six cents puis les mille auxquels il a été condamné pour avoir voulu ouvrir le débat public sur la liberté d’expression et la laïcité au sein de son pays.

Alors qui est cet homme qui pourrait aujourd’hui être considéré comme le symbole du mouvement destiné à défendre ardemment notre – celle de tout un chacun – liberté d’expression ?

Raif Badawi est saoudien, musulman.

Né en 1984, comme moi, il est marié et a trois jeunes enfants.

Il dit de lui qu’il est écrivain.

Soucieux de la montée de l’islamisme radical dans son pays, il ouvre en 2009, un blog intitulé « Free Saudi Liberals », lequel a pour ambition de générer des débats sur l’avenir de son pays, l’évolution de sa religion, l’évolution de la société dans laquelle il vit.

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Il y fait part de son inquiétude concernant la montée de l’islam radical, de sa notion du libéralisme et de la nécessaire place qu’il convient d’accorder à la laïcité.

Il définit lui-même la liberté d’expression comme étant « l’air que respire tout penseur, ainsi que le combustible qui enflamme sa pensée ».

Il considère qu’un des droits essentiels de l’être humain est de « ire ce qu’il veut et de faire ce qu’il veut à condition que cette liberté soit soumise à la loi puisque la liberté commence là où s’arrête celle des autres ».

De ce droit essentiel, du droit de présenter ses idées, du droit de ne pas être d’accord avec la façon dont sa religion est appliquée ou encore du droit tout simple de critiquer certaines mesures prises par son gouvernement, Raif Badawi a été privé.

En effet, les idées qu’il présentait sur son blog ont dérangé son gouvernement.

Son site Web est accusé d’avoir insulté l’islam et d’avoir ridiculisé le Comité pour la promotion de la vertu et de la prévention du vice.

Enfermé depuis le 17 juin 2012, seulement quelques semaines après qu’un cheikh saoudien ait publié une fatwa contre lui, Raif Badawi est condamné une première fois le 29 juillet 2013 à six cents coups de fouet et dix ans de prison.

Il interjette appel de la décision, laquelle est sévèrement alourdie puisqu’elle se compose désormais de mille coups de fouet, de dix ans de prison, d’une interdiction de quitter le territoire pendant dix ans suite à sa sortie de prison et d’une amende d’un million de riyals.

Sur l’acte d’accusation, une seule infraction commise : « insulte à l’islam ».

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Plus précisément et selon sa femme, Raif Badawi « est emprisonné pour le seul fait d’avoir exprimé des idées libérales dans un pays où sévissent des tribunaux d’inquisition islamiques dignes du Moyen Âge ».

En juin 2015, la Cour suprême d’Arabie saoudite, dernier recours possible pour Raif, confirme l’intégralité des termes de la condamnation.

Lourde peine pour avoir osé exprimer ses idées.

Revenons alors à cette date du 9 janvier 2015, où nous nous sommes transportés il y a quelques minutes.

En Arabie saoudite.

À 4 449 km à vol d’oiseau d’où je me trouve ce jour-là, Raif Badawi était amené de sa prison, après la prière du vendredi, le visage découvert, devant une mosquée de la ville de Djeddah.

Ses mains attachées à un poteau, avec un bâton, il a été frappé, au milieu d’une foule scandant « Dieu est grand ».

Cinquante fois.

Pour cinquante coups.

Cinquante chocs d’un bâton contre son corps.

Et pourtant, sa femme dira que, en ce 9 janvier 2015, c’était la première fois que son mari voyait la lumière du jour depuis son emprisonnement en 2012…

Ce n’est ni plus ni moins, Mesdames et Messieurs, qu’un acte de torture et de barbarie.

Un odieux, ignoble, innommable acte de torture.

Cet acte de torture a été commis en violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, convention de droit international adoptée par l’ONU en 1984, que l’Arabie saoudite a pourtant ratifiée…

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Et pourtant, cette première séance de flagellation publique n’est pas prévue pour être la dernière.

Il faut encore compter jusqu’à mille.

Raif Badawi doit encore recevoir neuf cent cinquante coups de fouet.

Le rythme initial prévu était de cinquante coups de fouet chaque vendredi, pendant vingt semaines consécutives.

Je n’ose imaginer qu’un être humain puisse survivre à de telles tortures pendant vingt semaines d’affilée.

Toutefois, depuis cette date du 9 janvier 2015, les séances de flagellation sont interrompues.

Quelques grammes de répit pour Raif Badawi.

En effet, en raison de son état de santé causé par les conditions de son enfermement et par les premiers cinquante coups qu’il a reçus, les séances de flagellations sont seulement et simplement suspendues…

Ainsi, chaque nouveau vendredi qui se lève en Arabie saoudite, chaque nouvelle fin d’appel à la prière de la mosquée de Djeddah amène avec lui le suspense de savoir si ce sera le jour d’une nouvelle flagellation publique.

Chaque vendredi, la femme de Raif Badawi et leurs trois enfants, réfugiés désormais au Canada, espèrent que ce sera un nouveau vendredi sans coups de fouet.

Seulement quelques minuscules grammes de répit, chaque nouveau vendredi.

