Beton arme

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Lorsque l’Association des écrivains de Shanghai l’invite en résidence, à l’automne 2011, Philippe Rahmy saisit cette chance, synonyme de péril. Fragilisé par la maladie, il se lance dans l’inconnu. Son corps-à-corps intense avec la mégapole chinoise, « couteau en équilibre sur sa pointe », « ville de folle espérance et d’immense résignation » donne naissance à un texte de rires et de larmes, souvent critique, toujours tendre, mêlant souvenirs d’enfance, rêves et fantasmes à la réalité. Bien plus qu’un récit de voyage, Béton armé est un flot d’images et de pensées que seule l’écriture a le pouvoir de contenir et de restituer.

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BÉTON ARMÉ

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DU MÊME AUTEUR

Mouvement par la fin, Un portrait de la douleur,avec une postface de Jacques Dupin, poésie,coll. « Grands Fonds », Cheyne Éditeur, 2005.Prix des Charmettes - Jean-Jacques Rousseau2006.

Demeure le corps, Chant d’exécration, poésie, coll.« Grands Fonds », Cheyne Éditeur, 2007.

Architecture nuit, texte expérimental, éditionsnumériques publie.net, coll. « Temps Réel »,2008.

SMS de la cloison, poésie, éditions numériquespublie.net, coll. « Temps Réel », 2008.

Cellules souches, poésie, avec des peintures deStéphane Dussel, Mots tessons, 2009.

Corps au miroir, poésie, avec des peintures deSabine Oppliger, Encre et lumière, 2013.

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LA TABLE RONDE26, rue de Condé, Paris 6e

PHILIPPE RAHMY

BÉTON ARMÉ

Préface de Jean-Christophe Rufinde l’Académie française

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© Éditions de La Table Ronde, Paris, 2013.ISBN 978-2-7103-7073-4.

www.editionslatableronde.fr

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à Patricia Johnson

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UNE JOUVENCE DU REGARD

Pour celui qui voyage souvent, il subsiste toujoursune nostalgie : celle de ne pouvoir revivre de nou-veau un premier voyage, de ne plus retrouverl’émerveillement pur de la découverte. Le voyagetue le voyage. Il établit des routines, et, par-delàl’apparent changement des décors, le voyageurblasé finit par ne plus rien voir : ni les autres, nilui-même. J’ai connu, comme beaucoup, cesmoments de permanents déplacements, au coursdesquels toute perception se brouille. Lieux et per-sonnes se confondent, dilués dans une perpétuellenausée.

Philippe Rahmy nous offre un remède radicalcontre cette usure du regard. Il nous donne, dansce texte, la merveilleuse occasion de redécouvrirles émotions pures du premier instant. En le sui-vant à Shanghai, on ne plonge pas dans un

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inconnu apprivoisé par la routine du voyage ; onretrouve au contraire, par l’acuité de son regardet la grâce de son écriture, une fraîcheur dans ladécouverte, une avidité de voir et de sentir quel’on croyait avoir oubliées.

Ce livre est une jouvence du regard. Il restituele monde dans son mystère premier, celui qui abouleversé l’enfant que nous avons été et que letemps a enseveli. Cependant, à la différence duregard désarmé de l’enfant, celui de PhilippeRahmy, pour cette première fois, est le regard d’unhomme adulte, mûri par la réflexion, une grandeculture et la souffrance.

Je ne veux pas m’étendre ici sur les raisons quiont fait que Philippe Rahmy n’a pas pu voyagerjusqu’à présent et pourquoi un tel déplacement luia demandé d’immenses efforts. Je veux seulementsouligner ceci : la longue peine d’enfermementque lui ont infligée les faiblesses constitutionnellesde son corps a extraordinairement développé sacuriosité, sa sensibilité et sa culture. Rien de telque d’être immobile pour réfléchir plus que qui-conque au mouvement, au voyage, à la puissancedu rêve et de l’imaginaire. L’admirable del’affaire est qu’il a transformé cet obstacle enliberté intérieure, cette fragilité physique en force

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morale et qu’avant de voir, il a pris le temps deconstruire un vrai regard.

La vision qu’il nous livre de Shanghai estcelle d’un homme pour qui cette ville représentenon pas un lieu parmi d’autres, mais un nouveaumonde. C’est qu’il lui en a coûté pour l’atteindre !En notre siècle de vitesse et de facilité, Rahmynous restitue un attribut qui fut longtemps propreau voyage : la difficulté. Il est plus près, à samanière contemporaine, d’un Marco Polo que denous. Les dangers que Rahmy a dû affronter nesont pas les mêmes, mais ils sont aussi nombreux.Il en résulte un appétit de voir multiplié par lelong jeûne de l’immobilité. Il observe tout, lemoindre détail lui parle, ce qui serait insignifiantpour un autre déclenche en lui émotions etréflexions. Le livre que l’on va découvrir est unprécieux mélange de choses vues et de méditationsprofondes sur le temps présent, les cultures, lesliens qui enferment le monde en lui-même et nousle rendent étranger, sur la puissance de l’écritureet sur ses limites.

