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Écritssur le théâtre

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Roland Barthes

Écritssur le théâtre

Textes réunis et présentéspar Jean-Loup Rivière

Éditions du Seuil

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Un premier recueil de textes sur le théâtre de Roland Barthes, choisis et présentés par Jean-Loup Rivière,

a été publié en langue allemande(traduction de Dieter Hornig),

sous le titre Ich habe das Theater immer sehr geliebt,und dennoch gehe ich fast nie mehr hin,par Alexander Verlag (Berlin), en 2001.

ISBN 978-2-02-124215-7

© Éditions du Seuil pour les textes extraits de Mythologies (1957),Essais critiques (1964), L’Obvie et l’Obtus (1982),

Le Bruissement de la langue (1984),Œuvres complètes, tome 1 (1993).

© Éditions du Seuil, novembre 2002, pour la préface,les notes et la composition du volume.

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédéque ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefa-çon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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Préface

Au cours des années 1950, Roland Barthes écrit plus dequatre-vingts articles sur le théâtre dans des périodiquescomme les Lettres nouvelles, France-Observateur, et surtoutThéâtre populaire. C’est l’époque du Degré zéro de l’écriture(1953), du Michelet (1954), des «Mythologies» publiées dansles Lettres nouvelles, et réunies partiellement en 1957. Au seuild’une œuvre qui se caractérise par la multiplicité de ses objetsd’étude et la cohérence de son cheminement, le théâtre occupeune place prépondérante. Dans les années qui suivent, RolandBarthes ne fréquente plus les salles de spectacle, n’écrit quasi-ment plus sur le théâtre, même s’il déclare plus tard qu’il est,« peut-être », au cœur de son œuvre, et qu’il réapparaît dansson dernier livre, La Chambre claire (1980). On peut donc liredans cet ensemble les fondements d’une pensée en cours d’éla-boration, un témoignage sur une période très importante duthéâtre français, et une profonde méditation sur l’art du théâtremême.

Le théâtre dans les années 50

Jeune spectateur, Roland Barthes a fréquenté les théâtresdu Cartel, association qui réunissait quatre grands metteursen scène de l’entre-deux-guerres, Baty, Jouvet, Pitoëff etDullin1. Quand il se met à écrire, le moment théâtral est très

1. Voir page 19.

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important. En effet, le grand mouvement esthétique qui a transformé l’art du théâtre dans la première moitié duXXe siècle, et qui a touché surtout la Russie, l’Allemagne et laFrance, va se joindre à l’issue de la guerre à une conceptionpolitique du théâtre qui, même si elle avait animé plusieurs desgrands pionniers de l’art de la mise en scène en Europe, n’avaitpas encore trouvé véritablement ou durablement des relais insti-tutionnels : le théâtre populaire, ou, comme le nommait Stani-slavski à la fin du XIXe siècle, un théâtre d’art « accessible àtous ». Après la Seconde Guerre mondiale, les États vont sesoucier de refonder, ouvrir ou réformer de grandes institutionsthéâtrales. En France, où la vie théâtrale était quasimentconcentrée à Paris, des «centres dramatiques» sont installés enprovince en 1946, le festival d’Avignon est créé en 1947, leThéâtre national populaire en 1951 ; en 1947, sont créés le fes-tival d’Édimbourg en Angleterre, le Piccolo Teatro en Italie, etl’Actor’s Studio à New York ; en 1949, le Berliner Ensembleen RDA, etc. Décentralisation, création de théâtres nationauxet de grands festivals, le paysage théâtral qui se forme à cetteépoque est encore, dans ses grands traits, celui dans lequelnous vivons, quels qu’aient été les évolutions esthétiques, lestransformations institutionnelles, ou le renouvellement deséquipes1.

