René Crevel - Ebooks-bnr.com · 2021. 1. 6. · René Crevel PAUL KLEE 1930 bibliothèque...

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René Crevel

PAUL KLEE

1930

bibliothèque numérique romandeebooks-bnr.com

PortraitGRAVÉ SUR BOIS

PAR GEORGES AUBERT

BIBLIOGRAPHIE

Zahn L. – Paul Klee, Leben, Werk, Geist mit 68Abb., Kiepenheuer, Postdam 1920.

v Werdderkop H. – Paul Klee mit 33 Abb., Jungekunsi Keinkhardt & Biermann, Leipzig 1920.

Hausenstein W. – Kairuan oder Eine Geschichtevom Mader Klee und der Kunst dieses Zeital-ters mit 43 Abb., Piper Munich 1921.

Grohmann W. – Paul Klee avec des articles deAragon, Crevel, Éluard, Lurçat, Soupault,Tzava, Vitrac, avec 64 planches en hélio-type, 84 documents reproduits, Éditionsdes Cahiers d’Art, Paris 1929.

Paul Klee. – Pädagogisches Skizzenbuch, Bau-hausbücher II mit 87 Abbildungen, München1927.

PAUL KLEE

Le plus brave des hommes, oserait-il regar-der, en plein dans les yeux, un hippocampe,point d’interrogation à tête de cheval, toutdroit jailli des profondeurs à la surface durêve ?

Ce beau fils des mers, plus vertical dans sonascension qu’un lift dernier cri, ce Centauredont la simple présence trouble au point quetout doive être remis en question, quel autresymboliserait mieux l’œuvre de Klee ?

Or, comparés à ce fatal et solitaire petit Pé-gase, combien moins redoutables nous appa-raissent les mastodontes pesamment affirmés.

C’est que toujours il y a eu, et toujours, ily aura, une quelconque Réalité pour servir debergère au monstrueux troupeau.

Paissent en paix les baleines parmi les plusglacées des steppes liquides.

Si j’en crois mes souvenirs du temps d’his-toire naturelle, ces bonnes grosses mères, aus-si peu fortes pour plonger que les dondons desplages petites bourgeoises, parce qu’elles n’ontpoint (telles ces dites dondons) l’hiver venu, laressource des magasins où chiffonner rubans,soies et galons, crachent de grands jets qui mé-tamorphosent l’eau en panaches jumeaux des

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plumes, d’un si bel effet sur les galurins régio-nalistes, au fin fond du fin fond des provinces,car, Dieu merci, les sous-préfètes, les notai-resses, les colonelles n’ont point toutes, malgréle siècle, perdu le sens de majesté.

Baleine, impératrice des océans polaires,comme la rose est la reine des fleurs, et le poi-reau l’asperge du pauvre, aimable cétacé, sou-veraine sans prince consort, géante trop sagepour aller chercher midi à quatorze heures,entre vos banquises, vous vous pavanez, librede toute crise de conscience, et vous engrais-sez plus et mieux qu’une reine Batave, car lesicebergs vous épargnent toute tentation, mêmede tulipes.

Parce que votre destin est d’apparat, per-suadée que tout va pour le mieux dans lemeilleur des mondes, vous concluez : chacunson métier. C’est que vous avez plus d’un tourdans votre sac à main et vous aimez les dic-tons. Or, aussi mondaine et frivole avec vosproverbes que M. de La Rochefoucault avec

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ses maximes, vous oubliez que les uns et lesautres se retournent comme des gants. Parlezde métier. Les enfants des villes sont assezmaigres pour avoir le droit de vous répondrequ’il n’en existe que de sots. Et, en fait, depuisque la science moderne a bien voulu nous ap-prendre que les vaches, elles-mêmes, étaientsujettes à la tuberculose, il ne nous importeguère qu’elles soient un peu plus ou un peumoins mal gardées.

Nous n’aimons ni les asperges du pauvre, niles poireaux du riche.

Arraché le masque des métaphores faciles,nous trouverons de belles injures pour vitriolerla sagesse des nations.

Et surtout il ne faut plus de cette sensibleriedont s’endimanchent les pseudo-intellectuels,les pseudo-artistes.

Nous avons déjà une belle vengeance, unebelle joie positive puisque les gouffres que

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votre peur fait semblant de dédaigner, baleine,fleurissent de très subtils mystères.

