par Nathalie Kaleski Décembre 2018 - Cercle Montesquieu

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Les entreprises face au défi de l’anticorruption Décembre 2018 ÉTUDE par Nathalie Kaleski

Transcript of par Nathalie Kaleski Décembre 2018 - Cercle Montesquieu

Les entreprises face au défi de l’anticorruption

Décembre 2018

ÉTU

DE

par Nathalie Kaleski

par Nathalie Kaleski

ENVIRONNEMENT DE L'ENTREPRISE

Les entreprises face au défi de l’anticorruption La question de la création de valeur

Décembre 2018

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"La corruption est le principal obstacle au développement économique et social dans le monde"

ONUDC & PNUD

1. La corruption : un phénomène généralisé et massif

2. L'impact économique de la corruption sur l'entreprise

2.1. La corruption détectée

2.2. La corruption non détectée

3. Une pratique condamnée par les États

4. Les entreprises confrontées à l'exigence de probité

4.1. Le grand bouleversement de la norme

4.2. Les conditions de réussite de la norme

4.3. L'adhésion des entreprises

4.4. Une entreprise vertueuse type ?

5. L'action de la puissance publique

5.1. Un système efficace de contrôle et de sanction

5.2. Procéder à des améliorations attendues par les entreprises

5.3. Coordonner le système de répression international

Sommaire

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De 2010 à 2014, quatre entreprises françaises (Alca-tel, Technip, Total et Alstom) poursuivies par les au-torités américaines au titre de la lutte contre la cor-ruption transnationale, ont versé des pénalités d’un montant total de 1,645 milliard de dollars. Au total, de 2008 à 2016, 132 entreprises (américaines, fran-çaises et d’autres pays), poursuivies par ces mêmes autorités, ont dû payer plus de 9 milliards de dollars1.

C’est dans ce contexte que, le 9 décembre 2016, est promulguée la loi dite Sapin 22 qui s’ouvre sur le titre : "De la lutte contre les manquements à la pro-bité". Il s’agit alors pour la France de lutter contre la corruption au niveau international, 23 ans après la loi dite Sapin 13 qui concerne la lutte anticorruption sur le seul territoire français.

Cette législation s’inscrit dans un mouvement mon-dial de renforcement des normes de probité, avec une portée extraterritoriale, alors que longtemps la sanction de la corruption ne s’est exercée que dans le cadre national, l’incrimination de corruption in-ternationale étant inexistante en vertu notamment du principe de souveraineté des États en matière pénale.

Cette révolution doit s’apprécier au regard de la globalisation du monde dans lequel les règles du jeu se font, elles aussi, globales. Pour que le jeu soit non faussé, elles doivent être les mêmes pour tous, partout. Au-delà de la dimension sociétale du respect de celles-ci et de l’impératif d’un "level playing field4", il s’agit pour beaucoup d’une condi-tion de la création d’une économie prospère et dynamique.

Cela soulève notamment les questions suivantes :

▸ Quels sont l’ampleur et le coût de la corruption ?

▸ Quel est l’impact économique du non-respect des normes en matière de probité tant pour l’entreprise que pour les États ?

▸ Quelles sont les conditions d’une mise en place efficace de ces normes au niveau de l’entreprise et de la puissance publique ?

Cette étude a ainsi pour objet d’appréhender les enjeux économiques de cette lutte contre la corrup-tion pour les entreprises et pour les États : leurs inté-rêts se rejoignent-ils ?

Il s’agit également d’analyser les impacts, pour les entreprises, de la mise en œuvre des nouvelles normes de probité.

1. fcpablog.com.2. Loi n°2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.3. Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures

publiques.4. Expression faisant référence au principe du terrain de jeu où les mêmes règles sont appliquées à tous : terrain aplani pour le jeu de la

libre concurrence.

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NotePour les besoins de cette étude, une série d’entretiens ont été menés de jan-vier à juillet 2018, avec 35 professionnels (qu’ils soient remerciés pour avoir don-né de leur temps et permis d’enrichir cette étude) travaillant au sein d’organi-sations professionnelles, d’organisations non gouvernementales, de sociétés de conseil ou d’entreprises de secteurs très variés, en BtoB et BtoC. Dans leur quasi-totalité, ces personnes n’ont pas souhaité être nommées ni que leur en-treprise ou organisation le soit. Certains témoignages ont été repris anonyme-ment sans que ce soit des transcriptions littérales ou intégrales, notamment afin de veiller à ce qu’aucune personne ni entreprise ne soit identifiable.

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1. La corruption : un phénomène généralisé et massif

Il est difficile voire impossible de connaître le montant total de la corruption :

▸ Elle est par définition cachée et il n’y a en général pas de victime directe pour la dénoncer car la corruption se déroule entre le corrupteur et le corrompu ;

▸ Elle recouvre des réalités très diverses (cf. annexe : définition et typologie de la corruption) ;

▸ Les données disponibles sont collectées dans différents buts mais rarement dans celui d’estimer le coût de la corruption ;

▸ La méthodologie retenue pour le chiffrage de la corruption fait débat.

Il est donc complexe de calculer son coût économique total mais les différentes données chiffrées, dont on dispose montrent que les montants en jeu sont importants. Pour Daniel Kaufmann, Directeur du pro-gramme gouvernance de la Banque Mondiale, il s’agit d’une "très grosse industrie"5.

▸ 2 600 milliards $ soit 5 % du PIB mondial de 2005 : montant annuel de la corruption totale dans le monde, chiffre régulièrement repris depuis 2005 dans de nombreux documents6.

▸ 1 500 milliards $ soit 2 % du PIB mondial de 2015 et 10 fois le montant de l’aide au développement : montant annuel des pots-de-vin versés dans le monde par le secteur privé (entreprises et les particuliers) au secteur public (fonctionnaires et politiciens) ; estimation pour 2015 à partir d’une extrapolation calculée par Daniel Kaufmann et fondée sur sa précédente estimation pour 2005 de 1 100 milliards $7.

▸ 120 milliards € soit 1 % du PIB de l’Union européenne8

ou encore un peu moins que son budget annuel9 : montant annuel total de la corruption, chiffres cités régulièrement10.

▸ 1,4 à 2,2 milliards € : coût direct global de la corruption dans les marchés publics au sein de l’Union européenne en 2010, pour cinq secteurs où les fonds structurels et de cohésion sont versés (route et rail, eau et déchets, bâtiment et travaux publics, formation, recherche et développement) et dans huit États (France, Italie, Hongrie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Espagne)11.

▸ 179 à 990 milliards € : montant des coûts directs et indirects, économiques, sociaux et politiques de la corruption dans l’Union européenne ; le coût de la corruption dans les marchés publics s’élevant à 5 milliards € par an12.

D’autres données chiffrées existent. Elles sont très partielles mais donnent un aperçu du montant minimum des pots-de-vin versés par les entreprises françaises sur la période 2008 à 2011. Pour leur éviter d’être exclues des marchés internationaux si elles ne

5. Selon les propos de Daniel Kaufmann (Le coût de la corruption : six questions posées à Monsieur Daniel Kaufmann, Directeur du programme gouvernance, Banque Mondiale).

6. L’origine, la source et la méthodologie de ce chiffre de 2 600 milliards sont discutées. Il apparait dans les documents suivants : la publication conjointe de la Chambre de commerce internationale- ICC, Transparency International, l’initiative Un Global Compact et le Forum économique mondial, intitulée Clean business is good Business : the Business Case against Corruption/une fiche d’information pour the anticorruption day, actuellement disponible sur le site www.anticorruptionday.org. et établi par l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime), le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) et le programme Objectifs de développement durable.

7. FMI (Fonds Monétaire International), Discours du 18 septembre 2017 de Christine Lagarde, Directrice Générale du FMI, Brookings Institution cf. aussi Banque Mondiale, Brief : Combating Corruption, 2017.

8. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen du 6 juin 2011.9. Rapport anticorruption de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 3 février 2014.10. Chiffres ni datés ni expliqués par la Commission européenne dans ses documents qui indiquent seulement que le chiffre de

120 milliards € est fondé sur des estimations réalisées par des organismes spécialisés comme la Chambre de commerce internationale, Transparency International, l’initiative Un Global Compact, le Forum économique mondial.

11. Étude de 2013 de PwC et Ecorys pour l’Union européenne.12. Étude de 2016 de la Rand Corporation pour l’Union européenne.

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"jouaient" pas le jeu de la corruption, le ministère de l’Economie et des Finances a longtemps accepté la prise en compte dans la comptabilité des entreprises, de "frais commerciaux extraordinaires" (c'est-à-dire les pots-de-vin) et même leur déductibilité fiscale. Cette déductibilité a été interdite en 200013, donnant lieu à des contrôles de l’administration fiscale qui a procédé aux rectifications de dix-huit opérations pour un montant total de 4 117K€ pour la période en question14.

Il s’agit d’un montant minimum qui n’est pas représentatif du montant total des pots-de-vin versés, l’administration fiscale n’étant pas toujours en mesure de prouver leur existence.

Le montant réel de la corruption étant complexe voire impossible à évaluer (même s’il y a consensus sur son ampleur), certaines organisations, comme Trans-parency International, ont recours aux indicateurs de mesure de la corruption15 qui évaluent en fait la perception de la corruption et non la corruption réelle. Ces indicateurs16 ont fait l’objet de discussions car ils comparent des perceptions hétérogènes entre experts consultés et pays considérés, perceptions qui s’appuient sur une définition de la corruption difficile à circonscrire et variable d’un pays à l’autre. Ils confirment toutefois l’ampleur du phénomène.

La corruption est devenue un fait global avec le développement des échanges économiques mon-diaux dont les entreprises sont des acteurs majeurs. Ce qui induit la question : la corruption crée-t-elle de la valeur pour l’entreprise ?

2. L’impact économique de la corruption sur l’entreprise

Est-il possible de déterminer l’impact économique de la corruption sur l’entreprise ? De calculer la création de valeur17 pour l’entreprise d’une atteinte à la probité en matière économique, selon que la corruption est détectée ou non ?

2.1La corruption détectée

Selon une étude de l’Université d’Harvard publiée en 201518, les entreprises avec un bas niveau de normes anticorruption19 ont sans doute un plus fort taux de croissance de leurs ventes dans les pays corrompus que les entreprises plus vertueuses, mais cela au détriment de leur rentabilité financière car les coûts additionnels liés aux pots-de-vin ne sont pas totalement compensés par des prix plus élevés ou des économies d’échelle. Cette même étude souligne par exemple que le coût des pots-de-vin dans l’affaire Siemens représentait 3 % de son chiffre d’affaires.

Les entreprises vertueuses qui réussissent à faire croître leurs ventes dans les pays corrompus le font plus lentement que les entreprises non vertueuses, mais sans réduire leur rentabilité financière. Dans un environnement moins corrompu, le résultat de ces entreprises probes pourra éventuellement être renforcé par rapport à celui de leurs concurrentes qui

13. Loi n°2000-595 du 30 juin 2000 par laquelle la France ratifie la convention de l’OCDE du 17 décembre 1997.14. Information communiquée par l’administration fiscale française à l’OCDE (Rapport OCDE en octobre 2012 sur la mise en œuvre par la

France de la convention du 17 décembre 1997).15. Transparency International se fonde sur des enquêtes d’opinion pour tenter d’évaluer les niveaux de corruption et publie trois indices :

le CPI (publié chaque année depuis 1995 il classe les pays en fonction de la perception de leur corruption publique), le Baromètre mondial de la corruption (sondage auprès du grand public pour évaluer ses perceptions et expériences de la corruption), l’ICPE - Indice de corruption des pays exportateurs- (résultat d’une enquête auprès des cadres dirigeants des pays interrogés; il classe les principaux pays exportateurs en fonction de la propension de leurs entreprises à verser des pots-de-vin à l’étranger).

