BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin...

8
THEATRE MUNICIPAL POPULAIRE PARIS DIRECTION GERARD VIOLETTE BUNRAKU THEATRE DE MARIONNETTES JAPON dans le cadre de l'Année du Japon en France Théâtre de la Ville / Festival d'Automne à Paris avec le soutien du Comité pour l'organisation de l'Année du Japon en France - de l'Ambassade du Japon - de la Fondation du Japon - de la Maison de la culture du Japon à Paris - d'ANA / Ail Nippon Airways - du ministère de la Culture, département des Affaires interna- tionales - de l'Association Paris-Tokyo, Ville de Paris MAIRIE DE PARIS Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Transcript of BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin...

Page 1: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

THEATREMUNICIPALPOPULAIREPARISDIRECTIONGERARDVIOLETTE

BUNRAKUTHEATRE DE MARIONNETTES JAPON

dans le cadre de l'Année du Japon en FranceThéâtre de la Ville / Festival d'Automne à Parisavec le soutien du Comité pour l'organisationde l'Année du Japon en France - del'Ambassade du Japon - de la Fondation duJapon - de la Maison de la culture du Japon àParis - d'ANA / Ail Nippon Airways - du ministèrede la Culture, département des Affaires interna-tionales - de l'Association Paris-Tokyo, Ville de Paris

MAIRIE DE PARIS

Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Page 2: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

DU 13 AU 23 OCTOBRE 20H30

BUNRATHEATRE DE MARIONNETTES JAPON

L'Errance de Yositune -mille cerisiers en fleurs (25 mn)

RÉCITANTS Sizuka-Gozen Tokutayu ToyotakeTadanobu/Genkurô, renardChitosedayu TakemotoMojihisadayu TakemotoShintayu Toyotake

SHAMISEN Seiji TsurusawaEnjiro TsuruzawaSeitaro TsurusawaSeishiro TsurusawaHachisuke Tsurusawa

MANIPULATEURS DE MARIONNETTES

Sizuka-Gozen Itcho KiritakeTadanobu/Genkurô, renardMinotaro Yoshicla ou Tamame Yoshida

ENTRACTE (20 mn)

Double suicide à Sonezaki (1h30)

d'après Monzaemon Chikamatuadaptation et musique Matunosuke Nozawa

ACTE I: DEVANT LE SANCTUAIRE SHINTO D'IKUDAMA

RÉCITANT Tsukomadayu TakemotoSHAMISEN Hachisuke Tsurusawa

ACTE II: LA MAISON CLOSE TEN MAYA

RÉCITANT Sumitayu Takemoto (Trésor national vivant)SHAMISEN Kinya NOZCIWCI

ACTE III : AU BOIS DU SANCTUAIRE SHINTO DE TENZIN

RÉCITANTS Hatu Tsukomadayu TakemotoTokubê Chitosedayu TakemotoMojihisadayu Takemoto

SHAMISEN Enjiro TsuruzawaSeitaro TsurusawaSeishiro Tsurusawa

MANIPULATEURS DE MARIONNETTES

Tokubê TaITICIO Yoshida (Trésor national vivant)Tyôzô (apprenti) Seigoro YoshidaHatu Minosuke Yoshida (Trésor national vivant)KuhêziTamame Yoshida ou Minotaro Yoshidacampagnard Kanichi Yoshidacourtisane Tamae Yoshidacourtisane Minojiro Yoshidapatron de Tenmaya Tamaya YoshidaTama Seinosuke Yoshidacitoyens et spectateursTamaki Yoshida, Minoichiro Yoshida,Tamaka Yoshida, Ichisuke Kiritake,Tamase Yoshida, Minoshiro Yoshida,Tamasho Yoshida

INSTRUMENTISTES

Ensemble Tamezo Mochizuki(Tamekichi Mochizuki et Syusaku Tosha)

directeur technique Kazuo Sugimototêtes et perruques Tanoshi Muraoaccessoires Keiichiro Kugatechniciens Toshihiko Haneda, Akihiro Nishiguchi,Toshito Yamazoe, Taizo Hiroselumières Osamu Ayai

FONDATION DU BUNRAKU

administrateur général Nagashi Yoshikawaproduction et coordination Keiko Kobayakawaprésident d'honneur Yoshinori Ueyama

production exécutive FDAAC Trans-Lucido/Ayako Miyamoto,Euro Cap/Kenji Nishiyamaconseillère technique Mariko Aoyamaconseillers Soudabeh Kia, Thomas Erdosconseillère artistique Miyuki Tahara

remerciementsFrance Dhorme - Hitoshi Hamaya, Théâtre national -Valérie Terranova, Année de la France au Japon

le secret du partage dans le théâtre Bunraku

la marionnette de Bunrakudoit avant tout être animéed'une vie intérieureLa marionnette de Bunraku n'est que têteet membres. Car, sous le kimono, le torsen'est en fait qu'une armature. À la placedu coeur est un vide, que vient comblerla main gauche du marionnettiste princi-pal. C'est elle qui tient la tête et contrôleles yeux, les sourcils et la bouche. Grâceà ce vide, le jeu de la marionnette s'exé-cute de l'intérieur.C'est qu'elle ne joue pas simplement sonrôle en empruntant des gestes mimé-tiques mais elle doit avant tout être ani-mée d'une propre vie intérieure. À la dif-férence de toutes les autres formes dethéâtre, il s'agit moins d'exprimer la vieque de la capter, de l'incarner ou de lafaire incarner aux marionnettes. En effet,le tayû (récitant) ne récite pas à la placede la marionnette muette ; pas plus quele shamisen (instrument à trois cordes)n'accompagne simplement le chant et lanarration.

tout commenceavec le shamisenAu contraire, tout commence avec leshamisen qui ouvre, sous les coups duplectre, tout un espace événementiel.Parfois mélodieuse et chantante, parfoisrythmique et insolite, la musique du sha-misen provoque déjà tous les mouve-ments, tous les motifs de l'espace dra-matique. Le Bunraku est par essence unthéâtre à écouter plutôt qu'à voir. Et c'estd'abord les sons touchants du shamisenqui nous apprennent à tendre l'oreille auxévénements. À l'écoute de cet instru-ment à trois cordes, le plus lourd dugenre, notre âme se met à vibrer déjà duplus profond de nous-même, dans l'at-tente de l'événement à venir. L'importantest donc de vous pénétrer pleinement de

la musique du shamisen et de vous lais-ser emporter par cette étrange force quidicte le drame du destin en en convo-quant tous les éléments.

