CP Don Giovanni 2013 - Académie de Montpellier

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Don Giovanni Wolfgang Amadeus Mozart Dramma Giocoso en deux actes Livret de Lorenzo da Ponte Inspiré du mythe de Don Giovanni Créé le 29 octobre 1787 au Gräflich Nostitzsches National-Theater à Prague © Marc Ginot, saison 2007-2008 Jeudi 6 juin 20h Samedi 8 juin 15h Lundi 10 juin 20h Mercredi 12 juin 20h Vendredi 14 juin 20h Dimanche 16 juin 15h Opéra Comédie Durée :3h05 environ avec entracte Cahier pédagogique Saison 2012-2013 Service Jeune Public et Actions Culturelles - 04 67 600 281 - www.opera-orchestre-montpellier.fr

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Don Giovanni

Wolfgang Amadeus Mozart

Dramma Giocoso en deux actes Livret de Lorenzo da Ponte

Inspiré du mythe de Don Giovanni Créé le 29 octobre 1787 au Gräflich Nostitzsches National-Theater à Prague

© Marc Ginot, saison 2007-2008

Jeudi 6 juin 20h Samedi 8 juin 15h Lundi 10 juin 20h

Mercredi 12 juin 20h Vendredi 14 juin 20h

Dimanche 16 juin 15h Opéra Comédie

Durée :3h05 environ avec entracte Cahier pédagogique Saison 2012-2013 Service Jeune Public et Actions Culturelles - 04 67 600 281 - www.opera-orchestre-montpellier.fr

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Quelle est au juste ma façon de travailler

quand il s’agit d’un travail important et sérieux ?

Mon cerveau s’enflamme,

surtout si on ne me dérange pas.

Ça pousse,

je le développe de plus en plus,

toujours plus clairement.

L’œuvre est alors achevée dans mon crâne.

Et je peux embrasser le tout d’un seul coup d’œil,

comme un tableau ou une statue.

Wolfgang Amadeus Mozart

 

 

 

 

 

 

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Don Giovanni Wolfgang Amadeus Mozart Dramma Giocoso en deux actes Livret de Lorenzo da Ponte Créé le 29 octobre 1787 au Gräflich Notitzsches National-Theater, à Prague Marius Stieghorst direction musicale Jean-Paul Scarpitta conception et mise en scène André Schuen Don Giovanni David Bizic Leporello Mary-Adeline Henry Donna Elvira Erika Grimaldi Donna Anna Dovlet Nurgeldiyev Don Ottavio Ekaterina Bakanova Zerlina Gocha Abuladze Masetto In-Sung Sim Le Commandeur Urs Schönebaum lumières Robin Husband assistant décor Chœurs de l’Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon Production Opéra Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon En partenariat avec Mezzo  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Les personnages, leurs voix et l’orchestre  

PERSONAGGI PERSONNAGES

Don Giovanni – baritoneGiovane cavaliere estremamente licensioso

Don Giovanni – baryton Jeune gentilhomme extrêmement licencieux

Il Commendatore – basso Le Commandeur – basse

Donna Anna – sopranoSua figlia,

dama promessa sposa di Don Ottavio

Donna Anna – soprano Sa fille, dame de qualité, fiancée de Don Ottavio

Don Ottavio – tenore Don Ottavio – ténor

Donna Elvira – mezzo-sopranoDama di Burgos

abbandonata da Don Giovanni

Donna Elvira – mezzo-soprano Noble dame de Burgos abandonnée par Don Giovanni

Leporello – baritoneServo di Don Giovanni

Leporello – barytonValet de Don Giovanni

Masetto – bassoAmante di Zerlina

Masetto – basseAmant de Zerlina

Zerlina – sopranoContadina

Zerlina – sopranoPaysanne

Coro : contadini e contadine, servi, suonatori

Chœur : paysans et paysannes, serviteurs, musiciens.

L’orchestre

2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 cors,

2 trompettes, 3 trombones, timbales, mandoline, cordes continuo (récitatifs) : clavecin ou piano-forte, violoncelle

 

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© Marc Ginot, Représentations de la saison 2007-2008

 

 

 

 

 

 

 

 

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Argument Acte I Scènes 1 à 3 : La mort du Commandeur Le valet de Don Juan, Leporello, monte la garde dans un jardin ; il aimerait bien être à la place de son maître, occupé à l’intérieur avec une femme. Mais voici surgir cette femme, Donna Anna, qui poursuit Don Juan. Que s’est-il passé entre eux ? Elle en fera plus loin le récit, à la scène 13 : Don Juan s’est introduit chez elle sous le déguisement de son fiancé, Don Ottavio et dès qu’elle a reconnu la supercherie, elle s’est dégagée de son étreinte. Elle tente maintenant de le retenir pour voir qui il est, puis sort à l’arrivée de son père. Celui-ci, le Commandeur, demande réparation à Don Juan. Après avoir d’abord refusé un combat trop inégal, Don Juan tue le Commandeur en duel. Il disparaît avec Leporello. Donna Anna et Don Ottavio découvrent le Commandeur gisant sur le sol. Donna Anna s’évanouit et Don Ottavio s’affaire pour adoucir sa douleur. Elle a un mouvement d’indignation et de rejet lorsqu’elle reprend ses esprits car elle croit voir en Don Ottavio la figure de son agresseur. Elle le reconnaît et ils jurent ensemble de venger son père défunt. Scènes 4 à 6 : Elvire Le jour se lève. Don Juan a une nouvelle conquête en vue mais il en est immédiatement détourné par l’arrivée d’une femme en habit de voyage, Elvire. Elle a été abandonnée par un homme qu’elle recherche pour le tuer ; on apprend bientôt qu’il s’agit de Don Juan mais celui-ci, qui l’observe de loin, ne la reconnaît pas. Il l’aborde sur un ton avantageux puis, voyant à qui il a faire, bat vite en retraite, laissant à Leporello le soin de donner à Elvire les éclaircissements nécessaires. Le valet s’exécute et exhibe un catalogue où sont couchés les noms de deux mille soixante-cinq femmes. Scènes 7 à 9 : Zerline Zerline et Masetto fêtent leurs noces avec d’autres paysans. Don Juan, qui passe par là avec Leporello, trouve le moyen d’éloigner le marié : Leporello doit l’emmener dans son palais, ainsi que tous ses amis, pour qu’ils y poursuivent leurs festivités dans un cadre princier. Masetto ne quitte les lieux que sous la menace. En tête-à-tête avec Zerline, Don Juan badine avec elle, puis lui propose de l’épouser ; elle accepte, convaincue par l’argument décisif que grâce à ce mariage elle va pouvoir s’élever au-dessus de sa condition. Scènes 10 à 14 : Rencontres de femmes Elvire, qui a entendu le dialogue précédent, met brutalement fin à cette idylle naissante. Elle révèle à Zerline la tactique mensongère de Don Juan et prend la jeune paysanne sous son aile. Don Juan rencontre maintenant Don Ottavio et Donna Anna, qui lui demandent en toute confiance de les aider à venger le Commandeur, ce qu’il promet volontiers. Elvire fait à nouveau irruption et, s’adressant à Donna Anna, la met en garde contre la traîtrise de Don Juan. Elle sort, suivie de Don Juan, laissant les deux aristocrates méditer ses paroles. C’est alors que Donna Anna se rend compte – trop tard – que Don Juan n’est autre que son agresseur de la nuit précédente. Don Ottavio, pressé de la venger, n’est pas convaincu de la culpabilité de Don Juan, qui est son ami. Scènes 15 à 19 : En attendant la fête Leporello informe son maître des préparatifs de la fête ; Don Juan précise ses instructions et demande que l’on y joue trois danses différentes. Dans un jardin attenant au palais de Don Juan, Masetto réprimande Zerline mais accepte son offre de réconciliation. Leur bonne entente n’est cependant que de courte durée

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car Don Juan s’approche et sème à nouveau le doute dans l’esprit de Masetto ; celui-ci se cache pour observer comment vont se passer les choses avec Zerline. Sa présence empêche qu’elle tombe à nouveau sous la coupe du maître des lieux. Don Ottavio, Donna Anna et Elvire font leur entrée, déguisés pour le bal. Leporello, avec l’accord de Don Juan, les invite à se joindre à la fête. Ils sont venus à l’initiative d’Elvire afin de surprendre Don Juan en flagrant délit avec Zerline et de le livrer ensuite à la justice. Scène 20 : Le bal Don Juan souhaite la bienvenue à tous ses hôtes, et l’on commence à danser : Don Ottavio avec Donna Anna, Don Juan avec Zerline et Leporello avec Masetto. Don Juan en profite pour entraîner Zerline hors de la salle de bal mais elle réussit à lui échapper, au comble de la frayeur. Confronté à Donna Anna, Don Ottavio et Elvire, Don Juan accuse Leporello d’avoir maltraité Zerline ; personne n’est dupe et la détermination de ses adversaires réussit pour un temps à faire perde à Don Juan un peu de sa morgue. Mais il se reprend bientôt et tous les autres personnages restent pétrifiés devant un homme qui leur fait face sans trembler. Acte II Scènes 1 à 3 : Sérénades de Don Juan A la tombée de la nuit, Don Juan se présente devant la maison d’Elvire car il est intéressé par sa servante. Il se querelle avec Leporello puis échange ses habits avec lui pour mieux conquérir une femme de basse condition. Elvire apparaît à la fenêtre ; Don Juan, caché derrière Leporello, lui jure fidélité, non pas pour la reconquérir mais afin qu’elle descende de ses appartements et qu’elle lui laisse le champ libre pour rendre visite à sa servante. C’est ce qui se passe, et il confie Elvire à Leporello, qui fait de son mieux pour tenir le rôle de son maître. Don Juan chante une sérénade à la servante d’Elvire, mais il est à nouveau interrompu da s ses « entreprises amoureuses ». Scènes 4 à 6 : Le seigneur et le paysan C’est Masetto, cette fois-ci, qui joue les troubles fête : il est à la recherche de Don Juan en compagnie d’une bande de paysans armés. Profitant de son déguisement, Don Juan envoie les compagnons de Masetto le chercher ailleurs, puis il inflige à l’infortuné paysan une sévère correction. Zerline, inquiète pour son fiancé, le trouve en piteux état ; elle lui promet le plus agréable des réconforts. Scènes 7 à 10 : Rencontres imprévues Leporello et Elvire, au terme de leurs déambulations nocturnes, réapparaissent dans la cour intérieure de la maison de Donna Anna. Leporello cherche à lui fausser compagnie mais l’arrivée de Donna Anna et Don Ottavio lui coupe le chemin. Anna déclare à son fiancé que le deuil de son père est trop douloureux pour qu’elle puisse l’épouser. Zerline et Masetto, qui surviennent à leur tour, découvrent un homme qui tente de cacher son visage. Leporello, menacé de mort, est protégé par Elvire (qui n’a toujours pas découvert la supercherie), puis il révèle qu’il n’a de son maître que les habits. Ses accusateurs maintiennent leur verdict mais il réussit à filer à leur nez et à leur barbe. Don Ottavio se rend compte maintenant de la vilenie de Don Juan et décide de partir à sa recherche. Scène 10 : Nouvelles aventures de Leporello Zerline a retrouvé Leporello et le tourmente en le ligotant à une chaise. En son absence, Leporello réussit à se libérer. Zerline et Elvire apprennent de Masetto que Don Juan a été surpris dans la campagne avec une jeune fille qu’il a dû quitter précipitamment. Elvire, restée seule, redoute que la justice divine ne s’abatte sur l’homme qu’elle aime toujours.

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Scène 11 : Au cimetière Deux hommes en fuite, Don Juan et Leporello, viennent se réfugier dans un cimetière. Le récit que fait Don Juan de ses aventures nocturnes est interrompu par la voix sépulcrale du Commandeur, qui sort de sa statue équestre. A peine surpris par ce phénomène, Don Juan demande à Leporello d’inviter la statue à souper chez lui. Scène 12 : Conversation nocturne Don Ottavio se plaint auprès de Donna Anna de son indifférence et lui propose à nouveau son réconfort. Donna Anna l’éconduit d’abord rudement, puis avec douceur : il lui est impossible de se marier si tôt après la mort de son père, aussi bien par décence que par excès de douleur. Scènes 13 à 15 : Le souper interrompu Don Juan, d’excellente humeur, savoure un délicieux souper, aux sons d’un petit orchestre qui lui joue des airs d’opéra. Elvire vient lui gâcher la fête en lui demandant de réformer sa vie ; devant l’indifférence de Don Juan, elle se répand à nouveau en imprécations contre lui. Don Juan s’apprête à reprendre son souper lorsqu’Elvire, sortant de chez lui, pousse un cri horrible. Leporello, qui a regardé dehors, annonce l’arrivée de « l’homme de pierre » et refuse de lui ouvrir la porte. C’est Don Juan qui ouvre, et se trouve devant la statue du Commandeur. Il lui offre courtoisement le couvert mais le Commandeur ne lui demande qu’une chose : viendra-t-il souper chez lui ? Don Juan accepte. Il donne la main à la statue et, à ce contact, apprend qu’il va mourir. Sommé de se repentir, il refuse. Alors la terre s’entrouvre, des démons lui promettent les tourments éternels, et Don Juan est englouti au milieu du feu de l’enfer. Epilogue Les adversaires de Don Juan, accompagnés de représentants de la justice, arrivent trop tard pour l’arrêter. Leporello leur explique ce qui s’est passé et le moment est venu pour chacun de reprendre une vie normale. Donna Anna annonce à Don Ottavio qu’elle l’épousera dans un an. Elvire se retire dans un couvent, Zerline et Masetto rentrent chez eux et Leporello se cherchera un nouveau maître. Ils chantent en cœur une vieille chanson : « qui fait le mal finit mal ».  

 

Alexandre Evariste Fragonard (1732-1806) Don Juan, Zerlina et Donna Elvira Tous droits réservés, diffusion gratuite à l’usage pédagogique

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Et puis, je ne sais, mais - dans un opéra -, il faut absolument que la poésie soit fille obéissante à la musique. Oui, un opéra doit plaire d’autant plus que

le plan de la pièce aura été mieux établi, que les paroles auront été écrites pour la musique, et qu’on ne rencontrera pas, çà et là, introduites pour

satisfaire une malheureuse rime, des paroles ou même des strophes entières qui gâchent toute l’idée du compositeur. Les vers sont bien pour la musique la chose la plus indispensable, mais les rimes pour les rimes, c’est bien la plus

nuisible. Les gens qui entreprennent leur œuvre avec tant de pédanterie sombreront toujours, eux et leur musique.

Le mieux, c’est quand un bon compositeur, qui comprend le théâtre, et qui est lui-même en état de suggérer des idées, se rencontre avec un judicieux

poète, un vrai phénix. C’est alors qu’on ne doit pas s’inquiéter du suffrage des ignorants.

Les poètes me font un peu l’effet de trompettes avec leur farce de métier ! Si nous autres compositeurs, nous voulions toujours suivre si fidèlement nos

règles (qui étaient très bonnes autrefois, quand on ne savait rien de mieux qu’elles), nous ferions tout juste d’aussi médiocre musique qu’ils font de

médiocres livrets.

MOZART, 13 octobre 1781

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Mozart et Da Ponte à Prague Genèse de l’œuvre En 1786, après le vif succès à Prague des Noces de Figaro, le directeur du Théâtre Italien de Prague, le Théâtre Nostitz, commande à Mozart un nouvel opéra italien, en vertu de la logique selon laquelle le succès appelle le succès. Da Ponte, fidèle collaborateur du compositeur, lui propose le sujet de Don Giovanni. Autant le sujet des Noces de Figaro était neuf et contemporain, autant celui de Don Juan avait le vent très en poupe au XVIIIe siècle (succès qui ne sera d’ailleurs pas démenti un peu plus tard avec le romantisme !). Pour écrire son livret, Da Ponte s’appuie sur un opéra tout à fait contemporain, celui de Giuseppe Gazzaniga, Don Giovanni ossia il convitato di pietra (Don Juan ou le Convive de Pierre), écrit sur un livret de Giovanni Bertati et donné à Venise en janvier 1787. Il emprunte aussi à Tirso de Molina, Molière ou encore Goldoni. Le librettiste de Mozart n’éprouve pas le besoin de se disculper, à la différence de Bertati gêné par la thématique ambiguë pour l’époque : c’est que le sujet correspond désormais au romantisme naissant. L’époque était mûre, dans les régions de culture germanique, pour accueillir avec chaleur le thème donjuanesque ! En Allemagne du Sud et en Autriche, le thème avait eu, à la fin du siècle, un grand succès dans plusieurs pièces de théâtre populaire et chez les marionnettistes. Il existait donc un courant qui rendait le public sensible à ce que le sujet comportait de « merveilleux » et de diabolique. C’est donc à la mi-février 1787, de retour de Vienne, que Mozart s’adresse à Lorenzo Da Ponte pour une nouvelle collaboration. Dans ses Mémoires, Da Ponte prétend avoir choisi lui-même un sujet qui, depuis un siècle et demi, a fait le tour des scènes européennes. Il prétend aussi que le sujet plut beaucoup à Mozart, d’emblée. Quoi qu’il en soit, un mois plus tard, Don Giovanni est mis en chantier. Entre son retour de Prague et la fin du mois d’août, Mozart trouve même encore le temps d’écrire de nombreuses œuvres, dont la célèbre Petite Musique de nuit. Le 28 mai 1787, Leopold Mozart, le père du compositeur avec qui il est brouillé depuis des mois, décède à Salzbourg. Trois mois plus tard, la date de la première représentation à l’Opéra de Prague est fixée : elle aura lieu le 14 octobre, dans le cadre du séjour de l’archiduchesse Maria Teresa et de son époux à Prague. Un premier livret incomplet est donc imprimé pour être soumis à la censure. Le 15 octobre, Mozart écrit à un ami que, faute de répétitions, son opéra n’a pu être joué la veille, comme prévu. On a donné à la place Les Noces de Figaro et l’archiduchesse est repartie de Prague sans même avoir entendu l’œuvre composée en son honneur… Dans son livret, Da Ponte conserve de la tradition bouffe la nature composite du genre tragi-comique. Il ajoute (avec Mozart ?) l’échange de vêtements imposé par Giovanni à Leporello et les quiproquos qui s’ensuivent. Le personnage de Donna Anna, présent chez Tirso de Molina et absent chez Molière, prend une grande importance, ainsi qu’Elvire, la « femme » de Don Juan, inventée par Molière. La critique sociale, présente dans les Noces de Figaro, s’affirme ici aussi dans la bouche de Leporello ou de Masetto qui n’hésite pas à lever une bande de paysans pour bastonner l’aristocrate. Le librettiste aussi, tout comme Mozart, livre plusieurs batailles à la fois, puisqu’il confie dans ses Mémoires : « j’allai trouver l’empereur et lui expliquai que j’avais l’intention d’écrire trois livrets en même temps. « Vous n’y arriverez pas » me répondit-il. « C’est possible, dis-je, mais je veux tenter l’expérience. Je travaillerai le soir pour Mozart, et lirai d’abord quelques pages de L’enfer de Dante. Je travaillerai le matin pour Martini, comme si j’étudiais Pétrarque, et je donnerai mes après-midi à Salieri qui sera mon Tasse. »

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Sans doute qu’en écrivant son livret, Da Ponte puise dans sa propre vie d’aventurier-né, émule de Casanova… Il a su créer un très grand nombre d’occasions propices à des développements musicaux, offrant à Mozart un large éventail de situations propres à mettre en valeur son talent pour la musique « au second degré », la musique dans la musique, la parodie des différents styles d’opéra. La première a finalement lieu le 29 octobre. Est présent dans la salle Casanova en personne ! Mozart dirige l’orchestre et est accueilli par une triple ovation. Mozart et Da Ponte semblent s’être donnés le mot pour clouer sur leur siège les spectateurs venus voir une pièce comique, mais qui savaient cependant que, de la part du compositeur, on pouvait s’attendre à tout, y compris à découvrir des contradictions magnifiées par une musique équilibriste et un pur chef d’œuvre, complexe et ambigu. Après plusieurs représentations triomphales, les Mozart rentrent à Vienne, où l’opéra, légèrement remanié, sera bientôt donné. Quel contraste avec Prague : Comme pour Les Noces de Figaro, le public se montra bien élevé et distant. « Ce n’est pas une viande pour les dents de mes viennois », disait de Don Giovanni Joseph II qui aimait Mozart. « Ils auront le temps de s’y faire, sire », aurait répondu Mozart. Certes. Mais le compositeur ne sera pas là pour assister à son triomphe.

Joseph Lange (1751-1831), Mozart

Lorenzo Da Ponte

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Wolfgang Amadeus Mozart Biographie

« Mozart voulait plaire, et d’ailleurs Mozart avait besoin de plaire, premier musicien de l’histoire de la musique qui, rompant avec le service des Grands, ait pris le risque d’aller chercher son argent dans la poche du public payant. Mais il entendait plaire dans ses termes propres », écrit André Tubeuf à l’occasion du bicentenaire du compositeur. Celui-ci se définit lui-même, dans une lettre à son père, de la façon suivante, en 1777 : Papa chéri, Je ne puis écrire en vers, je ne suis pas poète. Je ne puis distribuer des phrases assez artistement pour leur faire produire des ombres et des lumières, je ne suis pas peintre. Je ne puis non plus exprimer par des signes et une pantomime mes sentiments et mes pensées, je ne suis pas danseur. Mais je le puis par les sons : je suis musicien. Musicien. Un musicien engagé, même s’il ne théorise jamais sur sa musique. En 1878, au moment où il compose Don Giovanni, Mozart a 31 ans. Il ne lui reste que quatre années à vivre. Quatre années pendant lesquelles les embarras financiers qui sont depuis longtemps son lot ne cessent de le harceler. Les années les plus noires de sa vie, au cours desquelles il compose ses ultimes chefs d’œuvre. Sa carrière a commencé, incroyablement, 29 ans plus tôt. Grâce à son père, Leopold, violoniste compositeur, maître de chapelle du Prince Archevêque de Salzbourg et auteur du plus important manuel de violon du XVIIIe siècle, le jeune Mozart, à peine âgé de six ans, parcourt alors l’Europe entière en compagnie de sa sœur : Paris, Londres, où il se lie avec Jean-Chrétien Bach, l’Italie, Vienne et Munich, Amsterdam... Il compose sa première symphonie à huit ans, puis, quatre ans plus tard, un singspiel Bastien et Bastienne et son premier opéra La finta Semplice. Des voyages successifs en Italie entre 1770 et 1773 confirment sa renommée de musicien prodige. Son opéra Mitridate, re di Ponto reçoit un accueil triomphal à Milan. De retour à Salzbourg, les Mozart doivent subir les humeurs et les caprices du nouveau Prince-Archevêque, le comte de Colloredo. En dépit de cette situation difficile, Mozart n’arrête pas de composer : six quatuors viennois, un opéra-bouffe La Finta Giardiniera (La Fausse jardinière), son premier concerto pour piano. En 1777, Mozart excédé par le comportement de Colloredo, se démet de ses fonctions et ce, contre l’avis de son père. Un voyage à Mannheim puis à Paris lui réserve pourtant quelques désillusions : l’enthousiasme d’autrefois cède la place à un accueil plutôt mitigé de la part du public. Le décès de sa mère, l’année suivante, le ramène dans sa ville natale. Mozart s’aperçoit alors qu’il n’est plus l’enfant prodige qui a tant ému les foules. Il doit donc à vingt-trois ans, se plier de nouveau à la volonté paternelle et à l’autorité du Prince-Archevêque.