C’est aussi un bel hommage à cette Chinevibrante d’énergie qui s’est enfin éveillée et quifascine l’écrivain par son dynamisme. En mêmetemps, ce qu’il voit, il en a conscience, n’estqu’une fenêtre étroite sur la réalité. Le voyage est

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pour lui la découverte d’un mystère. Le pays qu’ilvisite se livre et se dérobe.

Écrire, pour Philippe Rahmy, est à la fois unhorizon de liberté, un bien irremplaçable et enmême temps un pauvre moyen sans soliditéquand il se cogne à la dureté du monde. « Voyagerà travers le langage comme à travers le paysage »,dit-il. Et, tout en mesurant ce qu’il ne peutatteindre, il trouve, dans cette expérience chi-noise, la justification de son combat : « Ce qu’onécrit dépasse ce qu’on est. » C’est cette espérancequi le porte pendant tout ce voyage et, je le crois,pendant toute sa vie. Le grand bonheur est qu’ilait réussi à en faire la preuve. C’est une réussiteet, pour lui, une victoire.

Peu de textes, en nous transportant aussi loin,nous ramènent aussi profondément en nous-mêmes.

jean-christophe rufin,de l’Académie française.

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« Il me plaît, quant à moi, depenser que, quoi qu’il arrive, et quoiqu’elle tende à être, la Chine seratoujours différente. »

henri michaux,Un barbare en Asie.

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I

Shanghai n’est pas une ville. Ce n’est pas cemot qui vient à l’esprit. Rien ne vient. Puisune stupeur face au bruit. Un bruit d’océanou de machine de guerre. Un tumulte, uninfini de perspectives, d’angles et de surfacesamplifiant le vacarme. Toutes les foulesd’Elias Canetti se coupent ici, se heurtent etse multiplient, fuient à l’horizon ou s’enrou-lent autour des points fixes (kiosques, bou-ches de métro, abris de bus, passages pié-tons). Des foules en procession et des foulesfermées se pressent dans les parcs. Des foulessemi-ouvertes, radiocentriques, chatoyantes,s’écoulent de la rue vers l’intérieur des hyper-marchés, flux de chairs et de choses, fluxd’essence giclant de vitrine en vitrine, grassespattes, filoches de doigts, odeurs. L’espace

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grandit encore. Des foules béantes s’étirent àperte de vue, disséminées le long des voies dechemin de fer ou étirées par les câbles de mil-liers de grues. Des foules-miroir, enfin, sefont face sur les boulevards, étrangement sta-tiques, mastiquées, balançant leurs yeux etleurs cheveux noirs, chacune hypnotisant samoitié complémentaire. Shanghai est à la foismangouste et cobra.

La stupeur se dissipe. La ville se dresse.Paysage vertical d’éléments inertes, signesde pouvoir. Paysage horizontal de matièresvivantes, expression d’un désir. Mises côte àcôte, les parties de cet ensemble forment undécor. Il n’a aucun sens. Je suis abruti par ledécalage horaire. Comme la vache qui regardepasser les trains, je ne comprends pas ce queje vois. Je suis fasciné par le mouvement. Aupremier plan, des gens se massent sous lesarbres. Râblés, ils portent des voiles transpa-rents. Ils vendent des os alignés sur une nattedans la forme approximative d’un squelette.Derrière eux, l’avenue bourdonne. Je lesregarde comme Christophe Colomb décou-vrant des ossements humains sur les plagesde Guadeloupe, sans en déduire que les Chi-nois sont cannibales.

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Ces commerçants sont des Achang, unpeuple de chasseurs nus du nord-ouest duYunnan. Aujourd’hui sédentarisés, ils avaientla réputation de garder leurs prisonniers envie durant plusieurs années avant de les man-ger. Ils peignaient ensuite leurs os de différen-tes couleurs et se les échangeaient au cours degrandes fêtes. Désormais, les Achang vivent àproximité des abattoirs des villes. Ils s’y four-nissent en ingrédients qui entrent dans lacomposition des soupes médicinales.