le tayû, à la fois chanteuret récitantPourtant, si le mouvement dramatiqueest déjà évoqué dans le détail par le sha-misen, la musique seule ne suffit pas àhumaniser le drame. Pour qu'éclose lethéâtre proprement dit, encore faut-ilque, de la musique évocatrice du shami-sen, s'élèvent, se distinguent des voixhumaines, traduisant et assimilant le

drame qui se prépare. C'est le tayû, à lafois chanteur et récitant, qui, tel unprisme, donne au flux dramatique dessi-né par la musique toute une gamme devoix, d'émotions et de caractères. Dansle travail du tayû, il y a déjà toute uneanalyse, toute une interprétation dudrame. À écouter son récit, nous sen-tons déjà ce qu'est chaque personnage,ce qu'il éprouve, ce qu'il désire, ce quil'attend, au-delà même de ce qu'il sait delui. Le tayû, par sa seule voix, lui rend enquelque sorte son "être". Pour le tayû, leproblème n'est pas tant de savoir jouerde différentes voix que de descendrechercher au plus profond une véritablesource d'où émerge chaque "être" avecsa personnalité et son propre destin. Cen'est donc pas simplement une bellevoix, mais une voix profonde et obscure,chargée de multiples fréquences hétéro-gènes qu'il faut acquérir - parfois mêmeen "oubliant" sa propre voix-au cours dedizaines d'années d'entraînement. Lavoix du tayû doit absolument sortir duventre, des entrailles. À travers elle,chaque vie, chaque âme commence àporter sa propre couleur ; et c'est cettefloraison d'un destin singulier que nosoreilles doivent suivre.C'est alors seulement qu'interviennent

les marionnettes. Elles apportent uneultime précision visuelle au moindremouvement d'action et d'émotion. Grâceaux marionnettistes qui, jouant presqueeux-mêmes, captent le flux de vie déve-loppé par l'extraordinaire voix du tayû,elles s'animent de l'intérieur pour vivre lemoment le plus fort de leur destin. Si laprésence des marionnettistes, voilés ounon, sur la scène, ne gêne aucunementl'imagination des spectateurs, c'estparce qu'il ne s'agit pas, comme dans lethéâtre ordinaire, de voir des person-nages jouer, mais de voir des marion-nettes inertes incarner tout d'un coupune vie, une passion, un destin. Lesmarionnettes ne sont pas le point dedépart mais l'aboutissement du flux dra-matique de la vie. L'expression du drames'achève dans la précision de l'interpré-tation qui dépasse toute faculté de jeuhumain. Jusqu'au bout des doigts oudans le battement des paupières et dessourcils des marionnettes, nous voyonspalpiter et affleurer l'authenticité d'unevie. Miracle du Bunraku, en effet, il arrivede voir le sang monter aux joues de lamarionnette au moment où elle vit uneforte émotion !

un immense flux d'émotiondramatique remplit l'espacethéâtral tout entierAinsi le secret du théâtre de Bunrakuconsiste en ceci que, déclenché par leshamisen, emporté par la voix du tayû,un immense flux d'émotion dramatiqueremplit l'espace théâtral tout entier pourse cristalliser dans la précision ultra-raffi-née du jeu des marionnettes. Par le biaisde la ressemblance de la marionnetteavec l'être humain, la vie parfois tragiquede l'homme trouve une forme ultime. Lasouffrance, comme la joie, parvient ainsià son achèvement formel et esthétique,offrant aux spectateurs une forte cathar-

Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Page 3: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

sis, et même, pourquoi pas, une sorte desalut aux âmes en peine invoquées surscène. Nous, spectateurs, partageonsen effet cette vie, ce destin qui est en jeu,imprégnés que nous sommes de lamusique du shamisen et de la voix mys-térieuse du tayû, tout comme les marion-nettes. Ce n'est vraiment pas par hasardque le shamisen et le tayû se placent nonpas à l'intérieur de la scène mais devantelle*, en saillie vers la salle, tournés d'uncôté vers les marionnettes et de l'autrevers les spectateurs. Nous nous retrou-vons, comme les marionnettes, "réci-pients" de la vie, de la passion et de lafatalité. C'est là que se situe le partagedu destin originel de l'être humain, ce quiest, indéniablement, la vocation mêmedu théâtre.La destinée dramatique de l'être humaincoule en un flux partagé par maintes per-sonnes. La vie humaine est comme unvoyage où se tissent amours humaines etnécessités cruelles de la destinée. Telleest la philosophie qui sous-tend toute ladramaturgie du Bunraku.

le programmeAfin d'inviter d'emblée les spectateursfrançais jusqu'au noyau de ce mystère,le programme de cette représentationparisienne s'ouvre, exceptionnellement,sur une splendide scène de voyagepleine de gaieté et se clôt, par contraste,sur une scène triste et funeste.

l'Errance de YosituneDans l'Errance de Yositune, il faut appré-cier et même respirer l'atmosphère debonheur et de gaieté suggérée déjà pardes milliers de cerisiers en fleurs. Levoyage est ici un acheminement (michi-yukt) vers l'amour, plus exactement versun objet d'amour. En fait, deux amours secroisent : l'amour de Sizuka Gozenenvers son mari, Yositune ; et l'amour durenard Genkurô (Tadanobu) envers sesparents. Nous devons percer, à traversune joyeuse scène presque dansante,les motifs de ces amours qui ne vont pasforcément sans chagrins.

Double Suicide à SonezakiDans Double Suicide à Sonezaki, levoyage aboutit droit à une mort tragique.Du sanctuaire shinto d'Ikudama (acte I)au sanctuaire de Tenzin (acte III) noussuivons l'emprise cruelle du destin quicontraint les deux amants à décider de lafin tragique de leur amour dans undouble suicide. D'une part, le torrent irré-sistible de la destinée d'autre part,scène cruciale, une communicationd'amour précise et raffinée qui consent àpartager l'épreuve de la mort. Muette,reposant sur un geste délicat (Tokubêposant le pied de Hatu sur sa gorge),cette décision du partage de la mortentre Hatu et Tokubê chez Tenmayamarque l'un des sommets de noblesse etde dignité que l'amour humain puisseatteindre face au destin.""

Yasuo Kobayashiprofesseur à l'université de Tokyo

" La structure de la scène du Théâtre de laVille ne permet pas de placer ce dispositif tra-ditionnel (yuka) du couple tayû-shamisen dela même manière que dans le théâtre spécia-lisé du Bunraku. Au lieu de se situer sur lecôté en saillie vers les spectateurs, il est icisur le côté, mais au même niveau que lascène.

** Il faut signaler que dans cet acte deTenmaya (apogée de la pièce), sont réunis lesmeilleurs artistes du Bunraku d'aujourd'huitayû : Sumitayû Takemoto - shamisen : SeijiTsurusawa - Tokubê : Tamao Yoshida - HatuMinosuke Yoshida.