Dans ces années-là, un acteur essentiel de la vie théâtraleest la revue Théâtre populaire dont Roland Barthes est un desfondateurs, et qui est devenue, comme le dit son historienMarco Consolini, une revue « mythique » 2. Ses animateurssoutiennent au début l’aventure de Jean Vilar et l’ambitiond’un théâtre qui soit à la fois destiné au plus grand nombre etd’une haute exigence artistique. Dans les textes de ce recueil,l’idée d’un théâtre qui soit à la fois d’« avant-garde » et« populaire » est constante, et elle explique pourquoi l’esthé-tique du théâtre qui s’y formule pas à pas n’est jamais dis-

Écrits sur le théâtre8

1. Sur ce sujet, voir les quatre volumes dirigés par Robert Abirached, LaDécentralisation théâtrale, Actes Sud-Papiers, 1992-1995.

2. Marco Consolini, Théâtre populaire, 1953-1964, histoire d’une revueengagée, Éd. de l’IMEC, 1998. Dirigée par Robert Voisin, la revue est ani-mée par Roland Barthes, Guy Dumur et Morvan Lebesque, rejoints plus tardpar, notamment, Bernard Dort et Jean Duvignaud.

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jointe d’une « sociologie» : le théâtre est perçu en son entier,une scène et une salle, un acteur et un spectateur.

Il est difficile d’imaginer aujour d’hui, où se distinguent difficilement inventions authentiques, facilités mercantiles etacadémismes à la page, cette époque de combats, quelquefoistrès violents, qui opposaient deux conceptions du théâtre, etcela d’autant plus que les combats artistiques étaient toujourségalement des combats politiques. Théâtre populaire et Roland Barthes, qui signe plusieurs de ses éditoriaux, ontnotamment pris position pour Jean Vilar, pour quelques-uns desjeunes auteurs d’«avant-garde» comme Adamov ou Beckett, etcontre la Comédie-Française qui représente à leurs yeux le plusvétuste des conformismes. À partir de 1954, ils vont prendrequelques distances avec le TNP, à la suite, notamment, de ladécouverte de Brecht lors de la tournée du Berliner Ensembleavec Mère Courage et ses enfants qui, « dans l’histoire deThéâtre populaire, n’a jamais cessé d’être le spectacle le plusimportant, un point d’ancrage, un épisode théâtral inépuisable,un objet de réflexion sans fin1 ».

L’intérêt des textes ici réunis n’est pas, ou pas seulement, detémoigner d’une époque révolue, mais de raviver une concep-tion « combative » du théâtre dont nous sommes les héritierssouvent somnolents ou amnésiques, de donner à lire les prin-cipes et les formes d’une clairvoyance critique, et de rappelerque la fonction du théâtre est de prendre sa part dans le grandcommentaire de la société.

Un corpus problématique

Ce livre a été imaginé à la fin des années 70. Étudiant dansle cadre du séminaire de Roland Barthes à l’École pratiquedes hautes études, animateur d’un Groupe de recherches théâ-trales qui produisait des spectacles et publiait une revue,L’Autre Scène, j’avais été frappé par la cohérence et la force

Préface 9

1. Ibid., p. 43.

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intervenante des textes de Roland Barthes sur le théâtre, etqui étaient alors dispersés et oubliés dans les journaux etrevues de leur première publication. Écrits vingt ans aupara-vant, contemporains et accompagnateurs de la premièredécentralisation, liés idéologiquement au mouvement duthéâtre populaire, ils conservaient pourtant une force encorefraîche dans la France d’après-Mai 1968, dans la France post-gaullienne, à l’époque d’un mouvement artistique où le théâtre sortait des théâtres, où se répandaient les leçons de Grotowski, les expériences du Living Theater, etc. Ilsm’appa raissaient comme autre chose qu’un témoignage surl’époque ou sur l’évolution intellectuelle de Roland Barthes.Faire un livre avec ces textes était donc un moyen de mani-fester leur unité, et de remettre en mouvement leur efficacitéoffensive. Un autre point m’intriguait, c’est que l’auteur étaitvivant et que le corpus était clos : Roland Barthes avait beau-coup écrit sur le théâtre, avait vu beaucoup de spectacles,avait participé à la vie théâtrale, et, depuis le début desannées 60, c’était fini : il n’allait plus au théâtre qui n’étaitplus désormais un objet d’écriture. J’imaginais trouver dansla réunion de ces textes une réponse à cette énigme. Qu’est-ce qu’une passion qui cesse et qui, cependant, se poursuit ?En effet, malgré ce départ, le théâtre était resté central. En1975, dans Roland Barthes par Roland Barthes, il écrit : « Aucarrefour de toute l’œuvre, peut-être le Théâtre1 ». Quel peutêtre cet objet qui survit à sa disparition ? Il y avait là unequestion qui déborde infiniment le théâtre : cet ensemble detextes était le rébus à déchiffrer d’une expérience humaine.J’avais donc proposé à Roland Barthes de confectionner lerecueil. Il avait accepté avec sa gentillesse coutumière, et uneréserve dubitative : il était sensible à l’intérêt qu’un jeuneétudiant pouvait porter à ces textes anciens, mais il n’avaitpas très envie d’y revenir. Il les voyait enfermés dans leurépoque, il avait du mal à imaginer qu’ils pouvaient avoir uneforce neuve pour un lecteur d’une génération ultérieure. Unéchange de correspondance avec Robert Voisin, le directeur