Les scaphandriers d’Europe, il est vrai, ontles doigts bien lourds et les plongeurs polyné-siens, qui échappent au martyre des semellesde plomb, n’aiment à cueillir, dans leur pro-menade entre les flots, que les perles douces,rondes, à l’image des paupières de leur som-meil ingénu.

Dès lors, comment ne point appeler mi-racle, Paul Klee, cette excursion au plus secretdes mers d’où vous êtes revenu, avec, dans lecreux des paumes, un trésor de micas, de co-mètes, de cristaux, une moisson d’hallucinantsvarechs et le reflet des villes englouties.

Tout ce que vous avez rapporté des abîmesse révèle digne, en transparence, des poissonsdentelés. Les crabes, oui, les crabes eux-mêmes ont des ailes.

Un peintre a ouvert les poings et, d’entre leslumières de ses doigts d’incroyables volières se

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sont échappées qui peuplent, maintenant, lestoiles dociles, pour leur bonheur, à cette ma-gie.

Et c’est pourquoi, pas une ligne, si ténuesoit-elle, qui n’ait sa qualité frissonnante.

Les traits d’ongles qui écorchèrent, au gréd’un caprice cyclopéen, roches et galets, tousles graffiti de l’au-delà, les créatures d’hypnoseet les fleurs d’ectoplasme ont été dessinées,photographiées, sans ruse d’éclairage, sansfrauduleux romantisme, ni mensonge grandilo-quent d’expression.

Et voilà bien la plus intime et aussi la plusexacte surréalité.

Un pinceau devenu aimant, le labyrinthe durêve, soudain magnétisé, se déroule en longsanneaux.

Combien timide la légende qui faisait obéirà la voix d’Orphée les bêtes féroces, car, main-tenant, plantes et pierres s’émeuvent, nesavent plus demeurer immobiles.

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Monde en marche, univers de brindilles pal-pitantes, fourmilières libérées de toute police,de toute contrainte, parce que les yeux dessquales en ont contemplé la naissance, unrythme souverain, hors des cadres, hors dutemps, de l’espace, précipite les trois règnes decette création.

Alors, écoutez-moi, baleines et vous aussitous autres mégalomanes, écoutez-moi et rap-pelez-vous, ces animaux fabuleux qui sefussent volontiers nourris de ressorts à boudinspour croître encore en long et en large, cesmonstres préhistoriques, niais à ne savoir quefaire de leur peau, n’ont, et c’est toute justice,laissé sur notre globe que le souvenir de leursquelette.

Et pourtant, à l’aube des âges, la famille Di-plodocus devait bien se croire destinée à ré-gner sur ce globe, usque ad vitam æternam.

Je ne suis ni prophète ni prédicateur, maisje puis vous dire qu’il y aura des puces jusqu’au

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jour du jugement, cependant que l’ultime reje-ton de la famille Diplodocus qui devait si bienmépriser les cousins Mammouth, et, à plusforte raison, les éléphants, ses parents pauvres,le dernier et le plus colossal des fabuleux qua-drupèdes, dis-je, si l’envie m’en prend, je n’aiqu’à me rendre au Muséum pour lui chatouillerles os.

Paul Klee, parce que vous avez libéré lesinfiniment petits cet hiver, les aoutats chante-ront à voix de sirène et l’Europe et les deuxAmériques enfin rougiront de s’être laissé sé-duire par le système métrique. Il ne s’agit nonplus de céder à la tentation du nébuleux Orientque les enquêtes de la grande presse et des re-vues distinguées, les paradoxes de la philoso-phie salonnière ont mis à la mode.

Cote de Bourse qui fleure l’encre d’impri-merie ou Nirvana parfumé au papier d’Armé-nie, c’est, sinon trop beau, du moins trop facilepour être honnête.

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On connaît l’image chère à M. Maeterlinck,des deux lobes du cerveau, l’oriental et l’occi-dental, l’un à l’autre, comme de juste, impéné-trables.

Cette métaphore, qu’on eût crue inoffensiveen son aimable simplicité, fait qu’on exhortel’Ouest à rêver de l’Est. Il paraît d’autre part,que l’Orient achète à l’Occident des fusils, deschapeaux, des faux-cols en celluloïd, des tire-chaussettes et des romans psychologiques. Ilfaut donc noter que ces impénétrables sont,quoique sans espoir, comme Héloïse d’Abé-lard, amoureux l’un de l’autre.