Malgré tout, le cas de Raif Badawi ne laisse pas les défenseurs de la liberté indifférents.

Le cas de Raif Badawi, nommé pour le prix Nobel de la paix,

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lauréat du prix du Parlement européen « Sakharov », suscite l’indignation suscite l’indignation et les institutions internationales tentent de se battre.

Pourtant, invité par le président du Parlement européen à venir chercher son prix en personne à Strasbourg, les organisations internationales craignent que cela ne précipite la prochaine séance de flagellation.

Mais qui s’oppose à ces tortures commises, à ces séances de flagellation publique ?

De quel crime parle-t-on ? D’avoir exprimé des opinions ? D’avoir suggéré le débat ? D’avoir exercé le droit essentiel d’exprimer ses idées tel que consacré par la Déclaration des droits de l’homme.

Ne vous méprenez pas, Raif Badawi n’a jamais renié sa religion. Bien au contraire.

Il voulait simplement utiliser son droit à la liberté d’expression pour parler de laïcité et de religion.

Il est alors considéré comme un infidèle, et ce sont ses mots, « simplement parce qu’il a eu le courage de discuter de certains sujets sacrés ».

D’ailleurs, parlons-en de la « liberté d’expression »…

Depuis quand est-ce devenu un crime ?

Pourquoi, en 2015, en France, en Arabie saoudite et partout ailleurs dans le monde, risquons-nous notre vie, notre intégrité physique pour nous être exprimés librement ?

Triste année que 2015 pour les droits de l’homme, année au cours de laquelle, une nouvelle fois, les libertés les plus fondamentales ont été piétinées.

Je voulais aussi souligner que, là-bas, en Arabie saoudite, Raif Badawi n’était pas seul dans son combat.

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Sachez que mon confrère, notre confrère, Waleed Abu al Khair, l’avocat de Raif Badawi, a été condamné à une peine de dix ans de prison pour « déloyauté envers le souverain », « atteinte au pouvoir judiciaire » et « création d’une organisation non autorisée », précisément pour avoir défendu

Raif contre les autorités de l’État.

Il dira, et ce sont ses mots : « Je n’ai pas été enfermé pour avoir pris ma propre défense. Je l’ai été parce que je défendais les personnes opprimées de mon pays. Ne m’oubliez pas. Mais, par-dessus tout, n’oubliez pas celles et ceux que je défendais. »

À défaut de récompense, lourde est la sanction des hommes courageux.

D’ailleurs, parlons-en du courage.

J’ai découvert avec stupéfaction que, le 11 janvier 2015, deux jours après les coups de fouet, deux jours avant l’anniversaire de Raif, le président de notre République des droits de l’homme, défilait dans Paris aux côtés du numéro 2 de la diplomatie saoudienne.

Je l’imagine reçu en grande pompe comme les autres représentants des États venus faire le déplacement pour ce qu’on a appelé la « marche républicaine », suite au terrible drame survenu sur notre territoire.

Ils étaient là pour rendre hommage à des hommes et des femmes morts d’une balle dans la tête pour avoir exercé leur liberté d’expression !

C’est beau le courage. Il paraît que c’est une qualité.

Quelques jours plus tard, notre président français se rendait en Arabie saoudite.

Dénoncer la torture, dénoncer l’absence de toute liberté d’expression dans ce pays ?

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Pensez-vous… Pour ne pas se froisser avec la diplomatie saoudienne, notre président est allé présenter ses condoléances au nouveau roi suite au décès de son prédécesseur de frère.

A-t-il glissé un mot à l’oreille de ce nouveau roi sur le cas de Raif Badawi ?

La petite histoire ne le dit pas, les faits par contre nous laissent sceptiques…

L’Arabie saoudite est un pays riche, un pays qui entretient des liaisons économiques étroites avec l’Europe, ce qui empêche nos dirigeants de s’opposer fermement au traitement infligé à Raif Badawi.

Pendant ce temps, l’Arabie saoudite prend la tête de l’instance stratégique des Droits de l’homme au sein de l’ONU, oui, Mesdames et Messieurs, de l’Organisation des Nations unies…

Nous parlions de courage, parlons plutôt d’hypocrisie, l’hypocrisie du monde entier face à un riche pays pétrolier, dans lequel liberté d’expression rime avec flagellation.

Certes ça rime, mais pour Raif, pour sa femme et ses enfants, pour mon confrère Waleed, pour moi, pour nous tous, c’est une bien triste rime.

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

L’ironie du destin de Mahmoud Hussein, jeune militant contre la torture

Maître Matisse BelusaBarreau de Paris - France

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« Je l’ai essayé une dernière fois avant de me coucher. Je voudrais dormir avec, mais j’ai peur de le froisser.

Alors je contemple le T-shirt que je vais porter demain. Qui lira mon message ? Le monde entier j’espère !

J’ai du mal à trouver le sommeil ce lundi soir. Un frisson d’impatience mêlé au sentiment de vertige qui précède les grands moments m’empêche de fermer les yeux.

Il y a trois ans, ceux qui ont manifesté avaient-ils peur eux aussi ? Moi j’étais trop jeune et ma mère m’avait interdit d’y aller.

