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DÉVELOPPEMENT DURABLE ÉNERGIES RENOUVELABLES CAHIER THÉMATIQUE H LE DEVOIR, LES SAMEDI 28 FÉVRIER ET DIMANCHE 1 E R MARS 2015 Future Earth : problèmes globaux, solutions globales Page H 4 Développement durable : Québec invité à passer la deuxième vitesse Page H 3 PASCAL GUYOT AGENCE FRANCE-PRESSE CLAUDE LAFLEUR Q ue sera le monde en 2052 ? C’est le défi de répondre à cette question que s’est donné Jør- gen Randers, professeur en stratégie climatique à l’École norvégienne d’enseignement des affaires. Il y a trois ans, il a publié 2052 — A Global Forecast for the Next Forty Years, ou- vrage dans lequel il trace le destin de la planète d’après les tendances économiques, politiques, sociales et écologiques qu’il obser ve. « J’ai 70 ans, commence par dire ce Norvé- gien à la voix chaude. Je m’intéresse au déve- loppement durable depuis 40 ans, ayant été l’un des auteurs du rapport The Limits to Growth, publié en 1972, qui posait pour la première fois la question suivante : l’humanité peut-elle conti- nuer de croître sur une planète aux ressources limitées ? » Jørgen Randers se considère avant tout comme un futurologue, qui recourt à une pano- plie de modèles mathématiques, économiques et sociaux pour analyser les grandes tendances humaines. Il se définit aussi comme un mili- tant : « Je ne suis pas qu’un scientifique, dit-il, car je cherche à changer le monde. » Le monde en 2052 Comme il l’admet lui-même, nos perspectives d’avenir sont plutôt sombres, mais, en même temps, il n’est pas trop tard pour agir, loin de là, clame le professeur Randers. « J’entrevois un monde en stagnation, dit-il. Nous ne serons pas sortis du marasme écono- mique dans lequel l’Europe et l’Amérique se trouvent plongées depuis 10 ou 15 ans. » Selon lui, les pays riches connaîtront une lente croissance économique d’ici 2052, mais le chômage demeurera élevé, les tensions so- ciales seront nombreuses et les inégalités so- ciales continueront de s’accentuer. Et le tout ira de pair avec la détérioration du climat. « Les phénomènes météorologiques deviendront de plus en plus extrêmes, prévoit-il. Il y aura de plus en plus de sécheresses, d’inondations, de feux de forêt, alors que le niveau des océans s’élèvera progressivement. » Le futurologue estime que la population mon- diale atteindra 8,1 milliards de personnes vers 2040 (contre 7,3 milliards actuellement), avant de décroître en raison de l’urbanisation et du manque de ressources. Déjà, nous utilisons les ressources de la planète à un rythme une fois et demie ce qu’elle peut soutenir et nous appro- chons de points de rupture. Citoyens et électeurs… irresponsables Au terme de 40 années de recherche et de militantisme, Jørgen Randers est visiblement frustré. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’on au- rait pu — et qu’on pourrait même encore — re- médier au sort qui nous attend… si seulement on le voulait en tant qu’individu et que société. « Les solutions qu’on pourrait mettre de l’avant sont très bien connues, dit-il, mais elles coûtent quelque chose. » C’est ainsi que chaque fois qu’un gouvernement propose d’augmenter les taxes et impôts pour mettre de l’avant des solu- tions durables, les citoyens électeurs que nous sommes s’y opposent. « Les marchés financiers et les