Europe, Asie.

Les plus optimistes en espèrent un couple,dont l’union pourrait être célébrée par une deces chansons du genre de celle qui, après avoirgaillardement affirmé :

La gaine est faite pour le couteau,

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conclut :

Et la fille pour le garçon.

* * *

Or, bien que Paul Klee, avec trois grainsde sable, nous ait prouvé que les gratte-cielde New-York, les Galeries Lafayette de Paris,l’étonnante boulimie noctambule de Berlin, lesenseignes lumineuses de Londres, ne sont rienpour les yeux de l’esprit, rien pour les oreillesde l’imagination, bien qu’il ait fait éclater desyeux illimités au front des plus minusculescréatures et, en dépit des algues, par lui libé-rées de tout roc, malgré tant d’êtres, de végé-taux, de choses moins possibles à nier dansleur impondérable surréalité que nos maisons,nos becs de gaz, nos cafés et la viande desamours quotidiennes ou hebdomadaires, selondes ressources des tempéraments civilisés,tout le merveilleux qu’il dispense ne doit pas

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être abâtardi, perverti, utilisé pour l’une oul’autre cause.

Nous nous refusons de voir en lui un deces fakirs simplistes. Il est le contraire mêmede ces initiés de music-hall ou prophètes pourvieille vierge britannique et théosophe.

Libre donc au jeune Européen de chanter latoute neuve et déjà classique chanson de sesinquiétudes, libre à l’Adonis cosmétiqué de cé-lébrer son amour des valises, du sleeping, de lavitesse, et que son frère bronzé des antipodesjoue au Bouddha mort ou vivant, la phraséo-logie des journalistes rhéteurs, les distinctionsdes critiques et leurs propos sophistiqués, tantd’architecture en plein vide ne saurait prévaloircontre une goutte de spontanéité.

Paul Klee, oriental ?

Oui, sans doute, puisque certains de ses ta-bleaux semblent tissés en hommage aux plusfraîches visions des Mille et une Nuits.

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Mais qu’il nous mène au milieu des par-terres, conduit par des allées secrètes à la ca-verne dont l’âge de pierre anima les paroisd’aurochs, de rennes. Et l’on revient les braschargés d’un bouquet de fossiles, cueillis àl’ombre incandescente des arbres de sel.

L’œuvre de Klee est un musée complet durêve.

Le seul musée sans poussière.

La cendre elle-même s’y fait prairie autourdes villages en miniature, comme en bâtissentles enfants avec leurs jeux de constructions.

L’espace, ce vieux préjugé est enfin dénon-cé puisque des cosmogonies serviront de rues,et la Voie lactée de fleuve à ce paradis lillipu-tien et magnifique dont les animaux et leurshommes, tout de nerfs, saluent l’incendie despoissons volants.

À cette lumière, il n’est point de caillouxqui veuillent encore faire la tête dure, la sourdeoreille.

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Partout ce sont des éclosions surprenantes.

Et par ce que sur l’ongle de son pouce unpeintre sut dessiner des murailles à faire rêverde Babylone et de Palmyre, au plafond de leurchambre, les malades qui ont lu dans ses toilessauront pour se venger de la fièvre, du silence,de l’immobilité, découvrir des kilomètres etdes kilomètres d’histoires. Un petit morceau deplâtre écaillé, il n’en faut pas plus pour quesoient dévoilés les plus vertigineux secrets.

Paul Klee le sait que ne tentèrent ni les ara-besques, ni la virtuosité.

La matière la plus simple, mots ou couleurs,sert de truchement entre l’au-delà et le voyant.La poésie est la découverte des rapports in-soupçonnés d’un élément à un autre. Lepeintre doué de poésie, dans la plus sèche géo-métrie saura trouver les échelles pour ses plon-gées. Il monte, descend, remonte et, au plushaut palier, parce que la clef a été perdue decette porte qui devait s’ouvrir à même le ciel,

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à même le vent, Paul Klee n’aura qu’à regarderpar le trou de la serrure, pour découvrir, dansdeux centimètres carrés béants, un monded’étoiles que les hommes croyaient perdu.

Il n’y a plus de mesure. J’entends que lesunités de longueur, poids, capacité, ne sau-raient servir de mesures. Nous ne croyons plusau système métrique. Nul ne saurait auner lesrêves, les désirs.