Aujourd’hui, je veux faire partie de l’histoire de mon pays. Demain, j’espère que nous serons nombreux, peut-être des milliers à faire aussi bien que nos frères de Tahrir. »

Mahmoud Hussein a le visage poupon. Un visage qui tranche avec la gravité du combat qui est le sien. Mais Mahmoud a l’âge où l’on veut changer le monde, où l’on veut croire que son combat, parce qu’il est juste, sera entendu et compris de tous.

À dix-huit ans, Mahmoud n’imaginait sûrement pas en revêtant son T-shirt portant l’inscription « Nation sans torture » qu’il rejoindrait les 40 000 détenus d’opinion de son pays.

En Égypte, la toute première révolution de la place Tahrir, le 25 janvier 2011, avait été un événement majeur des printemps arabes. Cette révolution avait, à l’époque, rappelé au monde entier l’incroyable capacité de mobilisation de la jeunesse et sa puissance de contestation. De nombreux dirigeants avaient salué ce mouvement et le courage de cette nouvelle génération.

Mohamed Morsi, arrivé au pouvoir sur les cendres de la révolution, n’avait alors pas pris la mesure de ce contre-pouvoir et n’avait pas cru devoir écouter les aspirations de la jeunesse de son pays.

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En juillet 2013, Mohamed Morsi a donc été renversé par la nouvelle mobilisation, entre autres, des jeunes de Tahrir.

Mais le nouveau gouvernement au pouvoir depuis lors, dirigé par le maréchal al-Sissi, n’entend pas plus les cris de la jeunesse et sa soif de liberté. Ainsi, afin de « préserver la stabilité et la sécurité » en Égypte, il a fait voter une loi soumettant à autorisation tout regroupement de plus de dix personnes. La répression contre tous les courants de pensée opposés au régime se fait encore plus terrible que sous les gouvernements précédents.

C’est dans ce contexte qu’en janvier 2014 Mahmoud Hussein, revêtu de son T-shirt contre la torture, a rejoint les milliers de contestataires descendus dans la rue pour s’opposer au nouveau pouvoir.

Mais, fort de l’expérience de ses prédécesseurs, le maréchal a violemment dispersé la manifestation causant des dizaines de morts.

« Je suis déçu. Je pensais pouvoir faire entendre, à mon niveau, la voix de la jeunesse.

J’ai l’impression que nous n’arrivons pas à la hauteur du succès de nos aînés. Il y a trois ans, eux sont restés. Certains sont morts. Aujourd’hui nous avons quitté la place… la tête un peu basse.

Mais ma mère sera sûrement rassurée de me voir rentrer plus tôt que prévu. »

Mahmoud ne rentrera jamais chez lui.

Lors d’un contrôle de police à l’entrée de son quartier, le bus dans lequel il se trouvait a été arrêté. Les policiers ont remarqué son T-shirt. Ils l’ont soupçonné d’avoir participé à la manifestation interdite et d’être un opposant au régime. Il a alors été emmené au poste de police avant d’être placé en détention provisoire.

Comme il l’espérait encore le matin même, Mahmoud est entré dans l’histoire de son pays. Il fait désormais partie de la « Génération prison », comme on appelle les dizaines de milliers de prisonniers d’opinion qui croupissent dans les prisons du pouvoir.

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Mahmoud est victime de la politique d’arrestation systématique de toute personne présentée comme une menace pour la sécurité de l’Égypte et notamment les militants des droits de l’homme. Un T-shirt contre la torture est désormais devenu un passeport pour la prison.

Outre les atteintes à la liberté d’expression dont Mahmoud est victime, c’est l’ensemble de ses droits d’accès à la justice qui sont violés depuis lors.

Depuis deux ans, la détention provisoire du jeune militant est régulièrement prolongée lors d’audiences auxquelles il n’a pas la possibilité de participer puisqu’il n’est même pas extrait de sa cellule pour se rendre au tribunal.

Mahmoud ne connaît toujours pas les charges exactes retenues contre lui, rendant vaine toute défense efficace.

Mais à quoi bon préparer une défense lorsqu’il est illusoire d’espérer pouvoir l’exposer à son juge ?

En effet, le procès qui se profile n’en porte que le nom. À l’issue de l’enquête prétendument en cours, Mahmoud va se retrouver avec plusieurs centaines de prévenus face à un juge militaire dans un procès de masse. Faire entendre sa voix et sa défense au cours d’un procès équitable relève tout simplement du fantasme.

Pourtant Mahmoud, ce n’est pas toi le « hors-la-loi ». En application de la Constitution égyptienne, ta liberté de penser, de t’exprimer est garantie, tu dois pouvoir contester effectivement ta mise en détention provisoire et bénéficier d’un procès équitable.1

En outre, des textes internationaux applicables en Égypte, tels que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples2 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques3, te garantissent ces mêmes droits.

Pourtant tu n’as pas pu en bénéficier.

1 Articles 65, 54 et 96 alinéa 1 de la Constitution égyptienne2 Article 6, 7 et 8 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples3 Article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

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Mais ce n’est pas tout. Par ricochet, c’est ton droit à étudier, à te cultiver, à rire, et vivre dont tu es privé par la folie liberticide de gouvernants qui estiment protéger la société égyptienne en t’en bannissant.