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Tout en occupant, à contrecoeur, un poste d’organiste à la Cour de Colloredo, Mozart compose la Symphonie concertante pour violon et alto et achève l’opéra Thamos, Roi d’Egypte. En 1781, il se rend à Vienne pour la création d’Idoménée. A cette occasion, un nouveau différend avec le Prince-Archevêque entraîne une rupture définitive entre les deux hommes. Désormais installé à Vienne, Mozart doit donner des leçons pour vivre. Contre le gré de son père, il se marie avec Constance Weber à qui il dédie L’Enlèvement au Sérail en 1782. Les symphonies « Haffner » et « Linz » sont également composées à cette époque. Le bonheur avec Constance est de courte durée. Le couple perd son premier enfant et les dettes commencent à s’accumuler. En 1784, Mozart entre dans la franc-maçonnerie. Il manifeste tout son génie musical en écrivant cinq concertos pour piano et six quatuors à cordes qu’il dédie à son ami Joseph Haydn. Il met en musique la pièce de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro qui devient Les Noces de Figaro. L’opéra obtient un succès très relatif à Vienne mais triomphe à Prague l’année suivante. Il compose encore la Petite musique de nuit, la Symphonie « Prague » et surtout Don Giovanni qui remporte un grand succès à Prague. En 1787, Mozart est nommé par l’Empereur Joseph II compositeur de la Chambre Royale, succédant ainsi à Gluck qui vient de mourir. Mais ses gages modestes ne le délivrent pas des soucis matériels : peu à peu, la misère s’installe chez les Mozart. C’est toujours dans les moments tragiques que Mozart écrit ses musiques les plus fortes. Malgré le récent décès de son père, des difficultés financières inextricables et la maladie de Constance, il compose en 1789 Cosi fan tutte, un opéra bouffe pour Joseph II. Mais la mort de ce dernier le laisse sans protecteur. Mozart va d’échec en échec. Les concerts qu’il tente d’organiser sont désertés. Dans les derniers mois de sa vie, Mozart, dont la santé se détériore, trouve pourtant la force d’écrire des pages exceptionnelles : deux opéras, La Flûte enchantée et La Clémence de Titus, un concerto pour clarinette et un Requiem qu’il ne pourra pas achever. Epuisé, Mozart meurt le 5 décembre 1791. Le mauvais temps oblige la dizaine d’amis venus accompagner le cercueil à déserter le cimetière. Ses deux fils resteront célibataires, la lignée du génie s’éteint.

Barbara Krafft, Portrait posthume de Mozart (1819)

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Il dissoluto punito ossia il don giovanni – dramma giocoso* par Anne Blayac

Ces quelques indications notées en tête de la partition par Mozart et son librettiste Da Ponte peuvent guider l’auditeur car elles définissent l’opéra en ouvrant des pistes de réflexion. Introduction : drôle de drame : opéra séria ou opéra bouffe ? Cet opéra de la fin du XVIIIe siècle représente la synthèse par Mozart des deux grands genres à la mode : opera seria et opera buffa, d’où son impact et sa force émotionnelle. Les qualités humaines de Mozart se retrouvent dans les deux styles : son esprit, son humour mais aussi sa profonde sensibilité qui lui permettent dans ce chef-d’œuvre qu’est Don Giovanni d’aller jusqu’au bout dans l’exploration des passions humaines. DRAMMA … Certes, le sujet est tragique : l’action commence par un meurtre et finit aussi par une mort violente, celle du héros ; les héroïnes trahies nous émeuvent par leurs lamentations ou leurs colères. … GIOCOSO Mais en contrepoint, l’aspect léger et drôle demeure omniprésent, par exemple dans le rapport maître/valet entre Don Giovanni et Leporello, si caractéristique du genre de l’opéra bouffe, ou dans les scènes de fête villageoise, au contact de Zerlina et de son Masetto. Quelques citations pour mieux cerner cette dualité : Des scènes comme la mort du commandeur… atteignent par leur concision, par la grandiose simplicité des moyens mis en œuvre, le plus haut degré de pathétique, tandis que les parties bouffonnes, le rôle de Leporello, sont bien certainement ce qui a été fait de plus réussi dans le genre. Mais c’est encore dans le mélange qu’on pourrait dire réaliste de l’élément comique et du dramatique que se révèle le génie de Mozart fait de tact, de mesure, de pudeur et de simplicité naturels. R. DUMESNIL Quelques notes piquées et, brusquement, tout change ; nous voici projetés dans un allegro molto où le Dramma s’efface devant l’épithète Giocoso qui lui a été accouplé. H. BARRAUD Il parle là de l’OUVERTURE, cette extraordinaire partie orchestrale que nous nous proposons d’étudier et où l’opposition des deux parties résume la dualité interne à l’œuvre : le spectateur ou l’auditeur, durant tout l’opéra, est partagé entre amusement aux pitreries de Leporello, compassion à la douleur des victimes, Donna Anna et Donna Elvira, et indignation devant l’arrogance du héros ; les émotions extrêmes se succédant à un rythme tout Mozartien. * Le libertin puni ou le Don Juan – drame joyeux Grâce au portrait de Don Giovanni présenté par Leporello dans l’AIR DU CATALOGUE « Madamina, il catalogo… », nous allons découvrir le libertin, il Don Giovanni, il Dissoluto. Puis nous le verrons à l’œuvre dans une entreprise de séduction auprès de Zerlina, une de ses victimes avec l’étude du DUO « La ci darem la mano ».

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LA SCENE DU BANQUET représente le pendant de l’ouverture car, comme nous l’observerons, elle en reprend les principaux éléments musicaux. Elle constitue la véritable conclusion de l’opéra : le Dissoluto ne peut plus fuir son châtiment et devient le Punito. Il paraît indispensable d’écouter en complément un GRAND AIR de Donna Anna ou de Donna Elvira « pour l’émotion pure », ainsi qu’un ensemble vocal où Mozart donne toute la mesure de son talent de compositeur virtuose.

I. Chronique d’une mort annoncée : l’ouverture Cette ouverture marque le début d’un nouveau type qui servira de modèle aux compositeurs du dix-neuvième siècle : l’habituelle introduction symphonique présente ici des motifs mélodiques essentiels dans l’œuvre et annonce le dénouement tragique de l’opéra : la mort de Don Giovanni. Il s’inspire là d’un principe que suggérait Gluck dans ses propositions de réforme de l’opéra : l’ouverture est là « pour informer les spectateurs de la nature de l’action qui se prépare et en former, pour ainsi dire, l’argument ». Elle se compose de deux grandes parties : 1 – ANDANTE 2 – MOLTO ALLEGRO Ce découpage en deux parties, la première lente et la deuxième rapide, est héritée de l’ouverture à la française (lent-vif-lent ou lent-vif chez Rameau) alors que l’ouverture à l’italienne inverse les tempi (vif-lent-vif). 1 – ANDANTE (mes.1 à 30) (Cf. Présentation pages suivantes d’extraits de la partition : propositions d’analyse de Jacques Chailley). Cette première partie de l’ouverture doit être confrontée immédiatement à l’écoute du début de la scène du banquet. Mozart installe d’emblée le Dramma annoncé dans son sous-titre ; l’auditeur est saisi dès les premières mesures par une musique funèbre et terrible. La douleur exprimée dans ce début d’œuvre est certainement l’écho de la tristesse de Mozart qui vient de perdre son père. Quels éléments thématiques donnent cet aspect dramatique ? MOTIF A

Les premiers accords de ré mineur, répétés en tutti d’orchestre forts et syncopés, nous plongent d’emblée dans le drame : ces accords sont ceux de la statue du commandeur. Ils préfigurent l’arrivée du commandeur dans la scène du banquet, annoncée avec des accords très proches de caractère sur cette

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même tonique de ré mineur. Cette tonalité est dramatique et funèbre par excellence pour Mozart puisque il l’a également choisie pour son Requiem. Cette tonalité apparaît aussi lors du combat au cours duquel périt le commandeur quand Don Giovanni lui assène Misero Attendi, si vuoi morir / Misérable ! Attends si tu veux mourir. MOTIF B

Le rythme pointé des mesures suivantes, joué aux cordes, symbolise le pas lourd de la statue et sera réentendu souvent. Il souligne l’aspect inexorable, fatidique de la tragédie ; ce rythme évoque le rythme cardiaque et a toujours un fort impact émotionnel : on ne peut se dérober devant une telle force, Don Giovanni devra finalement s’incliner et payer ses fautes. La ligne de basse descend alors chromatiquement, exprimant symboliquement la douleur de la mort comme maintes fois chez Bach, ou comme au moment de la mort de Didon dans Didon et Enée de Purcell. MOTIF C

Cet élément mélodique est très tendu et angoissant par ses intervalles ascendants (notamment une seconde augmentée fa sol#), sa syncope, et sa formulation répétitive durant quatre fois. MOTIF D ET E

Ils créent une attente à laquelle répondent de lourds accords en tutti, implacables. MOTIF F

Ces gammes ascendantes et descendantes, très lancinantes contribuent grandement au poids de l’ouverture, et gagnent l’aigu progressivement par degrés chromatiques. Ce sont d’ailleurs des gammes « déformées », qui ne respectent pas la succession habituelle tons/demi-tons, Mozart cherchant toujours à surprendre. Elles sont bien évidemment exploitées dans la scène du Banquet.

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Durant ces trente mesures, les harmonies sont très expressives et tendues, sans repos pour l’oreille, et la cadence qui ramène la tonique ré se fait attendre : Mozart sait tenir l’auditeur en haleine… La cadence est très rapide, en trois mesures et préfigure le rythme général de l’œuvre : péripéties, drames, conquêtes, travestissements, supercheries vont se dérouler sans répit. 2 – MOLTO ALLEGRO (mes.31 à 292) Nous voilà dans l’ambiance Giocoso. Quelle est la structure de cette partie ? Elle suit le schéma très courant durant la période classique de la forme sonate : EXPOSITION Mesure 31 à 120

DEVELOPPEMENTMesure 121 à 192

REEXPOSITIONMesure 193 à 281

CODA Mesure 282 à la fin

Thème A Ré Majeur Mes.56 Pont Mes.77 Thème B La Majeur (ton de la dominante)

Thème B puis thème AJeu sur les thèmes : Modulations Transpositions Canons, imitations

Thème A Ré MajeurMes.217 Pont Mes.238 Thème B Ré Majeur (ton principal)

Cadences en tutti Fin modulante vers accord de dominante de Fa Majeur

Pourquoi une forme sonate ? Cette structure permet de confronter deux thèmes de caractère opposé dans une exposition, puis de les faire dialoguer et de présenter leurs différents visages dans un développement, et ensuite de les faire réentendre apaisés dans une réexposition. Soit en quelque sorte, l’équivalent de l’exercice littéraire de dissertation ! Le compositeur suscite l’intérêt tout au long du mouvement car, après la présentation de ses « personnages » les thèmes, il instaure une période de tension pendant le développement, qui appelle ensuite une détente : la réexposition. Cette structure a représenté un modèle idéal de construction pour bien des compositeurs et des milliers de mouvements de sonate, quatuor, symphonie, concerto sont bâtis sur ce moule. Quel climat instaure cette seconde partie ? Le contraste est instauré par la modulation en ré Majeur, ton lumineux et par le changement de tempo, beaucoup plus rapide. Le rythme syncopé du thème A, dans cette allure vive, prend un caractère très différent des syncopes précédentes : la ligne ascendante souligne l’aspect dynamique et allant. Les sonneries des vents en écho évoquent une fanfare joyeuse. Le thème B est léger et pétillant, presque ironique. Ce caractère vif du mouvement dans son ensemble paraît refléter le personnage de Don Giovanni perpétuellement en action, en mouvement, étourdi par les plaisirs terrestres, toujours en quête d’une nouvelle aventure, comme s’il redoutait de se trouver seul face à lui-même ou face au suprême jugement.

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Cette impétuosité donne aussi le rythme général de l’opéra dans lequel les actions s’enchaînent en cascade : violence auprès de Donna Anna, meurtre de son père, séductions, travestissements, duperies, pour finalement buter sur l’inexorable châtiment. Les références thématiques prémonitoires sont aussi nombreuses que dans la première partie mais renvoient ici à plusieurs scènes et personnages : Don Ottavio, Donna Anna ou le Commandeur (cf. Education musicale, Septembre-Octobre 2001). Les deux aspects opposés du sous-titre Dramma et Giocoso sont donc développés et exploités dans cette page éblouissante, tant par sa force expressive que par sa remarquable construction. Quelle stupéfaction de savoir par les témoignages de ses contemporains, que Mozart n’avait toujours pas composé l’ouverture l’avant-veille de la première !

II. Tableau de chasse : l’air du catalogue Cet air de Leporello s’inscrit dans la scène 5 de l’acte I. Il énumère les conquêtes de Don Giovanni, à l’échelle européenne ! Il s’agit donc d’un portrait, mais d’un portrait en action. Des évènements essentiels ont eu lieu : l’outrage de Donna Anna et le meurtre de son père, le Commandeur ; mais ces faits tragiques semblent déjà appartenir au passé, tant le ton de Leporello paraît détaché et léger. Pourtant, le valet de Don Giovanni est dans une situation délicate : Donna Elvira vient précédemment de retrouver Don Giovanni qui l’avait abandonnée. Elle lui a exprimé sa colère, son ressentiment, mais le séducteur a adopté une tactique lâche et s’est esquivé, laissant Leporello « se débrouiller » avec une femme à l’honneur bafoué. Loin de s’apitoyer, Leporello la traite avec la pire des goujateries « Eh ! Consolez- vous ; vous n’êtes pas, n’avez pas été et ne serez ni la première, ni la dernière… ». Le fameux air va ensuite lui révéler l’étendue de la trahison. Les rapports entre Don Giovanni et lui-même ne sont pas simples ; nous savons, par la première intervention de Leporello, que celui-ci aimerait bien se trouver à la place de son Maître ! Il a déjà chanté Voglio far il gentiluomo… ; e non voglio piu servir / Je veux faire le gentilhomme et ne veux plus servir ; en voulant être ainsi une personne socialement plus élevée, il reflète des idées politiques qui fermentent en Europe à cette époque : 1789 va bientôt avoir lieu en France ! Par le ton complaisant de l’énumération, il nous fait comprendre qu’il se verrait bien à la tête d’un semblable palmarès de conquêtes.

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L’air se déroule en deux parties : 1 – MESURE 1 A 84 : L’ENUMERATION

La tonalité est ré Majeur jusqu’à la fin. La mesure est à quatre temps. La voix attaque très vite, sans laisser de repos orchestral entre le récitatif précédent et l’air. Les cordes jouent avec légèreté, détachant des arpèges ascendants ou des trémolos. Le ton de Leporello est insultant, car il lui donne du « Madamina », bien familier envers cette dame de haute naissance ! Avec cynisme, il fait observer qu’il a lui-même constitué ce catalogue (qui la bafoue). Sa voix semble joyeuse, sur des formules mélodiques simples traduisant sa balourdise. Le catalogue, par son débit rapide, peut être comparé à l’air du Barbier de Séville, « Figaro ». Ici aussi, l’énumération se fait sur des notes répétées en croches. Les formules cadentielles sont destinées à faire rire « Mille e tre » est détaché et mis ainsi en exergue. Le comique naît aussi de la répétition de certains mots « ma in Ispagna » ou « Mille e tre ». Quelques mesures plus loin (mes.72), dans sa surenchère, il vante la condition sociale des conquêtes et des gammes racontent la ronde des comtesses, marquises et autres princesses… L’orchestre suit sa verve et se montre tout aussi volubile avec de nombreuses gammes lancées par un ironique triolet de doubles-croches. 1 – MESURE 85 A LA FIN : LA DESCRIPTION Pour souligner l’aristocratie de Don Giovanni (et en miroir la noblesse de Leporello valet/reflet : n’échangeront-ils pas leurs conquêtes quelques scènes plus tard ?), Mozart a choisi un menuet, danse synonyme d’élégance au XVIIIe siècle. Entamant l’énumération des qualités physiques de toutes ces belles, Leporello prend un ton ridiculement fat et prétentieux, comme s’il cherchait à tout prix à s’approprier chacune de ces conquêtes. Quelques traits de figuralisme ponctuent les portraits : « la douceur » est évoquée par un chromatisme ascendant mes. 99, la « maestosa » dans un emphatique ré aigu tenu plus de deux mesures. Mesure 115, Mozart use du comique de répétition, « la piccina », répété neuf fois ! Pour mettre en valeur « sa passion prédominante est la jeune débutante», nous voilà dans un sombre emprunt à si bémol majeur auquel s’enchaîne un chromatisme descendant dont nous avons vu auparavant la symbolique dramatique : Leporello blâme-t-il le péché ? Ou, comme une vilaine commère, se complait-il dans l’évocation des frasques les plus extrêmes de son maître ?

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Pour conclure son édifiant discours, il reprend la pauvre Donna Elvira à partie : « Pourvu qu’elle porte la jupe, vous savez ce qu’il fait », Voi sapete quel che fa insiste-t-il lourdement dans cette évocation malsaine, la reléguant ainsi finalement au rang de numéro dans l’interminable catalogue. Durant cet air, la musique nous oriente vers le rire et souligne l’aspect rustre et comique du personnage, sans parvenir à nous faire oublier complètement combien Donna Elvira doit se sentir humiliée par ces révélations : Leporello lui inflige la liste interminable des conquêtes de Don Giovanni durant 172 mesures ! ! ! Une nouvelle fois, Mozart fait hésiter le spectateur dans ses réactions : doit-il rire d’une telle énumération (et les effets comiques sont nombreux !), ou doit-il pleurer avec la pauvre Elvira ? La dualité Buffa / Seria est toujours là par l’ambiguïté des personnages et des situations.

III. Donne-moi ta main et prends la mienne : La ci darem la mano PREMIERE PARTIE Il s’agit ici de séduire une jeune paysanne ; nous avons vu auparavant que Don Giovanni ne dédaigne aucune catégorie sociale. Ce qui rend intéressante la jeune personne, c’est que ce jour-là… elle doit se marier avec Masetto ! Don Giovanni a fait irruption lors des préparatifs de la noce. Depuis le début de l’opéra, nous avons fait connaissance avec Donna Anna en colère contre un agresseur puis chagrinée par la mort de son père ; ensuite Donna Elvira, humiliée par Leporello lui racontant les conquêtes diverses et variées de celui qu’elle considère comme son époux. Mais nous n’avons toujours pas pu admirer le fougueux Don Giovanni dans son rôle favori : celui de séducteur. Cette scène crée une détente ; d’ailleurs, toutes les scènes où figurent Zerlina et les siens constituent un moment de légèreté, d’opéra bouffe au sein du drame. Zerlina, dans le récitatif annonçant le célèbre duo, guidée par son bon sens, n’est pas dupe : « je sais que rarement avec les femmes, vous autres messieurs, êtes honnêtes et sincères ». Mais Don Giovanni n’a peut-être pas tout à fait la même conception du mariage que la jeune paysanne, et n’a aucun scrupule à lui répliquer « sur le champ je veux t’épouser ». Le chef-d’œuvre de Mozart nous dépeint, seconde par seconde, comment Zerlina succombe peu à peu. La musique complète subtilement les paroles et accompagne les hésitations puis le consentement joyeux de l’héroïne. Dans une première page, Don Giovanni invite la jeune femme à le suivre : Don Giovanni Là ci darem la mano, La mi dirai di sì. Vedi, non è lontano : Partiam ben moi da qui

Don Giovanni Là nous nous donnerons la main, Là tu me diras « oui ». Vois, ce n’est pas loin, Partons d’ici, mon amour

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La mélodie devient séduction : ces quelques mesures sont parmi les plus élégantes jamais écrites par Mozart : douceur, sensualité renforcées par les contre-temps des cordes ; la courbe du thème principal semble vouloir enrober, enrubanner l’interlocutrice : comment pourrait-elle résister ? Déjà sous le charme, elle répond en imitant la mélodie entendue, elle répond en quatre vers également mais garde encore un peu son sang-froid, la dernière phrase redoublée nous l’indique par son sens, mais nous montre aussi par son allure ornementée la coquetterie féminine. Zerlina (Vorrei, e non vorrei... Mi trema un poco il cor… Felice, è ver, sarei : Ma può burlarmi ancor.

Zerline (J’ai envie, et je n’ai pas envie… Le cœur me tremble un peu… Heureuse, c’est vrai, je le serais : Mais il peut me tromper encore.)