Écrits sur le théâtre10

1. Roland Barthes par Roland Barthes, Éd. du Seuil, 1975, p.179 ; Œuvrescomplètes, tome IV, Éd. du Seuil, 2002, p. 749.

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de la revue Théâtre populaire, confirme cette ambivalence :un étudiant m’a proposé de faire un recueil, lui écrivaitBarthes, « je le laisse faire », à quoi Voisin répond : « Il a rai-son, ces textes sont plus actuels que ce qui s’écrit aujour-d’hui.» Barthes avait du mal à imaginer que ce qui étaitancien ou daté à ses yeux puisse apparaître encore vif. Cetteambivalence s’est manifestée pendant la préparation durecueil. Comme il n’était pas question de publier tous lestextes sur le théâtre, leur volume étant trop important, il fal-lait faire un choix. Je lui avais soumis une première sélectionqu’il avait revue. J’avais quelquefois du mal à comprendrepourquoi il éliminait des textes qui me semblaient très impor-tants. Certaines réticences étaient plus faciles à saisir : ellesétaient idéologiques parfois, stylistiques souvent. Idéo -logiques quand les textes lui semblaient trop directementréférés au sartrisme et au marxisme de sa formation intel -lectuelle, stylistiques par la récurrence d’un lexique qu’ilavait abandonné. C’était surtout ce qu’il y avait de « militant »dans ces textes qui lui était insupportable. Dans les fichesqu’il me donnait, et où il notait ses réflexions, ce trait revientsouvent : « Référence obsessionnelle à la bourgeoisie » ;« Trop moral, justicier » ; « C’est tout ce que je hais : mili-tant » ; « Les Riches, l’Argent [où avais-je pris ça ?]». Un cer-tain nombre de remarques concerne la « date » des textes :« Document indirect sur l’époque », « Ça parle trop de Vilar,dont on ne sait plus rien » ; « Fait que tout texte est tellementdaté…/insoutenable/– non republiable, si l’on prétend aumonument ». Le Barthes de la maturité a du mal à supporterle jeune Barthes : « Sans aucune thématique personnelle/Rhé-torique et passionnel », « Ce n’est pas sympathique, c’est làle problème ».

Au moment où il relit ses textes anciens, il est en traind’écrire La Chambre claire, un livre sur la photographie oùse retrouvent à la fois les conséquences les plus aiguës desréflexions anciennes sur le théâtre, et le cours plus récent dela méditation autobiographique. Le vieux style lui est insup-portable, il le tire en arrière alors qu’un livre, nouveau à touségards, est en cours d’écriture. Il est donc convenu entre nousd’attendre la sortie de ce nouveau livre pour faire un choix

Préface 11

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définitif. Ses hésitations ont peut-être aussi une autre expli-cation : le livre sur la photographie est une réflexion surla mort, et le recueil des articles anciens était, en tant que« recueil », comme une sorte de livre posthume, un livre demort. Or, un livre sur la mort est un livre de vivant, il ne peutêtre qu’anthume. Les deux projets étaient donc difficilementcompatibles, ce qui ne put apparaître explicitement qu’à la lec-ture de La Chambre claire, livre paru en janvier 1980. Enfévrier de la même année, Roland Barthes est renversé par un véhicule à la sortie du Collège de France, et il meurt le26 mars 1980. Le projet de publication des Écrits sur le théâtreest suspendu, son éditeur jugeant que les réticences de Barthesinterdisent de publier le livre.