Au-delà des violations flagrantes des droits fondamentaux dont est victime Mahmoud, ce qui me pousse à plaider sa cause aujourd’hui, plutôt que celle de milliers d’autres détenus d’opinion égyptiens, c’est certainement la triste ironie de la situation dans laquelle il se trouve, puisqu’il est devenu l’une des victimes du mal qu’il dénonçait.

Comme pour rabaisser son combat contre la torture et lui signifier l’absurdité de ses convictions, Mahmoud a subi de nombreuses violences dans le cadre de sa détention. Il a été battu et électrocuté par ses gardiens.

C’est notamment à la fin de l’une de ces séances de torture que Mahmoud a « accepté de confesser ses crimes ». Sous la dictée de son bourreau, il a « avoué » détenir des explosifs, appartenir à une entreprise terroriste et avoir reçu de l’argent pour participer à la manifestation interdite.

Rien de cela n’est vrai. Mais dans l’actuel système pénal égyptien, l’aveu, preuve parmi les preuves pour un procureur, ne perd pas sa valeur même s’il est extorqué par la violence.

L’équilibre entre la défense des libertés publiques et le maintien de l’ordre public est un sujet particulièrement complexe qui alimente les écrits des universitaires, des avocats et des journalistes au quotidien. Pour autant, il ne faut pas être naïf, la situation en Égypte, de par sa géographie, son histoire et l’influence des pays tiers, est particulièrement complexe.

Mais ne nous y trompons pas.

Sous le régime du maréchal al-Sissi, il n’est question ni de subtilité ni de quête d’équilibre entre liberté publique et ordre public. La liberté n’existe tout simplement pas pour ceux qui pensent différemment.

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En janvier 2015, les photos du meurtre de Shaïma al-Sabbagh, jeune militante des droits de l’homme, commis en pleine rue par les forces de police, ont bouleversé l’opinion mondiale.

Le ressac est particulièrement violent pour Mahmoud et la jeunesse égyptienne. Les gouvernants de ce monde qui hier louaient son courage et sa détermination ont modifié leur discours lorsqu’il s’est agi de signer des contrats d’armement avec le nouveau gouvernement en place.

Ainsi, face à une autorité qui espère anéantir toute pensée non autorisée en enfermant et torturant ses citoyens, face à une justice qui n’en porte aucun attribut et face à des gouvernants internationaux qui se cachent derrière le principe de non-ingérence pour développer leurs relations commerciales, il ne reste que vous, militants des droits de l’homme, membres d’organisations internationales pour entendre et porter la voix de Mahmoud et de la jeunesse égyptienne.

Mahmoud, te souviens-tu de ta dernière soirée d’homme libre dans ta chambre ? De la fierté que tu ressentais en portant ce T-shirt ? En manifestant ta volonté d’abolir la torture et de faire respecter les droits de l’homme ?

L’injustice dont tu es la victime ne doit pas éteindre ton envie de changer le monde.

Tu serais surpris de savoir qu’aujourd’hui un avocat, bien loin de chez toi, porte ta parole devant une assemblée, dans une langue qui t’est sûrement étrangère.

Tu serais probablement heureux de savoir que la même utopie m’anime en imaginant te faire sortir de prison simplement en plaidant ta cause.

C’est donc avec la même conviction que celle qui t’a animée, la veille de ton arrestation, que je sollicite aujourd’hui ta remise en liberté immédiate et le retrait de l’ensemble des charges qui pèsent sur toi.

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

Mahinour : lumière d’Égypte

Maître Roxane AllotBarreau de Genève - Suisse

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Une cellule misérable. Une cellule sale. Une cellule minuscule. Un lieu détestable, où les âmes se perdent, où la vie quitte des corps exténués, mais où l’espoir continue de briller dans les yeux de Mahinour.

Nous sommes dans la prison pour femmes d’Al-Abadeya, dans la ville de Damanhour, en Égypte. En ce lieu détestable, Mahinour el-Masry purge sa peine.

Son crime ? D’être une avocate, militante pour les droits de l’homme dans son pays. Je serais, vous seriez, chers confrères, probablement des criminels en Égypte.

Mahinour el-Masry, jeune avocate de vingt-huit ans, a été condamnée en appel, le 11 mai 2015, à une peine de quinze mois de prison ferme et à une amende de cinq mille livres égyptiennes pour avoir protesté devant un poste de police d’El-Raml, pour avoir prétendument attaqué les policiers et le personnel du commissariat, et pour avoir insulté l’administration intérieure égyptienne.

Les faits à l’origine de sa condamnation remontent au 30 mars 2013, lorsqu’un groupe des Frères musulmans, alors au pouvoir en Égypte, arrêta un activiste soupçonné d’avoir fomenté un plan dans le but d’incendier le quartier général des Frères musulmans au Caire. Ses avocats, dont faisait partie Mahinour, demandèrent à assister à l’interrogation du suspect. Les policiers refusèrent catégoriquement. Les avocats, excédés, tentèrent de forcer l’entrée du commissariat de police, dans l’intention de l’occuper pacifiquement, afin de dénoncer le non-exercice des droits de la défense de l’activiste arrêté.