démocraties parlementaires fonctionnent à court terme, dit-il, principalement à cause de la courte vue des ci- toyens. Voilà qui rend peu probable l’éventualité que le libre marché mette en place à temps les so- lutions appropriées et que les gouvernements adoptent les législations nécessaires. » « Ce dont nous aurions besoin, c’est un système de gouvernance qui prendrait davantage à cœur l’intérêt de nos enfants et petits-enfants, plaide ce grand-père, une gouvernance qui penserait donc aux générations futures. » Nous avons donc be- soin de gouvernements forts qui pourraient nous obliger tous à penser et à agir sur le long terme. Comment se préparer au monde de 2052 Comme il ne croit pas que nous prendrons les moyens nécessaires pour atténuer les conséquences du marasme économique et cli- matique qu’on se prépare, Jørgen Randers pro- pose, dans 2052 — A Global Forecast for the Next Forty Years , que chacun d’entre nous s’adapte progressivement au monde de de- main. Ce qu’il préconise, ce sont avant tout des changements de valeurs afin de remédier au fait qu’on surconsomme. Il s’agit en fait de ré- duire notre empreinte écologique tout en adop- tant un mode de vie plus satisfaisant pour nous-mêmes. Le professeur Randers propose donc, au cha- pitre 12 de 2052, une série de mesures que nous pourrions aisément appliquer dès au- jourd’hui afin de vivre en harmonie avec un monde en bouleversement. Comment survivre à 2052 Entrevue avec le futurologue Jørgen Randers ARNAUD STOPA C oncilier des politiques de réduction des gaz à effet de serre (GES), de mobilité durable et de transition énergétique, tout en restant ou- vert à la production d’hydrocarbures : tel est le numéro d’équilibriste auquel se prêtent experts et gouvernement lors des consultations sur la Politique énergétique du Québec 2016-2025 qui se déroulent en ce moment. Le nouveau ministre de l’Énergie et des Res- sources naturelles, Pierre Arcand, a jugé utile de relancer, en novembre dernier, ce processus fondé sur le rapport du gouvernement péquiste de 2013, sans renier la précédente analyse. On souhaite proposer des orientations afin de “décar- boniser” le Québec. Il faut tenir compte des nou- velles réalités : l’arrivée de nouvelles technologies, la diminution du prix du pétrole et la volonté de certains fabricants d’utiliser de l’hydrogène dans les véhicules. » Pourtant, de l’avis de Philippe Bourke, direc- teur général du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement (RNCREQ), les objectifs ne sont pas si clairs. « Il manque une quatrième journée pour savoir quelle vision on se donne. Où se voit-on en 2025 ? Veut-on plus d’autonomie ? Quelle sera la diminution de l’intensité de l’utilisation des éner- gies ? Il faut se donner une politique énergétique comme un vecteur de développement durable, c’est fondamental. Il y avait une vision en 2013, elle est moins présente aujourd’hui. » Le Québec fait pourtant bonne figure dans la lutte contre le réchauffement climatique, puisqu’il a déjà atteint ses objectifs à 90 % en matière d’efficacité électrique, à 100 % dans sa POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE Pétrole, quand tu nous tiens VOIR PAGE H 3 : SURVIVRE VOIR PAGE H 2 : PÉTROLE JØRGEN RANDERS AKADEMIKERNE Jørgen Randers propose avant tout un changement de valeurs.