16. Trésor-Eco : Lutte contre la corruption : des effets positifs sur l’activité économique y compris dans les pays développés, Lettre N°180 septembre 2016.

17. La création de valeur est mesurée soit par la valorisation de l’action, soit par la rentabilité des capitaux propres (ROE).18. An analysis of firms’self-reported anticorruption efforts, Paul Healy and George Serafeim, Harvard Business School, October 2013 ;

étude effectuée sur un échantillon en 2007 de 480 grandes entreprises des 31 grands pays exportateurs.19. Ces entreprises, dites non vertueuses, sont des entreprises sur lesquelles pèsent des soupçons voire des accusations de corruption

mais qui n’ont pas nécessairement fait l’objet de condamnations.

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le sont moins, selon que le respect de la norme suscite de la confiance et crée une bonne réputation auprès du client ou consommateur, ou non20.

Quand elle est détectée, voire simplement soupçonnée, la corruption ne crée pas de valeur. Elle peut même en détruire. Les professionnels rencontrés insistent tous sur l’importance des risques de sanction et de réputation encourus par l’entreprise, en cas de non-respect de la norme.

En cas de détection, l’entreprise est aujourd’hui très lourdement sanctionnée. Sa réputation peut être fortement endommagée même en cas de simples soupçons. Pour les dirigeants, il s’agit du dommage le plus redouté parmi ceux causés par la fraude ou la criminalité économique21.

La corruption peut également écorner gravement la marque qui est un des principaux leviers de déve-loppement de l’entreprise et impacter sa valorisation boursière.

"Le risque de condamnation est trop fort avec celui d’abimer la marque. Notre marque est très forte : toutes les opérations se font avec elle ; c’est un vrai levier donc on n’a pas le choix de faire autrement que d’avoir une politique "zéro tolérance" face à la corruption."

Elle peut enfin entacher le nom des dirigeants ou celui des principaux actionnaires.

"Nous avons un actionnariat majoritairement contrôlé par deux familles qui ont toujours répété que ce qu’ils ont de plus précieux est leur nom et leur réputation."

Dès sa détection, la corruption cesse d’être profitable pour l’entreprise, voire peut mettre en cause sa pérennité, mais quel est son impact économique quand elle demeure cachée ?

2.2La corruption non détectée

Dans de nombreux cas, la corruption n’est pas détectée ou l’est bien longtemps après que l’entreprise a tiré profit du versement d’un pot-de-vin, en remportant un marché public par exemple.

Quelle est alors sa répercussion sur l’entreprise et sa valeur, c'est-à-dire quel est l’impact de la corruption sans le coût des sanctions directes (condamnations diverses, frais de monitoring) et indirectes (pertes de marchés, pertes de réputation) ?

Une étude22 réalisée par le National Bureau of Economic Research en 2012, à partir d’un échantillon de 166 dossiers de corruption impliquant 107 entreprises cotées sur 20 marchés boursiers, qui ont versé des pots-de-vin dans 52 pays, de 1971 à 2007, a chiffré le bénéfice tiré du versement d’un pot-de-vin. Elle a calculé l’impact, sur la valeur boursière, de l’annonce23 de la signature d’un contrat (lequel s’avère ultérieurement avoir été conclu grâce au versement d’un pot-de-vin) et en a déduit que le "bénéfice" moyen est de 11 $ pour 1 $ de pot-de-vin. La corruption est très profitable …tant qu’elle n’est pas détectée ou suspectée : l’étude précise que le "bénéfice" boursier sera moins élevé si ces entreprises ont été convaincues ou suspectées de corruption par le passé.

Une étude de l’Insead en 201324, s’est penchée sur la relation entre norme et efficience économique en utilisant l’adoption non anticipée de la loi britannique anticorruption de 2010 (UK Bribery Act) comme un choc exogène sur le coût de la corruption des firmes, pour étudier l’impact réel de la corruption sur la valeur de l’entreprise.

Tout en soulignant qu’il ne s’agit pas de remettre en cause l’idée générale que la corruption est susceptible

20. Car selon le propos de l’un des professionnels rencontrés : le crime ne paie pas mais la vertu est-elle rémunérée ? Ce n’est pas certain non plus car certains grands clients sont exigeants pour leurs fournisseurs mais pas forcément prêts à payer la vertu.

21. Étude de PWC (Global Economic Crime and Fraud Survey 2018).22. How much do firms pay as bribes and what benefits do they get? Evidence from corruption cases worldwide, Yan Leung Cheung,

P. Raghavendra Rau, Aris Stouraitis, April 2012, National Bureau of Economic Research.23. Il s’agit de l’impact, sur la valeur boursière, de l’annonce de la signature du contrat, lors de cette annonce, soit bien avant que l’affaire

de corruption ne soit rendue publique et n’affecte négativement cette valeur.24. Bribes and firm value Evidence from Anti-Bribery Regulation, Stefan Zeume, June 2013, Insead.

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de réduire la prospérité générale, cette étude indique que la corruption non détectée accroît la valeur de la firme, particulièrement dans un environnement cor-rompu et quand elle n’est pas soumise à une réglementation anticorruption.

La corruption crée donc de la valeur pour l’entreprise qui peut être tentée d’y recourir, malgré les risques aujourd’hui croissants.

Longtemps considérée comme secondaire et ne portant pas gravement préjudice aux activités commerciales (il s’agissait de phénomènes locaux, jugés par beaucoup comme relevant de la culture et de l’état des institutions des pays concernés), la corruption ne préoccupait pas beaucoup les États. Aujourd’hui, ce point de vue a radicalement changé et elle est combattue partout dans le monde.

3. Une pratique condamnée par les États

Considérée un temps comme faisant office "d’huile dans les rouages" et comme étant, de ce fait, béné-fique pour l’économie25, la corruption est devenue inacceptable pour les États, les organisations et les institutions, internationales et nationales, en raison de ses implications macroéconomiques, éthiques, socié-tales et politiques.

Au-delà de la question de son chiffrage ou de sa perception, l’impact macroéconomique négatif de la corruption n’est à présent plus contesté26 :

▸ Une étude27 citée dans Economic corruption en 1997, sur l’investissement direct étranger relève que la corruption agit comme une taxe de 20 % imposée aux investisseurs étrangers, et cela quel que soit le pays. Il s’agit en outre d’une "taxation régressive"28 : les petites entreprises comme les ménages les plus pauvres paient une part proportionnellement plus élevée de leurs revenus que les plus grosses entre-prises ou les ménages plus nantis.

▸ Les coûts s’ajoutant à un marché public en raison de pratiques de corruption pourraient atteindre de 20 % à 25 %, voire dans certains cas 50 % du coût total du marché29.

▸ La corruption surenchérit globalement de 10 % le coût des affaires, de plus de 25 % le coût des contrats de fourniture dans les pays en voie de développement30.

Dans une note de travail31, le FMI souligne que s’il est empiriquement difficile d’établir un lien de causalité directe entre la corruption et la croissance, la plupart des études utilisant les mesures de corruption fondées sur les indices de perception concluent que la corruption a un effet négatif sur la croissance du PIB par tête, même après contrôle des biais possibles résidant dans les analyses empiriques sous-jacentes.

La corruption est le principal obstacle au déve-loppement économique et social dans le monde32

À ces implications macroéconomiques et éthiques, s’ajoutent des raisons sociétales et politiques pour lutter contre la corruption.

25. Cette théorie est encore soutenue par certains, tel ce consultant accusé d’avoir versé des pots-de-vin à un employé de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement) pour que des financements soient accordés à ses clients et qui s’est défendu en arguant du caractère bénéfique de sa corruption : les projets financés par la BERD ont eu un impact économique positif sur la région concernée (cf "Pa consultant loses appeal against five-year FCPA sentence" fcpablog.com, 12 novembre 2018).

26. En 1996, lors des assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale, James Wolfensohn, Président de la Banque Mondiale, prononce un discours contre "le cancer de la corruption". La Banque avait pourtant longtemps considéré que la lutte anticorruption relevait du domaine du politique et compte tenu de la composition de son Conseil d’administration, se tenait éloignée de cette question taboue. Et en 2013, son Président Jim Yong Kim déclare la corruption, ennemi public N° 1.

27. Étude de l’économiste Shang-Jin Wei, citée dans "Economic corruption" : Some facts/ Daniel Kaufmann, 8e conférence internationale contre la corruption, 1997.

28. Le coût de la corruption : Six questions posées à Monsieur Daniel Kaufmann, Directeur du programme gouvernance, l’institut de la Banque mondiale (FAQ. Banque mondiale).

29. Rapport anticorruption de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 3 février 2014.30. ICC, Transparency International, Initiative UN Global Compact, Forum économique mondial: Clean business is good Business : the

Business Case against Corruption.31. FMI Corruption : Costs and Mitigating Strategies, May 2016.32. Fiche d’information pour the anticorruption day, actuellement disponible sur le sitewww.anticorruptionday.org. , établie par l’ONUDC

(Office des Nations Unies contre la drogue et le crime), le PNUD et le programme Objectifs de développement durable.

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Les indicateurs de mesure de la corruption jouent un rôle important dans la lutte politique contre la corruption car une corrélation significative semble se dégager entre l’indice de perception de la corruption d’un pays et le niveau d’investissement dans ce pays, entre le sentiment de confiance et la croissance économique.

"Lorsqu’on a confiance dans l’intégrité de son gou-vernement et des autorités publiques, on est plus à même de prendre des risques, de créer des entreprises, d’aller de l’avant parce que l’on pense qu’il y a des règles du jeu claires qui vont s’imposer à tous. Et l’effet du sentiment de corruption sur la confiance est 9 fois plus fort que celui de la con-joncture économique sur la confiance : l’indice de confiance dépend plus de la confiance que l’on a dans les institutions que des indicateurs économiques33."

La perception de la corruption semble même peser plus lourd que la réalité. Si 68 % des français estiment que la corruption est très répandue dans leur pays (moyenne de l’Union européenne : 76 %), seuls 6 % se disent personnellement victimes de la corruption dans leur vie quotidienne (moyenne Union européenne : 26 %) et 2 % déclarent avoir été invités à verser un pot-de-vin (moyenne Union européenne : 4 %34.

La perception et l’expérience de la corruption érodent donc la confiance des citoyens dans les institutions et sapent à terme l’état de droit et l’économie. Cette question rejoint celle de la confiance dans les insti-tutions publiques.

Alors même que l’entreprise peut, comme indiqué précédemment, tirer profit de la corruption, cette dernière a un impact totalement négatif sur la collec-tivité. L’intérêt macroéconomique ne rejoint pas l’intérêt microéconomique, l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts privés.

À mesure du développement des échanges com-merciaux internationaux, cette lutte contre la corruption, considérée aujourd’hui comme essentielle par les États, conduit à la montée en puissance des normes en matière de probité dans un contexte tant international que national.

En 1977, les États-Unis adoptent la loi dénommée FCPA (Foreign Corrupt Practices Act) à la suite des scandales Lockheed et Watergate. Il s’agit alors du premier standard mondial incriminant la corruption transnationale.

Cette même année, l’ICC (Chambre de commerce internationale) publie ses premières règles de conduite pour combattre l’extorsion et la corruption. Ces règles ont été régulièrement révisées depuis pour tenir compte de l’évolution des textes internationaux.

En 1997, est signée au sein de l’OCDE, la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales inter-nationales (convention entrée en vigueur en 1999). L’objectif principal de cette convention est de :

▸ Prévenir la corruption dans les transactions internationales en demandant aux États signataires d’instaurer dans leur législation l’incrimination de la corruption d’agent public étranger avec des sanctions pénales "efficaces, proportionnées et dissuasives" contre les personnes physiques et morales35 ;

33. Propos de Nicola Bonucci, Directeur des affaires juridiques de l’OCDE, émission de radio"Du grain à moudre" le 3 mai 2018- France Culture.