(The Japan Foundation

ANAirAu NivaanArways

COMITÉ POUR L'ORGANISATIONDE L'ANNÉE DU JAPON ENFRANCE 1997

Président : Yoshiharu Fukuhara.Shiseido Co. Ltd. - Ail NipponAirways Co. Ltd. - Asahi BreweriesLtd. - Asahi National BroadcastingCo, Ltd. - Asahi Shinbun PublishingCo. - Daiwa Securities Co. Ltd. -Fuji Television Network Inc. - FujiZerox Co. Ltd. - Fujitsu Ltd. - HattoriSeiko Co. Ltd. - Hitachi Ltd. - Institutfranco-japonais - ltochu Co. Ltd. -Japon Airlines Co. Ltd. - JaponBroadcasting Corp. - Japon Fede-ration for Economic Organizations- Japan Federation of Employer'sAssociation - Kansai EconomicFederation - Keizai Doyu Kai -

Kyosera Corp. - Mainichi News-paper Co. Ltd. - Matsushita Elec-tric Industrial Co. Ltd. - MitsubishiCorp. - Mitsubishi Electric Corp. -Mitsui & Co. Ltd. - Mitsukoshi Ltd. -Moriyuki Motono et YoshihiroNakayama (anciens ambassa-deurs du Japon en France) - NECCorp. - Nihon Keizai Shinbun Co.Ltd. - Nippon Denso Co. Ltd, -Nippon Life Insurance Company -Nippon Television Network Corp. -Nissho lwai Corp. - OnwardKashiyama Co. Ltd. - Orix Corp. -Saison Corporation - SankeiShinbun Co. Ltd. - Shin-NipponSteel Corp. - Shochiku Coatd. -Showa Denko K.K. - Sony Corp. -Suntory Ltd. - Television TokyoChannel 12 Co. Ltd. - The JaponChamber of Commerce andIndustry - Tokyo BroadcastingSystem Inc. - Tokyo Electric PowerCa - Tokyo Mlatiti Ba-k Lia - TokyoStock Exchange - Toray IndustriesInc. - Toshiba Corp. - Toyota MotorCorp. - Ushio Inc. - Wacoal Co.Ltd.- Yasuda Fire and Marinelnsurance Co. Ltd,- YomiuriShinbun Co. Ltd.

Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Page 4: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

l'Errance de Yositune -mille cerisiers en fleurs

La pièce Yositune Senbon zakura(Yositune, mille cerisiers en fleurs) estavec Sugawaradenju tenarai Kagami(le Secret de la calligraphie deSugawara) et Kanadehon Chûsingura(les 47 Rônins), l'un des trois chefs-d'oeuvre de l'âge d'or du ningyô-jôruri(art du théâtre de marionnettes et de larécitation). Cette pièce a été écrite partrois célèbres auteurs Takeda lzumo,Miyoshi Shôraku et Namiki Senryû, etcréée en 1747 au théâtre Takemotozad'Osaka.

Yositune était un chef militaire de ladeuxième moitié du xiie siècle, qui alutté victorieusement contre le clanTaira (Hêke). Son exil de Kyoto, la capi-tale, par le Shôgun Minamoto noYoritomo, a marqué le début de salongue errance. Son sort tragique a étésource d'inspiration d'un grand nombred'ceuvres littéraires et théâtrales. Lapièce du nungyô-jôruri traite de l'er-rance de Yositune, partant de Kyôtojusqu'à sa retraite dans les montagnes

de Yosino, célèbres pour leurs cerisiers.Senbon zakura signifie littéralement"mille cerisiers", mille symbolisant lamultitude.

Malgré le titre de la pièce, Yositune lui-même n'occupe qu'un rôle secondaire.Les personnages principaux sont plutôtTaira no Tomomori, Igami no Conta etSatô Tadanobu, l'un des fidèles guer-riers de Yositune. Mais Tadanobu n'esten réalité que le renard Genkurô, qui apris la forme d'un guerrier.

La pièce s'inspire d'une légende selonlaquelle, après la défaite du clan Taira,les têtes de Tomomori, Koremori etNoritune, coupées et exposées,n'étaient en réalité pas celles des troischefs militaires du clan Taira.

Michiyuki Hatune no tabi (Voyage avecle tambour appelé Hatune) est la pre-mière scène du quatrième acte. Elleretrace le voyage de Sizuka-Gozen,bien-aimée de Yositune, accompagnéepar Tadanobu, qui n'est en fait que lerenard Genkurô. C'est une des meil-leures scènes de voyage, michiyuki, detout le répertoire.

Tadanobu (Genkurô)

1

Sizuka-Gozen

l'Errance de YosituneScène de voyage avec le tambourappelé Hatune

De l'amour ou la fidélité, lequel pèse leplus ? L'amour ne peut pas se mesurersur une balance.Sizuka-Gozen, confiée à Tadanobu, unSamouraï fidèle et sincère, a quitté lacapitale où elle menait une vie discrète.Belle malgré ses vêtements simples,Sizuka-Gozen suivait la route de l'exilprise par son mari Yositune. Embarquéeà Nanihadu, elle a été à la merci de lamerMaintenant, sans autre bagage quel'amour pour son mari, elle prend la routede Yamato pour Yosino, où l'on dit qu'ils'est réfugié.Les rossignols des vallées modulentleurs premiers chants du printemps, le -

tambour Hatune, le Premier Son, lesaccompagne.Attiré par le rythme mais aussi par labonne volonté de Sizuka-Gozen,Tadanobu apparaît dans ses habits devoyage. Il porte sur son dos un précieuxbagage enveloppé de tissu. Il arrive parun sentier de campagne, à pas lentspour que sa patronne remarque pour-quoi il tarde à venir.Mais il ne peut plus résister il arrive d'unpas léger, plein de joie.Discret, il reste de l'autre côté de la routepour s'excuser :

Je n'ai pas imaginé un pas rapide de lapart d'une femme. Je vois que vous m'at-tendez depuis longtemps, Ici nous avonsla chance que personne ne passe.»Il sort l'armure que Yositune lui a donnéeen trophée quand il lui a donné le nomde Satô-Tadanobu et la lève au-dessusde sa tête avec respect.Sizuka-Gozen la prend comme l'effigiede son mari et la pose sur un rochercomme ceux que l'on trouve dans la merElle lui parle :« Vous êtes parti au pays de l'ouest quevous ne connaissiez pas. Vous avez ren-contré une tempête sur la mer et êtesparvenu à la plage de Sumiyosi. J'aientendu dire que vous êtiez à Yosino. Je

Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Page 5: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

viendrai bientôt vous rejoindre.»Ensemble ils rangent l'armure.De l'oie ou de l'hirondelle, laquelle est laplus jolie ? La plus jolie, c'est l'hirondellequi nourrit ses petits. Il y a des oies quiémigrent, abandonnant la saison desfleurs. En rentrant chez elles, ellesapporteront de nos nouvelles. Ainsi soit-il, ainsi soit-il. On s'amuse à chanterTadanobu : « J'ai reçu cette armure entrophée pour l'exploit de mon frère aînéTugunobu. Je sais bien ce qu'il a fait.Dans la bataille de Dannoura, les soldatsdes Hêke étaient sur leurs bateaux avecleurs drapeaux rouges, et les soldats desGenzi, eux étaient sur la terre avec leursdrapeaux blancs.«On voyait un Samouraï des Hêke qui adéclaré avec dignité, son grand sabrelevé dans le soleil couchant, qu'il étaitVVaru-no Sitibê Kagekiyo. Il répétait sonnom, il agitait son sabre, l'agitait et l'agi-tait, à droite et à gauche.« Comme une tempête qui arrachetoutes les fleurs de cerisiers, un hommearrive : "Vous, le faible, vous ne méritezpas votre nom. Voici Mionoya-no Sirô ! Je

l'Errance de Yositune

suis là pour vous battre ! "II l'a attaquésur la plage.« Les deux sont forts, les deux sabres secroisent mais la lutte ne s'achève pas,les deux sabres se cassent à la garde.Sous leurs pieds, les vagues arrivent, seretirent. "La victoire ne doit pas m'aban-donner." L'un saisit la jugulaire de l'autre.« L'un avance, l'autre se retire, ils ti-tubent, chancèlent. La jugulaire serompt et les deux tombent à terre.« L'un dit qu'il est fort des bras, l'autre ditqu'il est fort du cou... »Tadanobu rit : « Ha, ha, ha, ha, ha... »Sizuka-Gozen rit : Ho, ho, ho, ho... »L'homme et la femme vont et viennent enriant.Tadanobu « Mon frère aîné Tugunobu,lui, il combattait sans relâche. Il monta àcheval devant le Grand Général Yositunepour le protéger.«À peine le Grand Général a-t-il com-mencé à lui parler que le fameux arbalé-trier des Hêke, Noto-no Kami Noritune,se présente et tire.« La flèche, hélas, frappe droit dans lecoeur de mon frère aîné Nobutugu. »Cette mort inespérée laisse de lui le sou-venir d'un Samouraï brave et fidèle. Sonsouvenir fait jaillir des larmes qui ne ta-rissent jamais.Sizuka-Gozen : « Mon mari Yositunevivra un jour dans une paix sans fincomme les branches fines et longues dusaule au printemps. Ses liens fraternelsavec son frère aîné Minamoto-noYoritomo ne seront plus rompus. »

Les deux voyageurs s'encouragent, ilsse pressent mais le chemin est long. Ilspassent par le hameau du col de Asiharaet par le champ non loin des villages deTutida et Mutuda. Ils arrivent à unhameau au pied du mont Yosino remplide fleurs de cerisiers qui ressemblentplutôt à des nuages de fleurs dans levent du printemps.

Double Suicideà Sonezakide Monzaemon Chikamatumusique Matunosuke NozawaLa pièce s'inspire d'un fait divers.Tokubê, commis dans la maison decommerce de shôyu (sauce de soja)Hiranoya du quartier de Utihonmachid'Osaka, est amoureux de Hatu, cour-tisane de la maison de thé Tenmaya duquartier Kita no sinchi. Malheureu-sement, on veut le forcer à épouser lanièce de son patron pour élever sonstatut. On oblige par ailleurs Hatu àaccepter de devenir la maîtresse d'unriche commerçant. C'est ainsi que,dans la nuit du 7 avril 1703, les deuxamants se suicident ensemble, dans lebois du sanctuaire shinto de Tenzin.

À partir de ce fait divers; MonzaemonChikamatu, alors âgé de 51 ans et enpleine maturité de son art, écrit cettepièce un mois après le drame.Présentée au théâtre Takemotoza elleremporte immédiatement un vif suc-cès. Elle marque le début d'un nou-veau genre dramatique basé sur laréalité sociale, le sewanono.Jusqu'alors, les pièces de récitationthéâtrale (jôrun) étaient basées surdes thèmes historiques (jidaimono).

Elle n'a plus été présentée jusqu'enjanvier 1955, date à laquelle l'adapta-tion de Matunosuke Nozawa, présen-tée au théâtre Bunraku-za du quartierde Yotsubasi d'Osaka, lui a donné unnouvel élan.

Double Suicideà SonezakiActe I. Devant le sanctuaire shintod'Ikudama

Égaré mais déterminé à ne pas ajouteraux rumeurs galantes, dans le quartierUti-Honmati, un beau jeune homme, foud'amour, travaille à Hiranoya depuis déjàd'innombrables printemps.

Tokubê

Il ne buvait qu'un petit verre de saké,mais maintenant il en boit même unecentaine et sa joie s'exprime dans lesfleurs de prunier; on appelle cet hommeélégant Toku d'après son nom Tokubê.Bien qu'il ne soit qu'un simple employé,il est élégant avec ses cheveux fins quirappellent les branches d'un saule. Lacouleur de ses manches de kimonoévoque celle des troncs d'arbres au bordde la rivière Natori.Suivi par un serviteur aux manchesdégoulinantes de sauce de soja frais, quitransporte des marchandises dans lesmêmes tons, lui, n'étant encore qu'unsimple employé, fait le tour de la clien-tèle, d'une maison à l'autre; le voilà quiarrive au sanctuaire shinto d'Ikudama,dont le nom évoque ses déplacements.Voyant une femme assise sur le bancd'une maison de thé, il remarque tout desuite que c'est Hatu et s'arrête.« Ah ! oui. J'ai oublié une chose trèsimportante. Écoute, Tyôzô. Je rentreraiplus tard. Va tout seul chez les clientsdes temples bouddhistes de Kuhonzi etde Tyôkyûzi, et ensuite va chez lesSamouraï par le quartier Uemati avant derentrer au magasin.<Dis aux gens de chez nous que Tokubê

Hotu

rentrera bientôt. Mais attention ! Nepasse pas par le quartier chaud deDôtombori. »S'il ne semble oublier aucune instruction,c'est parce qu'il a rencontré la femme deson coeur

Oui, oui. D'accord. »Tyôzô s'en va. Le voyant s'éloigner, ilappelle :« Hatu ! C'est toi, n'est-ce pas ? Hatu ! »

Hatu vient en courant :Mais c'est Tokubê. Ciel ! Mais... pour-

quoi ? »Le voyant, elle ne peut exprimer sapeine, mais ses yeux parlent d'eux-mêmes.Tokubê, enlevant son chapeau :

Oh non, ne pleure pas. Ne dis pas tapeine. Je ne voulais rien te cacher, maisça ne servait à rien de t'expliquer.

