SSF Focus Info N°9 MAI 2017 SAHEL · de la zone - Al-Mourabitoune, Ansar Dine, le Front de...

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FOCUS INFO Le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), nouvel élément de la matrice du terrorisme sahélien 1 © Scutum Security First 2017 SAHEL N° 9 - Mai 2017 La multiplication des attaques lancées ces dernières semaines sur le territoire malien par le «Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans» (Jamaât Nasr al-Islamwa al-Muslimin, GSIM) 1 laisse présager une résurgence du terrorisme dans la zone. Depuis son apparition le 2 mars 2017, le GSIM a notamment revendiqué la mort d'un militaire de l’opération française Barkhane. A l’heure où le groupe Etat islamique (EI) pourrait être tenté de s’établir un peu plus sur le continent africain pour compenser ses reculs moyen- orientaux, quelle est la stratégie du GSIM pour étendre son contrôle sur la bande sahélo- saharienne (BSS) ? Une démonstration de force tournée vers le djihad global Né de la fusion des principaux groupes djihadistes de la zone - Al-Mourabitoune, Ansar Dine, le Front de libération du Macina (FLM) et l'« Emirat du Sahara » d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) -, le groupe donne tout d'abord une nouvelle dynamique au djihadisme sahélien et cherche à encourager son développement. Ce nouvel élan vise notamment à rassembler les différentes factions disséminées à travers la BSS, comme le rappelle son slogan « Une bannière, un groupe, un émir ». En se réunissant en un même lieu et en s’exposant côte à côte dans la vidéo annonçant la naissance du GSIM, les cinq responsables djihadistes présents 2 ont également voulu démontrer leur force. Une mise en scène qui permet d’illustrer leur « invincibilité » et de s’enorgueillir d’une liberté de mouvement intacte malgré les drones occidentaux qui survolent la région. Dans son discours inaugural, Iyad Ag Ghali, propulsé émir du GSIM, a par ailleurs donné une nouvelle dimension à l’activisme sahélien. Il promeut en effet le djihad global aux dépends de la logique de territoire qui a longtemps prévalu dans les rangs des cellules terroristes sahéliennes. Ainsi, Iyad Ag Ghali a indiqué qu'un des objectifs de la nouvelle formation était d'« élargir sa présence dans un plus grand espace géographique ». Cette déclaration a été complétée le 3 mars lorsque l'émir a qualifié la France « d’ennemi historique des musulmans » avant de désigner 10 autres Etats « pays ennemis » 3 .

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FOCUS INFO

Le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), nouvel élément

de la matrice du terrorisme sahélien

1© Scutum Security First 2017

SAHEL

N° 9

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017

La multiplication des attaques lancées ces dernières semaines sur le territoire malien par le « G r o u p e d e s o u t i e n à l ' i s l a m e t a u x musulmans» (Jamaât Nasr al-Islamwa al-Muslimin, GSIM)1 laisse présager une résurgence du terrorisme dans la zone. Depuis son apparition le 2 mars 2017, le GSIM a notamment revendiqué la mort d'un militaire de l’opération française Barkhane.

A l’heure où le groupe Etat islamique (EI) pourrait être tenté de s’établir un peu plus sur le continent africain pour compenser ses reculs moyen-orientaux, quelle est la stratégie du GSIM  pour étendre son contrôle sur la bande sahélo-saharienne (BSS) ? Une démonstration de force tournée vers le djihad global

Né de la fusion des principaux groupes djihadistes de la zone - Al-Mourabitoune, Ansar Dine, le Front de libération du Macina (FLM) et l'«  Emirat du Sahara » d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) -, le groupe donne tout d'abord une nouvelle dynamique au djihadisme sahélien et cherche à encourager son développement.

Ce nouvel élan vise notamment à rassembler les différentes factions disséminées à travers la BSS, comme le rappelle son slogan « Une bannière, un groupe, un émir  ». En se réunissant en un même lieu et en s’exposant côte à côte dans la vidéo annonçant la naissance du GSIM, les cinq responsables djihadistes présents2 ont également voulu démontrer leur force. Une mise en scène qui permet d’illustrer leur «  invincibilité  » et de s’enorgueillir d’une liberté de mouvement intacte malgré les drones occidentaux qui survolent la région.

Dans son discours inaugural, Iyad Ag Ghali, propulsé émir du GSIM, a par ailleurs donné une nouvelle dimension à l’activisme sahélien. Il promeut en effet le djihad global aux dépends de la logique de territoire qui a longtemps prévalu dans les rangs des cellules terroristes sahéliennes. Ainsi, Iyad Ag Ghali a indiqué qu'un des objectifs de la nouvelle formation était d'« élargir sa présence dans un plus grand espace géographique ». Cette déclaration a été complétée le 3 mars lorsque l'émir a qualifié la France « d’ennemi historique des musulmans » avant de désigner 10 autres Etats « pays ennemis »3.