Malheureusement, Mahinour s’habitue à la prison. Elle a d’ailleurs affirmé ne pas craindre la prison ; je reprends ses mots « we do not like prisons but we are not afraid of it and at the end, freedom is in

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the hands of people, not the military and gares ». (Nous n’aimons pas la prison, mais elle ne nous effraie pas. Au final, la liberté est dans les mains du peuple, pas dans celles des militaires.)

Moubarak, Morsi, al-Sissi, je m’adresse à vous : enfermer Mahinour ne la réduira pas au silence, ne l’écartera pas de sa lutte pour défendre les opprimés en Égypte. Au contraire, vous renforcez sa rage, son envie de vivre, de défendre, de crier, de protester.

Mahinour a été enfermée aussi bien sous le régime de Moubarak, que sous celui de Morsi et du général al-Sissi.

Je le disais, Mahinour a déjà été emprisonnée par le passé. En mai 2014, elle a été condamnée à deux ans de prison pour avoir pris part à une manifestation de soutien en l’honneur de Khaled Saeed, figure du printemps arabe. Khaled a été torturé, lynché, fracassé, par des policiers enragés, formés pour tuer. Des images de son corps à peine reconnaissable ont commencé à circuler sur la toile. L’information devint virale ; bientôt, ce fut toute la jeunesse égyptienne qui relayait les terribles images de la dépouille de Khaled.

En janvier 2015, nous scandions « Je suis Charlie ». En 2010, ils scandaient « Nous sommes tous Khaled Saeed ». Mahinour, elle aussi, était Khaled Saeed. Et c’est pour son soutien à cette figure du printemps arabe qu’elle fut condamnée à une peine de deux ans de prison et à une amende de cinquante mille livres égyptiennes.

Alors qu’elle purge cette première peine en 2014, elle se voit décerner le prix Ludovic-Trarieux 2014. Ce prix est remis chaque année à « un avocat sans distinction de nationalité ou de barreau, qui aura illustré par son œuvre, son activité ou ses souffrances, la défense du respect des droits de l’homme, des droits de la défense, la lutte contre l’intolérance sous toutes ses formes ». Les avocats membres du jury du prix exhortèrent le régime égyptien à immédiatement libérer Mahinour afin qu’elle puisse venir chercher son prix.

Ce vœu ne resta pas lettre morte, puisque Mahinour fut libérée

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en septembre 2014 pour se rendre un mois plus tard à Bordeaux et se voir remettre son prix en mains propres. À sa sortie de prison, le juge égyptien lui adressa comme un dernier reproche, sans comprendre qu’il ne fit qu’aiguiser l’envie de combat de Mahinour. Ainsi, il dit à son propos, qu’« elle était victime d’idées corrompues, à savoir la liberté, la justice sociale, l’égalité ». Mais, Monsieur le Juge, c’est avec plaisir que nous autres défenseurs des droits de l’homme acceptons ce genre de corruption ! À peine six mois après sa libération, Mahinour fut reconduite en prison où elle y est toujours, pour les faits que j’ai mentionnés il y a un instant.

Mahinour a bénéficié de l’appui de centaines d’avocats à travers le monde. Mais combien d’anonymes, qui ne sont pas avocats, qui ne sont pas épaulés par cette grande corporation, combien sont-ils, qui continuent de croupir dans des prisons égyptiennes pour avoir simplement manifesté ? Pour avoir simplement exprimé leurs idées ? Combien ont été torturés avant d’être sauvagement assassinés par les forces de police égyptiennes ? Eh bien, nous ne les comptons peut-être pas, mais Mahinour, elle, les compte, les accompagne, les défend, crie en leur nom.

Parmi ces anonymes oubliés, Karim Hamdy, avocat lui aussi de vingt-huit ans, militant, est mort au poste de police de Mattareya le 24 février 2015, à peine quarante-huit heures après son arrestation. Il semble avoir été torturé jusqu’à la mort.

Le même jour, Emad el-Attar est mort dans ce même poste de police de Mattareya. Il partageait une cellule surpeuplée et était forcé de dormir dans les toilettes. Les agents lui versaient de l’eau dessus toute la nuit pour l’empêcher de dormir. Dans cette cellule surpeuplée où la fumée de cigarette vous étouffe, Emad a trouvé la mort. Ses codétenus ont bien essayé de prévenir les agents que leur compagnon d’infortune se trouvait mal ; ces derniers leur ont simplement dit de les avertir une fois qu’Emad serait mort ; ils viendraient chercher son corps.

Ezzata Adel Fattah, quarante-six ans, mort à Mattareya en mai 2014. Mostafa al Aswany, vingt-cinq ans, mort à Mattareya en

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avril 2014. Ahmed Ibrahim, mort à Mattareya. Vous l’avez compris : Mattareya n’est pas un poste de police : c’est un lieu où règne la mort en maître. Cette liste funeste est infinie ; je pourrais vous citer les noms de ces malheureux, sans discontinuer pendant de longues minutes. Selon la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, au moins 121 personnes sont décédées en détention en Égypte en 2014.