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DÉVELOPPEMENT DURABLEÉNERGIES RENOUVELABLES

C A H I E R T H É M A T I Q U E H › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 8 F É V R I E R E T D I M A N C H E 1 E R M A R S 2 0 1 5

Future Earth :problèmes globaux,solutions globalesPage H 4

Développementdurable : Québecinvité à passer la deuxième vitessePage H 3

PASCAL GUYOT AGENCE FRANCE-PRESSE

C L A U D E L A F L E U R

Que sera le monde en 2052 ?C’est le défi de répondre à cettequestion que s’est donné Jør-gen Randers, professeur enstratégie climatique à l’Écolenor végienne d’enseignement

des affaires. Il y a trois ans, il a publié 2052 —A Global Forecast for the Next Forty Years, ou-vrage dans lequel il trace le destin de la planèted’après les tendances économiques, politiques,sociales et écologiques qu’il observe.

« J’ai 70 ans, commence par dire ce Norvé-gien à la voix chaude. Je m’intéresse au déve-loppement durable depuis 40 ans, ayant été l’undes auteurs du rapport The Limits to Growth,publié en 1972, qui posait pour la première foisla question suivante : l’humanité peut-elle conti-nuer de croître sur une planète aux ressourceslimitées ? »

Jørgen Randers se considère avant toutcomme un futurologue, qui recourt à une pano-plie de modèles mathématiques, économiqueset sociaux pour analyser les grandes tendanceshumaines. Il se définit aussi comme un mili-tant : « Je ne suis pas qu’un scientifique, dit-il, carje cherche à changer le monde. »

Le monde en 2052Comme il l’admet lui-même, nos perspectives

d’avenir sont plutôt sombres, mais, en mêmetemps, il n’est pas trop tard pour agir, loin de là,clame le professeur Randers.

« J’entrevois un monde en stagnation, dit-il.Nous ne serons pas sor tis du marasme écono-mique dans lequel l’Europe et l’Amérique setrouvent plongées depuis 10 ou 15 ans. » Selonlui, les pays riches connaîtront une lentecroissance économique d’ici 2052, mais lechômage demeurera élevé, les tensions so-ciales seront nombreuses et les inégalités so-ciales continueront de s’accentuer. Et le toutira de pair avec la détérioration du climat.« Les phénomènes météorologiques deviendrontde plus en plus extrêmes, prévoit-il. Il y aura de

plus en plus de sécheresses, d’inondations, defeux de forêt, alors que le niveau des océanss’élèvera progressivement. »

Le futurologue estime que la population mon-

diale atteindra 8,1 milliards de personnes vers2040 (contre 7,3 milliards actuellement), avantde décroître en raison de l’urbanisation et dumanque de ressources. Déjà, nous utilisons lesressources de la planète à un rythme une foiset demie ce qu’elle peut soutenir et nous appro-chons de points de rupture.

Citoyens et électeurs… irresponsablesAu terme de 40 années de recherche et de

militantisme, Jørgen Randers est visiblementfrustré. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’on au-rait pu — et qu’on pourrait même encore — re-

médier au sort qui nous attend… si seulementon le voulait en tant qu’individu et que société.

«Les solutions qu’on pourrait mettre de l’avantsont très bien connues, dit-il, mais elles coûtentquelque chose. » C’est ainsi que chaque foisqu’un gouvernement propose d’augmenter lestaxes et impôts pour mettre de l’avant des solu-tions durables, les citoyens électeurs que noussommes s’y opposent.

« Les marchés financiers et les démocratiesparlementaires fonctionnent à court terme, dit-il,principalement à cause de la courte vue des ci-toyens. Voilà qui rend peu probable l’éventualitéque le libre marché mette en place à temps les so-lutions appropriées et que les gouvernementsadoptent les législations nécessaires. »

«Ce dont nous aurions besoin, c’est un systèmede gouvernance qui prendrait davantage à cœurl’intérêt de nos enfants et petits-enfants, plaide cegrand-père, une gouvernance qui penserait doncaux générations futures. » Nous avons donc be-soin de gouvernements forts qui pourraientnous obliger tous à penser et à agir sur le longterme.

Comment se préparer au monde de 2052

Comme il ne croit pas que nous prendronsles moyens nécessaires pour atténuer lesconséquences du marasme économique et cli-matique qu’on se prépare, Jørgen Randers pro-pose, dans 2052 — A Global Forecast for theNext For ty Years, que chacun d’entre nouss’adapte progressivement au monde de de-main. Ce qu’il préconise, ce sont avant tout deschangements de valeurs afin de remédier aufait qu’on surconsomme. Il s’agit en fait de ré-duire notre empreinte écologique tout en adop-tant un mode de vie plus satisfaisant pournous-mêmes.

Le professeur Randers propose donc, au cha-pitre 12 de 2052, une série de mesures quenous pourrions aisément appliquer dès au-jourd’hui afin de vivre en harmonie avec unmonde en bouleversement.