Mais maintenant je t'explique. C'estcomme ça. Écoute-moi. Mon patron estcertes mon véritable oncle. Je ne suisdonc pas comme les autres employés.On s'occupe bien de moi.« Et moi aussi, je travaille bien et je suisloyal. Et alors, parce qu'on appréciaitmon honnêteté, on a voulu arranger monmariage avec une nièce de la femme dupatron, qui ne me rapporterait pas moins

Kuhêzi

de deux kan d'argent, le montant exactque ma belle-mère a emprunté à monpatron, pour qu'ainsi j'aie un magasin àmoi.

Alors toi, tu vas épouser une nièce de...Mais non, écoute bien. On en parle

déjà depuis l'an dernier, mais moi, je t'ai,toi. Comment ai-je pu être entraîné dansce genre d'histoire ? Moi, Tokubê, jen'accepte pas de mariage imposé.

Tokubê, comme je suis heureuse ! Etalors, la suite ?

Depuis, mon patron s'est fâché. Il a dit :

"Je sais pourquoi tu n'acceptes pas. Ondit que tu es amoureux d'une certaineHatu de la maison Tenmaya du quartierDôzima-Sinti au sud de la rivière Sizimi.C'est pour cela que tu ne veux pas épou-ser la nièce de ma femme." Maintenant je ne veux plus que tuépouses cette fille. Puisque c'estcomme ça, tu devras me rembourser lesdeux kan d'argent avant le 7 avril pourrégler ton compte. En tout cas, je ne telaisserai ni vivre ni même entrer dans laville d'Osaka." Il était tellement fâché.« Mais moi, je suis un homme, j'ai mafierté. J'ai donné mon accord et je suistout de suite allé dans mon village voirma belle-mère. Mais c'est une femme

2 3Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Page 6: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

qui a du mal à se séparer de son argent.Tout de même, les villageois ont pris monparti et l'ont persuadée, et finalement j'aieu l'argent.« Mais même si je rembourse la dette dema belle-mère, même si je ne dois rien àpersonne, on ne me laissera pas vivre àOsaka. Et alors, comment pourrais-je tevoir ? Séparé de toi, Tokubê aura-t-ilencore une raison de vivre ?Les larmes aux yeux, l'homme se tait,désespéré. Hatu pleure, mais s'efforcede prononcer ces mots :« Écoute. Toute ta souffrance, c'est àcause de moi. Donc, tout de même, si tues exilé d'Osaka, je saurai arranger leschoses. Et même si nous ne pouvonsplus nous voir, on dit que l'amour desépoux n'est pas seulement pour cemonde, il se poursuit dans l'au-delà. Sinous mourions, nous aurions encore l'au-delà. Personne ne pourra nous empê-cher de gravir le mont de la Mort ni detraverser le fleuve Sanzu pour aller dansl'au-delà.« Mais tu as parlé du 7 du mois. C'estdéjà demain. S'il s'agit de rembourser,rembourse ton patron rapidement etessaie de calmer sa colère. »4

acte IAlors Tokubê :

Mais ce n'est pas tout. Moi aussi jepense que je devrais le faire mais je suisinquiet. Tu connais Kuhêzi du magasind'huile Aburaya. Lui, à la fin du mois der-nier il m'a demandé désespérément delui prêter deux kan d'argent pour un seuljour. Il m'a promis de me les rembourserdans la matinée du 3 de ce mois.

Je me suis dit que je n'en aurais pasbesoin jusqu'au 7, et donc par amitié, jeles lui ai prêtés. Et alors, hier non plus jen'ai pas pu le voir parce qu'il n'était paslà. Mais ce soir je veux absolument enfinir avec cette histoire.

Lui, il est un homme loyal et j'espèrequ'il ne faillira pas. Hatu, ne t'inquiètepas. » Encouragée ainsi, elle se sent unpeu rassurée.Justement à ce moment, ils entendentune voix familière qui chante :«Fleurs de cerisiers et feuilles coloréesde Yosino et Hatuse, la lune et la neigede Sarasina et Kosizi...».C'est une bande d'hommes ivres quisuivent Kuhêzi. Le voyant, Tokubê seprécipite vers son ami et le prend par lamain pour l'arrêter :

Kuhêzi, tu passes au bon moment. Je

te cherche déjà depuis quelque temps.Tu ne m'as pas prévenu et tu t'amusesainsi. Ce n'est pas juste. Alors, aujour-d'hui absolument, tu dois t'acquitter de tadette. »Kuhêzi, retrouvant ses esprits, prend uneposture provocante :

De quoi tu parles, Tokubê ? Ce sont lesgens de mon quartier. Nous avons assis-té à une réunion de la mutuelle lsekô, etnaturellement nous avons bu un peu.Pourquoi tu me prends par le bras ? Tues impudent !

Tu dis n'importe quoi, Kuhêzi. Moi,Tokubê, j'ai raison. Mais, bon, devant lesgens de ton quartier je ne veux pas insis-ter.

- Je ne te comprends pas du tout. Dis-moi ce que tu as à dire.

Si tu veux, je te dis.Les deux kan d'ar-gent que je t'ai prêtés le 28 du mois der-nier sous la condition d'être remboursé le3 de ce mois, je te demande de me lesrendre. »Avant même que Tokubê ait terminé saphrase, Kuhêzi se met à éclater de rire :

Ha ha ha ha ha ! Tokubê, tu as perdu laraison, toi. Nous sommes amis depuisquelques années, et je ne t'ai jamaisemprunté un sou. Si tu inventes deschoses, tu vas le regretter. »Kuhêzi s'écarte de Tokubê.Tokubê change soudain de visage.

Arrête de dire n'importe quoi, Kuhêzi.Souviens-toi de ce que tu m'as dit. Àcause d'un manque de deux kan d'ar-gent pendant un seul jour à la fin dumois, tu te lamentais que tu allais fairefaillite. C'était une somme très importantepour moi aussi, mais je me suis dit quec'était l'occasion ou jamais de prouvermon amitié. Je te l'ai prêtée par loyauté.

J'ai dit que tu n'aurais pas besoind'écrire un acte de prêt, mais c'est toi-même qui as insisté pour le faire. Tu m'asfait écrire un acte et tu lui as apposé toncachet devant moi.

Quoi ? Mon cachet ? Alors, je veux voircet acte. Montre-le moi !

Mais bien sûr, je te le montre (// sort deson portefeuille l'acte de prêt), les auto-rités de la ville reconnaîtront ton cachet.