La police. Toi, police, dont le nom grec signifie pourtant « citoyenneté, administration, cité ». Toi, police, qui, dans ta nature intrinsèque, te dois pourtant de protéger les citoyens. Mais toi, police égyptienne, tu as abandonné ton peuple. Toi, police égyptienne, tu assassines. Tu n’es que la marionnette des dictateurs égyptiens successifs. Quand l’un est chassé, le suivant le remplace, mais toi, police égyptienne, tu restes immuable. Cruelle, implacable, inhumaine.

En 2014 avait pourtant surgi l’Espoir en Égypte. L’espoir d’adopter une constitution respectueuse des droits de l’homme. L’espoir de voir l’Égypte sortir de ce chaos sanguinaire et répressif.

Aux termes de cette Constitution, de nombreux droits étaient garantis. Pour n’en citer que quelques-uns : le droit pour toute personne arrêtée de bénéficier de conditions de détention conformes à la dignité humaine, le contrôle judiciaire des prisons et des lieux de détention, la liberté de pensée et d’opinion, l’interdiction de la censure, la liberté de réunion et d’association, la prohibition de toute forme de tortue ou de traitements inhumains.

Ce texte, bien qu’accepté par la voie d’un référendum populaire où le « oui » l’emportait à 98 %, reste une véritable mascarade. La mascarade, où ce déguisement étrange, cet accoutrement ridicule, travestit l’essence même des droits humains, en leur donnant l’apparence grotesque de seulement exister. Dans cette mascarade, c’est le régime égyptien qui y tient le premier rôle, en s’exprimant soit par la voix d’Hosni Moubarak, de Mohamed Morsi ou d’Abdel Fattah al-Sissi. Le peuple égyptien est seulement spectateur de

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ce désastre qui étouffe leurs vies. Parmi ces spectateurs dévastés, Mahinour occupe le premier rang.

Jacques Prévert disait : « Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie. »1 Mahinour l’a compris, et c’est ainsi qu’elle se bat, en premier lieu pour sa liberté d’expression. Sans ce droit élémentaire, pas de vérité. Sans vérité, pas de liberté.

Enfermée pour avoir dérangé le régime, Mahinour vit entre espoir et désespoir. Elle balance entre vie et survie. Elle survit, elle qui a perdu quinze kilos après avoir entamé une grève de la faim. La seule raison pour laquelle elle a cessé cette grève de la faim était sa peur de voir les autres femmes incarcérées la suivre. Mais Mahinour vit. Et vivra tant que la situation en Égypte perdurera, tant que des milliers d’innocents seront jetés en prison pour avoir simplement manifesté ; elle vivra, tant que les prisons et postes de police d’Égypte resteront de vastes cimetières.

En muselant Mahinour, ce sont des centaines de personnes que l’on réduite au silence. Ce sont toutes les personnes à qui Mahinour ne peut pas venir en aide ; tous ces innocents dont le seul crime est finalement d’avoir exercé une des libertés les plus fondamentales que connaissent nos sociétés : la liberté d’expression. Prenons par exemple le cas d’Hossam Bahgat : pas plus tard qu’hier (le 9 novembre 2015), la police égyptienne a procédé à l’arrestation de ce journaliste indépendant, l’un des plus célèbres d’Égypte. Hossam a été inculpé pour « publication de fausses informations portant atteinte aux intérêts nationaux ». Mais Mahinour est enfermée, et sa voix, malheureusement, ne pourra s’ajouter à celles des avocats d’Hossam.

Un pays qui enferme les avocats est un pays en perdition. Un pays qui ne « joue plus le jeu », un pays qui abandonne les citoyens à leur triste sort.

Toi, Mahinour, avocate combative, acharnée, dont le seul crime

1 Jacques Prévert, « Intermède », Spectacle, Paris, NRF, 1951. (N.d.É.)

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est d’avoir appris à parler au nom des plus faibles. Toi Mahinour, que l’on enferme parce que tu déranges tant tu es percutante.

Toi, Mahinour, dont le prénom évoque la lumière en arabe, toi, dont des milliers de manifestants scandent le nom, en brandissant des portraits de Néfertiti, reine d’Égypte, à ton effigie !

Mahinour, ne perds pas espoir, puisque, tous aussi nombreux que nous sommes ce soir, dans cette salle du Mémorial de Caen, nous partageons ta cellule misérable, sale et minuscule dans laquelle tu es prostrée.

Je vous remercie pour votre attention !

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LA DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME

Des dizaines d’années de prison pour crime de fausse couche : l’inacceptable sort

des femmes au Salvador

Maître Gwendoline TenierBarreau de Rennes - France

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Un matin de novembre 2011, au Salvador, Maria Teresa Rivera, vingt-huit ans, est soudainement prise de douleurs au ventre alors qu’elle se trouve sur son lieu de travail dans une usine de confection.

Quelques heures plus tard, sa belle-mère la découvre par terre, dans les toilettes, baignant dans son sang. Maria Teresa, déjà mère d’un enfant, ignorait qu’elle était enceinte. Le nouveau-né ne survivra pas.

Tout va alors s’enchaîner de la plus injuste et dramatique des manières.