Comment survivre à 2052Entrevue avec le futurologue Jørgen Randers

A R N A U D S T O P A

C oncilier des politiques de réduction des gazà effet de serre (GES), de mobilité durable

et de transition énergétique, tout en restant ou-vert à la production d’hydrocarbures : tel est lenuméro d’équilibriste auquel se prêtent expertset gouvernement lors des consultations sur laPolitique énergétique du Québec 2016-2025 quise déroulent en ce moment.

Le nouveau ministre de l’Énergie et des Res-sources naturelles, Pierre Arcand, a jugé utilede relancer, en novembre dernier, ce processusfondé sur le rapport du gouvernement péquistede 2013, sans renier la précédente analyse. Onsouhaite proposer des orientations afin de “décar-boniser” le Québec. Il faut tenir compte des nou-velles réalités : l’arrivée de nouvelles technologies,la diminution du prix du pétrole et la volonté decertains fabricants d’utiliser de l’hydrogène dansles véhicules. »

Pourtant, de l’avis de Philippe Bourke, direc-teur général du Regroupement national desconseils régionaux de l’environnement(RNCREQ), les objectifs ne sont pas si clairs.« Il manque une quatrième journée pour savoirquelle vision on se donne. Où se voit-on en2025? Veut-on plus d’autonomie? Quelle sera ladiminution de l’intensité de l’utilisation des éner-gies? Il faut se donner une politique énergétiquecomme un vecteur de développement durable,c’est fondamental. Il y avait une vision en 2013,elle est moins présente aujourd’hui. »

Le Québec fait pourtant bonne figure dans lalutte contre le réchauf fement climatique,puisqu’il a déjà atteint ses objectifs à 90 % enmatière d’efficacité électrique, à 100 % dans sa

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

Pétrole,quand tunous tiens

VOIR PAGE H 3 : SURVIVRE VOIR PAGE H 2 : PÉTROLE

JØRGEN RANDERS AKADEMIKERNE

Jørgen Randers propose avant tout unchangement de valeurs.

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DÉVELOPPEMENT DURABLEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 8 F É V R I E R E T D I M A N C H E 1 E R M A R S 2 0 1 5H 2

C O N C O R D I A . C A

É C O L E D E G E S T I O N J O H N - M O L S O N

ENSEMBLE , REPENSONS LE MONDE

S A V E Z - V O U S R E C O N N A Î T R E U N E

B O N N E E N T R E P R I S E D ’ U N E B O N N E A F F A I R E ?

P I E R R E V A L L É E

Les principaux acteurs del’énergie renouvelable au

Québec sont aujourd’hui réunisau sein de l’Association québé-coise de la production d’énergierenouvelable (AQPER). Fondéen 1991 — à cette époque, parles petits producteurs d’hydro-électricité du Québec — ce re-groupement a adopté son nomactuel au début des années2000, afin de mieux refléterl’état de la situation.

« Aujourd’hui, nos membresproviennent de tous les sec-teurs de l’énergie renouvelable,explique Jean-François Sam-ray, président-directeur géné-ral de l’AQPER. Nous comp-tons donc dans nos rangs desproducteurs d’énergie renouve-lable, des centres de recherche,des équipementiers et mêmedes services financiers. »

Situation énergétique au Québec

Sur le plan énergétique, leQuébec a le privilège de pro-duire la quasi-totalité de sonélectricité par le biais de cen-trales hydroélectriques, dontla grande majorité sont la pro-priété de la société d’État Hy-dro-Québec. L’électricité ainsiproduite est renouvelable etreconnue comme écorespon-sable. Ce privilège nuit-il audéveloppement des autres fi-lières d’énergie renouvelable?

« Il faut d’abord faire la dis-tinction entre l’électricité etl’énergie, rappelle Jean-Fran-çois Samray. Si le Québec a lachance de produire son électri-cité de façon responsable par lebiais de la filière hydroélec-trique, il ne faudrait pas ou-blier que le Québec impor tetoujours aujourd’hui 50 % del’énergie qu’il consomme, sous

forme de pétrole, de gaz naturelou de charbon.»