Le dialogue alors se resserre, Don Giovanni devient pressant et les échanges des deux personnages ne durent plus qu’un seul vers. La plume du librettiste Da Ponte fait maintenant parler Don Giovanni à l’impératif et dans le domaine du langage, aussi, nous observons une subtile progression : premiers mots au futur, ensuite au présent puis dans cette réplique, c’est maintenant à un ordre que doit obéir la pauvre victime : « Viens mon bel amour ». Pour marquer son hésitation, la mélodie de Zerlina tourne sur elle-même pour refléter sa minauderie : « Masetto me fait pitié ». Don Giovanni prend un ton autoritaire : « Je changerai ta destinée ». Zerlina s’exprime alors d’une voix incroyablement vraie : en l’entendant, on la voit ! Elle répète trois fois une formule chromatique en broderie : si la# si la si sol# si si…

Ce qui s’appelle « faire la coquette » ! Intimement, elle a déjà cédé. La conclusion de ces charmants échanges est laissée à Don Giovanni qui relance un ordre tendre : « Vieni ! vieni ! ». Pour notre plus grand plaisir, le couplet reprend, mais modifié, car le texte est repris morcelé, et les deux tourtereaux chantent maintenant tour à tour. Il ne la laisse plus respirer, et lui coupe même la parole dans sa dernière pensée pour l’infortuné Masetto. Mozart réussit là une prouesse d’expressivité : l’adéquation entre le texte et la musique est parfaite. Les notes suggèrent le sens caché des mots, permettant de qualifier l’Opéra d’art total, bien avant que Wagner n’en fasse la définition et l’apologie.

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SECONDE PARTIE ANDIAM ! ADIAM ! Aucun doute, l’union annoncée se confirme : là encore la musique exprime le sens du texte et pour cela Don Giovanni et Zerlina entonnent sur un rythme de gigue un air dansant et entraînant à 6/8. Pour accentuer la légèreté du propos, le tempo a changé : allegro au lieu d’andante. Ils chantent maintenant en homorythmie et à la tierce pour souligner leur joyeuse complicité. « Leur innocent amour » est ponctué d’une irréfutable cadence parfaite en la Majeur. Cette phrase est répétée deux fois. L’orchestre commente mélodiquement leur entrain andiam avec des rythmes de sicilienne et des grupettos aux violons et aux flûtes assez ironiques. Cette page apporte au cœur de l’œuvre une touche de légèreté, dans l’esprit galant du XVIIIe siècle où les scènes de séduction suscitent fréquemment des tableautins empreints d’un charme pétillant et libertin : pensons aux tableaux de Fragonard… Mais cette joie illusoire, factice, Don Giovanni en paiera le prix à la fin de l’œuvre, comme l’aristocratie française devra aussi le faire durant la Révolution. Don Giovanni, comme Les Noces de Figaro, annonce les idées nouvelles, le crépuscule de la noblesse européenne.

IV. Crime et châtiment : la scène du banquet Trois protagonistes sont réunis pour l’ultime souper : précédemment, au cimetière, Don Giovanni a demandé à Leporello, tétanisé de peur, d’inviter la statue du Commandeur : « Seigneur, mon maître… Prenez bien garde… pas moi, Voudrait souper avec vous… » 1 – ECHANGE D’INVITATIONS La scène XV nous raconte l’ultime rencontre des trois protagonistes : la statue du Commandeur, Don Giovanni et son inséparable valet, Leporello. L’heure de la Mort a sonné pour Don Giovanni et une musique d’une extraordinaire intensité dramatique accompagne le dénouement fatidique. Notre mémoire auditive a retenu les terribles accords de l’ouverture et lorsqu’ils résonnent à nouveau ici, le sort de Don Giovanni paraît inéluctable dès les premières notes : ils signent son arrêt de mort, le spectateur l’a su dès le début de l’œuvre. Mozart annonce l’arrivée du Commandeur par les deux accords qui commençaient l’opéra : le motif A, mais en intensifiant la dramatisation par deux procédés expressifs (ici le premier accord est devenu une septième diminuée, accord très tendu). En outre, aucune préparation harmonique à la fin de l’épisode précédent ne laissait prévoir la tonalité de ré mineur. Nous retrouvons la tonalité funèbre mais aussi les rythmes de noire pointée / croche (motif B), les syncopes (motif C) qui annonçaient, dès l’ouverture, la

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mort du héros. Mais le choc auditif provient surtout de la voix du Commandeur qui s’élève et interpelle Don Giovanni d’un ton extrêmement solennel et terrifiant sur l’arpège de ré mineur. L’orchestre joue avec puissance, renforcé par les funèbres trombones en tutti. (mesures 433 à 443) Don Giovanni répond avec assurance, demandant à Leporello d’apporter à souper dans une phrase qui montre son aplomb ; cependant, les syncopes aux violons (motif C) contredisent, par leur aspect angoissant, son apparente désinvolture. Nous retrouvons un Leporello effrayé de tant d’audace et son traitement vocal durant cette scène poursuit son parcours de style bouffe : « Ah ! Padrone » s’étend sur une septième diminuée descendante accompagnée de tremblements imitatifs aux violons. La réplique suivante du Commandeur donne froid dans le dos. Cette longue tirade module en la mineur. Commendatore Ferma un po' Non so pasce di cibo mortale Chi si pasce di cibo celeste ; Altre cure più gravi di queste, Altra brama quaggiù mi guidò.

Le Commandeur Arrête un peu. Il ne se repaît pas de nourritures terrestres, Celui qui se repaît de nourritures célestes. D’autres soucis plus graves que ceux-la, D’autres désirs m’ont amené ici.

Tout d’abord, le Commandeur énonce une phrase descendante aux intervalles tourmentés, puis des la répétés en valeurs longues montrent sa force et lui confèrent un aspect hiératique. Au même moment, les gammes déjà entendues dans l’ouverture réapparaissent par huit fois montant chromatiquement du la au mi, comme une menace inexorable. Cette tirade va obliger Don Giovanni à ne plus se dérober et à affronter la mort. Don Giovanni montre alors sa véritable envergure, et l’opéra prend tout son sens. L’homme « sans foi ni loi », celui qui trompe, trahit, fuit, l’épicurien qui séduit puis abandonne, celui qui clame Vivan le femmine, viva il buon vino , laisse la place à celui qui ose affronter la mort avec courage et une certaine grandeur. Il rejoint ici l‘autre dimension du mythe : le « Don Juan » ne se limite plus au personnage frivole du séducteur, « Il Dissoluto », mais devient la représentation d’un homme libre de ses actes jusqu’au bout, prêt à en payer le prix, jusqu’à la mort. Le mythe de Don Juan rejoint alors d’autres grands mythes : Faust, Prométhée. L’homme d’essence terrestre défie les divinités, l’au-delà. Il refuse sa condition humaine : la liberté entravée, la perspective inéluctable de la Mort. D’ailleurs, certaines mises en scène contemporaines de la mort de Don Juan soulignent davantage l’attitude de défi du héros face à sa propre Mort, que la punition divine symbolisée par la Statue vengeresse et suppriment les flammes de l’enfer, l’aspect spectaculaire de l’engloutissement et ainsi la référence à la notion de péché. Les réponses de Don Giovanni à la Statue sont donc pleines d’aplomb, à la limite de l’insolence « Parle donc : que demandes-tu ? Que veux-tu ? ». En contrepoint, Leporello manifeste à nouveau sa peur par des triolets. Mais le commandeur s’impatiente répétant des ré menaçants, soutenus par les gammes qui ont repris « Je n’ai plus beaucoup de temps ». Don Giovanni répond encore avec une formule cadentielle plutôt arrogante : la ré mi la « Parle, parle, je t’écoute ». La tension est croissante car le Commandeur invite à son tour Don Giovanni.

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Les moyens utilisés par Mozart pour créer l’angoisse se multiplient : la ligne de basse monte chromatiquement durant seize mesures, les accords de septièmes diminuées se succèdent, la ligne vocale du Commandeur, toujours en valeurs longues, grimpe elle aussi chromatiquement jusqu’au mi bémol en prenant de l’ampleur par des sauts d’octaves descendantes. Don Giovanni revendique son courage « On ne pourra jamais m’accuser de lâcheté », mais des contre-temps, des syncopes joués par l’accompagnement donnent un arrière-plan tourmenté à sa réplique. Ces détails montrent tout le soin accordé par Mozart à l’orchestration : souvent les instruments expriment l’intériorité du personnage, ses sentiments les plus intimes. Ici Don Giovanni plastronne encore, mais la peur le tenaille certainement. La statue insiste, chantant d’impressionnants intervalles de dixième « Décide-toi », puis « Viendras-tu ? ». La réponse est résolue, toujours courageuse, mais accompagnée par une rythmique bousculée aux cordes qui exprime certainement là aussi son agitation intérieure au moment où il décide d’affronter sa propre mort. La mélodie de Don Giovanni nous indique une assurance que contredit de plus en plus l’orchestre.

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Le Commandeur demande sa main à Don Giovanni ; l’orchestre affirme la solennité de l’engagement avec un tutti en sol mineur doublé de roulements de timbales. Don Giovanni tend sa main en gage de bonne foi. 2 – DERNIER REFUS Alors résonne un grand cri souligné par des trémolos des cordes et par un accord de septième diminuée (toujours présent aux moments-clés).

Le Commandeur somme Don Giovanni de se repentir à plusieurs reprises, lui donnant une ultime chance de survie. Mozart nous fait alors réentendre, aux cordes graves, les traits fusés qui accompagnaient la mort du Commandeur dans l’acte I. L’action accélère, les répliques raccourcissent. Don Giovanni lutte et refuse de se repentir. « No » répond-il par neuf fois dans une subtile progression : les premiers refus se placent encore sur des formules cadentielles ; puis les réponses deviennent désordonnées : si bémol si bécarre (chromatiques) ou séparées par de grands intervalles : fa # do # ré la montrant la peur croissante de Don Giovanni. L’orchestre sous-tend ce dialogue avec des contrastes forte / piano mesure par mesure ; les timbales inquiètent par leurs roulements incessants, les cordes vibrent en trémolos ; les vents renforcés par les trombones jouent de sombres accords. La dernière et implacable réplique du Commandeur prend une force incroyable malgré la nuance subite pianissimo car tout l’orchestre joue à l’unisson de la voix la mélodie condamnatoire, descendante et sépulcrale : saut de septième diminuée et cadence en ré mineur dans une tessiture très grave.

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3 – L’ENGLOUTISSEMENT Le commandeur disparaît et le chœur intervient alors. Le tempo a accéléré : allegro, mais la tonalité de ré mineur demeure. Don Giovanni, terrifié, se retrouve entouré de flammes et hurle sa douleur. Le chœur le condamne dans une sentence énoncée à l’unisson : « Tout ceci est peu pour tes crimes. Viens, il est un mal bien pire ». L’orchestre en tutti dépeint l’enfer avec figuralisme : trémolos, gammes descendantes, chromatismes, syncopes… Don Giovanni raconte les horreurs de l’enfer sur des motifs aux intervalles disjoints et avec des rythmes pointés. Leporello, fidèle à son rôle de poltron, chante sa frayeur en contrepoint. Leur chant est soutenu par un accompagnement constamment chromatique. Le chœur sous terre, avec des voix sombres, répète les mêmes terribles paroles, se superposant maintenant aux voix tourmentées de Don Giovanni et de Leporello dans un effroyable chaos. Le dernier cri de Don Giovanni retentit sur un ré aigu avant qu’il ne soit englouti : une descente chromatique du hautbois, de la clarinette et des violons illustre sa chute dans le néant. Leporello hurle le même cri que son maître et s’ensuit le même chromatisme instrumental en écho. Une cadence plagale sol ré donne un aspect religieux à la conclusion et la scène se termine sur une tierce picarde (qui consiste à conclure en majeur un morceau en mineur), comme pour signifier la victoire des forces de l’au-delà sur le péché d’un humain. Comme pour tout mythe, chacun est libre de voir dans le héros Mozartien le reflet de ses propres interrogations : faut-il voir Don Giovanni comme un symbole du péché ? De la liberté ? De l’hédonisme ? Du courage ? De la perversité ? Ces images se contredisent, mais aussi s’éclairent les unes les autres, démontrant la complexité de l’âme humaine.

Le baiser volé, Fragonard(1756-1761)

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L’air du catalogue Leporello Acte I, scène V Madamina, il catalogo è questo Delle belle che amo il padron mio ; Un catalogo gli è che ho fatt’io, Osservate, leggete con me. In Italia seicento e quaranta, In Germania duecento e trentuna, Cento in Francia, in Turchia novantuna, Ma in Ispagna son già mille e tre. V’han fra queste contadine, Cameriere, cittadine, V’han contesse, baronesse, Marchesiane, principesse, E v’han donne d’ogni grado, D’ogni forma, d’ogni età. Nella bionda egli ha l’usanza Di lodar la gentilezza, Nella bruna, la costanza, Nella bianca, la dolcezza. Vuol d’inverno la grassotta, Vuol d’estate la magrotta ; E’ la grande maestosa, La piccina è ognor vezzosa ; Delle vecchie fa conquista Pel piacer di porle in lista, Sua passion predominante E’ la giovin principiante. Non si picca se sia ricca, Se sia brutta, se sia bella : Purché porti la gonnella Voi sapete quel che fa. (Parte)

Ma jeune Madame, voici le catalogue Des belles qu’a aimées mon maître ; Un catalogue que j’ai fait moi-même ; Regardez, lisez avec moi. En Italie six cent quarante, En Allemagne deux cent trente et une, Cent en France, en Turquie quatre-vingt-onze, Mais en Espagne, elles sont déjà mille trois. Il y a parmi celles-ci des paysannes, Des soubrettes et des bourgeoises, Il y a des comtesses, des baronnes, Des marquises, des princesses Et des femmes de tout rang, De toute forme, de tout âge. Chez la blonde, il a coutume De louer la délicate amabilité ; Chez la brune, la vigueur; Des plus blanches, la douceur. Il recherche en hiver la potelée, En été la mince ; La grande est majestueuse, La petite toujours charmante ; Des plus mûres il ne fait la conquête Que pour le plaisir de les coucher sur la liste ; Mais sa passion de prédilection Est la jeune débutante. Il n’a cure qu’elle soit riche, Qu’elle soit laide, qu’elle soit belle : Pourvu qu’elle porte jupe Vous savez bien ce qu’il en fait. (Il sort)

Guide des Opéras de Mozart – BRIGITTE MASSIN / Edition Fayard

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© Marc Ginot, Représentations de la saison 2007-2008

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La divine mélancolie Notes pour la mise en scène (extraits) Par Jean-Paul Scarpitta Entre les personnages inventés par le génie des hommes, et qui ont fini par acquérir une vie quasi réelle, il n’en est guère de plus populaire que celui de Don Juan. (…) Don Juan est un frère de Faust, un frère en rébellion et un frère en misère. Faust, c’est la révolte de l’esprit, c’est l’inquiétude scientifique, le besoin de tout savoir, de tout comprendre, de tout embrasser. Don Juan, c’est la révolte de la chair, c’est la poursuite à travers le monde de jouissances toujours plus vives, de plaisirs nouveaux, mais c’est aussi la quête de l’amour, un grand besoin d’étreindre, de posséder et de se donner, ou du moins de goûter cette joie divine de sentir naître chez une femme, une jeune fille, ce trouble qui l’étonne et qui l’envahit jusqu’au point de lui faire oublier tout le reste du monde, et de lui faire souhaiter de s’anéantir toute entière en son amour. À chaque conquête, Don Juan se refait une virginité du sentiment, et sa joie demeure aussi vive, aussi profonde qu’au premier frisson de l’adolescence. Il en vient à ne plus désirer autre chose que ce bonheur-là, que le moment où il comprendra, par la pression d’une main, par un regard plus vif ou plus voilé, que l’instant approche où l’être tout à l’heure si pudique et qui se défendait contre la tentation, va s’abandonner dans les bras du séducteur. Ce qui aiguillonne le désir de cet homme, c’est le goût du fruit défendu. Quel bonheur que l’adultère, que l’amour même, dès l’instant qu’il n’est plus tout simplement l’amour conjugal, et que l’Église en a fait un péché ! Plus la morale est sévère, plus aisée est l’hypocrisie, et c’est une arme que Don Juan ne dédaigne pas : il sait qu’il peut compter sur la discrétion de toutes et de tous. Il éprouve aussi un plaisir de plus en plus fort à triompher des résistances ; chaque jour s’affirme davantage l’antagonisme profond qui existe entre sa morale personnelle, sa règle de conduite, et la morale des autres... Bien avant Nietzsche, Don Juan est, à sa manière, nietzschéen. C’est au Don Juan de Mozart que nous pensons quand nous prononçons le nom de ce personnage, le plus populaire de tous, le plus humain. La musique de Mozart éclaire d’un tel jour les personnages qu’ils en prennent un éclat nouveau. Le livret est fait d’emprunts à Tirso de Molina, à Molière, aux traditions de la Commedia dell’Arte et de la Commedia sostenuta ; le dramma giocoso de Da Ponte est original en bien des points. En écrivant Don Giovanni, Da Ponte et Mozart ont à la fois simplifié et développé ; ils ont entouré le héros principal de personnages aussi traditionnels que lui. (…) Ils viennent aussi de Tirso de Molina, de Cicognini, de la Commedia dell’Arte ou de Molière, ils sont en quelque sorte recréés et ce qu’ils ajoutent à leur type conventionnel, c’est précisément la faculté de tendresse et d’émotion par quoi l’on pourrait le mieux caractériser le génie de Mozart.

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Les forfaits de Don Juan, qui n’en sont pas moins monstrueux ni plus excusables, sont pourtant plus explicables ; les personnages, et Don Juan principalement, paraissent plus humains, plus près de nous. Mozart a su mettre dans ce drame la divine mélancolie de son âme, toute la tendresse de son coeur que le moindre mot amer fait déborder, le souvenir de la piété douce et profonde dans laquelle il avait été élevé, et qui se traduira si bien dans le Requiem... Pour recréer un Don Juan où se retrouvent sans se confondre tant de sentiments aussi divers, - la sensualité, la fraîcheur délicieuse presque naïve, la dignité, la noblesse et puis la ruse, la fourberie, les bravades – il faut être de ceux à qui est donné le privilège de tout oser et de tout dire. Il faut avoir un génie qui embrasse toute l’humanité... Comme toutes les œuvres vraiment grandes, Don Giovanni est peut-être plus simple que notre imagination ne nous le laisse croire. Il est difficile de le juger, de le voir tel qu’il est, tant cet ouvrage ne nous laisse pas de sang-froid. C’est aux suggestions de la musique – et quelle musique ! – que nous devons l’indicible émotion qui nous submerge. Il est peu d’opéras dont l’ensemble – sujet, livret, musique – fasse si bien corps et offre une si parfaite unité. Tout ce qui peut rester imprécis et vague, la musique est là qui le dessine, le met en lumière pour chacun de nous, au gré de son propre caractère. La musique de Mozart est une langue universelle, entendue de tous ceux qui ont une âme ouverte au langage secret et immatériel des passions. (…) Toutes les erreurs que l’on a commises au sujet du Don Juan de Mozart tiennent en grande partie à ce que l’on a méconnu le véritable caractère de cette œuvre. Il suffit de lire le titre pour l’apercevoir : dramma giocoso. Par ses résonances profondes, l’œuvre obéit aux lois du genre... elle en élargit les limites ordinaires. La musique est si belle, si puissante, que nous sommes tentés de regarder ce dramma giocoso comme une tragédie. Il nous émeut autant que les accents tragiques les plus pathétiques. Présentée sous la forme d’une tragédie, la figure de son Don Juan eût été trop effroyable. Elle n’eût pas convenu au génie de Mozart, d’abord ; il n’y eût pas de contrastes, nul repos dans la gradation qui mène le meurtrier du Commandeur jusqu’aux portes de l’enfer où l’entraîne sa victime. Mais, la forme du dramma giocoso n’exclut nullement le pathétique : à peine Leporello a-t-il gémi plaisamment sur son sort que nous sommes en plein drame et que nous ne songeons plus à rire : le cri de Donna Anna, la courte lutte entre elle et Don Giovanni, l’arrivée du Commandeur, le duel, la mort... Non, nous ne songeons plus à rire. Et le fameux air de Leporello, Madamina, il catalogo è questo... Il est comique, mais avec quels rappels, quelles évocations subites et profondes de ces détresses et de ces abandons... Le livret et la musique sont inséparables. Pour mettre en scène Don Giovanni, il est préférable d’être juste derrière la musique, juste à côté, et de s’étendre sur le développement psychologique des caractères, sur l’évolution des personnages, sur leur comportement, aucun d’eux n’est indifférent. Et, quoi qu’il en soit, la musique projette sur eux une lumière si éclatante que rien de leur coeur, rien de leur esprit ne nous demeure mystérieux. Ils vivent et, tant que dure l’opéra, tant que nous lisons cette partition merveilleuse, leur vie est notre vie, leur émoi notre sentiment. Le caractère de Don Giovanni s’éclaire davantage à chaque scène du drame. Pourtant, dès les premières répliques, nous devinons exactement ce qu’il est : « Donna folle indarno guidi, chi son io, tu non saprai ! » [Femme insensée, c’est en vain que tu cries, tu ne

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sauras qui je suis !] dit-il à Donna Anna qui le veut arrêter. Combien, parmi les mille et trois maîtresses, ont su qui était cet homme ? (…) On se demande s’il est une limite à ses forfaits. Son intrépidité, sa ruse, le placent vraiment au-dessus des autres hommes. Et c’est pourquoi les spectateurs ne peuvent se défendre d’avoir pour lui quelque indulgence et de le voir un peu comme le voient ses victimes. On ne lui résiste pas. Donna Anna, meurtrie, pantelante, qui pleure un père tué par lui, ne peut s’empêcher de ressentir en sa chair un regret inavoué au souvenir du séducteur. Aussi n’est-ce pas par des moyens humains que cet homme, dominant de si haut l’humanité et la méprisant si bien, pourrait jamais être frappé. Le châtiment viendra de cet autre monde auquel il ne croit pas et ce sera au moment où il insulte, par son rire impie, le souvenir de sa victime. L’âme attendant la vengeance s’incarnera dans la pierre de la statue pour prédire à l’assassin la punition de ses crimes : Di rider finirai pria dell’aurora ! Ribaldo, audace, lascia a’morti la pace. Un instant déconcerté, Don Giovanni ne tremble pas. Il hausse les épaules, rit de plus belle et trouve plaisant de faire inviter par Leporello cette statue qui parle : « Va dire à ce vieux bouffon que je l’attends à souper ! » Est-ce là pure fanfaronnade ? Croit-il, rationaliste convaincu, qu’une statue ne peut quitter son socle et qu’on ne risque rien à la narguer ? Est-il sûr que ses yeux et ses oreilles ont été victimes d’une illusion ? Il n’essaye même pas d’expliquer ce mystère. À quoi bon s’y attarder, puisqu’il y a tant de jolies femmes et d’aimables jeunes filles plus dignes de retenir l’attention ? Hors de tout ce qui, étant son plaisir, est sa raison de vivre, Don Giovanni ne veut savoir qu’une seule chose et celle-là, il la sait de certitude absolue: c’est que, quoi qu’il arrive, vît-il Dieu lui-même, lui, Don Giovanni le réprouvé, ne baissera pas le front. Il s’est fait de l’honneur une conception tout opposée à l’idée que s’en fait le commun des hommes. Cette conception est plus rigide, plus forte que toutes les morales. Et son honneur, quoi qu’il arrive, il n’y faillira pas. Vienne le Commandeur, que ses pas pesants retentissent sous les voûtes du palais où, pour Don Giovanni seul, attendant son convive qui tarde au souper, on sert les mets les plus fins, les vins les plus exquis, on joue la musique la plus aimable, l’hôte ne bronchera pas et c’est lui-même qui rassurera Leporello fou de terreur, c’est lui qui, le flambeau à la main, ira au-devant du fantôme. Et sans trembler, fermo il cor in petto, il donnera sa main quand l’exigera l’autre. Alors, quand il se sent glacé par le froid du tombeau, la tête haute, sans que s’accélère le rythme de son coeur, il regarde venir la mort : « - Repens-toi, repens-toi, scélérat ! - Non, non, jamais ! » Ainsi, au seuil de la porte où les âmes damnées laissent toute espérance, Don Giovanni retrouve sa superbe, et, par une raillerie suprême, s’affranchit de la peur et défie Dieu devant la mort.