* * *

Bien mieux, je ne crois plus même à ceslieux communs métaphoriques dont notre pa-resse avait coutume de se régaler sans craindrela surprise.

À vingt-neuf ans bien sonnés, je commencemême à ne plus croire au corbeau, oiseau demalheur, depuis que, ce matin, un de ces never-

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more, non au chambranle de ma porte, mais surmon balcon est venu se poser.

Le sombre personnage avait un bec du plusbeau jaune, dit serin. Il était si bien botté derouge, que malgré moi, j’ai pensé à une para-doxale mariée, dont, parmi les tulles, le visageapparaîtrait maquillé d’émeraude et les piedschaussés de violet.

Ce corbeau des altitudes répond au décon-certant surnom de Choucas, comme s’il n’étaitqu’une demi-mondaine cocaïnomane.

Décidément, les conservateurs exagèrent,et, s’ils ont le moindre sens de justice, enfin,ils ne s’étonneront point que Paul Klee mépriseles montagnes à sommet de 4.810 mètres, leschutes du Niagara et tous les animaux à ré-putation trop bien établie même s’ils passentpour féroces, tels les lions, ces commis-voya-geurs du désert à cravate Lavallière.

Que le romantisme, au goût du jour célèbreferrailles, ciment armé et toutes ces métallur-

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gies qui prétendent au record du saut en lon-gueur, Paul Klee, libre de tout vertige, suit unsimple cheveu jeté entre ciel et terre. Son œila saisi le miracle des couleurs, tout le miraclede toutes les couleurs, dans une goutte d’eau,la simple, la fameuse goutte d’eau qui fait dé-border le vase, l’océan et, au jour de glorieusecolère, l’insondable résignation des hommes.

La peinture de Paul Klee s’affirme d’après ledéluge, d’après celui que nous espérons, pourachever le travail si incomplet de l’autre.

Et vive l’inondation.

* * *

En hommage à un poète vous avez eu rai-son, Paul Klee, de dédier cette échelle rougeperdue au sein de l’éther tourterelle.

Cette échelle, voilà bien l’escalier, le seulqui puisse nous mener jusqu’au tremplin d’où

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nous sauterons, à pieds joints, dans l’impos-sible, puisqu’il s’agit enfin de décrocher la lune.

Mais, si la maison qu’habitent les poissonss’appelle aquarium, et, palmarium, celle quiabrite les palmiers, en souvenir des pêches mi-raculeuses, des grouillants poissons devenusbouquets d’astres, j’appellerai cielarium, le pa-lais dont chacune de vos toiles est unechambre.

Alors, même exilé au pays de l’habitude,des hommes en chair et en os, des montagnesen pierres et en arbres trop véridiques, il n’ya qu’à fermer les yeux, comme au temps del’enfance, lorsqu’on découvre que le noir c’estun mensonge, car, sous les paupières hermé-tiquement closes, mille feux minuscules et ce-pendant plus grands que nos étoiles patentées,s’allument.

Touchante fraternité des poètes.

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Pour illustrer la délicate et puissante magiede Paul Klee, chante ce vers de Saint-Léger-Lé-ger :

Et le soleil n’est pas nommé, mais sa puissance estparmi nous.

René CREVEL.

Leysin, octobre 1929.

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BIOGRAPHIE DE KLEE

d’après les indications de l’artiste.

Paul Klee naquit le 18 décembre 1879, dansun petit pays près de Berne (Suisse). Son pèreétait chef d’orchestre et professeur à l’ÉcoleNormale. Les familles des parents étaientdouées pour la musique ; des dessinateurs nese trouvent que dans la parenté maternelle. Cefut aussi la grand’mère du côté maternel qui,la première, incita le jeune Paul à dessiner età colorier ses dessins. À l’âge de sept ans, ileut d’un excellent professeur, ses premières le-çons de violon, et il trouva chez lui l’occasionde feuilleter les monographies de Knackfuss.À dix ans, il commença à dessiner des pay-sages d’après des revues et d’après nature. Ilcontinua à dessiner et à peindre en amateur

jusqu’au début de ses études plus sérieuses.Déjà, il jouait du violon avec tant de talentqu’on le laissa coopérer aux auditions de l’or-chestre municipal. C’était un brave petit or-chestre, ambitieux, qui s’aventurait même jus-qu’à jouer des symphonies de Brahms qu’ilexécutait d’ailleurs avec plus d’enthousiasmeque de maîtrise.