Cette donnée, à ses yeux,est suffisante pour justifier ledéveloppement des autres fi-lières d’énergie renouvelable.« D’une part, en renforçant lesautres secteurs d’énergie renou-velable, on réduit d’autant nosimportations, ce qui favorise labalance commerciale du Qué-bec. D’autre part, cela contri-bue à réduire nos émissions deGES, puisqu’on s’éloigne ainsides énergies fossiles. »

La filière éolienneUne filière d’énergie renou-

velable qui s’est passablementdéveloppée ces dernières an-nées au Québec est celle del’énergie éolienne, qui sert àproduire de l’électricité. Cetteannée, une fois en service lesnouvelles installations re-quises à la suite des derniersappels d’of fres d’Hydro-Qué-bec, le Québec disposera d’uneproduction d’électricité desource éolienne de 4000 MW,soit 10 % de l’actuelle produc-tion d’Hydro-Québec.

Par contre, les détracteursde cette filière ont pour argu-ment que le coût de produc-tion de l’électricité de sourceéolienne est trop élevé et que,par conséquent, Hydro-Qué-b e c y p e r d a u c h a n g elorsqu’elle en fait l’acquisition,puisqu’elle devra la vendre àprix inférieur. «Cette situationétait vraie lors des premiers ap-pels d’of fres d’Hydro-Québec,mais ce n’est plus le cas.D’abord, la filière éolienne a,depuis, fait des gains d’efficacitéet, ensuite, comme les derniersappels d’of fres visaient des li-vraisons d’électricité plus im-portantes, cela permet mainte-nant à la filière éolienne de réa-liser des économies d’échelle.

Aujourd’hui, le coût de produc-tion de l’électricité de source éo-lienne avoisine celui des nou-velles centrales hydroélectriques,comme celles sur la Romaine.»

D’autres filièresprometteuses

La biomasse, par ticulière-ment celle produite à partir desrésidus forestiers, semble of-frir une voie prometteuse pourle Québec. «Nous ne manquonspas de résidus forestiers au Qué-bec et l’industrie forestière ar-rive mal à les valoriser, ce quepermet leur utilisation commebiomasse, surtout si celle-ci sertau chauf fage. » Les biocarbu-rants, comme le biodiésel, ontaussi pris du galon. Et la fabri-cation de ces biocarburantsn’emprunte plus seulement lavoie agricole, comme la fabrica-tion d’éthanol à partir du maïs,mais elle passe de plus en pluspar l’utilisation des graissesanimales et végétales. Lapreuve de la popularité et de lavaleur grandissante de cettenouvelle filière repose sur l’in-térêt que les voleurs portentaux huiles de friture entrepo-sées par les restaurants.

«Une autre filière qui est ap-pelée à se développer, c’est celledes biogaz produits à partir dematières putrescibles, comme lesdéchets de table. C’est une solu-tion que les municipalités com-mencent à regarder. Il est mêmepossible de faire des biogaz avecles rejets d’épuration des eaux.»

Jean-François Samray croitqu’il faut envisager le dévelop-pement des énergies renouve-lables sans vouloir y imposerune seule manière de faire. «Iln’y a pas de solution mur à murici. Si cer taines productionsd’énergie renouvelable, commel’électricité de source éolienne,ou la production de biogaz,

comme la biométhanisation,méritent d’être connectées à degrands réseaux de distribution,d’autres énergies renouvelablespeuvent fort bien fonctionner encircuit fermé. Par exemple, lesrésidus forestiers d’une entre-prise forestière pourraient uni-quement servir à chauf fer lascierie et les bâtiments.»