Maria Teresa est transportée d’urgence à l’hôpital. C’est là-bas qu’elle sera dénoncée par un membre du personnel de santé. Les policiers arriveront et elle sera interrogée de longues minutes, seule, démunie, en l’absence même d’un avocat. « Vous êtes en état d’arrestation pour l’assassinat de votre enfant. ». Maria Teresa sera inculpée pour homicide avec circonstances aggravantes et jugée.

En juillet 2012, les preuves avancées pour réclamer la condamnation de Maria Teresa et retenues par le juge seront les suivantes :

Maria Teresa s’était confiée et pensait qu’elle était peut-être enceinte en janvier 2011. Comment pouvait-elle donc ignorer son état de grossesse en novembre 2011 ? Le juge, sans plus d’interrogation, en conclura à l’absence de crédibilité de cette dernière.

Seulement, si la grossesse avait commencé en janvier et s’était terminée en novembre, Maria Teresa aurait été enceinte de onze mois…

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L’autopsie du nouveau-né conclura à un décès par asphyxie périnatale. Le juge y trouvera là la marque d’une mort provoquée par agression.

Alors même que n’apparaîtra aucune donnée scientifique concluante, alors même qu’aucune preuve directe ne sera rapportée, le tribunal la condamnera à la peine de quarante années d’emprisonnement ferme.

Motif retenu par le juge : « Maria Teresa Rivera avait l’obligation de s’occuper de ce petit bébé qu’elle portait dans son ventre et de le protéger, et cependant elle est allée à la fosse septique, dans le but de l’expulser, si violemment qu’il ne pourrait plus respirer à l’intérieur, pour ainsi causer sa mort et pouvoir dire ultérieurement qu’elle avait fait une fausse couche… »

Mais quel est donc cet État qui persécute ces femmes parce qu’elles n’ont pas eu la chance d’avoir une grossesse parfaite ou des bébés parfaits ? Quelles sont donc ces lois qui légalisent la plus atroce des chasses aux sorcières ? Quels sont donc ces médecins qui renient leur serment pour dénoncer des femmes en souffrance ? Quels sont ces juges qui rendent la justice, guidés par des forces conservatrices, patriarcales et d’un autre temps ? Mais surtout qu’elles sont ces femmes à qui l’on a retiré depuis des années toute dignité, la possession et le contrôle de leur propre corps ?

Elles sont depuis l’an 2000 au moins cent vingt-neuf à avoir subi ou à subir encore cette loi en vigueur au Salvador depuis 1998, à endurer les conséquences de ce texte qui dicte l’interdiction totale et sans exception de l’avortement.

Même si leur vie en dépend, même si cette grossesse est la conséquence d’un viol, même si elles ne sont encore que des enfants ; ces femmes ont « le choix » entre le pire et l’innommable, être emprisonnées si elles mettent fin à leur grossesse ou y laisser la vie si elles ne le font pas.

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Elles sont dix-sept à avoir fait une fausse couche, mais à se voir reprocher, sur la base de cette loi antiavortement, un homicide avec circonstances aggravantes pour lien avec la victime.

Trente à cinquante années d’emprisonnement ferme : voilà leur condamnation.

Il s’agit là de l’un des pires exemples de violence institutionnalisée, la matérialisation d’actes de tortures et de mauvais traitements imposés aux femmes, selon le rapporteur des Nations unies.

Au Salvador, il y a un dicton selon lequel « les riches avortent et les pauvres saignent ». Ces sept mots résument à eux seuls le drame qui se joue dans ce pays d’Amérique latine.

Ces femmes dont je parle sont jeunes, pauvres, isolées et n’ont pour la plupart d’entre elles pas accès à la contraception ni même aux soins. Dans cette société, la sexualité est source de gêne et de honte. Les femmes sont entravées par les habitudes sociétales, culturelles et religieuses qui les cantonnent aux rôles d’épouses et de mères.

Quand le malheur s’abat sur elles et qu’elles perdent leur enfant, elles sont l’objet de tous les soupçons, victimes de ce mécanisme stéréotypé et discriminatoire qui consiste à penser qu’une femme doit nécessairement savoir lorsqu’elle est enceinte et doit pouvoir porter un enfant vivant et viable jusqu’à son terme.

Alors qu’une fausse couche est certainement l’une des pires épreuves qu’il soit donné de vivre à une mère, l’on considère au Salvador qu’elles ont transgressé et mis à mal ce que l’on attend d’une femme.

Alors même que la raison, la bienveillance et l’humanité devraient dicter l’envie de les soutenir et de les aider, les médecins eux-mêmes participent à cette horreur par la délation.

Même eux.

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Pourtant en prêtant le serment d’Hippocrate, ils ont promis.

« Quoi que je voie ou entende dans la société pendante, ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. »

On espérerait donc de médecins qu’ils se lèvent contre cette loi liberticide, dangereuse et dramatique pour les femmes. On attendrait de l’engagement, du courage et de la lutte…

On espérerait qu’ils respectent leur serment et qu’ils passent outre le conservatisme, les clichés et la négation de la femme.

Au lieu de ça, dans 57 % des cas, les professionnels de santé sont à l’origine des plaintes pour suspicion d’avortement.

Ils se retrouvent alliés de cette abomination et pris dans une schizophrénie législative.