Double Suicideà Sonezaki (suite)

Alors, Kuhêzi, tu nies même avec ça ?Regardant le papier, Kuhêzi« Hé, hé, hé, hé, hé ! Certes, c'est moncachet, mais Tokubê, tu ne dois pas fairedes choses comme ça même si tu asbeaucoup de difficultés.« Moi, Kuhêzi, j'ai laissé tomber et j'aiperdu le 25 du mois dernier mon porte-feuille avec mon cachet. J'ai enregistré laperte auprès des autorités et j'ai changéde cachet. Comment aurais-je pu appo-ser le 28 du mois mon cachet qui avaitété perdu le 25?« Ah, c'est ça. Toi, tu as ramassé monportefeuille, écrit un acte de prêt etapposé mon cachet pour m'extorquer del'argent. C'est un crime plus grave quel'usage d'un faux cachet. Tu devraisavoir la tête tranchée, mais par amitié jete pardonne. Je vais voir si tu arrives àfaire argent de ce papier. »Il lance le papier au visage de Tokubêavec un regard effronté. Surpris, Tokubêlui lance :« Oh, tu l'as prémédité, tu l'as prémédité.Je me suis laissé tromper, mon Dieu ! Cetargent est aussi important que ma vie.Puis-je m'en laisser priver ? Comme tul'as prémédité ! Je perdrais même si jefaisais appel au tribunal. Alors, je le

reprends de force !- Eh, cet imbécile qui était un simpleapprenti !Ils se battent. Hatu, ne sachant quefaire :« Oh, non. Messieurs, faites cesser cetteviolence. S'il vous plaît, s'il vous plaît.Arrêtez, arrêtez ! »

L'entendant crier, un client de la cam-pagne sort en courant. Déclarant qu' "ilfaut la protéger", il emmène Hatu deforce.Abandonné, Tokubê est roué de coups,battu et jeté par terre par la bande quiaccompagnait Kuhêzi.« Cet imbécile de Kuhêzi, je ne le laisse-rai pas partir, je ne le laisserai pas vivre !

(Le laissant se traîner à quatre pattes,

5

ses ennemis s'enfuient et disparaissent.)Ah, quelle humiliation ! Je suis mortifié.Quel complot atroce et inhumain ! En mefaisant écrire cet acte de prêt et y appo-sant son cachet, lui, il avait déjà déclaréet fait savoir à tout le monde qu'il avaitperdu son cachet. Et maintenant c'est luiqui me menace au contraire.« Foulé aux pieds, battu et humilié, je nepeux plus passer pour un homme hono-rable. Puisque ça s'est passé comme ça,je montrerai en mourant à tout le mondede la ville d'Osaka sans attendre plus,que Tokubê est honnête et innocent.Kuhêzi saura qu'il ne peut pas resterimpuni. »Tokubê pleure comme un homme quipleure, ses cheveux défaits, sa ceinturedénouée. Misérable même d'apparence,il ramasse et met son chapeau déchiré.Sa tête penchée invite le soleil à s'incli-ner, il marche d'un pas pesant dans lecrépuscule des rues de Naniha, la villed'Osaka, sans savoir où aller On entendles cloches du soir qui rappellent que lemonde est impermanent.

Acte II. La maison close TenmayaLe vent arrivant par la Sizimi, rivière depetites coques, traverse le quartier où onperd la raison à cause de l'amourcomme le coquillage perd sa chair aufond de la rivière.La voie de l'amour est une voie sanslumière et pour l'éclairer le quartier seremplit tous les soirs de lumières commedes lucioles, mais des lucioles de toutessaisons, ou comme les étoiles d'une nuitpluvieuse.Nous sommes en été, mais au pont deMumeda, champs de pruniers, on voitdes fleurs même en été. Les voyageursvenus de la campagne comme les cita-dins habitués du quartier, ont chacunleur voie de l'amour.Les galants expérimentés perdent la rai-son. Les débutants sur cette voie, euxaussi, fréquentent le quartier, si bien quemême nouveau, le quartier clos pros-père.Misérable est Hatu de la maison closeTenmaya. Rentrée, inquiète de ce qui

s'est passé aujourd'hui, elle ne veut pasboire, tant elle est déséspérée. Elle n'ar-rête pas de pleurer.Ses collègues, femmes du quartier, luidemandent comme pour la consoler :« Dis-moi, Hatu, tu n'as rien entendu ?J'ai entendu dire que Tokubê s'est faitbattre pour quelque chose d'inconve-nant, est-ce vrai ? »Une autre s'avance :« Mais ce n'est pas comme ça. Un demes clients m'a raconté qu'il a été arrêtéà cause d'une fraude, mais un autre ditqu'il est en prison parce qu'il avait faitusage d'un faux cachet. Écoute, Hatu, nedéséspère pas. Je te parle. »Leurs consolations ne font qu'augmentersa souffrance. « Oh, non. Ne me parlezplus. Plus j'en entends, plus je me sensen peine. Je ferais mieux de mourir. »Hatu se tait pour pleurer et ses collèguesne savent plus comment la consoler, per-dues elles aussi.Hatu, plongée dans une tristesse déses-pérée, lance un regard inquiet vers la rueet voit comme en rêve, la silhouette deTokubê caché sous son chapeau malgréla nuit et perdu dans ses pensées.L'apercevant, elle veut se précipiter pourle rejoindre, mais quelle tristesse d'enêtre empêchée à cause des gens pré-sents autour d'elle!« Alors, que faire ? Mais oui ! (Elle se lèvelentement et descend dans le jardin.)Que je suis triste. Je vais voir dehors. »Mine de rien, elle sort et parle d'une voixbasse mais en soufflant :« C'est Tokubê, n'est-ce pas ? J'ai enten-du beaucoup parler de toi, et je m'in-quiétais, je m'inquiétais. J'étais folle.»Elle met sa tête sous le chapeau deTokubê et pleure en silence pour ne pasattirer l'attention des gens. L'hommeparle, en larmes lui aussi :« J'ai honte de ce qui s'est passé aujour-d'hui, mais toi, j'espère que toi, tu mecomprends. Ce criminel de Kuhêzi, jevoudrais bien le tuer, mais il s'agit d'uncomplot qu'il avait très bien prémédité.Comment pourrais-je me défendre ? Eneffet, plus je plaide, plus on me culpabi-lise.

Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Page 7: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

« Bientôt tout le monde changera d'opi-nion. Après tout, je ne peux plus vivrecomme un homme honorable. Je nepourrais pas affronter le jour qui arrive.J'y suis fermement déterminé. »Entendant le murmure de sa voix trem-blante, Hatu ne peut pas cacher sa sin-cérité qui s'exprime par son regard etpar ses larmes.Alors on entend le patron qui l'appelle del'intérieur de la maison.« Ah, toi, Hatu ! Le monde dit du mal detoi. On te voit, si tu restes dehors. Viensdans la maison. Tu m'entends ? »D'autres l'appellent à haute voix :« Hatu, on t'appelle. Rentre !

Oh, oh, voilà ! Si c'est comme ça, on nepeut pas parler. Laisse-toi faire même situ ne veux pas. C'est seulement pour unpetit moment. »Elle cache l'homme sous la traîne de salongue robe et en le faisant avancer àquatre pattes, elle le cache sous lavéranda à côté de la marche en pierre.Elle s'assoit juste au-dessus, prend unepipe, l'allume et feint l'ignorance.À ce moment Kuhêzi arrive devant lamaison, avec sa prétention détestable.

acte II

Ivre et titubant, il regarde l'intérieur de lamaison Tenmaya :« Ah voilà les demoiselles de la maison.Vous avez l'air triste. Si vous voulez,Monsieur Kuhêzi vous fait la faveur d'êtrevotre client. Voilà, Monsieur le Patron. Çafait longtemps, n'est-ce pas ? »En parlant ainsi, Kuhêzi entre dans lamaison et s'installe sur le tatami. Alors onle sert comme il faut :« Un plateau avec du tabac. Un verrepour le saké.

Ah non, merci. Ne me sers pas desaké, j'en ai trop bu. Par contre j'aiquelque chose à vous raconter. Veneztoutes ici. (Il sort sa pipe, l'allume en fai-sant des ronds de fumée.) Voilà, Hatu estlà. Elle a comme client Tokubê, un typede chez Hiranoya. Lui, il a ramassé moncachet que j'avais perdu et écrit un fauxacte de prêt pour deux kan d'argent pourme voler. Bien évidemment il s'agit d'unprêt qu'il a inventé, un mensonge pur etsimple.« À court d'arguments, il a fini par vouloirse battre. Mais les gens du quartier l'enont empêché et le résultat a été tout lecontraire. Tokubê a été battu presque à

mort et a perdu son honneur d'homme.S'il vient par ici, mettez-vous en garde.

Je vous raconte ceci à vous toutes,parce que cet imbécile de Tokubê pour-rait venir ici vous persuader que le blancest noir, au contraire de la vérité.« Même s'il insiste, vous ne devez pas lecroire. Vous ne devriez pas le laissers'approcher de la maison. Après tout il

finira sur un champ d'exécution de Noeou Tobita pour se faire manger par lescorbeaux. Le mal est toujours puni. »Kuhêzi ne mâche pas ses mots commes'il disait la vérité.Sous la véranda Tokubê est tellement encolère qu'il serre les dents et tremble.Mais quelle brave femme ! Hatu, malgréelle, se contient et calme son hommeavec le bout de ses pieds.Cependant, le patron, par prudence vis-à-vis d'un bon client, ne juge pas entre lebien et le mal, se lève et détourne laconversation en murmurant un ordre :«Ah oui, en bavardant j'oubliais complè-tement. Mes enfants, servez à notreclient un bol de consommé. »Il disparaît vers l'intérieur de la maison.Hatu en larmes parle mais on ne sait passi c'est à Kuhêzi ou si elle se parle à elle-même :« Pour vous il s'agit d'un ami. Alors il nefaut pas dire tant de mal de lui. Moi, je leconnais bien depuis des années et nousnous connaissons même du fond ducoeur.

C'est mille fois dommage et bien mal-heureux qu'on parle ainsi de lui, maisTokubê n'a jamais été un homme mé-chant comme on le dit maintenant. Songrand coeur s'est retourné contre lui, ils'est laissé tromper. Mais s'il n'y a pas depreuve, il ne peut pas se défendre.

Si c'est comme ça, Tokubê n'aura pasd'autre choix que de mourir. Je voudraisbien entendre s'il est bien déterminé à secondamner à mourir. »Parlant ainsi, elle pose la question à sonhomme avec ses pieds.Sous la véranda Tokubê prend dans sesmains un pied de Hatu pour le poser sursa gorge, en lui signifiant qu'il se suici-dera.

6

1.__

7

Hatu se retire dans sa chambre en mur-murant ses dernières salutations :« Alors, Monsieur le Patron, mais aussitoutes mes collègues, je vous souhaiteune bonne nuit. C'est le dernier soir où jevous vois. Adieu, adieu ! »

Quel dommage que les gens de la mai-son ignorent qu'il s'agit d'un éterneladieu.Déjà tout le monde dort et quelqu'unronfle. C'est le sommeil, comme on dit,du quartier Sirakawa de Kyôto. La nuitavance et on entend les appels desvigiles du quartier Leurs claquoirsrésonnent sous le ciel plein d'étoiles. Onn'aura entendu qu'en rêve leur appel« Attention aux feux ! »Hatu s'habille de blanc pur pour mouriret met sa robe noire par-dessus pour lavoie noire de l'amour. D'un pas furtif ellejette un regard en bas.Voilà son homme qui sort sa tête du des-sous de la véranda. Il lui fait signe, ilopine de la tête et lui parle avec le coeuren montrant du doigt le chemin.Mais hélas, une servante dort au pied del'escalier, une veilleuse allumée éclairantle chemin. Un moment de réflexion etHatu fixe un éventail au bout d'un balaipour l'éteindre, mais en vain.Elle tend la main encore plus vers le baset finalement arrive à l'éteindre pour êtreplongée dans les ténèbres.Le patron se réveille à l'intérieur de lamaison :« Que se passe-t-il, mes filles ? Laveilleuse est éteinte. Que quelqu'un selève pour la rallumer. »La servante se lève lentement encore àmoitié ensommeillée et s'essuie les yeuxde la main : « Patron, que voulez-vous ?

J'ai entendu un gros bruit. Allume lalampe pour voir.

C'est vrai. Il fait tout noir. Où est laboîte de silex...? »La servante cherche partout.Hatu rampe pour éviter d'être touchée.Elle souffre dans les ténèbres dont on dittoujours que la réalité n'y est pas plusréelle que le rêve.Finalement les deux se rejoignent, et ilsavancent, main dans la main sans faire

de bruit, vers la porte. Ils débloquent leverrou, mais la porte coulissante fait unbruit inquiétant, ce qui les fait hésiterVoilà que la servante frotte le silex... Auson du frottement de silex...Un seul coup de silex, ils ouvrent unpeu...Des coups de silex répétés, ils ouvrentun peu plus...Toujours de concert ; la porte, les deuxamants. Ils se resserrent, se raidissent ettiennent leurs manches autour des braspour passer par la porte en bois ainsientrouverte.Comme sur une queue de tigre, ilssortent enfin dans la rue pour se regar-der: « Ah, quel bonheur I»Ils sont heureux d'aller mourir Ah ! il fautavoir pitié d'eux. Miséricorde ! Ce quireste de leur vie, ce n'est pas plus quedes étincelles de silex.