Autres avantagesEn plus des avantages écolo-

giques et macroéconomiques,l’énergie renouvelable pré-sente aussi d’autres avantages.«L’un des avantages immédiatsde l’énergie renouvelable, c’estque lorsqu’on implante une fi-lière dans une collectivité, on ladynamise, parce que cela va

créer de l’emploi. On ne peutpas négliger l’impact que cesnouveaux emplois ont sur lescollectivités. »

De plus, une énergie re-nouvelable bien déployée surl’ensemble du ter ritoire etsuf fisamment impor tantedans sa contribution à l’éner-gie consommée permet demieux gérer les risques asso-ciés à la consommationd’énergie. « Il faut se rappelerque l’énergie est essentielle ànotre fonctionnement et à no-tre économie. Et il n’est ja-mais sage de mettre tous sesœufs dans le même panier.Que faire si on est trop dépen-dant d’une seule source d’éner-gie et qu’il y a une pénurie ?

Les diverses formes d’énergierenouvelable nous permettentalors de pallier cette pénurie etainsi de diversifier notre por-tefeuille énergétique. »

De plus, la présence d’un so-lide secteur d’énergie renouve-lable offre même des avantagesà l’international. «On développealors une expertise et un savoir-faire ainsi que des innovationstechnologiques qui ensuite pour-ront être exportés. Le Québec au-rait tout avantage à être un pré-curseur en la matière.» Avis auxintéressés : l’AQPER tiendrason prochain congrès les 11 et12 mars prochain à Montréal.

CollaborateurLe Devoir

ÉNERGIES RENOUVELABLES

Voir au-delà des barrages

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Une fois en service les nouvelles installations requises à la suite des derniers appels d’offres d’Hydro-Québec, le Québec disposera d’une production d’électricité de source éolienne de 4000 MW, soit10% de l’actuelle production d’Hydro-Québec.

réduction de la consommation de gaz naturelcinq ans avant l’échéance du Plan d’action surles changements climatiques. Mais, là où le bâtblesse, c’est que seulement 10 % des objectifsconcernant le pétrole ont été atteints. Pour Ste-ven Guilbault, directeur principal d’Équiterre,c’est surtout un manque de volonté politique.«On demande des ef forts à tout le monde, maispas aux pétrolières. » Représentant 38 % del’énergie totale consommée au Québec, princi-palement dans les transports, le pétrole occupeune place évidente au sein des discussions.Mais « il manque une table sur la consommationdu pétrole, car il semblerait que tout tourne au-tour de la production. On se demande commenton veut produire des hydrocarbures, sans parlerde la façon de les remplacer ou de les consommer.On souhaite avoir les meilleurs standards auQuébec, mais on passe complètement à côté del’analyse : on ne planche pas sur la possibilité depasser d’un carburant à un autre. »

Le ministre Pierre Arcand veut se montrerrassurant. « En 2010, en tant que ministre del’Environnement, j’avais mis en place le marchédu carbone. Cette année, nous devons diminuernos rejets de GES. La troisième table donneral’occasion de parler de la réduction de notre dé-pendance. » Mais, quant à l’exploitation du pé-trole à Anticosti ou en Gaspésie, il reste ouvertsur la question. « D’ici 2050, à moins d’uneavancée technologique importante, on aura tou-jours besoin du pétrole. Il faut finir les analysespour voir si, économiquement, c’est viable de pro-duire du pétrole. »

Sensibilisation du publicLa consultation a le mérite de faire débattre

sur des enjeux énergétiques. Mais, selonM. Guilbeault, les débats restent cloisonnésdans un cercle d’experts. «C’est vrai que ce sontsurtout des initiés, dont beaucoup de groupes or-ganisés écologiques. [Mais] quand on regarde lessondages, les Québécois sont favorables et récep-tifs aux ef for ts contre le réchauf fement clima-tique. Ils sont, par exemple, favorables à l’électri-fication et au développement dans les transportsen commun. Même les automobilistes, puisqu’ilsvoient un moyen de réduire le trafic. »