Jusqu’à l’éblouissement

Ce livre est donc deux fois ancien : le projet de réunir lestextes a vingt ans, et ils en ont maintenant plus de quarante. Or,à les relire en préparant ce recueil, j’y trouve un tranchant inen-tamé et de quoi penser ce qui fonde et nourrit le rapport authéâtre de tout spectateur, acteur, metteur en scène ou dramaturge d’aujourd’hui. Le théâtre a changé depuis lesannées 50, mais lire telle critique d’un grand spectacle de Vilarque nous n’avons pas vu, c’est beaucoup plus que d’enrecueillir une trace, c’est aussi en déduire des critères qui forment et transforment notre jugement et notre goût. C’est uneexpérience analogue à la lecture des Salons de Diderot ou deBaudelaire, ou des critiques littéraires de Lessing ou WalterBenjamin.

Indépendamment de ce que chaque texte peut apporter de singulier, il y a aussi une signification plus générale durecueil. Elle est liée à l’énigme que je signalais plus haut : leretrait. Que peut nous apprendre sur le théâtre lui-même cegeste d’abandon, d’exil volontaire ? « J’ai toujours beaucoupaimé le théâtre et pourtant je n’y vais presque plus. C’est là unrevirement qui m’intrigue moi-même», écrit Barthes dans un

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texte de 1965, «Témoignage sur le théâtre» 1. La réponse qu’ilapporte est très circonstancielle : après « l’éblouissement brech-tien», le théâtre n’avait plus ni goût, ni force. Cette explicationest reprise par Bernard Dort qui voit dans la défection de soncompagnon des combats de Théâtre populaire une conséquencede l’inadéquation entre un théâtre rêvé – un théâtre utopiqueque les mises en scène de Brecht avaient un moment appro-ché –, et le théâtre réel. Il propose également une autre hypo-thèse qu’il se garde pudiquement d’approfondir : «Peut-être lerêve ultime de Barthes était-il d’expulser l’acteur du théâtre :son corps exposé le fascine trop pour ne pas le gêner et ne paslui faire éprouver “un mixte d’éblouissement et de nausée”2.»Et Dort lie cette ambivalence à la propre expérience d’acteur deBarthes, alors que, jeune étudiant et membre du Groupe dethéâtre antique de la Sorbonne, il interprétait Darios dans LesPerses d’Eschyle. Dort voit dans cette expérience, dont le seulet bref récit témoigne d’un malaise3, une sorte de «scène pri-mitive».

Une autre interprétation de ce « revirement » a été donnéepar Jean-Pierre Sarrazac4. Elle suit la logique interne del’œuvre pour montrer que le concept central de théâtralitén’avait plus besoin du théâtre réel, après que l’étude de spec-tacles, notamment ceux de Brecht, lui a conféré ses vertus et sa force opératoire propres. Sarrazac suppose également quel’émergence progressive du sujet autobiographique dansl’œuvre de Barthes, qui passe d’une pensée de l’histoire, de la politique et du symbolique à un travail sur la mémoire, lasubjectivité et l’imaginaire, représente un passage de l’épique– et donc du « théâtral» – au romanesque. L’œuvre serait ainsidominée au début par la figure de Brecht, et ensuite par cellede Proust.

Une autre explication est suggérée par Philippe Roger qui

Préface 13

1. Voir dans ce volume, p. 19.2. Bernard Dort, « Barthes : le corps du théâtre », Art Press, n° 184,

octobre 1993, repris dans Le Spectateur en dialogue, P.O.L, 1995, p. 143.3. Roland Barthes par Roland Barthes, Éd. du Seuil, 1975, p.37, Œuvres

complètes, tome IV, Éd. du Seuil, 2002, p.613.4. Jean-Pierre Sarrazac, «Le retour au théâtre», dans Parcours de Barthes,

Communications, n° 63, Éd. du Seuil, 1996, p. 11 à 23.