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Tel est le Don Giovanni de Mozart et de Da Ponte : un homme qui, par ses vices, s’élève au-dessus de la condition humaine, mais qui demeure humain par tant de traits et qui, par tant d’autres, atteint une vraie grandeur... Un homme que l’on plaint autant qu’on le blâme, précisément pour tout ce qu’il y a de douloureux dans cette poursuite acharnée du plaisir, pour tout ce qu’il y a de tragique dans ce destin qui le pousse, dans ce sarcasme continuel, dans ce défi aux puissances humaines et divines devant lesquelles tous les autres hommes tremblent. Cela, nous le percevons dès le début de l’opéra, obscurément. Mais à mesure que se déroule l’action, que les traits de caractère s’ajoutent les uns aux autres, précisant le dessin de cette extraordinaire figure, nous le comprenons mieux. Par une gradation admirable, Mozart, utilisant le livret de Da Ponte, a éclairé ce caractère du dissoluto jusqu’au dernier mot qu’il prononce, jusqu’à son refus de se repentir quand déjà, sa main dans la main du convive de pierre, il sent courir en sa chair le frisson de la mort et brûler en ses veines l’ardeur de l’enfer. Une telle figure a besoin d’un complément, comme Don Quichotte a besoin, pour que nous le comprenions tout à fait, du vivant contraste de Sancho. Leporello, serviteur de Don Giovanni, n’est pas seulement le valet complaisant et révolté, familier avec son maître au point de lui faire entendre parfois de dures vérités qu’il supporte à peine dans la bouche d’un confesseur ; Leporello est en quelque sorte, comme Sancho, une caricature de Don Juan, une projection déformée, comme l’ombre au soleil couchant, des grands vices et des menus défauts du «padrone». (…) Les trois personnages féminins de ce dramma giocoso nous offrent, en raccourci, toute la féminité. Donna Elvira, l’épouse est peinte par ce mot de Donna Anna, quand celle-ci l’aperçoit venant dire sa douleur à l’époux qui l’outrage : Cieli ! Che aspetto nobile ! Che dolce maestà ! La noblesse, la dignité sont les traits essentiels de son caractère et pour que lui échappent des cris pareils à ceux qu’elle fait entendre, pour qu’elle laisse libre cours à son indignation, il faut vraiment que Don Giovanni, par l’extraordinaire perversité de ses machinations (il s’amuse à la faire berner par Leporello), la pousse à bout de patience. Encore demeure-t-elle toujours prête au pardon, et ne faudrait-il qu’une faible marque de repentir pour qu’elle ouvre les bras à l’infidèle et d’un coup, sèche ses larmes et oublie ses malheurs. Même si elle mêle sa voix à celles de Donna Anna et Don Ottavio quand ils crient vengeance, on la sent prête à implorer la grâce du criminel quand il sera convaincu. Et l’on se demande si elle n’est pas poussée à se joindre à eux pour protéger Don Giovanni autant que pour le châtier. Au finale du premier acte, ne déchire-t-elle pas la chemise de Don Giovanni tel un fétiche qui aurait l’odeur de la peau de celui qu’elle désire plus que tout au monde ? Son amour ignore les violences. Sa jalousie n’est pas implacable. Outragée, même, elle saurait oublier si Don Giovanni ne prenait soin précisément, par la répétition de ses outrages, d’entretenir en elle cette blessure saignante et que lui-même avive chaque fois qu’elle pourrait se cicatriser. Au finale, du second acte quand elle paraît dans la salle du festin, ce n’est pas pour récriminer encore, c’est parce qu’un pressentiment l’avertit – preuve nouvelle de son profond attachement au coupable – du danger qui le menace, de la mort qui vient. Les longues vocalises sur palpitando et sur pietà sont chaudes, si fatales au moment où elle découvre la terrible vérité. Don Giovanni lui a fait subir Leporello. Donna Elvira crie vengeance mais au fur et à mesure sa profonde peine se transforme. La possession et le désespoir s’atténuent... l’indicible nostalgie de l’amour... et la grandeur d’Elvira :

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Ma, se guardo il suo cimento, Palpitando il cor mi va Donna Anna est l’amour filial, comme Elvira symbolise l’amour conjugal. Dès que son père a rendu le dernier soupir, elle n’a plus qu’une pensée : le venger, poursuivre le meurtrier et lui faire expier l’horrible forfait. Cette pensée passe avant toute autre et avant même le souci de son propre honneur. Sur le cadavre encore chaud, sur la blessure qui saigne encore, elle fait jurer à Don Ottavio de venger le Commandeur : Ah ! vendicar, se il puoi, Giura quel sangue ognor ! Lo giuro a gli occhi tuoi, Lo giuro al nostro amor ! Et constamment, elle sera prête a réchauffer le zèle, parfois tiédissant, de son fiancé, à lui rappeler qu’elle ne saurait avoir trêve ni repos que l’assassin ne soit découvert et puni, que le comte ne soit vengé. Ce mot de « vendicar » est celui qui revient le plus souvent sur les lèvres de Donna Anna. Comme elle a peine à feindre, quand, devant la porte du château elle a reconnu la voix de Don Giovanni et qu’elle ne doute plus que ce soit lui le meurtrier du Commandeur ! Il lui dépose un baiser dans le creux de la main... Elle défaille... Donna Anna serait-elle pour Don Giovanni le cœur du désir, le grand personnage affectif ? Le feu du désir surhumain et l’ardeur érotique la plus brûlante rendent sa résistance impossible. Lui seul pourrait combler ce désir physique qui l’envahit au finale du premier acte. Donna Anna, en se démasquant, empêche Don Ottavio de continuer à pointer son arme sur Don Giovanni. Ce premier amour est mélangé à la mort... de son père... vivant auprès de lui et pour lui sans sa mère... elle fuit le père en danger... après sa mort elle revient avec une infinie culpabilité criant vengeance... contre le séducteur Don Giovanni pour qui elle éprouve un véritable amour-haine dont elle ne pourra jamais se guérir. Nous sommes en plein drame antique. La haine fait éclater l’amour. Il semble que le masque qu’il lui faut mettre derrière l’éventail, le domino en tulle noir sous lequel elle doit se cacher soient aussi terribles à porter que le secret qui l’oppresse. Avec quel soulagement les arrache-t-elle quand le cri de Zerlina outragée rend toute feinte inutile et permet enfin aux honnêtes gens de jeter leur mépris à la face du scélérat dont ils sont les hôtes : Ah, gettiamo giù la porta... Traditore !... Tutto già si sa ! Trema, trema, scellerato ! Mais le traître reste insaisissable. Une seconde fois, elle croit le tenir : c’est quand Don Giovanni, voulant éloigner Donna Elvira, a eu l’infernale idée de chanter sous sa fenêtre une sérénade et de placer sur les épaules de Leporello son manteau afin qu’Elvira prenne le valet pour le maître et se laisse entraîner. C’est encore un cri de vengeance que lui fait pousser la vue de l’homme que les poursuivants croient être Don Giovanni « Ecco il fellone... com’ era quà ? Ah, mora il perfido che m’ha tradito... » Et dans le finale, une fois le meurtrier punit par sa victime, quand Don Ottavio lui demande, puisque la vengeance est consommée et que le ciel lui-même a parlé, de tenir sa promesse et de ne plus le faire languir, Donna Anna ne peut se décider et demande au temps d’adoucir sa peine avant de consentir à l’amour : Lascia, o caro, un anno ancora

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Allo sfogo del moi cor ! Rammenta la piaga, rimara il sangue [rappelle-toi la plaie, revois le sang] Il y a dans ce cri essentiel le véritable souffle érotique blessé d’une passion dévastatrice. C’est comme lorsqu’elle chante Grido [je crie] une telle explosion intérieure ou mieux encore au second acte dans son Aria ou l’on ressent à quel point sa plaie est inguérissable, sa douleur infinie... sa mélancolie est si charnelle... des vocalises extraordinaires qui touchent étrangement après la fatalité de la violence des mots, au surnaturel : Se di duol non vuoi ch’io mora... Forse un giorno il cielo ancora Sentirà pietà di me La figure de Zerlina est l’une des plus exquises qui aient été créées par Mozart. Plus que toutes autres, c’est au génie du musicien qu’elle doit son charme et sa grâce. Elle est, par quelques traits, le pendant de Chérubin, mais moins enfant, plus futée, bien que naïve encore et toute prête à se laisser prendre aux doux propos des galants. Comme Chérubin, elle vient de découvrir le grand secret et son âme est en émoi quand paraît Don Giovanni. Comment résisterait-elle aux séductions de ce seigneur, si beau, si empressé à lui plaire ? Pourtant, elle ne peut oublier Masetto, qui, tout maladroit qu’il est, a fait, le premier, parler le coeur et les sens de la jeune fille. Et, quand Don Giovanni a pris sa main, quand elle est sur le point de céder, elle pense à la peine qu’en concevra Masetto. Son trouble s’exhale comme une plainte exquise et tendre : Vorrei e non vorrei, Mi trema un poco il cor ; Ma prio burlarmi ancor. Presto... non son più forte ! Andiam... Allons, on ne résiste pas au séducteur : Andiam... Oui, mais, tout à l’heure, quand reparaîtra Masetto, ce sera dans cette âme limpide, le remords et les paroles plus douces que des caresses pour obtenir le pardon – un pardon qu’elle sait bien qu’on ne lui refusera pas : Pace o vita mia, In contenti ed allegria Notte e di vogliam passer ! Elle en est si sûre que c’est sans arrière-pensée qu’elle se livre au plaisir de la danse. Et si Masetto fait encore grise mine au seigneur Don Giovanni, s’il semble n’apprécier que médiocrement l’honneur qui est fait à sa fiancée et à tous les gens du cortège devant lesquels se sont ouvertes les portes des salons illuminés, c’est décidément qu’il n’est pas qu’un jaloux. N’a-t-il pas tort de douter de sa Zerlina ? Aimer le plaisir, est-ce donc coupable, quand ce plaisir, au surplus, on le prend sous les yeux mêmes d’un mari ou d’un fiancé ? Car Zerlina toute fraîche et naïve qu’elle soit, est déjà femme et n’ignore pas son pouvoir. Elle est toute pure, mais un attrait sensuel émane de ses paroles autant que de son corps et de son visage. Elle sait quel incomparable don elle fera au beau Masetto en se donnant à lui. (…)

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Le Commandeur peut à peine être considéré comme un personnage : il n’a pas, en tout cas, à agir, ou du moins on n’a pas à nous expliquer pourquoi ni comment il agit, puisque, au moment où il paraît en scène, c’est pour se faire tuer par Don Giovanni. Après sa mort, il demeure un peu le deus ex machina de l’opéra. Son esprit anime Donna Anna, comme le fantôme de son père hante les songes de Hamlet, et, comme le roi de Danemark, il crie vengeance. Aussi, ne sommes-nous pas surpris – et bien moins que Leporello – quand nous entendons, à l’acte du cimetière, la statue invisible proférer les mots annonçant à Don Giovanni que l’heure approche où il faudra cesser de rire et rendre à Dieu compte de ses forfaits. Et si le railleur impénitent peut encore douter que l’homme de pierre tienne parole et se rende au festin, nous ne doutons plus qu’il y viendra prendre son meurtrier pour l’entraîner avec lui au séjour des morts et le livrer aux flammes éternelles... Après le cri déchirant de Donna Elvira, le Commandeur – vêtu comme au début du premier acte - réapparaît, l’air apaisé, tranquille aussi vrai qu’avant sa mort, s’assied à la table de Don Giovanni, accepte de boire un verre de vin, lui tend la main, et s’en va. L’orage éclate alors… L’orage de la passion impuissante, l’orage humain, est accompagné par l’intervention des éléments mystérieux et grandioses du ciel… Le vent souffle sur la scène… Une expérience si complexe de la mort, de la délivrance… une page de musique surprenante, trop humaine tant elle recèle de douleur et ce qui lie le désir à la faute. Même si l’idée de Dieu n’est pas évoquée dans l’opéra, tout se révèle au cours de ce festin d’une profondeur absolument spirituelle. C’est plus la mort spirituelle qui s’exprime dans la musique que la mort naturelle. Quitter la vie est insupportable mais quelle hauteur et quelle ardeur donne Mozart à cet instant. La vraie lumière de la mort est aussi apaisante qu’une libération… Un secret, un symbole de l’existence, une certaine religiosité… Les personnages surgissent des profondeurs de la nuit. Devant l’immensité d’un ciel gris rempli de nuages blancs, des miroirs à l’argenture sont découpés par la lumière dans le noir. Les êtres qui évoluent sont attirés comme des papillons de nuit… vêtus de costumes blancs, nuancés, irisés, nacrés, dessinés, inspirés d’hier et d’aujourd’hui. A travers ces reflets, ils nous montrent leur visage intérieur, celui d’une réalité qui les découvre et qui n’est pas leur vengeance... L’invisible se révèle... Les masques tombent... Dans cette aube de pierre, les flamboiements de la nuit se figent en une blancheur confuse. Des lueurs glaciales brasillent dans l’orchestre. La nuit abandonne l’espace à la pâleur et découvre une ombre informe tapie dans l’épaisseur de la vie... La voix minérale, la voix de marbre surpasse la bravoure si humaine de Don Giovanni... La voix n’a ni intervalle, ni appui mais s’infléchit et se déplace inexorablement, d’une seule coulée. Don Giovanni, s’éteint comme la flamme d’une bougie, la nuit n’est que le faire-valoir de sa lumière.

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© Marc Ginot, Représentations de la saison 2007-2008

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Don Juan vu par Sganarelle Molière

Acte I, scène V Je n’ai pas grand peine à le comprendre moi, et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu’il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n’en ai point de certitude encore ; tu sais que par son ordre je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m’a point entretenu mais par précaution, je t’apprends que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un Diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d’Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme oreille à toutes les remontrances qu’on peut lui faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu’il a épousé ta maîtresse, crois qu’il aurait plus fait pour sa passion et qu’avec elle il aurait encore épousé toi, son chien, et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter, il ne se sert point d’autres pièges pour attraper les belles, et c’est un épouseur à toutes mains ; dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud, ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu’il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; et ce n’est là qu’une ébauche du personnage, et pour achever le portrait, il faut bien d’autres coups de pinceau. […]

Extrait de Dom Juan / Molière Edition GF Flammarion

Charles-Antoine Coypel (1622-1673), Portrait de Molière

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Qu’est-ce que Don Juan ? par Pierre Brunel N’est pas Don Juan qui veut. N’est pas toujours Don Juan qui croit l’être. […] Le premier Don Juan connu, celui de Tirso de Molina, dans une commedia publiée en 1630, était beaucoup moins un séducteur qu’un abuseur. Telle est la traduction la plus fréquemment proposée pour El Burlador de Sevilla. […] Le Dom Juan de Molière Il n’est même pas certain que le Dom Juan de Molière, ce grand seigneur libertin, soit un véritable séducteur. Il se voit plutôt en conquérant, comme Alexandre de Macédoine. Il veut posséder toutes les femmes mais aussi il veut tout. Albert Camus saura s’en souvenir, au point de considérer une telle exigence de totalité comme une révolte légitime. Mais, à l’instar du Burlador, ce Dom Juan échoue piteusement. Il fait également naufrage sur une barque banale. S’il s’échappe à cheval, c’est pour tomber sur des voleurs, mais aussi sur ses adversaires, les frères d’Elvire. On a coutume de dire qu’il se comporte dans cette affaire, enfin, en homme d’honneur. Mais la trajectoire du nouvel Alexandre est d’ores et déjà brisée. Loin de voler de victoire en victoire, il va d’échec en échec, et les vaincus n’ont jamais rien de séduisant. Est-il jeune ? Est-il beau ? Ces questions ne se posent pas. A l’acte I, et encore sur la barque, il portait un vêtement somptueux. Mais le voici gâché, lui aussi, ce costume, par l’eau de mer dont il est imbibé. Paysans et paysannes sont tout ébaubis parce que le « gros monsieur » a « du dor à son habit tout depis le haut jusqu’en bas ». Mais cet « habit » est à sécher, comme n’importe quelle guenille. Don Juan tout nu a moins de prestige que Don Juan vêtu. La séduction qu’il exerce passe par des objets extérieurs, et il se glisse à travers des déguisements de moins en moins éclatants : un simple habit de voyage à l’acte III, un habit d’intérieur plus négligé à l’acte IV, l’allure hypocrite de faux dévot qu’il prend à l’acte V. Le Dom Juan de Molière impressionne par la hauteur de son verbe, par une agitation permanente, plus qu’il ne séduit. Devant Elvire comme devant Monsieur Dimanche, et tout aussi bien devant la statue, il fait du théâtre, au mauvais sens du terme. Sans doute a-t-il plus de panache que le burlador, mais il en use mal, ou ce panache s’use. Il croit tromper son créancier en lui donnant l’illusion de le placer au même niveau que lui ; mais c’est lui qui s’abaisse. La parole devient palabre vide, et Sganarelle lui-même n’est pas dupe. A la fin, lorsqu’il tire l’épée pour éprouver si l’allégorie du temps est un corps ou un esprit, il fait penser à Don Quichotte affrontant les moulins à vent. Il n’est plus qu’un chevalier à la triste figure ; en tout cas, il fait triste figure, il est voué à l’abîme qui va l’engloutir. Le Don Giovanni de Mozart Le Don Giovanni de Mozart semble avoir repris de l’allure. Il faut dire que les interprètes du rôle lui en donnent, à commencer par Ruggero Raimondi dans la version filmée de Joseph Losey (1979). Tout est ici fait pour séduire le spectateur, comme si du personnage de grand aristocrate irradiait la beauté des décors. La musique de Mozart, les villas palladiennes concourent à un effet d’envoûtement, si bien que l’esprit critique se trouve désarmé, comme Anna, Elvira et Zerlina sont longtemps tenues dans l’erreur. Pour la première fois, peut-être, Don Juan tente vraiment d’exercer une grâce séductrice ; et ce n’est point par le vin qui coule à flots, par ses effets de manche et de chapeau, mais quand il entraîne la petite paysanne dans le déploiement d’une mélodie enchanteresse qui pourrait être infinie : celle du célèbre duo Là ci darem la mano / Viens donne-moi la main.

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Je serai tenté de dire qu’à ce moment du dramma giocoso, moment vraiment exceptionnel, Don Juan se séduit lui-même tout en cherchant à séduire l’autre. Il est tout près de se prendre au piège de la tendresse qui émane de lui, de son geste et de sa voix. […] La secrète fêlure Où se trouve alors la fêlure qui va provoquer la chute de la maison Don Juan, comme plus tard dans le conte d’Edgar Poe, celle de la maison Usher ? Est-ce comme l’a cru un autre conteur romantique, Hoffmann, grand admirateur de Mozart et bon connaisseur de cet opéra, le caractère infini des aspirations de Don Juan ? Ou est-ce parce qu’il est trop tard – en particulier parce qu’il a rencontré trop tard Donna Anna ? Comme le Dom Juan de Molière, Don Giovanni part, mais plus nettement encore, d’une fêlure secrète qui n’est autre que la fêlure de la mort. Je veux dire : de la mort qui est là, avant même que l’action dramatique ne débute sur la scène. Tirso de Molina n’avait pas eu un tel génie de l’antéposition, probablement parce qu’il posait le problème moins en terme de séduction qu’en terme de burla. C’est presque par hasard que son Don Juan tuait le Commandeur, père d’Anna. Ce génie, Molière l’a eu ; mais avec une double timidité au-delà de laquelle Da Ponte et Mozart sont allés sans hésiter. En effet, dans la comédie de 1665, le personnage d’Anna n’existait pas, le Commandeur n’était même pas le père d’Elvire, la mort était antérieure. Au contraire, dans l’opéra de Mozart, la mort est là, au commencement, dans la musique des premières mesures de l’ouverture, dignes du futur Requiem, dans la poursuite qui est déjà une poursuite infernale, où Anna se présente elle-même comme une furie désespérée et où elle précipite une mort qui va désormais peser inexorablement. S’il arrive que Don Juan se séduise lui-même, peut-on imaginer qu’il tente de séduire la mort ? C’est là que l’acte II de Don Giovanni confère à la scène du cimetière une intensité que n’avaient ni celle, plus close à l’intérieur de l’église sévillane, de L’abuseur de Séville, ni même la visite au superbe mausolée de l’acte III du Dom Juan de Molière. Le Don Juan de Mozart fait irruption en riant à gorge déployée dans l’enceinte où se trouve la statue équestre du Commandeur qu’il a tué. Il se réjouit encore de la manière dont il a su se dérober, dont Elvira a pris Leporello déguisé pour lui. La nuit est belle et propice à toutes les formes de la fête, à faire des tours (toujours la burla) et à chasser les filles, à draguer en plein air. Que Leporello ait failli être assommé à l’instigation de Zerlina, il n’y là qu’un motif supplémentaire de rire. Que lui, Don Juan, ait été sur le point de conquérir la femme de Leporello, c’est une vraie farce. Et c’est alors que s’élève la voix sépulcrale du Commandeur : « Tu auras fini de rire avant l’aurore ».