M. Bourke estime que ces consultations de-vraient servir à sensibiliser la population, quimanque cruellement d’information pour com-

prendre les mesures coercitives. «Les GES, cene sont pas les entreprises qui en sont responsa-bles au Québec, ce sont sur tout les transports[44% des émissions, contre 27% pour les indus-tries]. Si on explique aux gens que des mesurescomme les taxes de stationnement, la mise enplace de bonus-malus sur l’achat de voitures oula modulation tarifaire de l’électricité sont direc-tement liées aux problèmes d’émission des gaz,alors ils ne les percevront plus comme une simpletaxe en plus. »

À cela se rajoute le problème de gouver-nance, un chapitre éludé lors des consultations.«Le grand problème, c’est que les décideurs sontloin, indique M. Bourke. Ce sont eux, pourtant,qui devront appliquer cette politique et dont dé-pend la réalisation des attentes. Il y a un pro-blème d’exécution, et c’est un enjeu fondamental :une fois qu’on est d’accord, comment applique-t-on [la politique] ? Quel rôle jouent les acteurs ?Le ministre, les responsables municipaux, la Ré-gie de l’énergie, Hydro-Québec, etc. »

Innovation en berneLe Québec a, selon l’avis de nos deux direc-

teurs, eu l’intelligence de miser sur l’hydroélec-tricité au bon moment. Aujourd’hui, la provincedispose d’une production d’électricité complè-tement renouvelable, puisque 82% provient desbarrages et 17 % des centrales de biomasse.Mais cela a un inconvénient. « Les bas tarifs duQuébec et le monopole d’Hydro-Québec nuisent àl’innovation et à la recherche d’efficacité, c’est unpeu une concurrence déloyale, juge PhilippeBourke. Produire en solaire ou en éolien, c’estdéplacer la production d’énergie plutôt que deremplacer [des énergies fossiles]. Ça n’a pasd’intérêt économique majeur. » Sauf dans les ré-gions non raccordées par Hydro-Québec.«Dans les collectivités dans le Nord, par exemple,il existe une production thermique, dont le coûtest élevé, continue le directeur général duRNCREQ. C’est là-bas qu’on devrait aller. Il y aun gain de diminution des GES, en plus de déve-lopper une économie et des expertises. Au final,ça pourrait augmenter l’autonomie et le pouvoird’attraction des régions. »

La nouvelle politique énergétique 2016-2025sera rendue publique à l’automne 2015.

CollaborateurLe Devoir

SUITE DE LA PAGE H 1

PÉTROLE

JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Énergie et des Ressourcesnaturelles, Pierre Arcand, a jugé utile de relancerle processus en novembre dernier sans renier laprécédente analyse.

Moduler les tarifs de l’électricitéAprès la rencontre tenue le 13 février surl’efficacité énergétique, certains médias ontrelevé la volonté du ministre de l’Énergied’étudier la modulation des prix de l’électri-cité en fonction de son utilisation. «C’est unebonne idée, pense Philippe Bourke, et il fauten débattre. Mais cela ne sert à rien si on n’yadjoint pas une politique d’efficacité énergé-tique par laquelle les consommateurs pour-raient échapper à une hausse des tarifs. »

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DONNER DU SENS À L’ARGENTFondaction est une institution financière québécoise innovante. Par la collecte d’épargne-retraite et l’investissement dans les entreprises d’ici, Fondaction participe à la création d’une économie plus performante, plus équitable et plus verte.

PROJET DE STRATÉGIE GOUVERNEMENTALE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Québec invité à passer la deuxième vitesse

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

L es cibles précises et les objectifs quantifia-bles manquent trop souvent à l’appel dans

le projet de Stratégie gouvernementale de déve-loppement durable 2015-2020, qui a fait l’objetd’une consultation parlementaire durant lesdeux derniers mois. Ce constat est partagé pardes groupes provenant tout autant des milieuxécologistes, économiques ou sociaux, commele Collectif pour un Québec sans pauvreté, laFédération des chambres de commerce duQuébec (FCCQ) et Équiterre.