Il va sans dire que le père, quoiqu’il tolérâtces penchants artistiques, jugeait indispen-sable que son fils terminât bourgeoisement sonlycée. Le fils en jugeait autrement, mais néan-moins, il tint bon jusqu’au baccalauréat, passéavec succès.

Voici venir l’heure décisive pour la direc-tion de sa vie. Bon bourgeois ou artiste ? Ar-tiste, bien entendu. Un nouveau problème sur-git : peintre ou musicien ? Les parents lelaissent libre dans sa décision ; la mère, évi-demment, aurait préféré faire de son fils unmusicien. Mais un artiste ne doit se fier qu’àson instinct. Or, celui-ci lui déconseillait la mu-

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sique. En vérité, il ne savait rien du développe-ment qu’avait pris la peinture à cette époque,mais la musique lui paraissait alors peu fertileen possibilités créatrices. Il choisit la peinture.Cette décision prise, et plein de confiance dansles forces inconnues qu’il sentait dans sonâme, il se rendit à Munich en octobre 1898pour y consulter Lœfftz, directeur de l’Acadé-mie des Beaux-Arts. Celui-ci loua les dessinsde paysages que Klee lui montra, mais il luiconseilla de commencer par travailler dansl’atelier de Knirr. Le jeune homme suivit leconseil et n’eut pas à s’en repentir. À l’atelier, iltrouva avant tout la vie facile avec de bons ca-marades et Munich lui offrit les théâtres et lesconcerts, jouissances inouïes.

On appréciait son talent et l’enseignementdu maître qui tendait au libre développementdes élèves, convenait admirablement à sontempérament. De sorte qu’il n’entra pas chezStuck à l’Académie avant sa troisième annéed’études. Stuck, en véritable académicien, vi-

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sait avant tout la maîtrise de la forme. Ce qu’onapprenait le mieux chez Stuck, c’était le dessin.Quant à la couleur, on ne s’y perfectionnaitguère. Klee, de temps en temps, faisait uneapparition chez Knirr, où le ton était plus gaiet plus libre, et où le dessin et la caricatureétaient à l’ordre du jour.

En octobre 1901, Klee, accompagné deHerrmann Haller, fit son pèlerinage en Italie,en véritable élève des Beaux-Arts. Rome lerendit pensif. C’est là que, pour la premièrefois, il commença à réfléchir sérieusement surson art. En plus, sa situation économique exi-geait une précision plus nette de ses rêves ; carKlee était fiancé. Gênes l’impressionna d’unefaçon dramatique, tandis que Rome, plusépique, ne l’influença que graduellement. Maisce fut l’art byzantin qui le secoua le plus aupremier contact. Plus tard, à Naples, à Portod’Anzio et à Florence, d’autres visions le préoc-cupèrent d’une manière plus intense.

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C’est ainsi que la quatrième année d’étudesprit son cours. L’Italie devint pour lui une leçond’histoire pleine de vie, et sa qualité d’épigonese révéla à lui piteusement. Il tâcha de com-battre son pessimisme en s’ironisant lui-même.

C’est dans cet état d’âme qu’il débuta parces gravures si satiriques des années1903-1906. Il vivait alors tranquillement dansla maison de ses parents, à Berne, n’interrom-pant que de temps à autre la monotonie de ceséjour par de brefs voyages à Paris, à Munichet à Berlin. La « Münchner Sezession » expo-sa pour la première fois des gravures de Klee.Dans ce même été 1906, Klee se maria et allas’établir définitivement à Munich.

Ce qu’il avait appris à Paris et à Berlin lerendit mécontent du style austère de ses pre-mières œuvres et le poussa à une certaine dé-tente qui se manifesta dans ses peinturescontre verre (fixés). C’est ainsi qu’il essaya del’impressionnisme, d’ailleurs sans trouver desolution satisfaisante. À côté des études

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d’après nature, il donnait libre cours à sa fan-taisie. Ernst Sonderegger attira son attentionsur les œuvres de James Ensor. Ses peinturesl’impressionnèrent profondément et le pous-sèrent à se chercher lui-même. Il continuaitnéanmoins ses études d’après nature, et il nel’a jamais regretté.