34. TNS Political & Social : Special Eurobarometer 397, Corruption, February 2014.35. Si dans le système juridique d’un Etat signataire de la Convention, la responsabilité pénale n’est pas applicable aux personnes

morales, il faut alors prévoir des sanctions non pénales remplissant les mêmes conditions d’efficacité, de proportionnalité et de dissuasion.

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▸ Mettre en place des règles non pénales de prévention de la corruption, ainsi que la transpa-rence et la coopération entre les parties ;

▸ Ne plus autoriser la déductibilité fiscale des pots-de-vin. Jusqu’alors de nombreux membres de l’OCDE considéraient la corruption d’agent public étranger comme un coût normal des affaires : les entreprises déclaraient être obligées de verser des pots-de-vin pour obtenir des contrats à l’interna-tional. En accordant la déductibilité fiscale de ces commissions, de nombreux pays cautionnaient de facto cette pratique.

D’autres dispositifs ont été mis en place, comme la Convention des Nations Unies contre la Corruption (CNUCC), dite Convention de Mérida, signée en décembre 2003 et entrée en vigueur en septembre 2005. Son objet est plus large que les conventions antérieures : seul instrument juridique universel de lutte contre la corruption, il contient des normes anti-corruption universellement acceptées qui s’appli-quent au secteur public comme au secteur privé. L’Union européenne y a adhéré en 2008.

On peut également citer :

▸ La Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe (27 janvier 1999),

▸ La Convention civile sur la corruption du Conseil de l’Europe (4 novembre 1999),

▸ La Décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil de l’Union européenne relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé (22 juillet 2003)36.

Enfin, la Banque Mondiale qui avait modifié sa position sur la lutte anticorruption (elle avait en effet longtemps considéré que cette question relevait du domaine du politique et s’en tenait éloignée), a signé, en 2010,

avec les principales autres institutions et les banques de développement (the Asian Development Bank, the European Bank for Reconstruction and Development, 7the African Development Bank, the Inter-American Development Bank), un accord d’exécution mutuelle des décisions d’exclusion37.

En 2010, le Royaume-Uni adopte une loi dénommée UKBA (UK Bribery Act) réputée encore plus sévère que la loi américaine, les amendes encourues par les entreprises et les personnes physiques étant poten-tiellement illimitées.

De très nombreux autres pays ont adopté des législations anticorruption. Ainsi en Chine, la compétence des juridictions chinoises pour les faits de corruption d’agents publics étrangers commis à l’étranger a été étendue en 2011 ; elle couvre les entreprises chinoises et les entreprises étrangères quand elles sont soit en joint-venture en Chine, soit avec une représentation sur le territoire chinois.

Dans ce contexte, la France a dû adapter sa législation et a progressivement modifié ses normes internes :

1993Loi Sapin 1 : ce dispositif légal contre la corruption a fonctionné mais ne traitait pas la corruption transnationale.

2000Loi n°2000-595 du 30 juin 2000 : ratification de la convention de l’OCDE qui incrimine la corruption transnationale d’agent public à l’étranger.

36. Cette décision souligne la nécessité d’une action conjointe de l’Union européenne contre la corruption qui "met en péril l’État de droit, constitue une distorsion de la concurrence (…) et représente un obstacle à un sain développement économique".

37. Il s’agit de la mise en place d’un régime d’exclusion croisée (cross-debarment). Par cet accord, les entreprises et les personnes physiques, coupables d’actes de corruption dans le cadre d’un projet financé par une banque de développement et radiées pour ce motif par cette banque, sont pour la même infraction, passibles de sanctions par les autres banques signataires de l’accord, ce qui revient à une exécution collective de la décision. Ces entreprises et individus sont recensés sur une liste publique sur le site de la Banque Mondiale, qui précise la période d’exclusion (World Bank Listing of Ineligible Firms and Individuals).

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2007Loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 : sept nouvelles infractions pénales liées à la corruption ont été créées et le champ d’application de délits déjà incriminés a été élargi ; cette même loi a introduit, dans le droit du travail, une disposition protectrice des salariés du secteur privé et du personnel contractuel du secteur public qui témoignent de bonne foi de faits de corruption (article L1161-1 du Code du travail).

2013Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 : elle a fortement38 augmenté les peines d’amende et de prison pour faits de corruption publique ou privée, et créé le Procureur de la République financier (Parquet national financier- PNF).

2016Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, dite Loi Sapin 2 : elle prévoit notamment, pour les entreprises assu-jetties à son article 17, la mise en place obligatoire d’un programme interne de compliance anticorruption incluant au minimum : un code de conduite, une cartographie des risques, une procédure d’évaluation des tiers, un programme de formation des salariés exposés aux risques de corruption et trafic d’influence, un dispositif de contrôle interne et externe des comptes, un régime disciplinaire permettant de sanctionner les infractions au code de conduite, un dispositif d’alerte interne, un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures appliquées. Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er juin 2017, soit moins de six mois après la promulgation de la loi. Elle instaure la CJIP ou Convention judiciaire d’intérêt public, inspirée du mécanisme américain, dénommé Accord de poursuite différée (DPA), dis-positif qui permet à une entreprise mise en cause pour faits de corruption de conclure un accord avec l’autorité de poursuite dans le cadre d’une procédure de transaction pénale. Elle introduit

de nouvelles règles concernant le lancement d’alertes applicables dès le 11 décembre 2016. Elle crée, par ailleurs, l’Agence française anticorruption (AFA)39, instrument de contrôle et de sanction dans la lutte anti-corruption.

"Pour la France il fallait se doter d’un système plus robuste ; à terme cela aurait pesé sur l’investis-sement en France et la réputation des entreprises françaises ; il était donc nécessaire de mettre en œuvre Sapin 2."

4. Les entreprises confrontées à l'exigence de probité

Dans un environnement de montée en puissance d’un cadre normatif anticorruption (répression accrue des autorités de différents pays et augmentation du montant des peines prononcées civiles et pénales), il est vital pour les entreprises d’intégrer les normes en matière de probité au cœur de leur stratégie. Cela quels que soient le secteur ou la zone géographique où elles opèrent, le niveau de corruption auquel elles sont confrontées, ou leur taille.

"Le périmètre de l’article 17 de la loi Sapin 2 est très restreint : cela ne concerne que 1 % des entreprises mais, par capillarité, toutes sont concernées car leurs parties prenantes le sont également, or elles n’ont pas toutes pris la mesure de cette norme, même celles qui sont dans le périmètre."

Cette exigence de probité répond à un besoin profond des entreprises pour qui la corruption constitue un sujet de préoccupation40. Mais cette exigence soulève de nombreuses questions. Quels sont les effets de l’irruption de la norme dans l’entreprise ? Quelles sont les conditions d’une mise en place efficace de ces normes ? Peut-on déterminer une catégorie d’entreprise prédisposée à la probité ?

38. Pour les entreprises : 2,5 millions € pour les faits de corruption privée, 5 millions € pour les faits de corruption publique, dans les deux cas l’amende peut être portée à 10 fois le produit tiré de l’infraction. Pour les personnes : 5 ans (corruption privée) ou 10 ans (corruption publique) de prison ; 500 000 € (corruption privée), 1 million € (corruption publique), dans les deux cas l’amende peut être portée au double du produit tiré de l’infraction.

39. Cette agence déclarait lors des Assises de la Compliance le 22 juin 2018, avoir procédé à cette date à 32 ouvertures de contrôle.40. Selon un baromètre européen (TNS Political & Social - Eurobarometer Flash 374 ; sondage effectué en 2013) 73% des chefs d’entreprise

français (moyenne UE : 69 %) considèrent que la corruption et le favoritisme entravent la concurrence interentreprises. Et 59 % des entreprises françaises classent la corruption parmi les problèmes auxquelles elles sont confrontées dans leurs activités. Enfin aucune entreprise européenne sondée n’a déclaré que la corruption n’existait pas dans son pays.

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La norme implique un changement de culture, une modification des pratiques de gouvernance de l’entreprise : les actions qui semblaient normales auparavant doivent être systématiquement ques-tionnées au regard des lois anticorruption ; il faut parfois désapprendre ce qu’on avait appris. C’est une mutation complète de l’entreprise, qui va la bou-leverser et affecter toutes ses composantes.

4.1Le grand bouleversement de la norme

Toutes les personnes rencontrées ont évoqué le fort impact des normes de probité sur la culture d’entreprise, la gouvernance, l’organisation, la stra-tégie, le management, la manière de piloter et de motiver les équipes.

A. L’impact sur la culture de l’entreprise

Les nouvelles normes sont diversement appréciées : les points de vue des professionnels rencontrés au cours de cette étude sont tranchés, très contrastés ; ils expriment le choc face à l’irruption de la norme, choc d’autant plus grand dans les secteurs qui n’étaient pas traditionnellement régulés.

"Beaucoup de secteurs n’avaient pas la culture du régulateur ; le degré de maturité est très variable même pour des business anciens et les moyens mis en place sont très hétérogènes."

La mise en place de la norme peut alors soulever de fortes critiques. Certains ressentent très profon-dément la contrainte de la norme de probité parce qu’elle leur parait imposée de l’extérieur sans prendre en compte les spécificités de leur métier et risquant même de remettre en cause ce métier lui-même en modifiant leur façon de travailler.

"On est rentré dans un système réglementé ; on n’arrête pas de contrôler les contrôleurs, d’auditer les auditeurs ; avec ces dispositifs on construit des forteresses, on installe la prudence et l’aversion au risque, voire la déresponsabilisation. Or l’esprit d’entreprise c’est la prise de risque. Notre entreprise avait des valeurs et le souci de très bien faire : cette entreprise familiale était plus dans la culture orale

qu’écrite. On n’avait pas besoin de codes pour savoir respecter les clients, les fournisseurs, les actionnaires et être une entreprise respectée. Maintenant il faut cocher la case et remplir le formulaire ; on passe un temps fou à administrer des listes et des registres. Le problème est lorsque le standard devient une obligation."

Les entreprises connaissent les processus de normalisation (par exemple ISO) et peuvent y adhérer et l’assimiler. Mais, même dans ce cas, la norme n’est pas toujours mise en place facilement dans les entreprises, compte tenu de ce qu’elle implique en termes de conduite du changement et d’acculturation. Ainsi la norme de probité volontaire (ISO 37001 ; cf. annexe) se montre délicate à mettre en place en raison notamment du sujet même qu’elle traite - la corruption - et l’implémentation - volontaire ou non- d’une norme de probité peut susciter des suspicions.

"Il faut faire attention aux réflexions, au climat délétère et aux problèmes que cela peut soulever  : le salarié à qui on donne un code de conduite peut soupçonner qu’il se passe des choses. Ainsi certaines entreprises disent savoir que 0,1 % de gens sont des fraudeurs et refusent par conséquent de mettre en place des contraintes qui vont peser sur 99,9 % des salariés."

Mais la norme de probité peut aussi être acceptée sans réticence.

"Avec la loi Sapin 2 il s’agit de mettre en place des outils de traçabilité. Il est important de rendre plus vertueuses les entreprises et de les simplifier. Il n’y a pas de risque à être transparent mais on s’attaque alors à la culture du secret. L’ouverture des marchés rend les choses plus visibles et plus lisibles. Le contrôle est souvent considéré comme attaché à une vision de fermeture à tort alors que cela n’empêche pas la bienveillance humaine."

Car elle est parfois facilitée par la culture déjà en place.