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Attaques officiellement revendiquées par le GSIM depuis sa création le 2 mars 2017

Ensuite, l’appellation même du groupe revêt une dimension transnationale. Le «  soutien à l'islam et aux musulmans  » apparaît dès lors comme une mission divine au service de la communauté des croyants, l’Oumma. Par ailleurs, en prêtant allégeance aux grandes figures d’Al-Qaïda réparties à travers le globe4, le nouvel émir a voulu à la fois rendre hommage à la « maison-mère  » et inscrire son mouvement dans une perspective non plus régionale mais mondiale. A noter, pour finir, que le GSIM se tournerait vers l’international afin de se donner une consistance planétaire pour faire contrepoids à l'EI. Déjà présents en Libye, en Egypte et au Nigeria, les hommes d’Abou Bakr al-Baghdadi pourraient en effet être tentés de prendre encore un peu plus pied sur le continent africain en profitant des avantages qu'offre la BSS5.

Une utilité certaine sur le terrain

En parallèle de cette préférence affichée pour l'échelle globale, cette nouvelle union permettra de probables avancées locales. D’une part, l'accord passé entre des Maliens (Iyad Ag Ghali, Amadou Koufa) et des Algériens (Al-Hassan Al-Ansari, Abou Abdelrahman al-Sahaji, Yahia Abou al-Haman) pourrait être l'occasion d'accentuer la mutualisation des différentes forces disponibles à travers la région. Si des alliances militaires de circonstance ont toujours eu lieu dans la BSS, un même combat mené sous une bannière unique contribuerait à renforcer ces liens existants et à démultiplier les capacités de déplacements, d'armements et d'actions.

© Scutum Security First 2017 2

(1) 8 obus de mortier tirés contre l’aéroport de Tombouctou et la base de la MINUSMA le 15 mai (4 Casques bleus burkinabè et 3 militaires maliens blessés) ; (2) explosion de mines terrestres à l'ouest de Tessalit contre des véhicules de la force françaises Barkhane le 7 mai ; (3) assaut sur une position militaire d'Almoustarat le 7 mai (7 soldats tués) ; (4) tirs de mortier contre la base de la MINUSMA de Tombouctou le 3 mai (9 Casques bleus blessés) ; (5) embuscade entre Dogfori et Nampala le 2 mai (20 soldats blessés) ; (6) tirs de roquettes Grad sur la base de la MINUSMA d'Aguelhok le 24 avril ; (7) déflagration d'engins explosifs improvisés (IED) contre un véhicule de la MINUSMA entre Diafarbié et Tenenkou le 20 avril ; (8) assaut sur Gourma Rharous le 18 avril ; (9) attaque à l'IED contre des soldats tchadiens de la MINUSMA à Taghlit le 17 avril ; (10) assaut contre une gendarmerie de Téné le 17 avril ; (11) affrontements contre des Dozo (miliciens bambaras) le 14 avril (plusieurs miliciens tués) ; (12) embuscade contre la force Barkhane à proximité de Douentza le 5 avril (un militaire français tué) ; (13) tirs de roquettes Grad sur la base militaire d'Amachach le 2 avril ; (14) assaut contre un poste de sécurité de Boulikessi le 29 mars (2 gendarmes et un civil maliens décédés) ; (15) affrontements contre des Dozo dans le cercle de Macina le 25 mars (10 miliciens morts) ; (16) attaque à Boulikessi le 5 mars (11 militaires maliens morts).

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Le GSIM rassemble, mais d'autres acteurs de la djihadosphère demeurent indépendants

Malgré la volonté du nouveau groupe de rassembler les forces en présence, au moins trois autres mouvements demeurent encore autonomes.

Premièrement, l'« Etat islamique dans le Grand Sahara  » (EIGS), branche locale de l’«  Etat islamique » (EI) dirigée par Adnan Abu Walid al-Sahrawi, est issu d'une scission au sein d'Al-Mourabitoune. Cette prise de distance avec le groupe armé dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar a débuté le 13 mai 2015. Cette nouvelle « succursale » du califat autoproclamé a été adoubée par l’EI le 30 octobre 2016. Ses combattants seraient principalement établis au Mali, le long de l'axe Akabar-Andéramboukane.