L’année 1908 lui fit connaître l’œuvre devan Gogh. 1909 amena la grande expositionde Marées. En plus, Cézanne entra dans sonhorizon. Sans doute van Gogh l’impressionnadavantage : mais il y dépista le côté patho-logique, tandis que Cézanne s’imposait à luicomme inspirateur.

En 1910, Klee fit une exposition ambulanteen Suisse.

En 1911, W. Michel arrangea la premièreexposition collective chez Thannhauser. Là,Klee vit les toiles de Matisse qui le remuèrentd’une façon étrange. De plus, il entra en rela-tions avec Auguste Macke, Kandinsky et Franz

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Marc, Kandinsky l’introduisit dans le cercle du« Blaue Reiter ». C’est l’année des illustrationsde « Candide ».

En 1912, l’action révolutionnaire des Picas-so, des Rousseau et d’autres, l’attira à Paris.

En rapport constant avec les artistesd’avant-garde en Allemagne et en France, Kleeaffermissait ses tendances personnelles et finitpar acquérir une harmonie de la vision. Ma-tisse surtout l’aida à découvrir sa propre quali-té de coloriste. C’est à lui qu’il dut la compré-hension des principes essentiels de la peinturemoderne. Pour les mettre en pratique, il luifallut des sujets qu’il espérait rencontrer dansla nature africaine. Accompagné de Macke, ilpartit pour la Tunisie en 1914. Il y trouva savoie. Le moment était bien choisi : le voyageétait préparé par ses relations avec Kandinskyet Marc. Déjà auparavant, il avait eu de petitssuccès. La société artistique du « Sturm » deBerlin et les marchands de tableaux de Munich(Thannhauser et Goltz) s’occupèrent de lui.

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L’année 1915 fut des plus productives en aqua-relles. Ce n’est qu’en 1916 que la guerre inter-rompit cette vie studieuse et calme. En 1919, ilredonna libre cours à son désir ardent de tra-vail. C’est surtout la formule de sa petite pein-ture à l’huile qui se précisa à cette époque.

En 1920, il est nommé professeur au « Bau-haus » à Weimar. (Depuis 1926, le « Bauhaus »se trouve à Dessau).

Le grand succès lui tomba du ciel commeun fruit mûr. Il s’en réjouit dans le calme desa solitude riche de travail, rêvant, produisant,jouant du violon.

En 1922, grande exposition des œuvres deKlee à la « Nationalgalerie » de Berlin ; en 1928et 1929, aux galeries Flechtheim à Berlin et àDüsseldorf ; en 1929, chez Georges Bernheimet Cie, rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris, etau « Centaure », à Bruxelles ; en mars 1930, au« Museum of Modern Art », à New-York.

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Aujourd’hui, on trouve des toiles de Klee àla Nationalgalerie de Berlin et aux musées deBarmen, de Dresde, de Düsseldorf, de Franc-fort, de Mannheim et de Weimar ; ses aqua-relles dans presque tous les musées d’Alle-magne, au Détroit Art Institute et au Kunsthausde Zurich.

Des toiles de Klee se trouvent dans des col-lections particulières à Berlin, chez M. Flech-theim et le baron Simolin, à Barmen, chezM. Rudolf Ibach ; à Brunswick, chez M. Ralfs ;à Créfeld, chez M. Herman Lange et le Dr Rae-misch ; à Cologne, chez MM. Alfred Tietz etWerner Vohwinkel ; à Dresde, chez Mme Bie-nert ; à Düsseldorf chez le Dr Cohen, conser-vateur du Musée, et M. Alex Voemal, à Gœde-borg (Suède), chez Gabrielsoi ; à Berne, chezMme Buergi-Bigler ; à Zurich, chez M. Streiff ;à New-York, chez M. Gallatin (Musée d’Art vi-vant) et Ernest Hemingway ; à Détroit, chezM. Valentiner, le directeur du Musée ; à Paris,chez MM. Georges Bernheim, Paul Éluard, Al-

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phonse Kann, G. Meunier, Marcel Monteux,Kurt Mettler et le vicomte de Noailles ; à Ver-sailles, chez la princesse Bassiano.