"L’entreprise a une culture d’ingénieur, on va donc jusqu’au bout des processus. Ce qui est très différent de la culture start-up. Qui dit contrôles dit résultats et après plan d’actions défini par avance en fonction des activités et des risques et cela avec une cohérence complète. On ne fait pas cela dans le but de sanctionner mais parce qu’au premier faux pas, l’entreprise sera "guillotinée" ; il faut être conscient des risques et sécuriser ; et

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cela fait partie du système de l’entreprise, c’est dans la culture de l’entreprise. Donc Sapin 2 a à la fois changé et n’a pas changé les choses car il y avait déjà la culture du monitoring et la volonté de s’améliorer. Tous les dispositifs comme Sapin 2 renforcent cette coordination entre les équipes, dans ce but. C’est donc tout un écosystème qui intègre la culture ; c’est le travail managérial qui est impacté et c’est efficace car on n’ajoute pas, on intègre dans le dispositif managérial. L’en-treprise s’inscrit enfin dans la durée : perdre une affaire fait mal, mais mal la gagner ce n’est pas bon."

L’implémentation de la norme de probité est, dans tous les cas, un processus sur le long terme car, au-delà des pratiques de l’entreprise, il touche à sa culture.

"L’élaboration de tout le dispositif sera achevée à la fin de cette année. C’est un vrai changement de culture qui prend des années et les gens sont plus ou moins ouverts. Certains sont d’accord pour la moralisation des affaires, mais d’autres non. Ils pensent qu’une entre-prise de taille petite qui n’est ni dans le CAC 40 ni dans le SBF 120, et pas en concurrence directe avec des sociétés améri-caines, est en-dessous du radar. Mais il y a eu une prise de conscience de la problématique dans l’entreprise en créant le poste "Responsable de la conformité", rattaché au Secrétaire général et à la gérance et les sujets sont évoqués en conseil de surveillance. La mise en place de Sapin 2 est dans les objectifs de rémunération de la gérance. Ce n’est donc pas de l’affichage.""La culture d’entreprise ne va pas changer en trois jours ; c’est aussi une question de génération quand on sait que beaucoup de commerciaux ont ouvert des marchés à l’international comme des vieux baroudeurs : c’est une nouvelle génération qui doit venir avec de nouvelles pratiques.""La compliance est perçue comme les empêcheurs de faire du business ou encore comme les "bœufs carottes" alors que c’est un acteur important du changement. Il faudra quatre à cinq ans pour faire entrer les bonnes pratiques."

L’implémentation des normes légales de probité s’avère donc économiquement contraignante, socia-lement longue et psychologiquement délicate. Quel est son impact concret sur l’entreprise ?

B. L’impact sur l’organisation, la stratégie et la gouvernance de l’entreprise

La mise en place de ces nouvelles normes concerne l’ensemble des composantes de l’entreprise. Les professionnels ont tous été amenés à réfléchir sur l’organisation, la stratégie et la gouvernance de leur entreprise. Certains ont souligné que la norme était non seulement un enjeu opérationnel mais aussi un enjeu de pouvoir et d’influence.

"Le problème de la compliance est éminemment politique : tant que l’on pensera que c’est un sujet d’expertise, on laissera la compliance de côté et on la verra comme un coût et une contrainte alors que c’est plutôt une stratégie. Cela n’a donc rien à voir avec le réglementaire. C’est une culture du changement d’organisation. Plus il y aura de la culture de la compliance, moins il y aura besoin de process."

Car la norme impacte toute l’organisation de l’entreprise.

"L’esprit du groupe est d’être à la fois éthique et hostile à la bureaucratie : il faut faire du business en étant conforme aux lois. Il y a donc un département RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale) important et un département juridique qui suit la compliance, sans création d’un département dédié à la compliance. On essaie de trouver des solutions de façon minimaliste car, pour un groupe de 15 à 16 000 salariés avec 2 milliards € de chiffre d’af-faires, on ne peut pas créer un département de 20 personnes. Le budget complémentaire/coût additionnel résultant de la mise en œuvre du dispositif Sapin 2 est d’environ 150 000 €. On capi-talise sur les personnes et les métiers qui existent déjà. Depuis 2016, nous avons mis en place :

- un programme de formation de nombreux collaborateurs

- le traitement des sollicitations qui existent surtout dans les pays où on possède des usines et cela en fonction des risques pays lorsque l’administration locale fait pression par exemple sur l’obtention d’un permis de construire.

On a été précurseur sur ce point et, à présent, les pays où l’on vend le plus sont aussi ceux où l’on a des usines et où on est aujourd’hui assez fort pour résister aux pressions locales."

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Dans une organisation décentralisée, la norme aura tendance à centraliser certaines fonctions par le biais du contrôle.

"Tout est contrôlé avec un contrôle de gestion très performant. Le groupe est décentralisé pour la gestion mais il y a des organes de contrôle très centralisés."

Elle impacte la stratégie même de l’entreprise.

"La compliance est bien un sujet stratégique : aller ou pas dans un pays ; conclure ou pas avec tel ou tel ; faire ou pas telle ou telle acquisition.""Le groupe a décidé de changer de business model. Ce n’est plus un exportateur, c’est un industriel local avec un partenariat dans tous les pays où il y a du travail."

L’élaboration des procédures, la mise en place et l’application des nouvelles normes relèvent de la gouvernance.

"La cartographie des risques est l’une des premières étapes : elle est la plus importante et elle est transversale car c’est du risque financier et du risque extra financier. Elle relève de la gouvernance, car elle va permettre d’établir une évaluation complète de l’entreprise, de définir, d’évaluer et de faire remonter les risques : c’est-à-dire de les identifier, de les gérer et de poser des priorités."

C’est parce que la prévention de la corruption relève de la gouvernance que l’organe français de lutte anticorruption, l’Agence française anticorruption (AFA) demande à rencontrer les administrateurs des entreprises qu’elle contrôle. La corruption est en effet considérée comme l’échec de la gouvernance, voire comme une "faute organisationnelle", selon les termes du parquet dans le dossier Total. Or c’est précisément un nouveau modèle de gouvernance que recommandent les parties prenantes et notamment les investisseurs. Dans quelle mesure cette nouvelle gouvernance peut-elle impacter le business de l’entreprise ?

C. L’impact sur le business de l’entreprise

Cette mise en place des normes permet de se différencier et de bénéficier d’un véritable avantage compétitif. Ainsi une étude41 menée, en Égypte, au Zimbabwe et en Inde souligne que construire une réputation éthique dans de tels environnements doit être considéré comme une opportunité et le coût de la résistance à la corruption, comme un investissement pour bâtir cette réputation. Un comportement éthique est en effet très différenciant, comme le soulignent les témoignages suivants.

"C’est vrai que l’on perd des affaires avec cette politique. Il y a en effet des pays dont on est parti. Mais il y a des cas où on y a gagné. Ainsi l’ONU est une organisation très importante dans certains pays et il y est demandé que le fournisseur justifie d’un programme de conformité. On a été les seuls à pouvoir répondre aux appels d’offres, donc à moyen terme ce sera un avantage compétitif même si à court terme, cela n’est pas le cas.""Il y a un intérêt pour les PME et les petites entre-prises non assujetties à l’article 17 de la loi Sapin 2 de se mettre à la compliance, il y a une demande du marché et c’est une manière de valoriser l’entreprise. Mais le but c’est d’avoir un maximum d’efficacité, pour un minimum de coût.""La corruption, c’est un système de boomerang. Cela implique une relation de mépris car on paye, alors qu’une relation de partenariat et de confiance est primordiale dans les affaires. La corruption ne vaut pas le coup car cela coûte très cher et les "emmerdes" valent 36 000 fois la mise. Être un groupe qui n’est pas corrompu donne une communication forte : la différence se fait par la fiabilité et la réactivité sur le long terme. C’est contrôlé. C’est clair."

Si la résistance à la corruption a un coût, elle peut être aussi considérée comme un investissement en réputation, voire comme un avantage compétitif sur certains marchés. À quelles conditions peut-elle s’intégrer au fonctionnement normal de l’entreprise ?

41. Harvard Business Review : Being an ethical business in a corrupt environment, 23 Mars 2017, S.Ramkrishna Velamuri, William S. Harvey, et S.Venkataraman.

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4.2Les conditions de réussite de la norme

Au vu de la gravité des risques – de sanction, de réputation, voire de disparition – encourus par elle, l’entreprise est consciente de la nécessité d’implé-menter les normes de probité dans sa structure. Ces normes lui imposent un type d’organisation et un mode de travail, indépendamment de l’existence d’actes de corruption. C’est pourquoi elles sont vécues par l’entreprise comme une intrusion, une contrainte forte qui s’ajoute à celle du coût financier immédiat de cette implémentation. Or, pour être efficace, la norme de probité doit être acceptée, et pour cela infuser dans l’entreprise en s’appuyant sur les équipes.

A. Les valeurs de l'entreprise

Les professionnels ont insisté sur les valeurs de l’entreprise, sur l’importance de l’éthique et sur le rôle de l’humain dans la politique de probité.

"On a toujours le choix de ne pas aller au-delà de la limite et de ne pas céder à l’avidité humaine. La barrière c’est en fait l’humain. Il y a un fort impact du fait que le groupe est une entreprise familiale.""Le mot clef est l’approche par les risques ; il faut donc identifier les risques et s’assurer que les opérationnels vivent la compliance sans la considérer comme imposée de l’extérieur : cela doit devenir naturel et diffuser dans toute l’entreprise. Mais attention de ne pas diffuser une culture bureaucratique."

Il faut en effet éviter le formalisme de la procédure, sous peine de mettre en place un système rigide et déconnecté des réalités de l’entreprise.

"Ce n’est pas aux entreprises de faire la morale. Ce serait à l’ONU et à l’OCDE de faire ce travail de politique. Il y a en fait une volonté de transférer aux entreprises des obligations croissantes. On rentre dans un système de bureaucratie. Ce qui pose un vrai risque sur la créativité et l’innovation."

Toutefois les points de vue des professionnels peuvent être diamétralement opposés sur le traitement admi-nistratif français ou américain de la norme.

"Il faut éviter le risque d’avoir des procédures anglo-saxonnes où l’on coche la case sans traiter le problème : on est alors plus dans la compliance que dans l’éthique et cela coûte très cher. Les Français sont, de ce point de vue, plus prag-matiques ; c’est donc bien d’avoir un pendant français qui va servir de guide vis-à-vis des auto-rités américaines.""La lutte contre la corruption est mise en place en France de façon bureaucratique, à la différence de ce qui se fait aux États-Unis où il y a des règles simples et claires."

Quelles que soient les valeurs de l’entreprise, il est essentiel de les renforcer par la formation des colla-borateurs, en les articulant aux nouvelles normes.

B. La formation des collaborateurs

L’entreprise est confrontée à une véritable mutation. Pour la réussir, les professionnels soulignent que la mise en place des normes doit s’appuyer sur le management, et notamment miser sur la formation et la motivation des équipes. La clé de la bonne application des nou-velles normes réside dans leur adaptation aux réalités du terrain et dans leur appropriation par les profes-sionnels. Sinon, elles risquent d’être contournées. D’où l’importance du travail sur les codes de conduite, ainsi que la sensibilisation des équipes.

Il convient ainsi de former les équipes, comme le prescrit l’article 17 de la loi Sapin 2 : toutes les personnes rencontrées ont souligné l’effort effectué en matière de formation, au minimum des collaborateurs exposés, voire de tous.