Extrait du texte paru dans Le Nouvel Observateur – juillet 2001

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Don Juan, un mythe à travers les âges par Monique Morestin Le personnage de Don Juan apparaît pour la première fois en Espagne, en 1630, dans la pièce de théâtre de Tirso de Molina El Burlador de Sevilla (L’Abuseur de Séville). L’auteur met en scène un jeune seigneur andalou séduisant, amateur effréné de femmes et qui n’admet aucun obstacle à ses désirs du moment. A priori, un tel homme n’est pas une nouveauté et, dans l’Antiquité déjà, de nombreux exemples nous ont été fournis de dieux ou héros refusant la morale communément admise de la monogamie. Rappelons-nous le personnage de Jupiter (évoqué dans Orphée aux Enfers d’Offenbach), ou Zeus dans sa version grecque, qui multiplie les conquêtes de mortelles en se déguisant de multiples façons pour les abuser. Nous verrons que Don Juan agit de même parfois. Pourquoi, alors, Don Juan acquiert-il la dimension du mythe à l’égal de Faust ? Parce qu’il se place dans une société chrétienne où la morale codifie strictement les liens homme-femme, à commencer par l’exigence de la fidélité monogamique. C’est la société dans laquelle il vit qui entraîne la révolte du héros contre ces exigences qui brident sa volonté. Le christianisme met l’accent sur le péché de chair et les châtiments qu’il amènera après la mort ; Don Juan n’y échappera pas, malgré son insouciance. Qui a inspiré à Tirso de Molina ce personnage ? Des auteurs ont émis des hypothèses variées. Mais cela importe peu. Dans une société régie par des règles strictes, il y a toujours des gens pour les enfreindre, à condition d’en avoir les moyens (position sociale, richesse ou audace inouïe). Ce qui est sûr, c’est que d’innombrables artistes ont été inspirés par cette histoire : écrivains (comme Molière, Baudelaire), musiciens (plusieurs opéras ; chansons : Georges Brassens), peintres (Delacroix,…). Et beaucoup de penseurs se sont penchés depuis sa création sur la signification, les interprétations, la psychanalyse (et j’en passe) du personnage). Le dernier spécimen du mythe créé à ce jour est la pièce Don J. de Jean Reinert (écrivain montpelliérain) et qui se joue actuellement au théâtre du Hangar (du 26 février au 8 mars 2008). Dans l’éclosion de toutes ces œuvres, il en est quelques-unes qui ont davantage retenu l’attention du public à travers les siècles : la pièce de Tirso de Molina, le Dom Juan de Molière (1665) et l’opéra Don Giovanni de Mozart, livret de Lorenzo da Ponte (1787). Il semble donc intéressant de chercher quels éléments rendent chacune d’elles unique, malgré une inspiration commune.

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Anonyme XVIIIe siècle, frontispice pour Le Festin de pierre de Molière

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Trois œuvres originales par Monique Morestin Le mythe de Don Juan a évolué au cours des œuvres et a connu des adaptations variées, à commencer par le titre El Burlador de Sevilla, y convivado de piedra (Le Trompeur de Séville et l’invité de pierre), Tirso de Molina ; Don Juan ou Le Festin de pierre, Molière ; Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni (Le débauché puni ou Don Giovanni), Mozart. Les personnages présentés varient d’un ouvrage à l’autre :

22 dans El Burlador où les intrigues et les déplacements du héros se multiplient et s’étalent sur trois journées.

16 chez Molière, qui simplifie l’histoire et resserre l’action sur peu de lieux et sur deux journées (mais la règle des trois unités de l’époque classique – un lieu - une journée - une action - n’est pas respectée).

8 protagonistes dans l’opéra de Mozart et Da Ponte dont l’action court d’une nuit à l’aube de la nuit suivante.

Mais surtout, chacun des Don Juan a sa personnalité et agit en toute circonstance selon un schéma original, voulu par son auteur. Son rapport aux femmes, à la religion et à la morale diffère ; et s’explique aussi par l’époque à laquelle a été écrite l’œuvre.

Don Juan et les femmes Tirso de Molina présente un héros qui s’exprime sans fioriture. Pour chacune des femmes qu’il convoite, il insiste sur sa volonté de « jouir de sa chair » ; on retrouve cette expression fort peu élégante fréquemment dans sa bouche. Il parvient à ses fins avec la duchesse Isabelle, avec la pêcheuse Thisbé, la paysanne Aminte. Seule sa tentative auprès de Donna Anna échoue. D’autre part, il fréquente assidûment les bas-fonds de Séville et connaît les prostituées jeunes et décrépites. Molière nous dépeint un séducteur plus intéressé par le combat à mener pour faire succomber une femme (« Il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne », tirade I, 2, où toutes les images et le vocabulaire évoquent le combat), qu’à la suite (« tout le plaisir de l’amour est dans le changement » : même tirade). Aucune des femmes qu’il aborde ne lui accordera ses faveurs : les paysannes en sont empêchées. La seule personne qu’il a séduite, Donna Elvire, le poursuit de sa vindicte après son abandon. Il chasse donc sans succès et est pourchassé. Quel séducteur malchanceux !!! Dans l’opéra de Mozart, le livret de Da Ponte énumère (emprunt à un opéra italien) par la bouche de Leporello les « mille tre » conquêtes de son patron. Mais, à part Elvire, qu’il a épousée puis abandonnée, il ne parvient à ses fins ni avec Donna Anna, ni avec la paysanne Zerline. Un aussi piètre conquérant que chez Molière.

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Le personnage qui avait déjà acquis une certaine séduction grâce à son panache et à ses propos galants dans la pièce française, est soutenu dans l’opéra par une musique et des arias qui en feraient succomber plus d’une. Dans les deux cas, Donna Elvire exprime aussi de la tendresse vis-à-vis de son époux et essaie de le ramener à une vie plus digne pour lui éviter un châtiment divin.

Don Juan et la religion S’il est un domaine où notre héros diffère d’un auteur à l’autre, c’est sa conduite vis à vis de la religion. Le Don Juan de Tirso de Molina vit comme un impie, mais n’est pas incrédule. Il ne respecte aucun précepte moral, sait qu’il devra des comptes à Dieu, mais pour lui « Bien lointaine est l’échéance » (Acte I). Et lorsqu’il affronte, avec courage d’ailleurs, la statue du Commandeur, ne s’exclame-t-il pas « Que Dieu me soit en aide » ? Dans l’église où se déroule le souper fatal (composé de scorpions, vipères et autres mets et boissons infernaux), il fait une dernière demande : « laisse-moi appeler quelqu’un qui me confesse et qui me puisse absoudre ». A quoi, le commandeur répond : « il n’est plus temps, tu te repens trop tard ». Mais sa mort est avant tout la conséquence de son inconduite amoureuse. Molière campe un personnage bien différent. C’est un grand seigneur qui met en cause la religion des hommes et semble athée. A l’acte III, scène 1, son valet le questionne sur sa foi au Ciel, à l’Enfer ; il n’obtient que des « Laissons cela ! » ou « Eh ! » très évasifs. Sa profession de foi est : « je crois que deux et deux sont quatre et que quatre et quatre sont huit ». Mais, il n’hésite pas à faire le dévot hypocritement pour couvrir ses frasques. Mis en présence du Commandeur, il tente de comprendre ce que c’est : « Rien n’est capable de m’imprimer de la terreur et avec mon épée je veux éprouver si c’est un corps ou un esprit » et, jusqu’au bout, il s’obstine dans un orgueilleux refus de la religion : « Non, non, il ne sera pas dit, quoiqu’il arrive que je sois capable de me repentir » (V, 6). Il est puni parce qu’il a défié Dieu. Don Giovanni, quant à lui, semble uniquement préoccupé de collectionner les instants et les bonheurs instantanés. La musique l’illustre par le débit rapide du récitatif et par la brièveté des airs qui lui sont confiés. Mais la mort rode, dès les premières mesures de l’ouverture et dans la première scène où il tue le Commandeur. Pourtant, tout au long de l’opéra des protagonistes lui livrent une poursuite infernale et évoquent la vengeance divine. A l’acte II, scène 14, Elvire tente une dernière fois d’amener Don Giovanni au repentir qui le sauverait, réponse : « Vivent les femmes, vive le bon vin ». A l’acte II, scène 11, son entrée dans le cimetière commence par un éclat de rire au souvenir du dernier tour qu’il vient de jouer, juste avant l’avertissement funèbre de la voix du Commandeur : « Tu auras fini de rire avant l’aube ». Même en présence de la statue, « repens-toi, change de vie, c’est le dernier moment », il réplique : « Non, non, je ne me repens pas », et à chaque nouvelle injonction (« repens-toi, scélérat », etc.), toujours : « non ». Il semble donc assez proche de celui de Molière et jusqu’au dernier instant les paroles qui sortent de sa bouche : « Qui me lacère l’âme, qui m’agite les viscères ?... » évoquent peu un attachement aux croyances religieuses chrétiennes.

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Trois œuvres miroirs de leur époque Tirso de Molina est un religieux qui partage sa vie entre ses activités religieuses et son talent d’écrivain dramatique. Ses nombreuses œuvres, parfois très hardies, comme on peut le constater ici, lui ont valu d’être traduit en 1625 (donc avant son Burlador), devant un tribunal chargé de veiller aux bonnes mœurs, puis en 1640 d’être exilé dans un couvent lointain. Pourtant l’auteur a pris la précaution de situer sa pièce au XIVe siècle pour pouvoir émettre une vision féroce de la noblesse du XVIIe siècle sans encourir de représailles. En théorie, la société espagnole de son temps (Contre-Réforme catholique) se fonde sur une tradition patriarcale. Mais la littérature (Lope de Vega, etc.) ne cesse de montrer des héroïnes délurées qui se défient de l’autorité paternelle. Don Juan ne serait-il pas celui qui châtie les femmes qui se laissent si facilement abuser ? Et la question essentielle de la terre, du ciel et de l’enfer est exposée à la fin pour rappeler aux spectateurs les risques d’une vie trop dissolue et loin de Dieu. C’est donc une œuvre qui veut avoir valeur d’exemple dans le domaine religieux. Molière se place sur un plan très différent. Son héros vit comme un libertin. Ce courant de pensée apparaît en France dans les premières années du XVIIe siècle et se caractérise d’abord par un grand relâchement des mœurs et une attitude non-conformiste vis-à-vis de la morale et de la société (le chef de file en est le poète Théophile de Viau). Le libertinage érudit, quant à lui, s’appuie sur des théories philosophiques de l’Antiquité et prend donc ses distances vis-à-vis des croyances religieuses chrétiennes. Don Juan est une illustration de cette jeunesse noble qui oubliant les principes et le code d’honneur de l’aristocratie (respect dû aux ancêtres, aux liens familiaux, à la religion), adhère à cette mode (d’ailleurs sa réplique « je crois que deux et deux sont quatre…» a été empruntée par Molière à un de ces libertins). A l’opposé des libertins sévissent les Dévots qui luttent contre la dégradation des mœurs, sont partisans d’une politique extérieure fondée sur l’alliance avec les états catholiques (Espagne, Autriche) contre les états protestants (comme l’Angleterre). Ce groupe très puissant politiquement s’est attaqué l’année précédente au Tartuffe de Molière (qui stigmatisait l’hypocrisie des dévots, plus adeptes de simagrées religieuses que de vraie foi). Les scènes où Don Juan apparaît en théorie plein de remord et semble vouloir changer de vie (Acte V, 1 et 3) est une sévère charge contre les Dévots : « L’hypocrisie est un vice à la mode… j’en connais qui par ce stratagème… ont réparé les vices de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion et qui, sous cet habit respectable, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde » (V, 2). Le prince de Conti, ancien libertin et protecteur de Molière dans sa jeunesse, mais converti au clan des dévots est directement visé par ces propos de Don Juan. On ne sera pas étonné que, dans ces conditions, la pièce n’ait été représentée dans son entier qu’une seule fois, le 15 février 1665. Molière dut supprimer une scène (celle du pauvre), et connut le succès pendant les 14 représentations suivantes. Mais après, elle ne sera plus jouée de son vivant. Et ce n’est qu’au XIXe siècle qu’elle trouvera un regain d’intérêt. Les attaques écrites, verbales des dévots en ont eu raison, malgré la protection incessante de Louis XIV qui détestait ce groupe de pression.

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L’opéra de Mozart, comme Les Noces de Figaro et Cosi fan tutte (trois livrets de Da Ponte), baigne dans un érotisme qui caractérise cette fin du XVIIIe siècle dont l’aristocratie d’Ancien Régime vit avec insouciance les derniers instants d’un monde qui va disparaître à jamais. Il n’est pas anodin que Da Ponte, ami de Casanova, tous deux vénitiens (ville où le masque du carnaval permet tous les jeux érotiques et où même dans les couvents on goûte à ces amusements), ait partagé aussi une vie de plaisirs effrénés, immortalisée par lui aussi dans ses Mémoires. L’œuvre fut créée à Prague, le 29 octobre 1787, devant un public enthousiaste et resta à l’affiche de nombreux mois. L’empereur d’Autriche émit le souhait de l’entendre à Vienne où elle fut donnée, après quelques arrangements, le 7 mai 1788. Le jugement de l’empereur est favorable : « L’opéra est divin, et peut-être serait-il plus beau que Figaro, mais ce n’est pas un plat pour mes Viennois ». En effet, l’accueil fut plutôt réservé ; malgré tout elle resta à l’affiche jusqu’à la mi-décembre. Ce n’est qu’après la mort du compositeur que les critiques comprirent que Don Giovanni était un chef d’œuvre. Depuis, son succès ne s’est jamais démenti.

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Les thèmes communs aux trois œuvres par Monique Morestin Un séducteur insatiable Don Juan a un besoin irrépressible de femmes : « Pour moi, elles sont plus nécessaires que ma nourriture et que l’air que je respire », Mozart, II,1 ; ou « Mon cœur est à toutes les belles », Molière,III,5. Il séduit puis abandonne les femmes une fois possédées. Seule la nouveauté lui convient. Il déflore les jeunes filles sans remord et ne respecte pas les promesses ou les liens du mariage : « Je ne connais pas de serment » (en italien : « Non so di giuramento »), dit Don Giovanni. Il ne connaît aucune limite, ni légale, ni morale à ses envies. Il peut être violent pour arriver à ses fins (pour séduire une jeune paysanne qui va se marier, il n’hésite pas battre son futur époux, alors que celui-ci vient de le sauver d’un naufrage). De même, il tue le père de Donna Anna, alors que celui-ci, le Commandeur, exerce une fonction militaire de très haut rang. Il se joue donc de toutes les règles sociales. Ce qui le caractérise d’autre part, c’est son art de la parole « le burlador », ou le « trompeur », séduit, embobine (si vous me permettez cette familiarité) ses interlocuteurs (femmes ou autres) par son art consommé du verbe : il tourne toujours à son avantage les discussions avec ses interlocuteurs quels qu’ils soient et c’est une arme d’autant plus redoutable contre la naïveté et l’inculture des gens du peuple qu’il berne.

Un grand seigneur Don Juan est de haute naissance. Il le rappelle : « Je suis homme d’honneur et je tiens mes serments, car je suis chevalier » Acte III Burlador. Il se comporte donc en gentilhomme courageux, volant au secours d’un homme lâchement attaqué : « Un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté ». Molière, III, 2. Dans l’opéra de Mozart, il hésite à se battre en duel avec le Commandeur, à cause du grand âge de celui-ci. Mais ce rang social, sa richesse et son aisance naturelle facilitent aussi ses entreprises amoureuses, l’aident à séduire de naïves filles du peuple auxquelles il fait miroiter une vie d’aristocrate. Il humilie d’autant plus leur prétendant. Et cela lui confère un sentiment d’impunité.

Le couple maître- valet Dans les trois œuvres, Don Juan est accompagné d’un valet : Catherinon chez Tirso de Molina, Sganarelle chez Molière et Leporello dans Don Giovanni. Ce personnage, interlocuteur privilégié de son maître permet à celui-ci d’expliciter ses pensées et de détailler ses projets, ce qui nous dévoile avec beaucoup de finesse la personnalité du héros. Ce valet est complice de ses forfaits auxquels il se prête parfois avec complaisance (ce qui en fait en quelque sorte un double de son maître). Mais ce serviteur apparaît aussi comme le premier juge des forfaits de son patron qu’il critique de temps à autre vigoureusement, et pour lequel il s’inquiète quelquefois du châtiment que le Ciel lui réserve ; ce qui attire les railleries de Don Juan (il serait donc une sorte de conscience morale). Mais ce couple infernal ne se dissout jamais, malgré les

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velléités périodiques du valet de le quitter. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Don Juan qui ne peut vivre durablement avec personne est toujours flanqué de son fidèle acolyte : le seul couple permanent est donc celui-là.

Don Juan ou le refus des règles Voilà un homme qui ne respecte rien : ni les liens sacrés du mariage, qu’il galvaude par des promesses abusives ; ni l’espace sacré du couvent, puisqu’il a enlevé Donna Elvire ( Molière et Mozart) qui était religieuse ; ni la considération due aux personnages de haut rang : il tue le commandeur sans état d’âme ; ni les attaches familiales : dans les deux pièces de théâtre, il se gausse de son père et lui répond avec insolence; dans l’opéra, il tente de tromper les frères d’Elvire (déguisements, mensonges). L’amitié ne l’arrête pas non plus et il peut tromper un proche, le marquis de la Mota et se déguiser pour lui ravir la femme aimée (Tirso de Molina). Il utilise le travestissement chez Mozart pour séduire la propre femme de son serviteur ou pour courtiser la suivante de Donna Elvire pendant que son valet se charge de la maîtresse. Molière le montre également dans deux scènes se moquant d’un pauvre ou d’un de ses créanciers.

La mort Le destin de Don Juan est celui de tout mortel, même s’il a négligé les avertissements (de son valet ou d’une de ses conquêtes). Il mène une vie tellement trépidante et instable (sans cesse allant d’un lieu dans un autre) qu’il ne se projette jamais dans un futur autre que proche. Il n’envisage jamais que ses actes risquent de lui coûter cher et que le châtiment arrivera à l’heure de la mort. Celui-ci arrive dans les trois ouvrages de la même façon, surnaturelle, puisque c’est la statue du Commandeur tué par Don Juan (durant l’œuvre pour Tirso de Molina et Mozart, six mois avant chez Molière) qui dialogue avec lui, partage son repas et l’entraîne en enfer après lui avoir demandé « donnez-moi votre main » (expression que l’on peut rapprocher des nombreuses fois où Don Juan a demandé à une femme sa main, symbole d’union « La ci darem la mano… »). Il est donc puni par où il a péché. Le Dieu présenté dans ces trois œuvres est un Dieu vengeur terrible, qui exécute les demandes de vengeance exprimées par les victimes terrestres de Don Juan.

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Le naufrage de Don Juan Par Laurent Grison

Delacroix, Le Naufrage de Don Juan (1840) – détail

Égarée sur une mer agitée, verdâtre et hostile, soumise aux mouvements des vagues, menacée par des nuages de cendres aux formes inquiétantes, une barque porte une vingtaine de personnages dont les visages expriment l’angoisse ou la résignation et les corps la souffrance ou l’abandon… La barque, comme enfermée dans les deux tiers inférieurs du tableau, occupe longitudinalement le premier plan. Elle est presque parallèle à l’horizon, ligne très marquée à l’arrière-plan, écrasée par le ciel. Parmi les figures humaines se distingue un jeune homme impavide, Don Juan. EUGENE DELACROIX (1798-1863) peint Le Naufrage de Don Juan (135 sur 196 cm, musée du Louvre) en 1840. Peintre majeur et reconnu, artiste engagé (cf. La Liberté guidant le peuple, 1830, musée du Louvre) mais couvert d’honneurs, il est le chef de file du mouvement romantique français. En 1825, lors d’un séjour en Angleterre, il lit avec engouement Shakespeare, Walter Scott et Byron. Il trouve dans les œuvres de ces auteurs, comme en atteste son Journal, les sources de son art romantique. Le Naufrage de Don Juan s’inspire du poème lyrique Don Juan (16 chants publiés entre 1819 et 1824), une « satire épique » de Lord Byron (1788-1824). Celui-ci est un poète très admiré par les romantiques aux yeux desquels il incarne une forme d’artiste idéal qui écrit et combat- il meurt aux côtés des Grecs lors de leur guerre d’indépendance contre les Turcs. C’est dans le deuxième « canto » du Don Juan de Byron que Delacroix choisit la scène qu’il désire représenter. Don Juan adolescent, fuyant la colère de Don Alfonso dont il a séduit l’épouse, s’enfuit de Cadiz par la mer pour échapper au scandale. Il fait naufrage au cours de la traversée. C’est dans l’aspect dramatique et initiatique de l’événement, comme l’a bien compris Delacroix, que Byron exprime toute la

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force et toutes les faiblesses de Don Juan. Héros romantique, il est passionné, à la recherche de toutes les formes d’évasion et de plaisir mais il est, profondément déchiré, désenchanté, mélancolique.