Shanghai. Ce nom explose sous sa masse.Dans aucun pays, sous aucun régime, l’hommen’a produit un tel dieu. Il tranche l’espace, ilprolifère. Irrésistiblement, le petit jeu des ana-logies se met en place. À quoi ressemble cequ’on n’a jamais vu ? Des images folles sebousculent. Le réel est une machine à rêver.Le nom des rues, les affiches, les manchettes,les voix, la foule, tout cela se combine aux visa-ges, identiques au premier regard. Le peuple,le voici. Le peuple chinois. Taureau. Dragon.Le peuple du labour et de la révolution. Sou-dain, une femme enceinte se retourne. Elles’arrête dans un grondement de poubelles. Legyrophare d’un camion-benne passe sur elle.Elle clignote comme un hologramme. Elle est

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grande. Sauf son ventre qu’elle soutient àdeux mains, son corps est décharné. Le flashla balaie, puis la poussière et le martèlementde l’avenue, puis la puanteur de la benne,puis toute la ville jaillissant de la plus loin-taine épaisseur de la terre. Shanghai défilesous le masque anonyme de la foule. La foulen’existe plus. Les masques tombent. C’estmaintenant la vie incarnée, à cet instant et ence lieu précis, qui explose devant moi, pourmoi, et qui m’éveille, et qui m’enfonce la têteentre les cuisses de cette femme, à l’intérieurde son ventre où se concentre toute la chaleurde son corps, et qui me fait naître à six heuresdu soir, là, dans cette rue, dans la peau detous les individus seuls au monde, de tous cespauvres types, de toutes ces pauvres filles cre-vant de faim et de désir.

Gens ordinaires déformés par le gigan-tisme des lieux. Ils téléphonent. Ils écoutentde la musique. Leurs traits sont tirés. Leursvêtements élégants sont pâles comme le béton.Shanghai les domine. Shanghai les veut auseul service de sa puissance. Ils se taisent. Ilsse balancent d’un pied sur l’autre. L’instantd’après, ils se jettent sur l’avenue. Ils se frô-lent sans se toucher, ils se percutent ici ou là

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avec la précision de deux aimants, ils pour-suivent leur course entre les buildings plantésdans le ciel gris-noir.

Les immeubles dépassent l’imaginationqui reste attachée à la terre. On entend dessirènes et des coups, comme un grognementportuaire. Une lumière musclée brasse la pol-lution. Des nuages se forment entre les tours,pliés et repliés par les rafales de vent. Ondirait des éléphants se roulant dans la pous-sière. Une femme portant un plat de poissonstraverse le boulevard. Elle danse avec les voi-tures. Sa voix éraillée répond aux klaxons.Elle atteint le trottoir opposé. La circulationdéferle. Quelques jours plus tard, cette mêmefemme traversera un autre boulevard. Elletiendra un enfant par la main, ou un vieillard,quelque chose de vivant et de fragile qu’ellecaressera d’un geste machinal avant d’êtreheurtée par un van. Elle mourra ou ce seral’enfant, ou le vieux qu’on roulera sur le côté.Un drap sera posé sur sa figure. Une mêmeconcierge traînera son balai de sa cour à larue, elle s’arrêtera à quelques mètres de laforme allongée, elle gueulera quelque choseavant de retourner nourrir ses oiseaux. Depart et d’autre, il y aura les mêmes trottoirs à

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palissades, la même multitude affairée et non-chalante. Il y aura des bras et des jambes, dessilhouettes portant des échelles, des gaules,des perches d’oiseleur, des antennes parabo-liques, des machettes, des ombrelles. Des mil-lions de visages continueront à défiler dansles phares des voitures. Des pas rapides sur letrottoir, étouffés, comme le murmure d’unpeuple marchant sur la pointe des pieds. Etdes yeux noirs, perdus, derrière lesquels onverra briller la force de chaque jour.

Ce n’est pas une ville que voit celui quidébarque à Shanghai, mais un symbole incan-descent d’humanité.

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements les plusvifs à Pro Helvetia.

Ma reconnaissance à l’Association des écri-vains de Shanghai, qui m’a accueilli en septem-bre et octobre 2011, ainsi qu’au Consulat suissede Shanghai.

Un salut fraternel aux écrivains en résidence,Alma Brami, Colm et Mary Breathnach, AmalChatterjee, Linda Neil, Cristina Rascon et SudeepSen, ainsi qu’à Thomas Schneider, Li Song,Marie-Françoise Bonicel, Bobi+Bobi, Julie-AnneMoutango-Black, Luan Guan Fu, Quan ShunFang . Enfin, et surtout, à Constance Sarper deGorski.

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Béton armé Philippe Rahmy

Cette édition électronique du livre Béton armé de Philippe Rahmy a été réalisée le 11 juillet 2013

par les Éditions de La Table Ronde. Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage

(ISBN : 9782710370734 - Numéro d’édition : 253087). Code Sodis : N557654 - ISBN : 9782710370758

Numéro d’édition : 253089.

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