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remarque que « Tragédie et hauteur1 », dernière des « Mytho -logies » publiées dans les Lettres nouvelles, est une chargecontre la politique culturelle de Malraux : « Elle périme toutson rêve de théâtre civique en confisquant la “mission” qu’ilassignait au théâtre2.» L’éloignement de Barthes viendrait del’inadéquation entre le théâtre qu’il espère et celui que prometla toute neuve République gaullienne. Qui voudrait faire l’ar-chéologie de l’idée d’« État culturel » devrait se référer à cetexte, même s’il est douteux que Barthes en eût fait usage ulté-rieurement.

À ces interprétations, d’ordre psychologique, biographiqueet intellectuel, politique, on pourrait ajouter celle-ci : n’yaurait-il pas dans le théâtre en tant que tel quelque chose quidéterminerait son abandon ? Dans un des très beaux textes dece recueil, intitulé « Avignon, l’hiver3 », Barthes médite sur lacour d’honneur du palais des Papes – cœur du festival d’Avi-gnon – alors qu’elle est vide, désertée par le théâtre qui la faitvivre en été : « C’est un lieu simple, froid, naturel, disponibleau point que l’homme pouvait enfin y installer le travail del’homme, et le surgissement du spectacle hors d’une matièresans voix et sans complicité. Ce lieu exigeait que l’on traitâtl’homme, non comme un enfant attardé à qui l’on mâche sanourriture, mais comme un adulte à qui l’on donne le spec-tacle à faire4.» Barthes a toujours aimé les dramaturgies del’ implication, celles qui inscrivent dans leur esthétique laplace d’un spectateur actif, « responsable » comme il le dit souvent. Cette exigence trouve ici sa formule dansl’opposition enfant/adulte, que l’on retrouve d’ailleurs dansde nombreux textes. Mais que veut dire ce mot, « adulte » ?On peut en trouver une notion dans un texte qui s’intituleprécisément « Godot adulte » : « Godot atteint maintenant cet état d’évidence, où il est nécessaire que le théâtre soit,sinon déclamé, du moins proclamé, jeté au public comme un langage solennel (ce qui ne l’empêche nullement d’être

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1. Voir dans ce volume, p. 238.2. Philippe Roger, « Barthes dans les années Marx », dans Parcours de

Barthes, Communications, n° 63, Éd. du Seuil, 1996, p. 61.3. Voir dans ce volume, p. 68.4. Voir dans ce volume, p. 71.

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familier). Voyez toute la fin : c’est une fin hardiment philo -sophique, qui engage sans tricher le spectateur dans le déchire-ment de la connaissance : “Quand ? Quand ? Un jour, ça nevous suffit pas, un jour pareil aux autres il est devenu muet, unjour je suis devenu aveugle, un jour nous deviendrons sourds,un jour nous sommes nés, un jour nous mourrons, le mêmejour, le même instant, ça ne vous suffit pas ?… Elles accou-chent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puisc’est la nuit à nouveau.” C’est le ton même du monologue sha-kespearien, et les acteurs le savent : ils ont senti que les publicsde plus en plus larges réclamaient une méditation de plus enplus ouverte. Godot s’est élargi, fortifié, Godot est devenuadulte1.»

Qu’est-ce donc qu’être adulte? Ce serait avoir pris cons ciencede notre mortalité, avoir appris à ne vivre ni dans le déni – jefais comme si j’étais immortel –, ni dans la terreur d’une anni-hilation imminente. Le théâtre est une expérience philosophiqueoù la vie reste vivante dans le moment même où elle laisseapparaître sa trame négative. Et elle est sans doute d’autant plusvivante qu’elle fait place à la mort. Être adulte serait donc lacapacité d’éprouver et de reconnaître la portée de cette expé-rience. Le théâtre aurait alors une fonction initiatique, et, unefois sa leçon tirée, on pourrait s’en éloigner. Ainsi se comprendmieux ce qui apparaissait comme un paradoxe : «Au carrefourde toute l’œuvre, peut-être le Théâtre». Si le théâtre est encorelà quand le théâtre a été abandonné, c’est parce que sa portéephilosophique a donné consistance au fait d’être «adulte», etque c’est pour la vie. Le théâtre est un maître qui se quitte, maisqui ne s’oublie pas.