"La portée de la loi Sapin 2, c’est de se poser les bonnes questions et de faire le point sur les bonnes pratiques. Compte tenu de notre secteur d’activité, la fraude est un risque bien connu, pas la corruption. Mais la loi est prise très au sérieux par l’entreprise : les 22 000 salariés ont tous eu l’obligation de suivre une formation d’une heure.""On a donc formé 2 500 personnes au début des années 2 000 et 8 500 entre 2012 et 2018. Aujour-d’hui, il y a une formation mise en place pour que tous les salariés exposés soient formés. Toutes les sociétés du groupe (120 entités) adoptent le même code partout pour faire le point sur l’ensemble des questions. Chaque filiale doit pouvoir répondre aux demandes de l’Agence Française Anticorruption en direct."

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Il faut motiver les équipes.

"À partir du moment où on met en place un programme, les collaborateurs vont aller dans le sens de la stratégie et vont savoir quelle est la stratégie du groupe, qui auparavant restait au sommet de l’entreprise. Maintenant toutes les équipes peuvent connaître la stratégie du groupe. Cela redonne le sens de l’action et responsabilise les gens dans leurs actions, car ils savent où aller."

La formation des collaborateurs est ainsi un élément essentiel de la lutte anticorruption pour infuser la culture de la probité au cœur de l’entreprise et éviter qu’elle ne soit qu’une façade, situation pire qu’une absence de compliance car elle peut abuser les équipes, et l’entreprise peut à tort se sentir à l’abri. De nombreux praticiens soulignent l’importance de la formation en ce qu’elle permet aussi aux équipes de parler de leur propre expérience et des difficultés rencontrées pour traiter les situations "grises" ou les dilemmes. Dans la pratique il est parfois difficile de déterminer où commence et où finit la corruption. Le versement d’une commission indue ou douteuse est clairement de la corruption pour les professionnels mais leurs avis seront partagés sur la question des cadeaux : courtoisie et savoir-vivre pour les uns, risque de concussion pour les autres. L’essentiel dans la lutte anticorruption est donc la prévention qui passe par l’information et la sensibilisation, c’est à dire la formation. Le but est que les entreprises adhèrent à cette lutte.

4.3L’adhésion des entreprises

Malgré les critiques et les difficultés, cette mutation semble cependant être en voie d’acceptation, et pas uniquement par crainte des sanctions. Les entreprises s’approprient progressivement ces nouvelles exi-gences. Lors des entretiens, la majorité des profes-sionnels rencontrés a relevé les aspects positifs des normes de probité. Il n’est pas rare qu’après la formulation de quelques critiques, le professionnel interviewé souligne l’apport de ces normes. L’entre-prise met en place une organisation plus dynamique car la prévention de la corruption est un processus évolutif permanent et qui se doit d’être innovant.

"En fait, les entreprises américaines ont mis en place depuis longtemps des programmes de prévention de la corruption et les entreprises qui ne pouvaient plus gagner des marchés par la corruption les ont gagnés en innovant et en devenant plus efficaces."

L’entreprise est ainsi amenée à analyser et documenter chaque prise de décision importante et les raisons qui l’ont conduite à cette décision.

"La question des normes, cela peut se voir sous l’angle de la contrainte ou au contraire du dynamisme. Dès 2000, le groupe a mis en place des procédures adaptées. Tout a été repris en 2015 et on est reparti d’une feuille blanche. La loi Sapin 2 a obligé à documenter ce qui était pratiqué."

Cette documentation qui nourrit la réflexion préalable à la prise de décision, améliore la circulation de l’information et aboutit à une meilleure connaissance par l’entreprise de son environnement et de ses risques.

"Le groupe s’est modernisé. Au final, c’était positif car cela amène plus d’objectivité et de per-formance. Par exemple, un fournisseur qui sera choisi sera considéré comme fiable : ce n’est pas forcément le moins cher mais dès lors que c’est documenté et explicable à tout le monde, cela devient justifié ; auparavant le choix des four-nisseurs était "paresseux", souvent lié à du copinage sans que ce soit forcément malhonnête."

"Le groupe fait 30 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis, il est donc très fortement implanté dans ce pays et exposé. Ce n’est donc pas la loi Sapin 2 qui a déclenché une prise de conscience. Les deux principaux actionnaires ont demandé la mise en place d’une structure avec plus de documentation et plus de process. C’est plutôt positif car cela remet l’action de sensibilisation et de communi-cation en interne. Cela rend les choses plus fluides, plus routinières. Le groupe a refait la cartographie des risques : c’est un exercice structuré qui n’est pas inutile et avec un retour par région assez intéressant. Par exemple le risque de corruption n’est pas si fort que cela en Chine. Il est en revanche plus fort que prévu en Europe du Sud et en Europe de l’Est."

Les professionnels voient également les aspects po-sitifs du dispositif d’alerte. Contrairement à une idée reçue, beaucoup trouvent que cette ligne d’alerte a un

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grand intérêt en ce qu’elle fait remonter les anomalies et les problèmes de management. Dans l’ensemble, selon les témoignages recueillis, les alertes ne dépassent guère la centaine par entreprise et par an, et portent en général sur des questions de ressources humaines (discrimination, management etc.). Il y a bien eu des réticences des salariés lors de l’installation de ce dispositif qui était vu comme un système de dénonciation pouvant donner lieu à des "règlements de compte" entre collègues, ou encore une façon de contourner les représentants du personnel, mais les retours semblent plutôt positifs, notamment dans les entreprises avec des filiales dans des pays où le management est traditionnellement autoritaire. Para-doxalement, dans certains cas, ce sont les unités basées aux États-Unis qui ont été les plus réticentes.

"Il y a une mise en place d’un dispositif d’alerte mais il faudra plus de temps pour que cela soit vraiment transparent et que les gens aient confiance. Mais c’est intéressant car cela permet de faire remonter des anomalies."

Il existe des conditions favorisant une mise en place réussie des normes de probité, malgré les profonds bouleversements induits. Mais elles varient d’une entreprise à l’autre : il n’y a pas de "recette". Peut-on pour autant définir une entreprise type qui serait naturellement plus réceptive à la norme de probité ? Peut-on dégager un type d’entreprise vertueuse qui réussirait, par nature, à faire de cette contrainte une opportunité, tant elle l’intègrerait parfaitement ? Un modèle qui garantirait la réussite de sa mise en place, ce qui faciliterait la tâche des professionnels ?

4.4Une entreprise vertueuse type ?

Les entretiens réalisés et les témoignages sur des cas connus de corruption ne permettent pas de dessiner le portrait robot de l’entreprise vertueuse. Le domaine d’activité de l’entreprise semble avoir peu d’effet par lui-même : s’il existe des secteurs à risques, il n’y a pas de secteur préservé par nature.

Apparaissent toutefois, à travers les entretiens, des éléments propices à la mise en place efficace de normes de probité. Sont déterminantes la culture, la

gouvernance, l’organisation, la stratégie, la vision du rôle de l’entreprise. La présence d’un actionnariat très impliqué (souvent familial) dans une entreprise (parfois) ancienne et chargée d’histoire, peut également jouer un rôle clé dans la diffusion de la norme qui sera en quelque sorte infusée au cœur de l’entreprise et de sa gouvernance.

Mais cela ne peut occulter les difficultés rencontrées par les entreprises, même vertueuses, et leurs demandes d’améliorations de la norme, adressées à la puissance publique. L’application efficace des normes de probité ne peut se faire sans l’appui de la puissance publique qui en est la source.

5. L’action de la puissance publique

Pour une mise en place effective des normes anticorruption, tout en s’appuyant sur un système de contrôle et de sanction efficace, la puissance publique doit répondre aux attentes des entreprises qui demandent des améliorations et s’efforcer de coordonner le système de répression international.

5.1Un système efficace de contrôle et de sanction

Les systèmes de contrôle et de sanctions varient d’un pays à l’autre : sanctions pénales ou civiles, organes dédiés ou non à la lutte anticorruption, séparant ou non la prévention et la répression. Il n’y a pas de modèle type, mais pour que les normes anticorruption soient effectives, il faut un système efficace de contrôle et de sanction.

La France a apporté sa réponse par la mise en place d’un système bicéphale avec des organes de pré-vention et de répression séparés.

Seize ans après sa ratification de la convention OCDE, elle a finalement adapté sa législation à l’environ-nement international car dans "un contexte international qui se caractérise par une montée en puissance des législations nationales à caractère extraterritorial, la

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protection de la compétitivité des opérateurs écono-miques sur le territoire français passe par une mise à niveau des dispositifs anticorruption à la hauteur des plus hauts standards internationaux"42. Cet objectif est l’une des priorités de l’action internationale de l’Agence française anticorruption (AFA), créée par la loi Sapin 2.

Cette agence, placée sous la double tutelle du ministère de la Justice et du ministère du Budget, dirigée par un magistrat nommé par décret du Président de la République pour une durée de six ans non renouvelable, est chargée de prévenir et de détecter la corruption. Pour mener à bien ce rôle de prévention, elle "dispose d’un pouvoir administratif de contrôle lui permettant de vérifier la réalité et l’efficience des mécanismes de conformité anticor-ruption mis en œuvre, notamment par les entreprises"43. Elle comprend en son sein une commission des sanctions chargée notamment de prononcer les sanctions pécuniaires44 prévues par la loi en cas de manquement constaté à l’occasion du contrôle.

Outre ces missions de contrôle, elle exerce des missions de conseil et d’assistance pour aider "les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et détecter les faits de corruption". Elle a ainsi élaboré des outils et supports pédagogiques, des Recommandations en décembre 2017 et publié le 2 octobre 2018, une Charte d’appui aux acteurs économiques prévoyant, selon les cas, un appui générique, spécifique ou individuel.

La loi Sapin 2 a donc créé un organe spécifique qui apporte une réponse administrative dans la lutte contre la corruption.

La réponse judiciaire et la répression restent entre les mains des tribunaux et des parquets ; par exemple, le Parquet national financier (PNF), le Parquet de Nan-terre, le Parquet de Paris ou le Parquet de Bastia, avec lesquels l’Agence française anticorruption (AFA) a signé des protocoles de coopération.

Quelle que soit son efficacité, un dispositif de contrôle et de sanction ne peut, à lui seul, être l’unique instrument de lutte anticorruption. Pour que cette lutte soit efficace, il doit s’appuyer sur la prise de conscience des entreprises elles-mêmes, dans une concertation leur permettant de faire entendre leurs demandes.

5.2Procéder à des améliorationsattendues par les entreprises

Les demandes d’amélioration de la part des entreprises sont nombreuses et fortes, à la hauteur des contraintes engendrées par les nouvelles exi-gences de probité. Elles portent principalement sur la nécessité de régler la question de la concurrence des normes, de renforcer la loi du 26 juillet 1968 et de développer un dispositif européen.

RÉGLER LA QUESTION DE LA CONCURRENCE DES NORMES

70 % des entreprises européennes45 considèrent le changement rapide de réglementation comme une difficulté, juste après la pression fiscale (72 %). Aux yeux des professionnels, les nouvelles réglementations se sont multipliées : loi Sapin 2, loi sur le devoir de vigilance, RGPD - Règlement Général sur la Protection des Données personnelles, Déclaration de performance extra financière, suscitant pour les entreprises des difficultés.

Par exemple les normes peuvent se concurrencer voire se contrarier dans leur exercice. Beaucoup de professionnels ont évoqué le conflit possible dans l’application respective du RGPD et de la loi Sapin 2 sur le traitement par exemple, des données dans le cadre des procédures d’évaluation des tiers prévue par la loi

42. Rapport d’activité année 2017 de l’Agence française anticorruption (AFA).43. Site de l’Agence française anticorruption (AFA).44. Sanctions pouvant aller jusqu’à 200 000 € pour une personne physique et 1 million € pour les personnes morales.45. TNS Political & Social: Flash Eubarometer 374, Businesses’Attitudes towards Corruption in the EU, February 2014.