How long in his damp trance young Juan lay. He knew not, for the earth was gone for him, And Time had nothing more of night nor day For his congealing blood, and senses dim ; And how this heavy faintness pass'd away He knew not, till each painful pulse and limb, And tingling vein, seem'd throbbing back to life, For Death, though vanquish'd, still retired with strife.

Lord BYRON (1819-1824), Don Juan, “canto the second”, CXI. On a pu voir dans Le Naufrage de Don Juan, comme Théophile Gautier, « tout simplement un naufrage, le naufrage de qui vous voudrez, il n'importe » (in Revue de Paris, 18 avril 1841), une sorte de sublime marine qui synthétiserait tout ce qui a été peint en matière de tempêtes et de naufrages. Gautier poursuit ainsi : « dans Le Radeau de la Méduse [le tableau de Géricault] on aperçoit une voile à l'horizon ; on est sûr qu'ils vont être sauvés, et l'on pense déjà aux excellents consommés, aux généreux cordiaux qu'on leur prépare. - Ici rien de tout cela, pas de lueur dans ce désespoir, rien qu'une horreur froide et grise, une douleur irrémédiable et morne ». Il ne s’agit pourtant pas, pour Delacroix, de seulement satisfaire le goût de son temps pour les représentations de tempêtes. Déjà en 1822, avec La Barque de Dante (189 sur 246 cm, musée du Louvre), le peintre expose clairement quelle valeur artistique, à la fois picturale et littéraire, profondément symbolique et métaphorique, il attache à la représentation d’un frêle esquif perdu sur une mer déchaînée. Peignant Dante et Virgile, il montre, dans une lecture lumineuse de L’Enfer, combien est fragile l’homme face à Dieu et à la mort. La scène du naufrage, expression métaphorique du désastre, annonce, comme dans une tragédie grecque - sentiment renforcé par l’espace clos de la barque -, la mort à venir d’un Don Juan singulier, incompris, en exil parmi les hommes. Deux femmes sont représentées dans la masse humaine des naufragés. La plus visible est à la poupe de l’embarcation, couchée sur le flanc gauche, le sein droit dénudé, la main crispée sur le bois du rebord. Est-elle endormie ? Morte ? Sa position pourrait faire allusion aux néfastes effets du comportement de Don Juan. Il est clair cependant que la dimension libertine de celui-ci est, consciemment, mise en retrait par le peintre. Don Juan est ici celui qui accepte sa destinée, qui assume l’hubris de son attitude tout en bravant la mort - c’est cette même thématique qui est magnifiquement exprimée par Mozart à la fin de Don Giovanni. Le choix d’une scène de fortune de mer pour reprendre une belle et ancienne expression, préférée à beaucoup d’autres dans le long poème de Byron, est tout sauf anodin. Le tableau « a été inspiré par l'admirable récit du naufrage dans le Don Juan de Byron. Monsieur Delacroix a bien fait de supprimer cette circonstance [le tableau porte aussi pour titre Le Naufrage lors de sa présentation publique au Salon en 1841] et de laisser à sa composition une généralité plus vaste » écrit

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Gautier (article cité). Il nous semble que, contrairement à cette affirmation, Le Naufrage ne peut être compris sans mesurer la valeur romantique que Delacroix attribue à la figure de Don Juan, thème central de son œuvre. En associant, de façon emblématique, scène de naufrage et Don Juan, Delacroix reste fidèle à Byron. Il développe aussi une manière libre et nouvelle de figurer avec force le mythe de Don Juan, comme il l’a fait en 1828 avec celui de Faust en réalisant les lithographies qui illustrent le texte de Goethe. Don Juan, traditionnellement dépeint comme orgueilleux, cynique et cruel, découvre, au sens propre, sa valeur profonde, celle de l’être ambigu à l’âme tourmentée, pessimiste mais empreint d’un certain courage face à la mort. Don Juan est homme jusqu’à l’excès et romantique jusqu’à l’anéantissement. C’est pourquoi Le Naufrage de Don Juan pourrait être considéré comme une sorte de manifeste remarquable du Don Juan romantique. Il pourrait aussi être vu comme une expression idéalisée du poète exilé parmi les hommes, de l’artiste incompris du commun. Il faut le dire hautement, depuis ce matin j'ai le spleen, et un tel spleen, que tout ce que je vois, depuis qu'on m'a laissé seul, m'est en dégoût profond. J'ai le soleil en haine et la pluie en horreur. Le soleil est si pompeux, aux yeux fatigués d'un malade, qu'il semble un insolent parvenu ; et la pluie ! ah ! de tous les fléaux qui tombent du ciel, c'est le pire à mon sens. Je crois que je vais aujourd'hui l'accuser de ce que j'éprouve. Quelle forme symbolique pourrais-je donner jamais à cette incroyable souffrance ?

Alfred de VIGNY, Les Consultations du docteur Noir, Stello. Le poète romantique chanté par Vigny (1797-1863), ami de Delacroix, engendre l’art dans l’indifférence, la solitude et une « incroyable souffrance » à laquelle il voudrait donner une « forme symbolique ». Il nous semble que ce pourrait être celle-ci que Delacroix choisit d’incarner en Don Juan. Le mythe de Don Juan est un thème artistique prisé dans l’Europe romantique de la première moitié du XIXe siècle. La diffusion du Don Giovanni de Mozart y contribue. La première française de l’opéra a lieu à Paris - au théâtre des Italiens - en 1811. L’œuvre est fréquemment donnée à Paris, en français ou en italien, à partir des années 1820. Nombre d’artistes montrent alors leur attachement à la figure de Don Juan : Musset, Nerval, Stendhal pour ne rester que dans le domaine littéraire français. Chopin, lors de son premier concert à la salle Pleyel, en février 1832, interprète, avec succès, ses Variations sur un thème de Don Juan de Mozart. Si la figure de Don Juan se ravive avec le romantisme, elle est profondément transformée. Précisons que la pièce de Molière, Dom Juan ou le festin de Pierre (1665), n’est pas jouée à l’époque : victime de la colère des dévots, cette pièce n’est représentée que quelques semaines, avant d’être oubliée pendant près de deux siècles… Le trompeur de Séville et le convive de Pierre, la pièce de Tirso de Molina (1630) qui donne naissance à Don Juan n’est connue que des lettrés.

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Héros tourmenté, subissant les affres des passions dévastatrices, Don Juan est, pour les artistes romantiques, un homme avide de plénitude, libre mais soumis à un destin qui le dépasse. Apôtre de l’amour mais lassé de la vie, il éprouve la désespérance. Musset, tout particulièrement, fait de Don Juan le parangon du héros romantique sombre et incompris :

Oui, Don Juan. Le voilà, ce nom que tout répète, Ce nom mystérieux que tout l'univers prend, Dont chacun vient parler, et que nul ne comprend ; Si vaste et si puissant qu'il n'est pas de poète Qui ne l'ait soulevé dans son cœur et sa tête, Et pour l'avoir tenté ne soit resté plus grand.

Alfred de MUSSET (1832), « Namouna », XXXVIII, In Premières poésies. On peut observer que, dans l’art de la première moitié du XIXe siècle, le mythe de Don Juan est souvent rapproché, dans un registre proche, de celui de Faust. C’est ce que montre Pouchkine dans Le convive de Pierre, drame créé à Saint-Pétersbourg en 1830. Apprécié en son temps, Le Naufrage de Don Juan est l’objet de plusieurs gravures largement diffusées en Europe. Elles assurent la connaissance et la portée de l’œuvre et sa postérité. Charles Baudelaire (1821-1867) tient Delacroix pour l’un des grands artistes de son temps et en fait l’un des « Phares » des Fleurs du Mal : « Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges/Ombragé par un bois de sapins toujours vert ». Il consacre, dans le même recueil, un poème à Don Juan : Don Juan aux Enfer (écrit en 1845). Le poète trouve son inspiration dans Le Naufrage de Don Juan comme dans La Barque de Dante de Delacroix. Il y met aussi en scène les personnages du Dom Juan ou le Festin de pierre de Molière : Sganarelle (le valet de Dom Juan), Don Luis (père de Dom Juan qui maudit son fils), Elvire (une des femmes séduites par Dom Juan), « le grand homme de pierre » (la statue du commandeur). Baudelaire imagine une sorte de synthèse poétique du mythe romantique de Don Juan, ici descendu aux enfers, « calme héros » qui « regardait le sillage et ne daignait rien voir, métaphoriquement naufragée :

Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine Et quand il eut donné son obole à Charon, Un sombre mendiant, l'œil fier comme Antisthène, D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron. (…) Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre Se tenait à la barre et coupait le flot noir; Mais le calme héros, courbé sur sa rapière, Regardait le sillage et ne daignait rien voir.

Charles Baudelaire (édition de 1861), Don Juan aux Enfers, Spleen et idéal, in Les Fleurs du Mal.

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La représentation et le renouvellement du mythe de Don Juan à l’époque romantique mérite une étude attentive. Un travail méthodique sur Le Naufrage de Don Juan pourrait être accompagné d’extraits du texte de Byron. La confrontation avec le poème de Baudelaire et d’autres œuvres dont, bien entendu, le Don Giovanni de Mozart et le Dom Juan de Molière, serait particulièrement enrichissante pour des élèves.

Laurent Grison est Professeur d’histoire des arts au lycée Jean Monnet à Montpellier.

Eugène Delacroix, Autoportrait au gilet vert (1857)

George Gordon, Lord Byron (1788-1824)

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Le commandeur Le personnage du commandeur occupe une place essentielle dans plusieurs des maintes versions de Don Juan : c’est une image de mort, l’image, aussi, souvent à l’exact opposé de celle de Don Juan. D’un côté le pieux, de l’autre le libertin, ou encore le père / le fils, l’homme de devoir / l’homme de désir, le messager de Dieu / l’impie, le vieillard / le jeune homme, la permanence / la dissipation, l’immuable / l’insaisissable, la mortification / l’érotisme, l’au-delà/l’hédonisme, la mort / la vie, l’éternité / l’instant… Historiquement, dans la pièce de Tirso de Molina, le Commandeur est Don Gonzalo de Ulloa, Commandeur de l’ordre de Calatrava. « La création des ordres religieux de chevalerie, milices destinées à lutter pour défendre la foi chrétienne et le territoire de la patrie, est l’une des caractéristiques du Moyen-Age espagnol. Dans la Castille se trouvait les Ordres de Santiago, Calatrava, la Banda… Dans l’Aragon, ceux de la Merced (la merci), San Jorje, San Salvador, sans compter les deux ordres célèbres du Temple et de l’Hôpital.» En 1147, la ville de Calatrava est prise sur les Maures par les Castillans. La menace d’une invasion arabe avait auparavant entraîné la création d’un ordre, destiné à défendre la ville et le château. Au XIIe siècle, le costume des chevaliers de Calatrava ne diffère guère de celui des moines, quoique plus court afin d’être approprié pour l’usage des armes. On peut imaginer que le Commandeur de l’ordre de Calatrava portait un habit ressemblant à ceux des croisés ou templiers. A partir du XIVe siècle, le costume militaire évoluant, les armures de fer et d’acier remplacent les cottes de mailles. L’Ordre militaire de Calatrava disparaît à la fin du XVIe siècle, époque à laquelle il est réuni à la couronne. La statue de pierre du Commandeur, prototype du personnage dans la pièce de Tirso de Molina, devait sans doute représenter un personnage en armure de type Renaissance, portant une barbe que Don Juan tire pour se moquer. Et, si l’action se passe sous le règne d’Alfonso XI de Castille, c’est à dire dans la première moitié du XIVe siècle, l’auteur décrit cependant le monde du début du XVIIe siècle.. Dans la pièce de Molière, c’est en costume antique, en « habit d’empereur romain », comme le dit Dom Juan, qu’apparaît le Commandeur. L’idée de la « lignée glorieuse », née à la Renaissance avec le grand mouvement de retour à l’antique, établit un parallèle entre les modèles de l’Antiquité et les hommes illustres de l’époque. L’instrument privilégié de cette métamorphose est le recours au vêtement à l’Antique, le costume d’imperator romain. Au moment où se jouait la pièce de Molière, la propagande monarchique en faveur du jeune Louis XIV jouait d’ailleurs à fond le jeu de l’Antiquité : le Roi apparaît, sur les estampes, les frontispices de livres, en nouvel Alexandre et même, pour la naissance du Dauphin, en 1662, costumé en Empereur romain.

Evariste Fragonard (1780-1850), Don Juan et la statue du Commandeur

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Don Juan et le libertinage Derrière le terme de libertinage se cachent un courant de pensée et un mouvement littéraire extrêmement riches et originaux qui ont connu leur apogée au XVIIe et au XVIIIe siècle. Le terme libertin a pour origine un terme latin qui signifie « affranchi ». Par un heureux hasard alphabétique, on trouve libertin, libertinage, libertiner entre liberté et libidineux dans le dictionnaire de l’Académie Française. En effet, le mouvement libertin se compose de deux mouvements parallèles : l’un basé sur un courant de pensée libertaire, développé par des libres penseurs au XVIIe siècle et l’autre concentré sur la littérature érotique et qui trouvera son apogée à la fin du XVIIIe siècle avec le marquis de Sade. Ces deux courants ne sont pas totalement étrangers l’un à l’autre car ils placent tous deux la liberté individuelle au-dessus de tout, y compris la morale dans le cas de Sade. Les auteurs libertins sont pour la plupart de jeunes nobles érudits qui se font l’écho de la philosophie épicurienne (dont la maxime est Carpe Diem, profite du jour présent) en réponse à la philosophie stoïcienne (basée sur l’usage de la raison) dominante à l’époque. S’agissant d’un courant de pensée, on y trouvera donc des philosophes comme Gassendi, des auteurs de pamphlet comme Cyrano de Bergerac – qui n’est pas que le personnage fictif de la pièce éponyme d’Edmond Rostand et incarné à l’écran par Gérard Depardieu. Pour ce qui est du roman licencieux au XVIIIe siècle, on notera Laclos, Crébillon Fils, Casanova, Denon et Sade. La philosophie libertine se comprend implicitement à l’étude de certains héros. Don Juan, « grand seigneur méchant homme » aux dires de son valet, est l’archétype du personnage libertin. Il est athée, frivole certes mais c’est aussi un gentilhomme cultivé. Notons que sur ce point Don Juan est à l’image des libertins, nobles, gens de pouvoir et de culture qui développent une pensée critique. Pensée qu’ils ne souhaitent cependant pas mettre à la portée du commun des mortels. La pensée libertine est donc une pensée élitiste. Don Juan est un marginal dont les actes n’ont de sens qu’en réponse face à une société aux codes sociaux rigides et arrêtés. De même, le libertinage s’est développé dans une période où le catholicisme était la loi sans remise en question possible et où le royalisme avec la souveraineté de droit divin était à son apogée. Face à ce héros plus politique qu’érotique se dessine un deuxième type de héros, le couple Valmont / Madame de Merteuil (in Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos) représentatif de l’évolution du libertinage du XVIIIe siècle. Si on retrouve la thématique du secret et de la dissimulation, l’érudition, le culte du moi, l’ironie et le cynisme, la liberté placée au-dessus de tout dans Don Juan se cantonne chez ces héros au jeu des joutes amoureuses. La version érotique du libertinage n’en n’est pas moins une expression de la liberté personnelle que le libertinage philosophique. Au contraire, il s’agit peut-être d’une remise en question plus directe quoique plus souterraine de la pensée et de l’ordre. Ce mouvement n’est pas lui-même étranger à l’esprit de l’époque où les amours du roi sont racontées en place publique. Cette tradition est un véritable pied de nez à la censure de cette époque. L’esprit critique et la notion de liberté caractérisent l’esprit libertin. Ils animent également l’esprit des Lumières. L’ironie et l’utopie utilisées par Cyrano de Bergerac influencent fortement les contes de Voltaire comme Zadig et Micromégas ou les écrits de Swift. L’esprit critique, basé sur la connaissance de la science, se retrouve dans l’Encyclopédie de Diderot. Rousseau s’inspire mais est aussi inspirateur d’écrits libertins (on note par exemple la parfaite connaissance de La Nouvelle Héloïse par Madame de Merteuil dans Les liaisons dangereuses et l’importance des références qui y sont faites). Par sa défense de la liberté, notamment

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sexuelle, l’influence du libertinage s’étend aussi sur l’ensemble de la littérature au XIXIe siècle (Baudelaire, Apollinaire…).

Jean Honoré Fragonard (1732-1806), La Surprise ou La Rencontre

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Quelques idées philosophiques du XVIIIe siècle Le XVIIIe siècle est une période de l’histoire de la culture européenne, marquée par le rationalisme philosophique et l’exaltation des sciences, ainsi que par la critique de l’ordre social et de la hiérarchie religieuse. L’expression – Siècle des Lumières – est déjà fréquemment utilisée par les écrivains de l’époque, convaincus qu’ils venaient d’émerger de siècles d’obscurité et d’ignorance et d’entrer dans un nouvel âge illuminé par la raison, la science et le respect de l’humanité. Les philosophes rationalistes du XVIIe siècle, tels que René Descartes et Baruch Spinoza, les philosophes politiques comme Thomas Hobbes et John Locke peuvent être considérés comme les précurseurs des Lumières. La plus importante des hypothèses et espérances communes aux philosophes et intellectuels de cette époque est la foi inébranlable dans le pouvoir de la raison humaine. La découverte de la gravitation universelle par Isaac Newton fait une impression considérable sur le siècle. Grâce à l’usage judicieux de la raison, un progrès s’ouvre dans le domaine de la connaissance, des réalisations techniques et des valeurs morales. Les penseurs du XVIIIe siècle considèrent, à la différence de Descartes, que la connaissance, loin d’être innée, procède uniquement de l’expérience et de l’observation guidée par la raison. Ils affirment que l’éducation a le pouvoir de rendre les hommes meilleurs et même d’améliorer la nature humaine. La recherche de la vérité doit se poursuivre dorénavant par l’observation de la nature plutôt que par l’étude de sources autorisées telles qu’Aristote et la Bible. Par contre, la plupart des penseurs des Lumières ne renonce pas complètement à la religion. Ils adoptent plutôt une forme de déisme, acceptant l’existence de Dieu et d’un au-delà, mais rejettent les arcanes de la théologie chrétienne. Ils n’attaquent rien avec autant de violence et de férocité que l’Eglise, sa richesse, son pouvoir politique et sa volonté d’entraver le libre exercice de la raison. Quelques philosophes des Lumières Denis Diderot (1713-1784) Philosophe et écrivain français, il est le maître d’œuvre de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers écrite entre 1751 et 1772, et l’un des principaux représentants de l’esprit des Lumières. Toujours audacieuse, son œuvre touche à tous les genres et se développe dans différents domaines : la science, la philosophie et l’esthétique. Surtout admiré en son temps comme directeur de l’Encyclopédie, il est aujourd’hui considéré comme l’un des écrivains les plus novateurs de ce siècle. Il en incarne l’esprit par son matérialisme athée, par sa volonté de dénoncer les préjugés et par sa confiance en la raison. Charles de Secondat, baron de Montesquieu (1689-1755) Homme de lettres et philosophe français, il est notamment l’auteur des Lettres persanes et De l’esprit des lois. Il a inspiré la constitution de 1791 et est à l’origine des doctrines constitutionnelles libérales qui reposent sur la séparation des pouvoirs. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) Ecrivain et philosophe genevois de langue française, auteur des Confessions, La nouvelle Eloïse et du Contrat Social entre autres, il est l’une des principales figures du Siècle des Lumières. L’ensemble de son œuvre, fondée sur la recherche d’une harmonie avec les hommes, exprime une critique des fondements de la société corruptrice.

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François-Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778) Homme de lettres et philosophe français, il est auteur notamment d’essais historiques et de contes philosophiques comme Candide ou l’optimisme ou Zadig ou la destinée, qui témoignent de son souci de vérité et de tolérance, mais aussi de campagnes en faveur des victimes des erreurs judiciaires. Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783) Philosophe rationaliste, physicien et mathématicien français, il est le principal auteur et animateur, avec Denis Diderot, de l’Encyclopédie. Défenseur de la tolérance, il expose, dans son Discours préliminaire de l’Encyclopédie, l’esprit scientifique qui préside à l’œuvre entreprise. Les idées qu’ils défendent La liberté « Les hommes naissent tous libres. C’est le plus précieux de tous les biens que l’homme puisse posséder. Il ne peut ni se vendre ni se perdre » (d’après un article dans l’Encyclopédie). En ces temps, la critique est difficilement admise. La liberté et notamment la liberté d’expression est fermement défendue par les philosophes des Lumières. La raison C’est le moyen d’acquérir des connaissances. Quesnay, un économiste de l’époque, dit à ce propos : « la raison est à l’âme ce que les yeux sont au corps : sans les yeux, l’homme ne peut jouir de la lumière, et sans la lumière, il ne peut rien voir ». La tolérance D’après Voltaire, on doit respecter la liberté et les opinions sociales, politiques et religieuses d’autrui. L’égalité En ce temps-là, la société française est divisée en trois ordres distincts – la Noblesse, le Clergé et le Tiers-état – et l’inégalité de naissance est une véritable institution. D’après Rousseau, « être libre, n’avoir que des égaux est la vraie vie, la vie naturelle de l’homme. Les hommes naissent égaux ». Le progrès Les philosophes des Lumières sont pour le progrès de la société, pour l’innovation, le commerce, la révolution de la science. On peut citer quelques inventions comme le thermomètre et le microscope. La séparation des pouvoirs Les philosophes critiquent les abus de pouvoir et Montesquieu écrit dans De l’esprit des lois, en 1748, qu’il est utile de séparer les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), c’est-à-dire qu’ils soient exercés par des individus ou des groupes différents afin d’éviter toute tyrannie. Le rejet de la monarchie de droit divin Sauf dans le cas de Rousseau qui défend le principe d’une démocratie directe, les philosophes de cette période restent généralement favorables à un régime monarchique.