La persistance du théâtre et son lien à l’expérience de la mor-talité apparaissent explicitement dans le dernier livre deBarthes : «Ce n’est pourtant pas (me semble-t-il) par la Pein-ture que la Photographie touche à l’art, c’est par le Théâtre.[…] Si la Photo me paraît plus proche du Théâtre, c’est à tra-vers un relais singulier (peut-être suis-je seul à le voir) : laMort. On connaît le rapport originel du théâtre et du culte desMorts : les premiers acteurs se détachaient de la communauté

Préface 15

1. Voir dans ce volume, p. 88-89.

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en jouant le rôle des Morts : se grimer, c’était se désignercomme un corps à la fois vivant et mort : buste blanchi duthéâtre totémique, homme au visage peint du théâtre chinois,maquillage à base de pâte de riz du Katha Kali indien, masquedu Nô japonais. Or c’est ce même rapport que je trouve dansla Photo ; si vivante qu’on s’efforce de la concevoir (et cetterage à “faire vivant” ne peut être que la dénégation mythiqued’un malaise de mort). La Photo est comme un théâtre primi-tif, comme un Tableau Vivant, la figuration de la face immo-bile et fardée sous laquelle nous voyons les morts1.» Cetteclef, ultimement forgée, avait déjà été esquissée : les derniersgrands textes sur le théâtre sont des commentaires de photo-graphies2. Comme chez tout grand écrivain, les premiers écritssont un programme qui s’ignore. C’est pourquoi, même si lesdifférents textes de ce recueil concernent pour la plupart desspectacles précis, datés, anciens, invisibles à tout jamais, leursujet profond touche à l’essence du théâtre. C’est donc au lec-teur de tirer la leçon qui repose au creux de la circonstance, etde sentir en quoi ces textes ne sont ni « actuels », ni« anciens », mais intempestifs.

Jean-Loup Rivière

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1.La Chambre claire, Éditions de l’Étoile, Gallimard, Éd. du Seuil, 1980,p. 55-56, Œuvres complètes, tome V, Éd. du Seuil, 2002, p.813.

2.Voir dans ce volume, p.249. et p.272 (textes 53 et 56).

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Note sur l’édition

Cette édition comprend soixante-deux des quatre-vingt-qua-torze textes sur le théâtre. Ils sont publiés par ordre chronolo-gique, ordre qui nous a semblé préférable à un regroupementpar genre (critiques de spectacles, éditoriaux, histoire duthéâtre, Brecht…). C’était le souhait de Roland Barthes, quiavait accepté la proposition d’ouvrir le recueil par un texte de1965, «Témoignage sur le théâtre», titré de son incipit : « J’aitoujours beaucoup aimé le théâtre».

Sauf mention contraire, les notes sont de l’éditeur.La quasi-totalité des textes a été revue et corrigée par Roland

Barthes.

Remerciements

Nous remercions les responsables de l’Imec (InstitutMémoires de l’édition contemporaine), dépositaire du fondsBarthes, d’avoir facilité les recherches nécessaires à cetteédition.

Préface 17

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J’ai toujours beaucoup aiméle théâtre…

J’ai toujours beaucoup aimé le théâtre et pourtant je n’yvais presque plus. C’est là un revirement qui m’intrigue moi-même. Que s’est-il passé ? Quand cela s’est-il passé ? Est-cemoi qui ai changé ? ou le théâtre ? Est-ce que je ne l’aimeplus, ou est-ce que je l’aime trop ? Lorsque j’étais adolescent,dès quatorze ans, j’ai fréquenté les théâtres du Cartel. J’allaisrégulièrement aux Mathurins et à l’Atelier voir les spectaclesde Pitoëff et de Dullin (moins souvent Jouvet et Baty); j’ai-mais le répertoire de Pitoëff et j’adorais Dullin comme acteur,parce qu’il n’incarnait pas ses rôles : c’était le rôle qui rejoi-gnait le souffle de Dullin, toujours le même, quoi qu’il jouât.Je retrouvais d’ailleurs la même vertu chez Pitoëff et chezJouvet : c’étaient tous des acteurs de diction, non au senssolennel du mot, mais parce qu’ils parlaient une langueétrange et souveraine (ceci est encore sensible dans les filmsde Jouvet), dont la qualité constitutive n’était ni l’émotion nila vraisemblance, mais seulement une sorte de clarté passion-née ; j’aime les acteurs qui jouent tous leurs rôles de la mêmefaçon, si cette façon est à la fois chaude et claire ; je n’aimepas qu’un acteur se déguise, et c’est peut-être là l’origine demes démêlés avec le théâtre. Je n’ai retrouvé un reflet de cetart dictionnel que chez Jean Vilar.