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Sapin 2. Il s’agit en effet de procéder à toutes vérifications et enquêtes sur des clients, des par-tenaires d’affaires, des intermédiaires et des fournis-seurs, et notamment de collecter et de traiter des données pénales, ce que prohibe l’article 10 du RGPD, sauf exceptions ; par exemple si "le traitement est autorisé par le droit de l’Union européenne ou par le droit d’un État membre qui prévoit des garanties appropriées pour les droits et libertés des personnes concernées". La possibilité ou non d’inclure dans lesdites exceptions les enquêtes sur les tiers fait débat parmi les professionnels. Certains considèrent que la loi Sapin 2 constituerait l’autorisation légale permettant de faire ces enquêtes. D’autres soulignent que le risque d’infraction au RGPD demeure, le texte même de la loi ne précisant pas le type de diligence requis et les recommandations sur ce point de l’Agence française anticorruption (AFA) ne pouvant tenir lieu de réglementation ou de loi. Une position commune de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) et de l’AFA (l’Agence française anticorruption) est attendue46.

RENFORCER LA LOI N° 68-678 DU 26 JUILLET 1968

Le 26 juillet 1968, est promulgué la loi relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères. On la désigne souvent comme une loi de blocage alors qu’il s’agit plutôt d’une loi d’aiguillage et de coopération interétatique dans les procédures judiciaires. Elle vise à contrôler la transmission des données entre la France et l’étranger, afin non pas de "bloquer" toute transmission mais de la réaliser via le filtre d’une commission rogatoire internationale. Sa violation expose son auteur à un emprisonnement de six mois et à une amende de 18 000 € (jusqu’à 90 000 € pour les personnes morales).

Cette loi a permis aux entreprises françaises de négocier les conditions du contrôle auxquelles elles étaient soumises par les autorités américaines47 :

recours à des contrôleurs en général français et transmission de leurs rapports aux autorités améri-caines par le biais de l’administration française de sorte que puisse être vérifié le respect de la loi. Elle a été efficace, par exemple, dans le cas du contrôle de Total.

Les entreprises demandent son renforcement. Il a été préconisé48 de revoir sa rédaction pour bien identifier les informations réellement sensibles à ne pas com-muniquer et d’alourdir les sanctions pour la rendre plus crédible notamment aux yeux des autorités américaines.

L’effectivité du texte est en effet questionnée. Elle a été très peu appliquée par le juge : une première fois par la Cour de cassation en 2007 et une seconde fois par la Cour d’appel de Nancy en 2014. La Cour suprême américaine a considéré que la menace de condamnation d’une entreprise française au titre de cette loi était de ce fait peu probable et ne pouvait constituer une excuse légale justifiant le refus de communiquer les pièces demandées par une juri-diction américaine. Il faudrait donc qu’elle "fonc-tionne" beaucoup plus pour mieux protéger les entreprises concernées.

Certains professionnels interviewés ont évoqué l’in-térêt de se doter d’un dispositif européen qui aurait plus de poids qu’une loi nationale.

DÉVELOPPER UN DISPOSITIF EUROPÉEN

Ce souhait est généralement formulé par les entre-prises, à défaut d’une harmonisation des textes à l’échelle planétaire. Lors des interviews, les entreprises évoluant dans un cadre international, ont en effet indiqué qu’elles avaient mis en place des mesures pour se conformer à la norme de la loi américaine puis à d’autres lois étrangères notamment la loi britannique. On aurait pu considérer que le dispositif prévu par Sapin 2 n’était pas nouveau pour elles, or elles ont eu notamment à compléter leur système anticorruption

46. À ce jour, l’Agence française anticorruption (AFA) et la CNIL n’ont pas encore publié leur position.47. Assemblée Nationale, Rapport d’information Pierre Lellouche- Karine Berger, 2016.48. Recommandation formulée page 121 du Rapport d’information Pierre Lellouche- Karine Berger, Assemblée Nationale 2016.

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avec de nouveaux outils de prévention non obligatoires pour les législations américaines et britannique, ce qui reflète la différence entre ces normes nationales.

"On parle de la corruption depuis deux ans. La société mère américaine considère que la filiale française étant conforme aux critères américains, cela vaut pour Sapin 2. Or aux États-Unis, les critères sont différents, par exemple il n’y a pas la notion de cartographie des risques."

"L’entreprise est plutôt confrontée à la corruption au quotidien avec les paiements de facilité. Les sollicitations sont souvent le fait des autorités locales (échelon municipal ou régional) plutôt que centrales. Elle est également plus confrontée à la corruption privée que publique, par exemple venant des responsables achats des clients. La loi américaine n’est pas très concernée ni sensible à la corruption privée. Cela devient compliqué de lutter contre cela car c’est diffus avec des montants peu significatifs et difficiles à détecter, d’autant que le groupe croit à la décentralisation et à la délégation.""La prévention de la corruption est louable mais elle devrait se faire à l’échelle quasi planétaire et la même règle devrait être appliquée à toutes les entreprises où qu’elles se situent. C’est l’un des problèmes de la lutte anticorruption qui n’est pas harmonisée, même en Europe."

À défaut d’une harmonisation mondiale, l’une des solutions envisagées par les professionnels pour résoudre un certain nombre de ces conflits de normes et renforcer la lutte anticorruption, est donc la mise en œuvre d’un dispositif européen. Au-delà de la seule résolution des conflits de règles, l’enjeu consiste à mettre en place une compliance européenne, soucieuse de promouvoir les entreprises européennes dans le monde, de rendre la norme plus efficace et plus crédible.

Une action au niveau de l’Union européenne comme l’élaboration d’un "paquet compliance européen", permettrait de renforcer la volonté politique des États membres, de combattre la corruption et d’aller vers un vrai système unifié de normes : les juges des différents États membres de l’Union européenne agiraient avec les mêmes critères partout. L’élaboration de cette

norme par le biais d’un dispositif européen d’application directe comme le Règlement éviterait les phénomènes de sur-transposition en droit national des différentes normes49.

Le Rapport Lellouche-Berger recommande la mise en place d’un organisme européen de lutte contre la corruption avec un mécanisme de blocage analogue à la loi nationale du 26 juillet 1968 à l’échelon européen, créant ainsi une vraie culture européenne de la compliance50.

D’ores et déjà, Charles Duchaine, Directeur de l’Agence française anticorruption (AFA), a proposé qu’un accord de collaboration soit signé avec les juridictions européennes pour mener les enquêtes en partenariat51.

Un projet de directive européenne de protection des lanceurs d’alerte est par ailleurs en cours d’élaboration. En effet, le 23 avril 2018, la Commission a publié une proposition de directive visant à garantir "des normes minimales d’harmonisation en matière de protection des lanceurs d’alerte", cette protection étant actuel-lement fragmentée entre les États membres et inégale d’un secteur à l’autre. Il est donc nécessaire de garantir une protection efficace des lanceurs d’alerte dont les signalements concourent à renforcer l’application de la loi et à contrôler cette application, les infractions au droit de l’Union européenne pouvant causer un grave préjudice à l’intérêt public.

5.3Coordonner le système de répression international

Une autre source de difficultés réside dans l’extension extraterritoriale des normes nationales : ainsi la loi française a une portée extraterritoriale comme les lois des autres pays dans ce domaine, créant des risques de multiplication des poursuites judiciaires émanant de différents États, amenant à s’interroger sur la portée à l’international du principe "non bis in idem"52.

49. Voir en ce sens la tribune dans Le Monde de Bernard Cazeneuve et Pierre Sellal : Il faut corriger l’asymétrie entre Europe et États-Unis dans la lutte contre la corruption, 7 juillet 2018.

50. Assemblée Nationale, Rapport d’information Pierre Lellouche- Karine Berger, 2016.51. La loi Sapin 2 en pratique, Les Affiches Parisiennes, 3 Juillet 2018.52. Selon ce principe une personne physique ou morale ne peut être punie pénalement deux fois pour les mêmes faits.

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Comment éviter les poursuites d’autorités étrangères sur des affaires déjà jugées en France ou ayant fait l’objet d’un accord judiciaire censé mettre un terme à toute procédure sur le dossier en vertu du principe "non bis in idem" ? Les autorités américaines indiquent que ce principe présent dans leur droit, n’a pas de valeur contraignante entre États sauf stipulation convention-nelle, et entendent décider de poursuivre ou non en fonction de l’existence de procédures étrangères, au cas par cas, d’où une incertitude qui crée un environnement juridique peu propice au développement international des affaires.

C’est également la position d’autres pays, tels que la France. Le droit pénal français n’admet l’application du principe "non bis in idem" aux procédures étrangères que de manière restrictive. La Cour de cassation53 a rappelé que la règle ne s’applique que dans les relations transnationales européennes. Pour les rela-tions hors Union européenne, elle ne s’applique que lorsque l’action de la justice française se fonde sur la compétence extraterritoriale (cf. art 113-9 Code pénal et 692 Code de procédure pénale).

En instaurant la loi Sapin 2, les autorités ont eu notamment comme objectif de permettre aux entre-prises françaises d’échapper aux poursuites des autorités étrangères. Dans leur déclaration du 9 mai 201854, les autorités américaines ont souligné leur souci de ne pas "empiler" les condamnations et de tenir compte de l’existence des poursuites d’autorités étrangères dans le traitement des dossiers. En cela, elles se conforment à leur pratique de longue date qui consiste à tenir compte de la coopération internationale et des montants d’amende payés par les entreprises auprès des différentes autorités dans un même dossier. Sans qu’elles prennent aucun engagement par avance, elles s’acheminent vers une coordination interna-tionale des poursuites avec parfois un abandon pur et simple de poursuites.

C’est ce mécanisme de coordination internationale que l’on peut relever dans le traitement de ces dossiers :

▸ Siemens (2008) : le Département de Justice améri-cain a salué l’aide exceptionnelle des autorités de poursuite allemandes : le montant total de l’amende payée par Siemens s’est élevé à plus de 1,6 milliard $ dont 800 millions $ versés aux États-Unis ;

▸ SBM Offshore (2014) : le Département de Justice américain a abandonné les poursuites compte tenu du montant de la pénalité alors payé aux Pays-Bas. Le dossier a été rouvert en 2016, en raison d’élé-ments nouveaux qui n’avaient pas été portés à la connaissance du Département de Justice améri-cain lors de la première enquête.

Cette coopération s’est également produite dans les dossiers suivants où sont intervenues les autorités de poursuite de différents pays :

▸ VimpelCom (en 2016 : USA, Pays-Bas),

▸ Odebrecht/Braskem (en 2016 : USA, Brésil, Suisse),

▸ Rolls Royce (en 2017 : USA, UK, Brésil),

▸ Keppel Offshore (en 2017 : Brésil, USA et Singapour ; il y est précisé que si les montants à payer à Singapour ou au Brésil sont réduits, la différence sera versée aux USA),

▸ Telia (en 2017 : USA, Suède, Pays-Bas),

▸ Société Générale (en 2018 : USA, France).

Récemment, le 5 septembre 2018, dans le dossier Groupe ING, après le paiement de 900 millions $ aux autorités néerlandaises, les autorités américaines ont stoppé les poursuites contre cet établissement, en accord avec leur politique énoncée dans leur décla-ration du 9 mai 2018, et comme elles l’avaient déjà fait dans le dossier SBM Offshore en 2014.