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Jean Hubert (1721-1781), Le Dîner des philosophes (1772-73)

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Les années 1780 La période du XVIIIe siècle qui s’étend de 1721 à 1781, est aussi désignée sous le terme de « siècle des Lumières », métaphore des connaissances par opposition à l’illumination divine, marquée par l’intense activité intellectuelle des écrivains et des philosophes. Mais c’est aussi une période de mutations économiques et sociales. Les mutations économiques On attribue généralement un rôle prééminent à la France dans l’essor de la civilisation européenne du XVIIIe siècle. Sa situation est pourtant ambiguë par rapport à l’Angleterre, instigatrice des mouvements idéologiques et économiques qui caractérisent ce siècle. Le modèle anglais L’Angleterre offre l’image d’un pays « libre » où deux révolutions ont détruit le régime de l’absolutisme et de l’intolérance. De telles idées se répandent en Europe grâce aux philosophes français, fascinés par cette application du libéralisme. Par ailleurs, les Anglais sont à l’origine des transformations que l’on appelle « révolutions », révolutions agricoles et industrielles qui bouleversent les données économiques. Leurs agronomes ont en effet découvert l’avantage de la jachère, de l’utilisation d’engrais et des plantes fourragères (trèfle, luzerne) dans la rotation des cultures. Ajoutées à l’amélioration du matériel agricole et à l’usage de techniques scientifiques pour l’élevage, ces découvertes ont permis aux grands propriétaires d’accroître leurs rendements. Dans le domaine industriel, l’Angleterre donne également l’élan en substituant de plus en plus la machine-outil à l’homme, aidée en cela par la mise au point du moteur à vapeur (Watt, entre 1765 et 1785), et obtenant ainsi une productivité accrue. La contribution française La France tente de se calquer sur les modèles anglais mais ses innovations ne sont pas aussi profondes : si les progrès sont indéniables, ils restent limités par une organisation communautaire trop traditionnelle des campagnes et par une industrie trop archaïque dominée par une production artisanale rurale ou urbaine. Néanmoins, le commerce colonial se développe avec une augmentation des échanges avec les Amériques, l’Afrique (métaux précieux, tabac, sucre, café) et l’Extrême-Orient (par l’intermédiaire de la Compagnie des Indes). En même temps, l’esclavage s’intensifie. Par ailleurs, l’apport scientifique français est indéniable. Tous les grands domaines sont représentés par des savants novateurs : en chimie, Antoine-Laurent Lavoisier, en mathématiques, le comte Louis Lagrange, Gaspard Monge, ou encore en botanique, Bernard et Laurent de Jussieu. Dès lors, l’esprit humain se délivre des contraintes théologiques pour s’intéresser à la nature dans une nouvelle démarche de recherche des connaissances, caractéristique de l’esprit même des Lumières. Cette nouvelle conception du monde s’accompagne d’une réflexion sur le gouvernement des sociétés humaines, qui sont elles-mêmes en mutation. Les mutations sociales et politiques Un essor démographique accompagne le progrès de cette époque. La durée de vie s’allonge de dix ans dans la seconde moitié du XVIIIe siècle grâce à une baisse générale de la mortalité due, elle-même, au recul des trois principaux fléaux que sont la famine, la guerre et la peste.

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Une société inégalitaire On atteste vers 1740, partout en Europe, de l’existence d’une société d’ordres fondée sur les privilèges. Alors qu’en Angleterre aucun obstacle juridique n’empêche la mobilité sociale, la France donne l’exemple opposé et des groupes sociaux entiers, tels que les paysans, sont ignorés de la nation. Par contre, au sein du tiers-état, la bourgeoisie constitue une classe en pleine ascension dès lors qu’elle profite des développements industriels et commerciaux de cette période. L’essor urbain – généré par le surcroît de population – offre un cadre à ces nouveaux possédants qui cherchent à faire reconnaître leurs avantages en allégeant les entraves politiques et en évoluant vers une nouvelle société : on constate sans étonnement que beaucoup de philosophes et d’écrivains du XVIIIe siècle (Voltaire, Diderot, Rousseau, Beaumarchais…) sont issus de familles bourgeoises aisées. Vers le changement Un mode de gouvernement exemplaire, où le souverain régnerait « d’après la raison et en vue du bien public » dans un effort de rénovation politique, économique et social, correspond à l’idéal recherché prioritairement par les philosophes français. Le mouvement de réformes engagé dès la seconde moitié du XVIIIe siècle par Frédéric II de Prusse, qui supprime le servage, par Catherine II de Russie, ou encore par François II d’Autriche, qui favorise l’instruction populaire et améliore le système judiciaire, dresse l’ébauche du « despotisme éclairé » prôné par Voltaire. Mais l’idéal recherché n’est pas atteint, et le constat final démontre que progrès et autoritarisme ne peuvent s’accorder. Toujours inspirées par le libéralisme anglais, les Lumières continuent cependant de diffuser leurs aspirations réformatrices hors des frontières – le français est la langue de l’Europe culturelle – et, déjà, bien des certitudes anciennes sont ébranlées, annonçant l’arrivée de grands changements. L’Europe de la fin du XVIIIe siècle voit en effet naître presque simultanément une série de troubles révolutionnaires – vraisemblablement portés par l’exemple de la révolution américaine : c’est le cas en Suisse, en Belgique, dans les Pays Bas, puis en France où les bouleversements seront les plus graves et les plus significatifs. Ces pays avaient tous au départ des structures sociales et politiques à peu près similaires, remises en question par les idées de liberté, d’égalité et de souveraineté du peuple formulées par les Lumières. Aux yeux des Européens, la déclaration d’Indépendance américaine et la guerre révolutionnaire représentent, pour la première fois, la mise en œuvre des idées éclairées et encouragent les mouvements politiques dirigés contre les régimes établis en Europe. Cette constitution d’Amérique devient un modèle qui sera diffusé et admiré. Cela entraîne la remise en cause de l’absolutisme. De l’avis général, le Siècle des Lumières aboutit à la Révolution française de 1789. Comme elle incarne les nombreux idéaux des philosophes, la Révolution, dans ses phases de violence entre 1792 et 1794, discrédite provisoirement ces idéaux aux yeux de nombre de contemporains européens. Pourtant, les Lumières lèguent un héritage durable aux XIXe et XXe siècles. Le XVIIIe siècle marque le déclin de l’Eglise, ouvre la voie au libéralisme politique et économique et suscite des changements démocratiques dans le monde occidental du XIXe siècle. Le Siècle des Lumières apparaît ainsi à la fois comme un mouvement intellectuel et une période historique marquée par des événements décisifs.

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© Marc Ginot, photo du spectacle

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Biographies des artistes Marius Stieghorst direction musicale Marius Stieghorst est né en Allemagne, à Kaiserslautern. Il fait ses études de piano et de composition à l’Ecole Supérieure de Musique de Karlsruhe où il obtient la Bourse de la Fondation « Studienstiftung des Deutschen Volkes ». Il reçoit également une Bourse de l’Association Wagner de Bayreuth. Il est également chef de chant dans les opéras de Kiel, Karlsruhe et Berlin puis, de 2001 à 2004, il est deuxième Kapellmeister à Graz. Actuellement assistant du Directeur musical de l’Opéra national de Paris et Directeur musical de l'Orchestre des Jeunes du Centre, le jeune chef Marius Stieghorst a été Premier Kapellmeister et adjoint au Directeur de la musique à Osnabrück. Marius Stieghorst a dirigé les nouvelles productions de Werther, La Ville morte, L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée, La Fiancée du Tsar ou encore Don Pasquale à Osnabrück et à Graz, ainsi que de nombreuses représentations du répertoire de ces deux théâtres : Otello, Eugène Onéguine, Turandot, Tosca, Ariane à Naxos, Tannhäuser, Don Giovanni, Cosi fan tutte, Nabucco… De 2004 à 2008, il était chef assistant dans les festivals de Baden-Baden et de Salzbourg. Il dirige deux créations mondiales au A•DEvantgarde Festival 9.4 de Munich : Rotkäppchen, lauf! et Schön, schöner, Schneewittchen. Il a dirigé Mirandolina de Martinu avec l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris à la MC93 de Bobigny. En concert, il dirige des œuvres symphoniques de Bruckner, Schumann, Tchaikovski, entre autres, et collabore régulièrement avec l’Orchestre symphonique de Hamburg, l’Orchestre symphonique d’Orléans, l’Atelier de musique de Deauville, l’orchestre des Lauréats du conservatoire (CNSM), l’Orchestre OstinatO et l’orchestre de l’Opéra national de Paris. Il se produit également comme pianiste en récital et musique de chambre. Marius Stieghorst dirige régulièrement des spectacles chorégraphiques, notamment les spectacles de l’Ecole de Danse de l’Opéra national de Paris. Il a également dirigé le ballet de l’Opéra national de Paris et des danseurs étoiles lors du gala des 30 ans de l’AROP au Palais Garnier. Durant la saison 2011/2012, Marius Stieghorst fait ses débuts à Bastille avec Don Giovanni dans une mise en scène de Michael Haneke. Il poursuit sa collaboration avec l’école de danse de l’Opéra national de Paris avec des œuvres de Stravinsky et Brahms. En 2012, il est chef d’orchestre assistant au festival de Bayreuth pour la production de Parsifal. Cette saison, il a dirigé Le Nozze di Figaro (mise en scène de Giogio Strehler) à l’Opéra national de Paris. Il y assure également la direction musicale d’une version courte du Ring de Richard Wagner (Siegfried et l’anneau maudit) et celle du très attendu Tricentenaire de l’école française de danse au Palais Garnier et à Versailles avec les danseurs étoiles de l’Opéra (retransmission en direct sur Arte) Il est également réinvité pour deux programmes par l’Orchestre symphonique de Hamburg et pour trois concerts avec l’Orchestre symphonique d’Orléans. La saison prochaine, Marius Stieghorst commencera sa collaboration avec l’Orchestre des Jeunes du Centre dont il est directeur musical et se produira en concert à Graz dans le cadre de « Meistersinger Vocal Competition ». Il est également réinvité pour deux séries de concerts avec l’Orchestre symphonique d’Orléans ainsi qu’à Hambourg. A l’Opéra de Paris, il dirigera L'histoire du soldat avec l’Ensemble intercontemporain et les spectacles de l’école de danse en 2014. Enfin, il assurera la direction musicale de la reprise de Siegfried et l'anneau maudit à l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne.

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Jean-Paul Scarpitta, conception et mise en scène La carrière de Jean-Paul Scarpitta débute précocement. Poursuivant ses études d’histoire de l’art et d’art dramatique, il organise dès l’âge de dix-neuf ans un festival de musique et de danse dans la cour du Palais Synodal de Sens. Il mène dès lors une carrière qui le conduit à collaborer avec de nombreuses personnalités du monde artistique. Pour la télévision, il réalise notamment une série de trente-sept portraits d’artistes (Liv Ullman, Charlotte Rampling, Rudolf Noureev, Dominique Sanda…). Son vif attachement pour l’étoile du Ballet de l’Opéra de Paris, Ghislaine Thesmar, le conduit à la suivre et à la filmer pendant des années. Durant la même période, il se passionne d’abord pour le travail de Giorgio Strehler, puis pour celui de Piero Faggioni, et, se mêlant à leurs équipes respectives, il s’imprègne de leur art. Il acquiert ainsi une expérience de réalisateur qui l’amène à concevoir deux longs-métrages : Désir (1985) avec Marisa Berenson et Ghislaine Thesmar, et La Malaimée (1995), écrit en collaboration avec Jean Aurel, scénariste de François Truffaut. Par ailleurs, il est responsable pendant quinze ans de la Fondation Armand Hammer à Paris et à Londres. C’est pour lui l’occasion de révéler ses talents de commissaire général et de concepteur à travers de nombreuses expositions internationales. D’autre part, Jean-Paul Scarpitta défend la place de la photographie dans l’art en organisant de grandes expositions dès le début des années quatre-vingt comme, par exemple, celle des soixante ans de Vogue, qui voyagera pendant dix ans, ou encore l’hommage à André Kertész (1988). Il se lie ainsi avec des photographes tels que Jean-Philippe Charbonnier et Richard Avedon. Son rôle de metteur en scène se confirme dans la conception de spectacles, notamment L’Histoire du soldat de Stravinsky au Théâtre des Champs-Élysées, avec Shlomo Mintz, Carole Bouquet, Gérard et Guillaume Depardieu, ou encore La clemenza di Tito. En 2001, il ouvre la saison du Teatro San Carlo de Naples avec Perséphone et Œdipus Rex de Stravinsky. Dans le cadre du Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon, Jean-Paul Scarpitta met en scène successivement Le Carnaval des animaux, Háry János de Kodaly (spectacle repris au Châtelet), Jeanne d’Arc au Bûcher de Honegger avec Sylvie Testud, sous la direction de Emmanuel Krivine, puis sous celle d’Alain Altinoglu en 2006 (le DVD a obtenu une victoire de la Musique en 2008 et, à cette occasion Jean-Paul Scarpitta a obtenu un Orphée d’Or) et la création de Salustia de Pergolèse. A l’Opéra Berlioz, il signe une nouvelle production de Sancta Susanna de Hindemith, couplée avec Œdipus Rex de Stravinsky, puis Carmen, Die Zauberflöte et un Don Giovanni unanimement acclamé par le public et la critique. En 2009, il conçoit et met en scène Didon et Enée de Henry Purcell pour Opera Junior, Sancta Susanna de Hindemith et Le Château de Barbe-Bleue de Bartók. Il a aussi mis en scène La clemenza di Tito, ainsi que Medea de Cherubini avec Fanny Ardant. Pour le Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon, en juillet 2009, il conçoit et met en scène le spectacle C’était Marie-Antoinette. Il ouvre la saison 2009-2010 avec Die Zauberflöte et il met en scène La traviata. En mars 2011, Jean-Paul Scarpitta réalise la mise en scène Nabucco à l’Opéra de Rome, sous la direction de Riccardo Muti, à l’occasion des 150 ans de la République Italienne. L’œuvre, saluée par la critique et le public, fait l’objet d’une diffusion en direct sur ARTE et Rai 3. En juin 2011, il met en scène Manon Lescaut de Puccini. En juin 2012, à l’occasion de la réouverture de l’Opéra Comédie, il assure la mise en scène et les décors des Nozze di Figaro. Artiste en résidence à l’Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon, depuis la saison 2006/2007, Jean-Paul Scarpitta devient le 1er Janvier 2011, Directeur de l’Opéra Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon.

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Andrè Schuen, baryton – Don Giovanni Le baryton Andrè Schuen est né dans le Sud du Tyrol en Italie. Il a étudié au Mozarteum de Salzbourg le chant avec le professeur Horiano Branisteanu et l’oratorio avec le professeur Wolfgang Holzmair. Il a suivi des masterclasses avec Kurt Widmer, Sir Thomas Allen, Brigitte Fassbaender, Marjana Lipovsek, Romualdo Savastano et Olaf Bär. En 2009 Andrè Schuen obtient un prix à l’Académie d’été du Mozarteum et gagne le premier prix du Concours de chant Walter und Charlotte Hamel Foundation. En 2010, il est diplômé du Mozarteum en chant, opéra et oratorio et obtient le prix Hanna Ludwig et la médaille Lilli Lehmann. A ses débuts, il a pu se produire avec des orchestres prestigieux le Vienna Philharmonic, le Mozarteum Orchester, le Camerata Salzburg. Les concerts, les festivals et les enregistrements télé l’ont conduit à Vienne, Berlin, Munich, Zurich, Tokyo, Puebla (Mexique), Buenos Aires et Ushuaia (Argentine). Après son expérience au Festival de Salzbourg en 2006, il chante le Laquais en 2007/2008 dans la production d’Ariadne auf Naxos du Salzburg Landestheater sous la direction d’Ivor Bolton Il a également été entendu dans le rôle-titre de Le nozze di Figaro au Mozarteum et sur d’autres scènes en Allemagne et en Autriche. En 2009, , Andrè Schuen est à nouveau invité au Festival de Salzbourg dans Al gran sole carico d´amore de Luigi Nono, dirigé par Ingo Metzmacher. En 2010, il intègre les Young Singers Project à Salzbourg. Ainsi a-t-il pris part à plusieurs productions comme en 2011 à l’invitation de Sir Simon Rattle dans Salome de Richard Strauss au Festival de Pâques, ou l’été dernier à l’invitation de Riccardo Muti dans Macbeth de Giuseppe Verdi ou dans Le Rossignol d’Igor Stravinsky dirigé par Ivor Bolton. Il fut l’invité du Vlaamse Opera Antwerp/Ghent dans Don Alvaro Il viaggio à Reims de Gioachino Rossini sous la direction d’Alberto Zedda. En 2012, il chante Moralès dans Carmen de Bizet au Festival de Pâques et au Festival d’été de Salzbourg sous la direction de Sir Simon Rattle. Il fait ensuite ses débuts à la Philharmonie de Berlin avec cette production enregistrée pour EMI. Depuis septembre 2010 il fait partie de l’ensemble de l’Opéra de Graz où il fut Jeletzky (Dame de Pique), Masetto (Don Giovanni), Belcore (Elisir d’amore), Ford (Falstaff) et dernièrement dans le rôle titre de Gasparone de Carl Millöcker. Il fera bientôt ses débuts dans Papageno (La Flûte enchantée) et dans le Roi Alphonse (La Favorite). A Montpellier après Don Giovanni en juin 2013, il sera Guglielmo (Così fan tutte) en 20123/2014, rôle qu’il reprendra au Theater an der Wien sous la direction de Nikolaus Harnoncourt Il a également chanté de nombreuses messes et cantates, Johann Sebastian Bach Oratorio de Noël, La Passion selon st Jean, et la Messe en si mineur, Joseph Haydn’s La Création, Georg Friedrich Haendel Le Messie, Wofgang Amadeus Mozart Requiem, Johannes Brahms Un Requiem allemand, et enfin Felix Mendelssohn La Nuit de Walpurgis, à l’Oratorium. En 2013, son répertoire va s’enrichir du rôle du Christ dans La Passion selon st Matthieu sous la direction de Philippe Herreweghe et du Requiem de Fauré avec la Philharmonie de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle à Madrid. En 2014, il sera avec l’Orchestre national de Lille dans les Lieder eines fahrenden Gesellen Il a travaillé le lied avec le pianiste Daniel Heide – son répertoire en constante augmentation comprend déjà Schubert Winterreise, Schumann Dichterliebe et Liederkreis opus 24, Wolf Harfner-Gesänge, Ibert Chansons de Don Quichotte, Frank Martin Jedermann-Monologe. En 2009, il crée le cycle “bald ist mir nimmer kalt” (12 chants sur des textes de Norbert C. Kaser pour voix et percussion) de Herbert Grassl. Pour la saison 2014/15 il est invité à faire ses débuts au Wigmore Hall de Londres.

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David Bizic baryton-basse – Leporello David Bizic est né à Belgrade en 1975. Après son immigration en Israël en 2000, David Bizic intègre l’Institut International d’Art Vocal puis l’Opéra Studio du New Israeli Opera. En 2003, il est admis au Centre de Formation Lyrique de l’Opéra national de Paris et participe ainsi aux productions de Manon, Pelléas et Mélisande, Saint François d’Assise, Il Trovatore, Tristan und Isolde, De la Maison des Morts (production reprise au Teatro Real). Il est ensuite réinvité sur la scène de l’Opéra Bastille, ou il chante dans Don Giovanni, Cardillac, La Bohème et Andrea Chénier. Excellent interprète des rôles mozartiens, il interprète notamment Figaro des Nozze di Figaro, Masetto à nouveau à Paris et lors de ses débuts au Festival d’Aix-en-Provence à l’été 2010, Leporello dans Don Giovanni, Publio de La Clémence de Titus. Il est aussi Belcore dans L’Elisir d’amore et Escamillo dans Carmen à Belgrade, Mathieu dans Andrea Chénier à Nancy, Créon dans Œdipus Rex et le Chambellan dans Le Rossignol à Strasbourg, Vecchio Zingaro dans Le Trouvère aux Chorégies d’Orange. Il a fait ses débuts à l’Opéra Royal de Stockholm avec le rôle du Grand Prêtre dans Samson et Dalila. Au concert, il s’est produit avec l’Orchestre Symphonique de Jérusalem (Requiem de Fauré, Messe en La bémol de Schubert, Nelson Mass de Haydn), l’Orchestre de Paris (Manuel dans la Vida Breve). Plus récemment, on a pu l’entendre dans la Neuvième Symphonie de Beethoven en Avignon et à Toulon ou encore le Requiem de Fauré avec l’Ensemble Orchestral de Paris et le Chœur Accentus au Festival de Saint Denis. Il participe à Samson et Dalila en version de concert à Montpellier, chante Escamillo à Stockholm, Leporello à Valence et à Paris, Figaro à Bordeaux. Cette saison, on retrouve David Bizic en Leporello à Los Angeles, Schaunard dans La Bohème pour ses débuts à Covent Garden, le rôle-titre de Don Giovanni en Slovénie puis Masetto dans le même ouvrage au Teatro Real de Madrid. Parmi ses projets citons Figaro à Genève, Leporello à Vienne et à Monte Carlo, ses débuts au Metropolitan Opera de New York dans une nouvelle production de Werther/Albert, rôle qu’il reprendra au Covent Garden, ses prises de rôles de Marcello dans La Bohème à Bordeaux, Guglielmo dans Cosi fan tutte à Paris, Almaviva des Nozze di Figaro à Saint-Etienne… David Bizic a obtenu le second prix dans la catégorie opéra lors du concours Opéralia - Placido Domingo, en 2007 au Théâtre du Châtelet. Marie-Adeline Henry soprano - Donna Elvira Marie-Adeline Henry, commence très tôt l’apprentissage de la musique par le violon, le piano, et la contrebasse. Elle commence le chant à l’âge de 16 ans avant de se perfectionner auprès d’Irène Jarsky, Maryse Castets, puis intègre l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Elle y chante les rôles de Fiordiligi (Cosi fan Tutte), Female Chorus (The rape of Lucreatia), Helena (A Midsummer Night’s Dream). Elle suit les Master classes de Rachel Yakar, Christiane Eda-Pierre, Natalie Dessay, Jose Cura, François Leroux.