En 1936, avec quelques camarades de Sorbonne, nousavons fait le Groupe de théâtre antique, nous avons joué LesPerses. L’expérience collective, amicale, dirai-je, a dominéici l’expérience théâtrale, et c’est peut-être pendant cettepériode que j’ai le moins pensé au théâtre. Après des annéesd’éloignement (guerre, maladie, étranger), j’ai repris un

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contact actif avec le théâtre, en participant à la fondation de larevue Théâtre populaire, avec Robert Voisin, Bernard Dort,Guy Dumur, Jean Duvignaud, Morvan Lebesque. Il a été pos-sible, alors, de poser les problèmes en grand, à la fois théori-quement et par une critique régulière des spectacles qui se don-naient en France : économie des salles, composition despublics, dramaturgie, répertoire, art de l’acteur. Tout ceci,prévu dès l’origine de la revue, éclairé d’abord par les pre-mières expériences du TNP, a reçu une illumination subite aumoment où le Berliner Ensemble est venu jouer à Paris. Cetteillumination a été un incendie : il n’est plus rien resté devantmes yeux du théâtre français ; entre le Berliner et les autresthéâtres, je n’ai pas eu conscience d’une différence de degré,mais de nature et presque d’histoire. D’où le caractère, pourmoi, radical de l’expérience. Brecht m’a fait passer le goût detout théâtre imparfait, et c’est, je crois, depuis ce moment-làque je ne vais plus au théâtre.

Ceci paraîtra excessif, peu raisonnable, peu constructif ; iln’est pas bon (du moins on le dit) de se détourner d’une acti-vité sous prétexte qu’elle ne peut être parfaite ; je sais que ceretrait est injuste à l’égard de certains auteurs et de certainestroupes d’aujourd’hui ; mais il faut comprendre aussi que laperfection brechtienne mettait à nu les impossibilités profondesde notre théâtre. Le théâtre brechtien est paradoxalement unthéâtre cher, par le soin inouï des mises en scène, le nombredes répétitions, la sécurité professionnelle des comédiens, sinécessaire à leur art. Ce théâtre est impossible dans une écono-mie privée, sauf à être soutenu par un public immense. Il y aquatre ans, en tout cas, la France n’était pas mûre pour cela.Aucun régisseur francais, si doué, si volontaire fût-il, n’avaitle pouvoir de le récupérer. Brecht, auteur, peut sans doute pas-ser sur nos scènes, son œuvre est assez ambiguë ; mais lebrechtisme est une culture véritable qui a besoin de toute unepolitique derrière elle : on ne peut faire du brechtisme parhasard, à l’arraché. En tant que critique, je n’aurais donc puque ressasser une insatisfaction qui ne s’adressait en fait àaucun spectacle en particulier mais aux structures mêmes denotre dramaturgie.

Il faut donc revenir sur l’éblouissement brechtien, puisque

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Sur la littérature(en collab. avec Maurice Nadeau)

PUG, 1980

All except you(illustré par Saul Steinberg)

Galerie Maeght, Repères, 1983

Carnets du voyage en ChineChristian Bourgois/Imec, 2009

QuestionsAnthologie rassemblée par Persida Asllani

précédée d’un entretien avec Francis MarmandeManucius, 2009

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RÉALISATION : PAO ÉDITIONS DU SEUIL

IMPRESSION : NORMANDIE ROTO IMPRESSION S.A.S., À LONRAI

DÉPÔT LÉGAL : NOVEMBRE 2002. N°56733. (00000)