53. Arrêt du 14 mars 2018 : les autorités françaises restent compétentes. Après avoir été relaxé par le tribunal correctionnel en 2013, puis condamné par la cour d’appel en 2016 (elle avait retenu sa compétence et rejeté l’application à ce dossier de la règle non bis in idem), Total est définitivement condamné pour corruption d’agent étranger, 20 ans après les faits - affaire pétrole contre nourriture. Pour cette même affaire, Total avait dû verser un montant de 398 millions $ en 2013 aux États-Unis. Le représentant du Département de Justice américain avait alors salué la coopération renforcée entre les deux pays, compte tenu des poursuites engagées contre cette société des deux côtés de l’Atlantique, prémisse d’une collaboration qui se retrouvera dans le dossier Société Générale en 2018.

54. Deputy Attorney General Rod J. Rosenstein delivers remarks at the American conference Institute’s 20th Anniversary New York Conference on the FCPA, May 9, 2018, (https://www.justice.gov/opa/speech/).

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Dans cette pratique de coopération internationale, le principe "non bis in idem" s’applique au moins pour le partage des amendes : l’entreprise poursuivie n’est pas amenée à la payer deux fois pour les mêmes faits. Et cette coopération internationale des autorités judiciaires permet de gagner en efficacité dans les enquêtes sur des dossiers complexes qui touchent à de nombreux territoires. De fait, le Parquet national financier a salué le bénéfice de cette coopération avec le Département de Justice américain dans le traitement du dossier Société Générale. Un système de transaction judiciaire tel que le DPA ou la CJIP55, permet de donner une solution globale impliquant plusieurs juridictions et d’éviter les poursuites multiples.

On peut donc considérer que le règlement coordonné des litiges tel que pratiqué par les différentes autorités respecte l’esprit de coordination invoqué par la Convention OCDE de 199756 puisque l’on a un système de coopération avec une allocation entre les pays qui se joindront aux procédures.

L’exercice de cette coopération internationale respecte par ailleurs le principe de souveraineté de chaque État concerné, ce qui ne serait pas le cas si la saisine d’un juge empêchait toute intervention judiciaire d’un autre pays.

Les craintes des entreprises sont compréhensibles : elles ne sont pas "à l’abri" de poursuites étrangères, même si le juge national est déjà saisi. Mais l’interdiction qui serait faite à un juge (national ou étranger) de se saisir, dès lors qu’un autre le serait déjà, permettrait le développement du "forum shopping" : une entreprise, craignant d’être poursuivie par une autorité jugée sévère, s’auto-dénoncerait en saisissant le juge du pays qui lui semblerait plus conciliant, réduisant ainsi l’efficacité de la répression contre la corruption.

55. DPA et CJIP : la CJIP ou Convention judiciaire d’intérêt public, instaurée par la loi Sapin 2, est inspirée du dispositif américain Deferred Prosecution Agreement (DPA) ou Accord de poursuite différée, dispositif qui permet à une entreprise mise en cause pour faits de corruption, de conclure un accord avec l’autorité de poursuite.

56. L’article 4 de la Convention OCDE de 1997 appelle à une coopération internationale afin de désigner l’État le mieux à même d’exercer les poursuites.

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Conclusion

Quels sont l’ampleur et le coût de la corruption ? S’ils sont difficiles à chiffrer, on sait qu’il s’agit d’une "très grosse industrie". Les chercheurs ont là un beau chantier pour en affiner l’évaluation et en préciser le poids économique.

Dans un monde globalisé, la corruption est elle-même devenue globale avec le développement des échanges mondiaux dont les entreprises sont les acteurs : quand elle n’est pas détectée, elle crée de la valeur écono-mique pour les entreprises, particulièrement dans un environnement corrompu et en l’absence de régle-mentation anticorruption.

Par son impact fortement négatif sur les économies des pays, la corruption est devenue inacceptable pour les États : ceux-ci ont imposé aux entreprises de nouvelles normes en matière de probité économique, règles que les entreprises n’ont pas d’autre choix que d’appliquer, sauf à risquer leur pérennité.

Les avis sur les succès de cette lutte contre la corruption sont partagés. L’augmentation du nombre d’entreprises poursuivies pour ces motifs et du montant des pénalités qui leur sont infligées57 peut-être vue, soit comme marquant sa réussite, soit au contraire comme révélant un essor incontrôlé de la corruption face à l’impuissance des régulateurs. A moins qu’il ne s’agisse seulement d’une question de temps : comme le souligne le FMI, les politiques mises en place peuvent mettre des années à produire des résultats. Pour mémoire, la loi américaine FCPA date de 1977.

Victorieuse ou non, cette lutte a entraîné une profonde mutation de l’environnement des entre-prises avec la généralisation de la norme de probité. Longtemps, le principe de régulation de l’activité économique a été spécifique aux secteurs de la banque, de l’assurance et de la pharmacie ; avec la montée en puissance de la norme de probité, la

57. Le suivi de l’actualité sur le site fcpablog.com est de ce point de vue éclairant.

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régulation s’est étendue à tous les secteurs et affecte toutes les entreprises, internationales ou non, grandes ou petites.

La norme de probité - imposée ou volontaire (cf. annexe sur la norme ISO 37001) - est ainsi entrée durablement au cœur des entreprises. Elle modifie également leur rôle : pour lutter contre la corruption, les Etats leur imposent de fortes exigences de probité, éventuellement au détriment de leurs intérêts immédiats, et en font des agents de la normalisation mondiale. Quoi qu’elles pensent de ce nouveau rôle, elles doivent s’y adapter.

Ce changement s’inscrit dans un mouvement plus général qui incite les entreprises à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux, à inventer une autre relation à la société. Il s’agit de "repenser la place des entreprises dans la société58", de transformer leur modèle pour l’adapter aux réalités du 21e siècle. Leur rôle ne se limite plus à la réalisation de profits : elles doivent s’interroger sur ce qu’elles font, sur le sens de leur action et son lien avec la création de valeur, pour elles comme pour la société. La société et l’ensemble des parties pre-nantes demandent que les entreprises s’inscrivent dans la création de valeur pour le long terme.

Alors que la corruption est un phénomène humain extrêmement ancien, l’irruption de la norme de probité internationale apparaît comme un effet à retardement de la globalisation de l’économie – une conséquence imprévue mais parfaitement logique. Est-elle créatrice de valeur pour l’économie con-sidérée globalement ? Certainement oui. Est-elle créatrice de valeur pour les entreprises ? La réponse est moins certaine, car ces dernières sont prises entre plusieurs injonctions contradictoires.

Tant qu’elle n’est pas détectée, la corruption crée à court terme de la valeur pour les entreprises, même au détriment de l’efficience et de l’innovation. Or dans quelle mesure leur performance financière peut-elle se maintenir sans prise en compte de la durabilité de leur projet, de leur stratégie et de leur développement ?

La concurrence entre les entreprises est féroce et la pression très forte pour privilégier la performance financière au détriment de la performance extra-financière. Elles doivent ainsi tenter de concilier deux impératifs : la maximisation des profits d’un côté, l’intégrité de l’autre – avec des limites dans les deux cas. La maximisation des profits risque de se faire au détriment de l’efficience voire de la pérennité, et le développement d’un projet durable et éthique au détriment de la création de valeur à court terme. Ce qui explique l’existence d’un rapport ambivalent des entreprises à l’égard de la norme de probité, d’autant que les dirigeants et salariés des entreprises sont également des citoyens qui, en tant que tels, sont rarement favorables à la corruption.

Les entreprises sont donc confrontées à une difficulté : elles se voient imposer une norme de probité dont elles subissent immédiatement la contrainte sans en recevoir en même temps la contrepartie réelle. Car si les investisseurs prêtent une attention renforcée à la durabilité des projets d’entreprise et à leur éthique, sont-ils pour autant toujours prêts à payer le juste prix de la vertu ? Ce n’est pas le sentiment de tous les professionnels.

Seule la puissance publique qui incarne l’intérêt général, au nom duquel est lancée la lutte contre la corruption, peut aider les entreprises à dépasser cette difficulté et faire en sorte que l’intérêt général et l’intérêt particulier se rejoignent. Et elle doit le faire car, sans leur adhésion à la norme de probité, il ne pourra y avoir de lutte efficace contre la corruption.

58. Selon l’intitulé de la section 2 du chapitre III "Des entreprises plus justes", du projet de loi PACTE.

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Annexe 1Définitions et typologie de la corruption

Définition :

Les termes "corruption et pratiques corruptives" incluent non seulement la corruption mais aussi l’extorsion ou la sollicitation, le trafic d’influence et le blanchiment du produit de ces pratiques (ICC : Règles ICC pour combattre la corruption, Édition 2011).

Les textes juridiques internationaux et les organisations internationales définissent généralement la corruption publique comme l’abus d’une charge publique à des fins d’enrichissement personnel (FMI : discours de Christine Lagarde le 18 septembre 2017, Brookings Institution).

Dans la convention OCDE de 1997 comme dans les autres conventions internationales de lutte contre la corruption, il n’y a pas de définition du mot corruption, car il est impossible d’arriver à un consensus multilatéral sur cette terminologie et sa définition. D’où une approche de cette notion par une définition des actes prohibés : "le fait intentionnel d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent, agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de ses fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans le commerce international" (article 1 de la convention OCDE).

Typologie : les différenTs Types de corrupTion

▸ corruption publique : pacte entre un agent public et un agent privé.

▸ corruption privée : pacte entre deux agents privés.

▸ corruption nationale : acte commis entre deux agents du même pays.

▸ corruption internationale : acte commis entre deux agents appartenant à des pays différents.

▸ corruption passive : elle vise l’agent corrompu, celui qui accepte ou sollicite un avantage indu afin d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte dans ses fonc-tions professionnelles.

▸ corruption active : elle vise le corrupteur, c’est à dire celui qui propose, offre, ou donne – même en cas d’extorsion – un avantage indu à un agent public ou privé, afin que cet agent accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions professionnelles.

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Annexe 2La norme ISO 37001

La première norme ISO dédiée à la lutte anticorruption a été créée en 2016.

L’intérêt d’une norme est par essence d’établir un langage commun pour définir les meilleures pratiques. Il s’agit ici de fournir une référence mondiale pour évaluer, améliorer ou mettre en place un programme de lutte anti-corruption. Elle peut apporter un avantage concurrentiel aux entreprises en les aidant à asseoir la confiance et à réduire les risques de corruption.

Certains professionnels considèrent que cette norme volontaire pourrait devenir obligatoire pour des sociétés qui établissent des partenariats commerciaux à l’échelon mondial : ainsi le Pérou et Singapour, premiers États à l’avoir adoptée (en 2017) imposent le recours à cette norme pour les marchés publics.

À ce jour quelques entreprises se sont fait certifier (notamment trois en France : Crédit Agricole, Alstom et Eurotradia59 qui n’est pas assujettie à l’article 17 de la loi Sapin 2) ou ont annoncé être entrées dans le processus de certification (notamment Engie, Wallmart, Costco, Microsoft).

Les avis des professionnels rencontrés, sur la norme ISO 37001, sont assez contrastés.

Pour l’un d’entre eux, la norme privatise le champ de la compliance et son processus n’est pas toujours cohérent non plus avec le dispositif de la loi Sapin 2.

Pour un autre, la norme est utile comme un certificat technique, comme le contrôle technique automobile. Il y a un effet normatif et unificateur mais plus que la mise en place d’une norme, il s’agit d’opérer une vraie révolution au sein de l’entreprise pour lutter contre les manquements à la probité. Ce qui pose la question de la formation.

Enfin, pour un autre professionnel dont l’entreprise est dans le processus de certification ISO 37001, il s’agit de répondre à la demande de certains clients, fournisseurs et banques, et couper court aux questions portant sur des dossiers très anciens. La mise en place de cette norme ISO est ainsi perçue comme un facteur de développement pour l’entreprise.

59. Cette entreprise n’est pas assujettie aux obligations de l’article 17 de la loi Sapin 2 mais a souhaité se différencier en adoptant cette norme et confronter sa conformité au regard extérieur expert (déclaration lors des Assises de la Compliance le 22 juin 2018).