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Elle interprète les rôles de Mélisande (Pelleas et Mélisande) à l’Opéra de Montpellier, Abigail Williams (The Crucible de Robert Ward) au Dicapo theater de New York, à Pecs et Szeged en Hongrie, Eurydice (Orphée et Eurydice) à l’Opéra de Rennes, Fiordiligi (Cosi fan tutte) auprès de Jean-Christophe Spinosi à Brest, Diane (Hippolyte et Aricie) avec le Reisopera de Hollande, Branghien (le Vin Herbé) à l’Opéra National de Lyon, Lisa (Sonnambula) et la Femme du Forgeron/la Princesse (Faust de Philippe Fenelon) à l’Opéra National de Paris, Polissena (Gesualdo) à l’Opéra de Zürich. Très intéressée aussi par les répertoires de concert, elle aborde régulièrement des œuvres contemporaines, «Tempo e Tempi » de Carter, « Quatuor à cordes et voix N°IV » de Philippe Fénelon, « Die Melancholie » et « Die Serenaden » de Hindemith….Elle se produit également en Oratorio dans la petite Messe Solennelle de Rossini, le Requiem de Haydn, ou encore le Lobgesang de Mendelsohn. Plus récemment, elle interprète le rôle de Mélisande (Pelléas et Mélisande) à l’Opéra de Rennes, La Gouvernante (Turn of the Screw) à l’Opéra de Rennes et au Festival de Spoleto, La Comtesse (Le Nozze di Figaro) en Avignon et à Massy, Micaela (Carmen) à Santiago de Chili, Fiordiligi (Cosi fan Tutte) au Capitole de Toulouse et à l’Opéra de Nancy. Parmi ses projets, les rôles de Wellgunde et Brünnhilde (Siegfried et l’Anneau Maudit) à l’Opéra de Paris, Poppea (Poppea e Nerone) à l’Opéra de Montpellier, Metella (La Vie Parisienne) à l’Opéra de Toulon, Arminda (La Finta Giardiniera) à l’Opéra de Lille, Valletto (L’Incoronazione di Poppea) à l’Opéra de Paris, Anna (Nabucco) aux Chorégies d’Orange…

Erika Grimaldi soprano - Donna Anna Née à Asti en 1980, Erika Grimaldi est diplômée en chant et piano au Conservatoire Giuseppe Verdi de Turin. Elle connait de nombreux succès : au Concours International de Crescentino en 1998 et au Concours International Giacomo Lauri Volpi de Latina. En 2002, elle participe au Festival de Zurich. En 2005, elle remporte le 1er prix du Concours Lyrique International à Orvieto. En 2008, elle s'affirme au Concours « Comunità Europea » de Spoleto, et cette même année est applaudie au Teatro Regio à Turin, où elle interprète le rôle de Mimi dans La Bohème. Elle participe ensuite, toujours au Teatro Regio de Turin, aux productions de La Dame de Pique de Tchaikovsky et de Medea de Cherubini et se produit dans ce même ouvrage au Teatro Massimo Bellini de Catania, sous la direction de Evelino Pidò. En 2009, elle fait ses débuts dans les rôles de Adina / L'Elisir d'amore au Teatro Filarmonico de Vérone, Pamina dans La Flûte enchantée au Teatro Massimo de Palerme et Donna Anna dans Don Giovanni au festival d'Avenches. En 2010, elle est encore Mimi dans La Bohème au Teatro Regio à Turin (production dans laquelle elle a aussi chanté en tournée en Chine), au Teatro Petruzzelli de Bari et à l'Opéra de Hong Kong. Ses débuts dans le rôle de Anaï dans Moïse et Pharaon - opéra inaugural de la saison 2010-2011 du Teatro dell’Opera de Rome – mis en scène par Pier’Alli et dirigé par Riccardo Muti - ont été d'une importance fondamentale. Elle a été dirigée par ce dernier également dans Nabucco, toujours à l’Opéra de Rome. Tout récemment, elle est Micaela dans Carmen au Teatro Lirico de Cagliari et au Teatro Regio de Turin, Fiordiligi dans Così fan tutte au Teatro Regio à Turin sous la direction d’Ettore Scola. A l’Opéra de Montpellier, elle était La Comtesse Almaviva dans Le Nozze di Figaro, et en décembre 2012, Mimi dans La Bohème.

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En 2013, elle a interprété Mimi dans La bohème au Teatro Regio de Turin et Elisetta dans Il matrimonio segreto de Cimarosa (dans la mise en scène de Michael Hampe). Parmi ses projets, le rôle de Fiordiligi dans Cosi fan tutte à l’Opéra national de Montpellier, ainsi que les rôles de Amelia dans Simon Bocanegra, de Liù dans Turandot et le rôle de Jemmy dans Guillaume Tell au Teatro Regio de Turin. Dovlet Nurgeldiyev ténor - Don Ottavio Né à Ashgabat au Turkménistan, Dovlet Nurgeldiyev y commence ses études de chant en 1994. De 2001 à 2005, il étudie au Conservatoire de Tilburg (Pays-Bas). En 2006, il poursuit ses études au Conservatoire Royal de la Haye où il obtient son diplôme supérieur. En 2008, il rejoint l’ensemble de l’Opéra Studio de Hambourg où il fait des débuts très appréciés par la presse et le public dans le rôle de Fenton dans Falstaff de Verdi. Il y chante ensuite Le Chevalier dans Dialogues des Carmélites, Camille dans La Veuve joyeuse, Steuermann dans Der fliegende Holländer. Membre de l’Opéra de Hambourg depuis la saison 2010/2011, Dovlet Nurgeldiyev y a interprété les rôles de Alfredo dans La traviata, Lensky dans Eugène Onéguine, Vladimir Igorevich dans Le Prince Igor et Nemorino dans L’Elisir d’amore ; il a obtenu sur scène un grand succès pour son interprétation de Don Ottavio dans Don Giovanni, rôle qu’il reprendra dans une nouvelle production donnée à l’Opéra d’état de Budapest. Il a également endossé le rôle de Vladimir Igorevich dans Le Prince Igor à Hambourg. Ekaterina Bakanova soprano - Zerlina Née en 1984, la soprano Ekaterina Bakanova a commencé sa carrière en Russie. Elle est lauréate de nombreux prix internationaux et a déjà chanté sur les scènes d'opéras et de festivals internationaux comme l'Opéra Novaya (Moscou), le festival Luglio Musicale Trapanese (Italie), l'Opéra de Gênes et l'Opernfestspiele à St. Margarethen (Autriche). Elle étudie à l’université d'État de Gnessin (professeur Margharita Landa) et au Conservatoire Gnessin à Moscou. Depuis 2008, elle étudie avec le Maestro Gioacchino Gitto à Rome. En 2002-2003, elle chante avec le collectif Vladimir Spivacov (Moscou). En 2004, elle se produit au Conservatoire d'état à Moscou avec l'Orchestre symphonique, célébrant l'anniversaire de l’établissement. De 2005 à 2009, Ekaterina Bakanova est soliste au Novaya Opera de Moscou. En 2006, elle chante La Reine de la nuit/Die Zauberflöte et participe à l'émission de télévision "Big Ones" à Moscou. En 2007 elle est Gilda/Rigoletto au festival Luglio Musicale Trapanese en Italie. En 2008, elle reprend le rôle de Gilda dans la production d'Ascoli Piceno (Italie), participe à un concert de gala à l’Opéra national de Varsovie, et est Rosina/Il Barbiere di Siviglia à l’Opéra Novaya. En 2009 elle chante Sophie/Werther avec Giuseppe Filianoti (Reggio Calabria), Gilda/Rigoletto au Festival St. Margarethen, et participe à plusieurs concerts à Bilbao. En 2010, elle chante, aux côtés d’Elina Garanca, Marcello Alvarez, Barbara Frittoli et Vladimir Chernov, à Eisenstadt en Autriche, La Reine de la nuit à St. Margarethen, Serpina dans La Serva Padrona de

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Pergolèse, Barce dans Hubicka de Smetana au Wexford Festival Opera, ainsi qu'un bon nombre de concerts de Noël à Riga. En 2012, elle est récompensée au 63ème concours des « Jeunes chanteurs d’opéra » à Côme en Italie, grâce à sa prestation dans le rôle de Lucia dans Lucia di Lammermoor, elle est engagée sur cette même production par le Circuito Lirico Lombardo, dirigé par Henning Brockhaus. L’Associazione Lirica Concertista italiana lui attribue le prestigieux prix AsLiCo. En mars 2012, elle fait ses débuts sur la scène du Théâtre du Châtelet en Angelica dans Orlando Paladino (direction J.-C. Spinosi). En juin 2012, elle interprète sur la scène légendaire du Teatro La Fenice à Venise Micaela dans Carmen. Récemment, elle a interprété Lucia dans Lucia di Lammermoor (Circuito Lirico Lombardo d’octobre 2012-à janvier 2013), Gilda dans Rigoletto pour l’Opéra de Leipzig, Musetta dans La Bohème au Teatro Regio de Turin, puis à la Fenice de Venise (février 2013). Elle s’est produite en concert au Japon en avril 2013. Ekaterina Bakanova a gagné de nombreux concours : 1er Prix du concours russe « Bella Voce » (Moscou), lauréate du concours international de jeunes chanteurs d'opéra « Maria Caniglia » (Sulmona, Italie), 1er prix au Concours International de chant de Bilbao et 2ème Prix au Concours International d'Opéra Riva del Garda (Italie). Parmi ses projets : Susanna dans Le nozze di Figaro à Pékin (juillet/août 2013) et les rôles de Micaela et Violetta Valéry pour le Teatro La Fenice de Venise (octobre 2013). Gocha Abuladze baryton - Masetto Né en 1985 en Géorgie, Gocha Abuladze entre en 2000 au Collège Musical Kutaisi M. Balanchivadze et, en 2004, étudie à la faculté de chant au Conservatoire d'État V. Sarajishvili de Tbilissi sous la direction de Nodar Andghuladze. Entre 2004-2009, il obtient deux bourses d’études : la bourse Makvala Kasrashvili et la bourse Maia Tomadze. En 2008, il est diplômé BA et en 2010 il obtient le Master Degree. Etudiant, Gocha Abuladze a chanté plusieurs rôles à l’Opéra Studio du Conservatoire : Papageno/Die Zauberflöte, le rôle principal dans Eugène Onéguine et Figaro/Il Barbiere di Siviglia. En 2007, il est lauréat et 1er Prix au premier Concours International E. Chavchavadze et Al. Griboedov. Il est lauréat du concours vocal international « Citta Di Ferrare 2011 » et reçoit, le prix spécial attribué par Daniele Barioni. Il participe à de nombreux festivals : Automne à Tbilissi (avec l’Orchestre Symphonique de Tbilissi dirigé par Vakhtang Kakhidze), le Festival International de Musique de chambre de Tbilissi (récital en solo) et, en 2006, le Festival ArtGeni organisé par le Maitre de la Géorgie, Ilia II. En 2012, rivalisant avec plus de 200 chanteurs, il gagne le Prix de la Critique du Concours Zandonai à Riva del Garda, prix qui lui permet de chanter au concert dirigé par le Maestro Marco Boemi. La même année, Gocha Abuladze gagne le 3ème prix du concours international de Magga Olivero à Milan et est élu le meilleur baryton du concours.

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En 2009, il débute à l’Opéra Théâtre Z. Paliashvili de Tbilissi dans le rôle de Figaro/Il Barbiere di Siviglia. En 2010, Gocha Abuladze se produit en concert à travers la Georgie (Telavi, Kutaisi et Tbilissi) avec son accompagnateur, le célèbre pianiste Vazha Chachava. La même année, il fait ses débuts dans La Traviata/Georgio Germont, rôle qu’il a également interprété en 2011 à Ferrare en Italie. En janvier 2012, il chante Silvio/I Pagliacci au Teatro Filarmonico de Vérone avec Franco Zeffirelli. Parmi ses projets en 2013, Gocha Abuladze chantera le rôle de Figaro, Il Barbiere di Siviglia au Festival Kopparberg Opera på Skäret en Suède et intègrera la saison prochaine pour deux années, le Théâtre de Magdeburg en Allemagne en qualité de soliste. In-Sung Sim basse - Le Commandeur Né en Corée du sud, Premier prix du Concours KBC en Corée en 1996, In-Sung Sim poursuit ses études de chant au Conservatoire de Vienne de 1998 à 1999. En juillet 2000, il remporte deux prix spéciaux au Concours Belvédère. Des récitals de lieder l’ont emmené aux opéras de Marseille et d'Avignon. En 2001, il fait ses débuts à l'Opéra de Vienne, où il chante les Swallow dans Peter Grimes et Geisterbote dans Die Frau ohne Schatten. Il fait ses débuts dans les rôles de Brétigny dans Manon Lescaut, Klingsor, Roucher dans Andrea Chénier et Silva dans Ernani. Durant la saison 2007/2008, la jeune basse est invitée par le Teatro Verdi à Trieste, le Teatro Massimo de Palerme et le Teatro Carlo Felice à Gênes. Il a fait son début au Festival de Salzbourg en 2008 dans Roméo et Juliette. Par la suite, on a pu l’entendre notamment au Festival de Radio France et Montpellier LR, à Tokyo, au Teatro Massimo de Palerme, à Hong Kong et à Glyndebourne où il a été tour à tour Pimen dans Boris Godounov et le Commandeur dans Don Giovanni. Il a chanté Gustavo dans Faramondo pour l'Opéra de Lausanne, l'Opéra de Vichy, le Théâtre des Champs-Elysées et le Théâtre de Caen. A son répertoire également, on peut noter les rôles de Philip dans Don Carlos, Timur dans Turandot, Dulcamara dans L’Elisir d’Amore, Sparafucile dans Rigoletto et Glendower dans Merlin. En mars 2012, il a chanté le rôle de Timur dans Turandot avec l'Orchestre de Trondheim. En 2012/2013, il débute au Théâtre national de Mannheim, où il interprète les rôles de Fafner dans Das Rheingold et de Sarastro dans Die Zauberflöte. Il est ensuite à l'Opéra de Monte-Carlo le Comte Rodolfo dans La Sonnambula. Au Théâtre de Santiago, il interprète le rôle principal d'Attila et du Pape Léon dans Attila de Verdi. En 2013, il se produira dans Die Zauberflöte (Sarastro) au Palais des Arts de Valence, Die Legende von der Heiligen Elisabeth de Liszt au Tonhalle de Stuttgart, Fidelio (Rocco) au Nouvel Opéra de Bergen. Parmi ses autres projets, il reprendra le rôle de Sarastro (Die Zauberflöte) à Santiago et celui de Timur (Turandot) à Toulouse. Il a enregistré Parsifal et Tristan und Isolde de Wagner ainsi que Faramondo et Alessandro de Haendel.

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Noëlle Gény direction des chœurs Initiée au piano par sa mère, concertiste, élève de Walter Gieseking, Noëlle Gény étudie à Nancy où elle obtient ses prix de piano, solfège, musique de chambre et contrebasse. Elle se perfectionne à Paris auprès de Catherine Collard. De 1984 à 1992, elle débute sa carrière en tant que chef de chant au Grand Théâtre de Genève, placé sous la direction d’Hugues Gall. Elle collabore avec des chefs d’orchestre renommés parmi lesquels Armin Jordan, Jesús López Cobos, Christian Thielemann, Jeffrey Tate, Carlo Rizzi, Louis Langrée, Marko Letonja, Alberto Zedda, Emmanuel Krivine,... Elle est également chef de chant au Festival d’Aix-en-Provence sur Die Entführung aus dem Serail, dirigé par Armin Jordan. Elle participe à de nombreux concerts avec le Chœur du Grand Théâtre et des artistes prestigieux tels que José Van Dam, Thomas Hampson, Chris Merritt, Natalie Dessay, Roberto Alagna,… Après avoir travaillé avec les chefs de chœur Jean Laforge et Gunther Wagner, elle est nommée Chef de Chœur de l’Opéra de Nantes. Depuis 1994, à la demande d’Henri Maier, elle est en charge de la direction du Chœur de l’Opéra Orchestre national de Montpellier. Depuis lors, ce Chœur est régulièrement invité dans des festivals tel que celui de Radio France Montpellier Languedoc Roussillon où il a chanté dans la production de Jeanne d’Arc au bûcher dont le DVD a été récompensé lors des Victoires de la Musique classique 2008, aux Chorégies d’Orange en 2009 pour Cavaleria Rusticana et I Pagliacci sous la direction de Georges Prêtre. Le Chœur de l’Opéra Orchestre national de Montpellier est également invité dans de nombreuses maisons d’opéra pour y chanter des ouvrages variés tels que Tannhäuser à l’Opéra de Bordeaux, Turandot à l’Opéra de Monte-Carlo, Traviata et Jenufa à l’Opéra National de Lorraine, La Fanciulla del Oeste et Otello à l’Opéra de Nice, Aida à la salle Pleyel, et Zauberflöte au Théâtre du Châtelet,… En 2012, le chœur s’est produit à l’Opéra de Toulon dans Lohengrin et en 2013 à l’Opéra Comique pour y interpréter Le Roi d’Ys de Lalo dans le cadre de l’Association Colline Opéra. Noëlle Gény est régulièrement invitée à l'Opéra de Dublin. Elle dirige de nombreux concerts avec des programmes très étendus, allant de l’opéra baroque au grand répertoire du XXème siècle. Elle est également très impliquée dans l’Action Culturelle en direction du Jeune Public. Elle joue régulièrement dans des ensembles de musique de chambre en qualité de pianiste en Irlande. Le 20 juin prochain, elle coordonnera les quatre chœurs (Montpellier, Avignon, Nice et Toulon) réunis pour accompagner le concert de Musiques en fête à Orange qui sera retransmis en direct sur France 3. Urs Schönebaum lumières Après des études de photographie à Munich, il a collaboré de 1995 à 1998 avec Max Keller au département lumières des Münchner Kammerspiele. Après avoir été assistant metteur en scène au Grand

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Théâtre de Genève, puis au Lincoln Center de New York, il commence en 2000 une carrière d’éclairagiste, travaillant aussi bien pour l’opéra que pour le théâtre, les expositions ou l’évènementiel. Il a notamment collaboré à plus de 70 productions dans les plus grands théâtres, tels que le Théâtre du Châtelet, l’Opéra Bastille et la Comédie Française à Paris, Covent Garden à Londres, La Monnaie de Bruxelles, le Metropolitan Opera de New York, le Staatsoper unter den Linden, le Deutsches Theater et la Schaubühne à Berlin, le Bayerisches Staatsschauspiel Munich, le Dramaten à Stockholm, Det Norske Teatret d’Oslo, le Teatro dell’Opera de Rome, le Festival d’Avignon ou le Teatro Real de Madrid. Il a régulièrement travaillé avec des metteurs en scène comme Thomas Langhoff, Jean-Paul Scarpitta, Thomas Ostermeier, Stefan Larsson, William Kentridge et est depuis longtemps un collaborateur de Robert Wilson ; il a également participé à La Fura dels Baus. Font également partie de ses réalisations la conception d’éclairages pour des projets artistiques avec Vanessa Beecroft, Anselm Kiefer, Dan Graham et Marina Abramović. A noter également des travaux pour des installations à Karkow, Munich, Salzbourg, l’Expo 02 de Flims en Suisse et à New York. Il collabore notamment avec Robert Wilson : Hot Waters, au festival d’art de Singapour ; Winterreise au Théâtre du Châtelet, Aida, à La Monnaie de Bruxelles et à Covent Garden (Londres), au Festspielhaus de Baden Baden et à l’Opéra de Rome ; Dr. Caligari au Deutsches Theater de Berlin, The Whitetown, au Théâtre Bellevue de Copenhague ; Erwartung au Staatsoper de Berlin, Les Fables de La Fontaine à la Comédie Française et au Lincoln Center Festival de New York, Peer Gynt au Det Norske Teatret à Oslo, La Passion selon saint Jean au Théâtre du Châtelet et à l’Opéra National de Vilnius, Der Freischütz au Festspielhaus de Baden Baden. Il participe également à l’exposition des Videoportraits. Il assiste Thomas Ostermeier pour Girl on the sofa au Festival d’Edimbourg, Wozzeck à la Schaubühne de Berlin et au Festival d'Avignon, Lulu à la Schaubühne de Berlin, Zerbombt (Les Anéantis) à la Schaubühne de Berlin et au Festival d'Avignon. Aux côtés de Jean-Paul Scarpitta : Sancta Susanna, Oedipus Rex, Carmen, Jeanne d’Arc au bûcher, Die Zauberflöte, Le Château de Barbe-Bleue, Don Giovanni, La Salustia, La Traviata à l’Opéra national de Montpellier; Saint Augustin au Festival Art Carnuntum (Autriche), Háry János à l’Opéra national de Montpellier et au Théâtre du Châtelet à Paris ; Médée aux Arènes de Nîmes. Avec Anselm Kiefer : Am Anfang (Au commencement) - Opéra Bastille Avec Stefan Larsson : Höstsonaten (Sonate d’Automne), Dramaten à Stockholm Avec William Kentridge : The Nose, Metropolitan Opera New York, Festival d’Aix-en-Provence et Opéra national de Lyon. De 2005 à 2008, il a travaillé en tant que concepteur lumières en résidence au Bayerisches Staatsschauspiel de Munich où il a collaboré à plus de quinze productions avec différents metteurs en scène. Au cours de la saison 2012/2013, il réalise à Montpellier, sur la scène de l’Opéra Berlioz, sa toute première mise en scène d’opéra pour Jetzt de Mathis Nitschke et What Next ? de Elliott Carter. Projets artistiques avec : Vanessa Beecroft (VB 43 New York ; VB 45 inauguration à la Kunsthalle de Vienne ; VB 46 à la Gagosian Gallery Los Angeles ; VB 48 Palazzo Ducale de Gênes ; VB 51, Château Vinsebeck à Kassel) Avec Dan Graham et Tony Oursler (Dont trust anyone over Thirty, Wiener Festwochen, Staatsoper Berlin) Avec Marina Abramovic The Artist is present, au MOMA deNew York.