Hatu : « Mais oui, ça doit être comme ça,ça doit être comme ça. Ce sera la mêmechose, même s'il continue à vivre.Pourquoi ne pas venger l'offense par lamort ? »Kuhêzi, terrifié à cette idée :

C'est horrible ! Quel monologue que tufais, Hatu ! Mais, hé, hé, hé, Tokubê n'ar-rivera jamais à se suicider.

En tout cas, s'il meurt, alors moi,Kuhêzi, je m'occuperai de toi. Toi aussi,tu es amoureuse de moi, n'est-ce pas ?Hatu : « Oh, ho, ho, ho, il faudrait vous enremercier. Mais si vous payez pourm'avoir, je vous tuerai, vous aussi. Vousêtes d'accord ?

Imaginez-vous que je continuerais àvivre même un instant sans Tokubê ?Vous, monstre de Kuhêzi, vous feriezmieux d'arrêter de dire des bêtises, et devous taire. Ce que vous dites me remplitde peine.

Coûte que coûte, je vais mourir avecTokubê. Tokubê, je mourrai avec toi, tum'entends ? »Hatu touche ainsi Tokubê avec sespieds. Sous la véranda l'homme enlarmes prend ses pieds dans ses deuxmains et pleure en retenant son souffle.La femme, cachant à peine son émotion,pleure et pleure, son coeur en union avecTokubê, bien qu'ils ne se parlent pas.Envahi de crainte, Kuhêzi :

Il paraît que ça va mal ici. Cette Hatu,c'est une originale. Elle dit qu'elle n'aimepas un bon client riche comme moi. Alorsbon, je vais boire à la maison de théAsaya. Venez toutes avec moi."Oh, ce n'est pas facile de marcheravec tellement d'argent. Oh c'est diffi-cile ! »

Kuhêzi n'arrête pas de dire des méchan-cetés et de crier jusqu'à ce qu'il quitte lamaison. Le patron, lui aussi, se sent unpeu découragé :

Ce soir on ferme tôt et on se couche.Éteignez les lampes de la porte.Préparez les lits pour les clients quirestent pour la nuit. Ne manquez pas defaire attention aux feux. Tout le monde aulit. Eh, Hatu, toi aussi, tu montes te cou-cher, d'accord ?

Acte III. Au bois du sanctuaireshinto de TenzinLe monde s'achève, la vie s'achève. Allermourir c'est comme du givre sur le che-min d'un cimetière. À chaque pas, triste-ment il disparaît, comme un rêve.À l'aube on compte les coups de lacloche jusqu'au sixième. Le septième estle dernier son que l'on entend dans cemonde. La cloche résonne de la vraiejoie de ceux qui vont cesser de vivrepour toujours.On entend la cloche pour la dernière fois,et on voit pour la dernière fois les herbeset les arbres. On lève les yeux pour ladernière fois vers le ciel. La GrandeOurse se reflète dans l'eau de la rivière etla Voie Lactée accueille ces deux étoilesamoureuses.Le pont de Mumeda est le pont desnoces éternelles. Comme un couple depies, comme les étoiles amoureuses,nous resterons un couple amoureux. Ilsse serrent l'un contre l'autre pour ne pasmanquer de rester ensemble dans l'au-delà. Des larmes coulent et le niveau dela rivière monte.Poussées par le vent, les ténèbres tra-versent le ciel et le coeur Une étincelle,est-ce une étoile ou un éclair ? Même sur

Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés

Page 8: BUNRAKU - Festival d'Automne à Paris · 2014. 4. 17. · dramaturgie du Bunraku. le programme Afin d'inviter d'emblée les spectateurs français jusqu'au noyau de ce mystère, le

le chemin de la mort, elle fait peurHatu : 'J'ai peur. Cette lumière, qu'est-ce que c'était ?

Ce n'est rien d'autre que des âmes demorts. Que c'est triste de voir un coupled'âmes qui s'envolent. C'est peut-êtreton âme et mon âme.

C'était nos âmes, dis-tu ? Alors,sommes-nous déjà morts ? Nous sommesensemble même après la mort ! »

Ils s'embrassent en se serrant fort l'uncontre l'autre. Comme c'est triste, qu'illeur reste si peu à vivre. Tokubê prend lamain de Hatu :

Cette nuit n'est pas comme les autres.Même si elle n'est qu'une brève nuitd'été, mon coeur reste serré contre toncoeur. Une fois le jour arrivé, on va parlerde nous comme d'un couple scandaleux.

Qu'ils rient s'ils le veulent. Je ne lecontesterai pas, je ne regretterai rien. Onne peut pas comprendre nos coeurs quise réjouissent de mourir ensemble. Mesparents nous attendent dans l'au-delà.Je te les présenterai et je t'épouserai. Jete le promets. »L'homme étreint la femme. Elle ressentune joie infinie :

Je suis heureuse, je me réjouis. Mais jesuis jalouse de toi, parce que mesparents vont encore bien et restent dansce monde. C'est triste de ne pas savoirquand je vais les revoir. Ils vont certaine-ment apprendre notre mort. Du moins jeprie que mon coeur s'unisse aux leurs etqu'ils me voient dans leurs rêves.

Maintenant c'est le moment de l'adieuà ce monde. Maman, Papa, je vous aime,je pense à vous. »Hatu pleure sans retenue.Tokubê « On ne peut pas rester ainsitrop longtemps. Ce serait la honte deshontes de ne pas arriver à mourir. Lemoment est arrivé. Tu es prête ?L'homme sort son couteau, mais cettefemme, c'est la femme qu'il aime depuisdes années, c'est la femme qu'il serraittout contre lui. Comment lui planter cecouteau dans la peau ? Il hésite, elleferme les yeux et lui dit :

Tue-moi tout de suite, tue-moi tout desuite ! »

8

Quel beau visage déterminé ! D'untemple bouddhiste, on entend la récita-tion triste d'un soutra pour la paix desâmes des morts : Nam-Amidâ, Nam-Amidâ-Bhud, qui les accompagne à lasortie de ce monde, Après un long rêvedans le bois de Sonezaki, ils disparais-sent comme la rosée dans la forêt.

acte IIITraduction française lwahito Higashitanid'après le texte fourni par la troupeBunraku pour la représentation.

Document de communication du Festival d'Automne à Paris - tous droits réservés