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À TABLE – Company – Tischgesellschaft – 1907

BATEAUX À VOILE – Sail-Boats – Segelboote –1916

LE PAYSAGE À LA LETTRE R – Landscapewith the lettre R – Landschaft mit R – 1919

PAYSAGE AUX OISEAUX BLEUS – Landscapewith blue birds – Landschaft mit blauen Vö-

geln – 1019

LE BOURGEON – The Bud – Die Knospe – 1920

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LA VILLE FROIDE – The Cold City – Die KalteStadt – 1921

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DAME AU VOILE – Lady with a vail – Dame imSchleir – 1022

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LA MACHINE À GAZOUILLER – The twitte-ring-machine – Die Zwifchermaschine – 1922

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DANS LA PRAIRIE – In the Meadow – Auf desWiese – 1923

AUTOUR DU POISSON – Around the Fish –Um den Fisch – 1925

PETIT PAYSAGE DE DUNES – Little landscapewith dunes – Kleine Ovenenlandschaft – 1926

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L’OISEAU – The bird –Der Vogel PEP– 1026

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JARDIN DE COUVENT – The cloister garden –Klostergarten – 1926

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CANTATRICE DE L’OPÉRA-COMIQUE – Thesoprano of the Opéra-Comique – Sängerin der

Komischen Oper – 1927

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L’ESPRIT QUI BOIT ET JOUE – The Spirit thatdrinks and gambles – Geist bei Wein une Spiel

– 1927

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LE FOU DE L’ABÎME – The Fool of the depths– Narr der Tiefe – 1927

ENTRÉE DU PORT DE P. F. – Entrance of theport of P. F. – Hafeneinfahrt von P. F. – 1927

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LES LIMITES DE LA RAISON – The limits ofReason – Grenzen des Verstandes – 1927

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VAPEUR QUI PÊCHE – The Fishing-boat – Fi-schdampfer – 1928

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EN PASSANT DEVANT LE PALAIS – Passingthe palace – Palast vorbei – 1928

FOU EN TRANSE – Fool in the Trance – Narrin Trance – 1928

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BATEAUX À VOILES DANS LE PORT – Sail-Boats in the port – Segelschiffe im Hafen –

1928

BATEAUX SENSIBLES – Sensitive boats – Sen-sible Schiffe – 1928

LE CHAT ET L’OISEAU – The cat and the bird– Katze und Vogel – 1928

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ROUTES PRINCIPALES ET ROUTES LATÉ-

RALES – The main road and the byeroard –Hauptweg und Nebenwege – 1928

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FILLE PAVOISÉE – Girl with Flags – BeflaggtesMädchen – 1928

LES ENNEMIS – The Enemies – Abgeneigte –1928

MAISONS DANS LE VERT – Houses in theopen – Häuser im Grünen – 1928

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COLLINE DE CHÂTEAU – The castle on the hill– Burgügel – 1929

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L’ÉRECTION DU MONUMENT – The buildingof the monument – Monument in Arbeit – 1929

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LE CLOWN – The clown – Des Clown – 1029

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LE CAVALIER ERRANT – The lost rider – Vers-prengter Reiter – 1929

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VILLAGE ÉGYPTIEN – Egyptian village – Ae-gyptisches Dorf – 1929

APPENDICE

Merci Paul Klee. Danke Paul Klee(1)

Paul Klee, Éditions de la Galerie Alfred Fleich-theim, mars 1928, p. 7-101(2).

Le plus brave des hommes, comment ose-rait-il regarder droit dans les yeux un hippo-campe, point d’interrogation à tête de chevalmonté vertical des profondeurs à la surface denos rêves ?

Des gouffres les plus mystérieux, Paul Kleea libéré un essaim de petits poux lyriques. Unsimple cheveu devient pont entre ciel et terre,et parce que, dans n’importe quelle goutted’eau, le peintre est apte à saisir le miracle sin-

cère des couleurs, nous méprisons les chutesdu Niagara, les montagnes à sommets de 4 810mètres et tous les animaux à réputations tropbien établies, même s’ils passent pour féroces,comme les lions, ces commis voyageurs du dé-sert, à cravate La Vallière.

Paul Klee : je me rappelle un sale novembrede Paris, plus triste qu’un parc de ville d’eau,après la saison. Mais, belle vengeance, rue Va-vin, à Montparnasse, c’était une expositionPaul Klee.

Alors, ce jour-là, quoique la pluie et lapierre furent d’inexorables limites à notre uni-vers, j’ai fait connaissance avec des animauxd’âme, oiseaux d’intelligence, poissons decœur, plantes de songe.