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ouvrages :Marie-Noëlle Auberger et Jean-Paul Bouchet Oser l’alerte ! Sortir du silence au travail ? Les Éditions de l’Atelier, 2018

Emmanuel Breen, FCPA La France face au droit américain de la lutte anti-corruption Éditions Joly, 2017

Christophe Collard, Catherine Delhaye, Henry-Benoît Loosdregt, Christophe Roquilly Risque juridique et Conformité, Manager la compliance, sous la direction scientifique de EDHEC Business School Éditions Lamy, 2011

Ouvrage collectif sous la direction du Professeur Marie-Anne Frison-Roche Régulation, Supervision Compliance Éditions Dalloz, octobre 2017

Ouvrage collectif sous la direction du Professeur Antoine Gaudemet La compliance : un monde nouveau ? Aspects d’une mutation du droit ; voir notamment les contributions d’Emmanuel Breen et Antoinette Gutierrez-Crespin, Programmes de compliance : dix bonnes pratiques observées en France, et de Blandine Cordier-Palasse, Le Compliance Officer : chef d’orchestre du culture change management Éditions Panthéon-Assas, 2016

Shailendrasingh Leeleea (avec la participation de Christophe Roquilly), Lutte anti-corruption, Gestion des risques et complianceÉditions Lamy, 2013

Ouvrage collectif sous la direction du Professeur Alain Pietrancosta, Préface Odile de Brosses La Loi Sapin II prise aux mots Éditions Fauves, 2018

arTicles :Illya Antonenko Does Sapin II allow due diligence under the GDPR? June 6, 2018, fcpablog.com

Banque Mondiale Brief: "Combating Corruption", 2017 (web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/NEWS/)The cost of corruption, 8 avril 2004

Stéphane Bonifassi French supreme court founds no double jeopardy based on foreign plea agreement 5 avril 2018, fcpablog.com

Martin Coyle, Corporate cleanup, The Siemens investigationmLex Feature, March 2016

Thomas Fox Defects in the ISO 37001 Certification 7 février 2018 (https://www.jdsupra.com/legalnews/defects-in-the-iso-37001-certification-61879)

Philippe Bouchez El Ghozi Corruption : a strategic challenge Revue internationale de la compliance et de l’éthique des affaires/ supplément à la semaine juridique Entreprise et affaires/ N° 51/52 du 19 décembre 2013

Daniel Kaufmann Six Questions on the Cost of Corruption with World Bank Institute Global Governance Director Daniel Kaufmann (http://web.worldbank.org. ; consultation le 13 juillet 2018) Corruption: The facts, Summer 1997 Myths and Realities of Governance and Corruption, Chapter 2.1 1er November 2005, (siteresources.worldbank.org>Resources)(web.worldbank.org>PDF>FP_SUMME) Edition of Foreign Policy

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Jean-Marc Sauvé Conférence de clôture du cycle de conférences "droit comparé et territorialité du droit" Conseil d’État, 14 décembre 2016

Sophie Scemla Pétrole contre nourriture : une décision qui illustre les difficultés en matière de répression de la corruption internationale Option Droit Affaires, 2 mai 2018

Carter Stewart The FCPA is just as relevant and necessary today than thirty-five years ago Ohio State Law Journal, 2012

Repenser la manière dont nous luttons contre la corruption (https://www.nato.int/docu/review/2016/Also-in-2016/anticorr...-laws-regulation-control-anticorrp-budget-index/FR/index.htm)

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▸ L’approche des entreprises dans la lutte des entreprises contre les pratiques entachées de corruption, (2003)

▸ Rapport de phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la convention de l’OCDE sur la lutte anticorruption, octobre 2012

▸ France : Rapport de suivi écrit de phase 3 et recommandations, décembre 2014

ORSE Éthique, Responsabilité et Stratégie d’entreprise septembre 2017

PWC & ECORYSIdentifying and reducing corruption in public procurement in the EU, Development of a methodology to estimate the direct costs of corruption and other elements for an EU-evaluation mechanism in the area of anti-corruption 30 June 2013

PWC, Global Economic crime and fraud Survey 2018

Rand Europe Cost of non-Europe corruption March 2016

http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2016/579319/EPRS_STU%282016%29579319_EN.pdf

Repenser la manière dont nous luttons contre la corruption (https://www.nato.int/docu/review/2016/Also-in-2016/anticorr...-laws-regulation-control-anticorrp-budget-index/FR/index.htm)

Claude Revel Développer une influence normative stratégique internationale pour la France (Rapport remis dans le cadre d’une mission réalisée pour Madame Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur), 28 décembre 2012

scpc

▸ Étude Novethic/SCPC- Transparence en matière de lutte anticorruption, septembre 2006, rapport 2015

TNS Political & Social (at the request of the European Commission) Special Eurobarometer 397, CorruptionFlash Eurobarometer 374: Businesses’Attitudes towards Corruption in the EU February 2014

Transparency inTernaTional

▸ Rapport mondial sur la corruption 2009 la corruption et le secteur privé

▸ Whistleblowing in Europe, Legal protections for whistleblowers in the EU, 2013

▸ Marie Chêne & [email protected] the role of HR management in the fight against corruption in the private sector, 4 avril 2017

▸ Marie Chêne & [email protected] l’impact de la corruption sur la croissance et les inégalités, 15 mars 2014

Transparency inTernaTional, cmi chr.michelsen insTiTuTe

▸ Matthew Jenkins & [email protected] the relationship between business integrity and commercial success, U4 Anticorruption Resource Centre www.U4.no, 15 janvier 2018

Trésor-Eco : Lutte contre la corruption des effets positifs sur l’activité économique y compris dans les pays développés Lettre N° 180, septembre 2016

S.Ramkrishna Velamuri, William S. Harvey et S.Venkataraman Being an ethical business in a corrupt environment Harvard Business Review, 23 March 2017

Stefan Zeume Bribes and Firm Value – Evidence from Anti-Bribery Regulation- Insead June 2013

documenTs :

L’Agence française anticorruption (AFA), Rapport annuel d’activité 2017

AFEP-MEDEFCode de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, révisé en juin 2018

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MEDEFLe dispositif anticorruption de la Loi Sapin II

The World Bank GroupMutual Enforcement of Debarment Decisions among Multilateral Development Banks, March 3, 2010

CCI Paris-Île-de-FranceProjet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, rapport présenté par Cécile Andre Leruste et adopté le 12 mai 2016

DOJActing Assistant Attorney General Mythili Raman Delivers Address at the Global Anti-corruption Congress, June 17, 2013, (https://www.justice.gov/opa/speech/)

Deputy Attorney General Rod J. Rosenstein delivers remarks at the American conference Institute’s 20th Anniversary New York Conference on the FCPA, May 9, 2018, (https://www.justice.gov/opa/speech/)

FMIDiscours de Christine Lagarde le 18 septembre 2017, Brookings Institution

Examen de la note d’orientation de 1997 sur la gouvernance-Proposition de cadre pour un renforcement de l’action du FMI, 9 mars 2018

Déclaration de Christine Lagarde : Jeter la lumière sur les zones d’ombre de la mauvaise gouvernance et de la corruption, 22 avril 2018 (http://www.imf.org/external/french/np/blog/2018/042218f.htm)

ICCRègles ICC pour combattre la corruption (Édition 2011)

ISOfocus novembre-décembre 2017 : L’art de la gouvernance

OMCl’OMC peut encourager la bonne gouvernance (https:// www.wto.org)

Transparency International, World Economic Forum, ICC-International Chamber of Commerce, United Nations Global Compact: Clean business is good business, the business case against corruption (document non daté)

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Dernières parutions

eTudes

focus

1. Intelligence artificielle : quel impact économique ? Thierry Philipponnat, mars 2018

2. Reforming the financial architecture of the euro area, Thierry Philipponnat, February 2018

3. RSE & PME : l'éclairage du leadership féminin, Renaud Redien-Collot, décembre 2017

4. French Tech : réussir la sortie du "jardin d’enfants", Jean-Luc Biacabe, mai 2017

1. Verdissement de la fiscalité : quels effets sur les entreprises ? Mireille Chiroleu-Assouline, juillet 2018

2. The CCCTB and corporate competitiveness in Europe, Delphine Siquier-Delot, December 2017

3. L’ACCIS à l’aune de la compétitivité des entreprises en Europe, Delphine Siquier-Delot, octobre 2017

4. European financial services after Brexit, Thierry Philipponnat, July 2017

5. Microéconomie de la déflation, Jean-Luc Biacabe, juin 2017

6. Création de valeur dans un monde numérique, Jean-Luc Biacabe, Corinne Vadcar, janvier 2017

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Les entreprises face au défide l’anticorruption

Directeur de publication et de la rédaction :Thierry Philipponnat

Auteur :Nathalie Kaleski

Retrouvez l’Institut Friedlandsur www.institut-friedland.org

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Institut Friedland

Conception / Maquette :Laurence Guillot

Impression : Cicero - CCI Paris Île-de-France

Crédit(s) photo(s) :SonerCdem©GettyImagesanyaberkut©GettyImages

Tous droits réservés.

Think tank de la Chambre de commerce et d’industrie Paris Île-de-France, l’Institut Friedland a pour objectif de contribuer à la réflexion sur les conditions nécessaires au développement économique. Sa spécificité est d’aborder ce sujet par le biais de la micro-économie et du fonction-nement des entreprises.

Ses travaux se fondent sur la conviction que le déve-loppement économique relève de l’intérêt général et s’emploient à penser l’économie pour l’action.

À partir de ses publications et des événements qu’il orga-nise, l’Institut Friedland promeut la réflexion commune et les échanges entre responsables d’entreprises, décideurs publics, chercheurs, consultants, universitaires et, plus généralement, avec les différents membres de la société.

L’activité de l’Institut Friedland se décline autour de quatre axes :

Institut Friedland

Environnement de l’entreprise

Leviers de croissance

Mutations de l’économie

Management et gouvernance

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Dans la lutte anticorruption, la vertu est-elle toujours récompensée et le vice toujours sanc-

tionné ? Au-delà de l’aspect moral, cette question soulève de nombreux enjeux économiques,

tant pour les États que pour les entreprises. La corruption semble créatrice de valeur pour les

entreprises qui y recourent, c’est l’une des explications de son essor dans le monde. Avec la

croissance des échanges internationaux, ce phénomène s’est généralisé.

Longtemps perçue comme "l’huile dans les rouages" de l’économie, elle est devenue un très

gros "grain de sable", tant ses implications macroéconomiques et sociétales sont négatives.

Pour l’endiguer, les États ont imposé de nouvelles règles en matière de probité économique.

La violation de ces dernières expose les entreprises et leurs dirigeants à de lourdes sanctions

pouvant aller jusqu’à ébranler leur pérennité.

Ainsi, en application de la loi américaine anticorruption, 132 entreprises ont payé plus de

9 milliards de dollars de 2008 à 2016.

Face à la montée en puissance d’un cadre normatif mondial, les entreprises ont dû s’adapter et

intégrer les nouvelles règles dans leurs organisations.

C’est une véritable révolution qui les impacte toutes, internationales ou locales, grandes ou

petites, dans tous les secteurs, qu’ils soient ou non traditionnellement régulés comme la

banque, l’assurance et la pharmacie.

Cette étude s’appuie sur des travaux de recherche et sur une série d’entretiens avec des pro-

fessionnels, afin d’appréhender les enjeux économiques de la corruption pour les États et les

entreprises. Il s’agit également d’analyser les conditions et les impacts pour les entreprises de

la mise en œuvre de ces nouvelles règles.

www.institut-friedland.org