D’un côté, le Code de la santé public, le Code pénal et le Code de procédure pénale imposent aux professionnels de santé, sous peine de sanction, une obligation de confidentialité à l’égard des patients et les dispensent de dénoncer une infraction s’ils étaient tenus au secret au moment de la commission de cette dernière par le patient.

De l’autre côté, la loi de 1998 fait d’un médecin, d’une infirmière ou d’un aide-soignant un complice d’une femme qui se rendrait coupable d’avortement ou d’homicide sur son enfant.

Sans grande surprise, aucun praticien ne s’est jamais vu poursuivi pour avoir violé son obligation de confidentialité. Par contre, dans ce pays qu’est le Salvador, même les médecins se sentent liés par cette loi antiavortement. Même eux…

Est-il imaginable de ne pas pouvoir se livrer en toute quiétude à celui qui nous prodigue les soins élémentaires ? Est-il pensable d’être dénoncée à peine arrivée dans ce sanctuaire que devrait

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être l’hôpital ? Est-il concevable que celui qu’on penserait notre protecteur, le garant de notre bien-être, autorise la police à des interrogatoires en salle de réveil ?

Parce qu’au Salvador ces femmes ne méritent même pas le respect de leurs droits fondamentaux.

Les droits de la défense y sont piétinés et bafoués. Les femmes sont interrogées sans avocat, ou alors qu’elles se réveillent d’une opération chirurgicale. Elles rencontrent leur conseil le jour de leur procès, sans pouvoir prendre la parole ni même se défendre et sans avoir la possibilité d’exercer un recours contre la sanction prononcée…

Elles n’ont pas le droit à une enquête impartiale et efficace, au procès équitable, ni même à une égale protection de la loi.

Pour l’État salvadorien, elles ne méritent finalement pas ce qui pour la plupart des États démocratiques est devenu une évidence.

En raison de leur situation économique, de leur genre, du climat qui entoure ces questions de société, les femmes sont niées et oubliées et subissent la discrimination de la totalité du système judiciaire.

Pourtant le Salvador s’était engagé.

- 1979 : ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

- 1981 : ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

- 1996 : ratification de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.

Il s’était engagé en multipliant la ratification de traités internationaux à se comporter en État démocratique et respectable. Des promesses, des paroles, des mensonges.

Aujourd’hui la scène internationale se penche enfin sur le cas alarmant du Salvador.

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Cinquante-cinq membres du Congrès américain ont d’ailleurs adressé une lettre à John Kerry,

Secrétaire d’État et responsable des Affaires étrangères, dans laquelle ils dénoncent cette violation manifeste des droits fondamentaux des femmes et encouragent à lutter pour l’abrogation de la loi.

Est-ce la crainte d’être regardé et observé ou est-ce la situation des États voisins qui procèdent à la levée de cette interdiction totale qui a conduit le Salvador à fléchir le 21 janvier 2015 ?

L’Assemblée législative salvadorienne, après de multiples refus, a répondu favorablement à la demande de grâce de Carmen Guadalupe Vasquez Aldana.

Cela faisait sept ans que cette jeune femme était privée de sa liberté. Elle avait fait une fausse couche à l’âge de dix-huit ans après avoir été violée.

Le Salvador, selon la formule consacrée, « la indulta », il l’a pardonnée…

Le Congrès n’a pas reconsidéré cette loi liberticide, il n’a même pas pris la peine de faire une déclaration officielle. Il s’est contenté de pardonner à Guadalupe, tout en laissant courir le bruit qu’aucune autre grâce ne serait accordée…

Seulement elles sont encore seize.

Seize à subir le joug de ce pays rétrograde et liberticide où le pouvoir de l’Église s’exerce aux côtés de lobbies puissants et d’une presse prompte à accuser ces femmes d’être des criminelles.

N’oublions pas ces seize femmes et les autres à venir qui seront emprisonnées faute de n’avoir pu donner la vie.

Aujourd’hui, je suis l’écho des pleurs de celles à qui l’on reproche de ne pas avoir été des femmes dignes de ce nom.

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Je suis l’écho des pleurs de celles qui croupissent dans les prisons salvadoriennes parce que leur seul et unique crime a été de perdre un bébé.

Je suis l’écho des pleurs de Mirian, de Martiza, de Marina, de Salvadora, d’Ena, de Carmen, de Teodora, de Mariana, de Mirna, de Maria, de Cinthia, de Veronica, d’Alba, de Johana, d’Evelyn, et de toi, Maria Teresa, qui a perdu ton enfant, ta dignité et quarante années de ta vie, un matin de novembre 2011, au Salvador.

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© Le Mémorial de Caen - Janvier 2016

Directeur de la publication : Stéphane Grimaldi

Directrice culturelle et éducative : Isabelle BournierOrganisation du concours des lycéens : Nathalie Lemière

Organisation des concours des élèves avocats et avocats : Cécile Brossault

Directeur de la communication : Franck MoulinChargée de communication : Corinne André

Relecture : Judith Lévitan-Dousset

Imprimé en France par Corlet (14)

Photographie page de couverture : François DecaënsDépôt légal : Janvier 2016ISBN : 978-2-84911-214-4

ISSN : 2106-9662

Recueil imprimé le 20 janvier 2016 sous réserve de modifications et/ou d’annulations

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