Minuscules créatures aux yeux illimités,algues libres de tout roc, bonjour à vous, mercià vous, êtres, végétaux, choses que ne sou-tiennent pas le sol habituel et qui, pourtant,vous affirmez plus stables, plus réels dans

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votre impondérable surréalité, que nos mai-sons, nos becs de gaz, nos cafés et la viande denos amours quotidiens.

En hommage à un autre décrocheurd’étoiles, Léon-Paul Fargue, vous avez eu rai-son Paul Klee, de dédier une échelle rouge per-due en plein éther tourterelle. Mais, puisquela maison où habitent les poissons s’appelleaquarium, celle où vos toiles s’ouvrent, en fe-nêtre, sur un miracle subtil mais indéniable,cette maison-là, je la baptiserai : Cielarium.

Avant même la merveilleuse histoire natu-relle de Max Ernst, grâce à vous, déjà, uneflore et une faune surréaliste nous vengeaientdes gazelles aux yeux trop bien peints, des hor-tensias hydrocéphales et autres littératures denos jardins caducs.

Avec trois grains de sable, vous avez prou-vé que les gratte-ciels de New York, les Gale-ries Lafayette de Paris, la mégalomanie noc-tambule de Berlin, les enseignes lumineuses de

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Londres ne sont rien pour les yeux de l’esprit,rien pour les oreilles de l’imagination.

Paul Klee, ici, aujourd’hui, c’est Berlin, le14 février 1928. J’habite près du Zoo. Il neige,il fait froid. Pourtant, je n’irai pas à l’aquarium,où, l’hiver, si doucement consolante est la fé-tide chaleur à la gloire des tortues géantes etdes poissons tropicaux. Je pense à votre Ciela-rium.

Alors, je n’ai qu’à fermer les yeux, commeau temps de l’enfance, vous vous rappelez,lorsqu’on découvre que le noir c’est un men-songe, car, sous les paupières hermétiquementcloses, mille astres minuscules, et cependantplus grands que le soleil, s’allument.

Je m’attendris.

Pourquoi pas ?

Je pense à la touchante fraternité despoètes, à votre délicate et puissante magie,Paul Klee, aux poèmes, blanc sur blanc de Paul

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Éluard et surtout à ce vers de Saint-Léger Lé-ger :

« Et le soleil n’est pas nommé, mais sa puissance estparmi nous. »

* * *

Merci Paul Klee.

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a été édité par la

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en janvier 2021.

– Élaboration :

Ont participé à l’élaboration de ce livre nu-mérique : Sylvie, Françoise.

– Sources :

Ce livre numérique est réalisé principale-ment d’après : Klee par René Crevel, Peintre al-

lemands, Paris, Gallimard (nrf), s.d. [1930], ain-si que, pour l’Appendice : Paul Klee, Merci PaulKlee. Danke Paul Klee, Éditions de la Galerie Al-fred Fleichtheim, mars 1928, p. 7-101. D’autreséditions ont pu être consultées en vue de l’éta-blissement du présent texte. L’illustration depremière page reprend un autoportrait de PaulKlee de 1909, gouache sur carton (Collectionprivée).

– Dispositions :

Ce livre numérique – basé sur un texte librede droit – est à votre disposition. Vous pouvezl’utiliser librement, sans le modifier, mais vousne pouvez en utiliser la partie d’édition spéci-fique (notes de la BNR, présentation éditeur,photos et maquettes, etc.) à des fins commer-ciales et professionnelles sans l’autorisation dela Bibliothèque numérique romande. Mercid’en indiquer la source en cas de reproduction.Tout lien vers notre site est bienvenu…

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– Qualité :

1 Cet appendice ne fait pas partie de l’éditionde référence citée. (BNR.)

2 Le texte de René Crevel, publié simultané-ment en français et en allemand (traduit par TheaSternheim), est précédé d’un portrait photogra-phique de Paul Klee et d’une introduction de AlfredFlechtheim dans laquelle le galeriste inscrit l’artistedans la constellation surréaliste, au côté de MaxErnst et Giorgio De Chirico.

Table des matières

BIBLIOGRAPHIEPAUL KLEEBIOGRAPHIE DE KLEE* * *APPENDICE Merci Paul Klee. DankePaul Klee (1)Ce livre numérique