Deuxièmement, le prêcheur burkinabè radical Bouraheima Dicko (ou «  Malam Ibrahim Dicko  »), originaire de Djibo, est à la tête d’Ansaroul Islam. Connu depuis l’attaque d’un détachement burkinabé du Groupement des forces armées antiterroristes (GFAT) à Nassoumbou le 16 décembre 2016, ce groupuscule est surtout actif dans les provinces burkinabè de Soum et d'Oudalan. Bien que trop récent pour avoir un rôle de premier plan dans le terrorisme sahélien, cette entité pourrait accentuer la coopération transfrontalière entre groupes radicaux peuls. A noter que la présence du groupe dans la forêt de Foulsaré, zone localisée du côté malien de la frontière avec le Burkina Faso, a poussé la force Barkhane à conduire l’opération « Bayard » les 29 et 30 avril 2017, au cours de laquelle « une vingtaine de terroristes [ont été] mis hors de combat »6 .

Troisièmement, la katiba « Khaled Ibn al-Walid » (ou « Ansar Dine-Sud ») a été formée en 2015 au sud du Mali. Cette formation, constituée de djihadistes originaires de différents pays d’Afrique de l’Ouest, a été rapidement affaiblie par les arrestations successives de ses principaux dirigeants  : Amadou Niangadou (ou «  Djogormé ») en août 2015 en Côte d’Ivoire, Souleymane Keïta le 29 mars 2016 à Sokolo (Mali) ou encore Yacouba Touré le 5 mai 2016 à Sénou (Mali).

© Scutum Security First 2017

D'autre part, il n’est pas exclu que les membres de l'état-major du GSIM donnent à la formation une certaine légitimité pour séduire les populations locales. Par exemple, la promotion du Touareg Iyad Ag Ghali à la tête du mouvement et le ralliement du Peul Amadou Koufa pourrait favoriser l'ancrage communautaire du groupe parmi ces deux communautés, tout comme la culture arabe des autres cadres du GSIM constituerait un vecteur d'adhésion de certaines populations. Ces dernières sont d’ailleurs toujours aussi vulnérables sous les effets conjugués de la faiblesse structurelle des appareils sécuritaires nationaux, de l'absence des administrations dans de vastes espaces, d'économies sous-développées ou encore d'une corruption endémique nourrissant les rancœurs envers les Etats centraux.

Une évolution de la menace dans la BSS dans le paysage sahélien ?

Il est probable qu’après une première phase d’intenses activités de guérilla dans un «  but promotionnel  », le rythme des violences du GSIM ralentira faute d’hommes et de matériels. En tout état de cause, la « guerre classique » promise par Iyad Ag Ghali demeure irréaliste. Cependant, l’importance stratégique du Sahel doit obliger les chancelleries occidentales à suivre de près cette nouvelle entité afin de prévenir une deuxième déferlante djihadiste sur la BSS et ne pas offrir aux terroristes un nouveau sanctuaire proche de l'Europe.

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Rédacteur en chef : Célia BendjeddouRédacteur associé : Rodolphe CathalaDirecteur de la publication: Pierre-Jacques Costedoat [email protected]

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Notes:

1. Attaques officiellement revendiquées par le GSIM (cf. encadré carte page 2).

2. Iyad Ag Ghali (chef d’Ansar Dine), Amadou Koufa (prédicateur peul à la tête du FLM), Al-Hassan Al-Ansari (bras droit de Mokhtar Benmokhtar, officiellement dirigeant d’Al-Mourabitoune, donné pour mort à de nombreuses reprises, notamment le 15 novembre 2016 après une frappe de drone dans le Sud libyen, aujourd’hui probablement blessé et potentiellement écarté du commandement d’Al-Mourabitoune par son conseil des notables), Abou Abdelrahman al-Sahaji (responsable des affaires judiciaires d’AQMI) et Yahia Abou al-Haman (émir de l’ «  Emirat du Sahara  » d’AQMI).

3. Etats-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Suède, Tchad, Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Sénégal et Niger.

4. Iyad Ag Ghali prête allégeance à Ayman al-Zawahiri (chef d'Al-Qaïda), Abdelmalek Droukdel (émir d'AQMI) et à Haibatullah Akhundzada (à la tête des Taliban en Afghanistan).

5. Faiblesse structurelle des appareils sécuritaires nationaux, porosité des frontières, routes de trafics, élévation sociale bloquée des populations locales, sentiment d’injustice, marginalisation des périphéries, etc.

6. Ministère français de la Défense, « La force Barkhane intervient contre des Groupes Armés Terroristes dans la forêt de Foulsaré  », communiqué mis à jour le 5 mai 2017, http://www.defense.gouv.fr/operations/operations/actualites/la-force-barkhane-intervient-contre-des-groupes-armes-terroristes-dans-la-foret-de-foulsare-actualise.

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