Ces précisions, selon les mémoires dépo-sés, permettraient de mesurer les résultats etd’évaluer les avancées engendrées par l’appli-cation de cette stratégie chez les ministèreset organismes publics concernés. La Straté-gie gouvernementale de développement dura-ble guide en théorie l’administration publiquedans ses actions en la matière.

«C’est très qualitatif comme cadre. Il n’y a pasd’éléments mesurables dans le temps, déplore JeanSimard, président-directeur général de l’Associa-tion de l’aluminium du Canada, qui a présenté lemémoire de SWITCH, l’Alliance pour une écono-mie verte au Québec. On y parle de contribution,de démarche. On est beaucoup dans les processuset non dans les objectifs de performance.»

Claude Villeneuve, directeur de la Chaire enécoconseil de l’Université du Québec à Chicou-timi, considère que le gouvernement n’a pasfait les analyses scientifiques nécessaires poursoutenir la faisabilité des objectifs qu’il préco-nise. «De la façon dont la stratégie est construiteà l’heure actuelle, cela ne peut pas faire autre-ment que d’arriver à la fin avec simplement unrépertoire de quelques bons coups anecdotiques,dit-il. Il n’y a pas de vision d’ensemble, pas de red-dition de comptes possible. »

Justement, il s’avère extrêmement difficile deréaliser un bilan de la stratégie précédente,adoptée en 2007 par le gouvernement Charestet venue à échéance en 2013. Dans l’un de ses

rapports, le Commissaire au développement du-rable, Jacques Cinq-Mars, a souligné que cettestratégie n’était demeurée qu’un documentd’orientation, qui ne permettait ni de cibler lesrésultats attendus, ni de vérifier la performancedu gouvernement à son égard au fil des ans.

Dans le nouveau projet de stratégie, « les ci-bles sont floues, en plus de ne pas être contrai-gnantes, dans la mesure où l’on ne voit pas deconséquences si elles ne sont pas atteintes », cri-tique Maude Prud’homme, présidente du Ré-seau québécois des groupes écologistes(RQGE). Tout laisse présager une stratégie sefiant de nouveau au bon vouloir et à la bonnevolonté des différents ministères et organismespublics. Si ces derniers sont invités à se doterd’un plan d’action, ils ne se font pas imposer,par exemple, une réduction en pourcentaged’émissions de gaz à effet de serre.

Sidney Ribaux, directeur général d’Équiterre,juge qu’une telle approche était compréhensi-ble en 2007, alors qu’un travail de sensibilisa-tion demeurait nécessaire pour transformer laculture en place dans l’administration publique.Mais, aujourd’hui, « on pourrait passer ladeuxième vitesse et imposer des cibles et descontraintes plus claires », juge-t-il.

Cinq activités incontournables ont tout demême été déterminées dans la nouvelle straté-gie. Mais elles laissent «pantois » et «perplexe »Christian Simard, directeur général de NatureQuébec. « La protection de la biodiversité n’estpas un objectif incontournable dans la stratégie.Pour nous, c’est sabrer dans l’esprit même de ceque devrait être le développement durable», dit-il.

Marchés publicsAux yeux de Jean Simard, de SWITCH, les

marchés publics, évalués à 30 milliards par an-née, constituent « le ner f de la guerre » pourpermettre au gouvernement du Québec, leplus grand donneur d’ordres dans la province,d’orienter aussi les pratiques du secteur privé.Or « on parle d’achat écoresponsable dans la

stratégie gouvernementale, mais nulle part onne remet en question la politique du plus bassoumissionnaire », déplore-t-il.

SWITCH recommande donc au gouvernementd’intégrer à la stratégie un plan d’action en ma-tière d’achat responsable, pour que les orga-nismes publics s’appuient sur l’analyse du cyclede vie ou le coût total de possession pour amélio-rer leurs achats de biens et services, tout en pre-nant en considération les certifications écolo-giques. Sidney Ribaux indique que « l’État peutparfois ouvrir la voie», rappelant le mouvementlancé lorsqu’il a commencé à utiliser du papier re-cyclé. Le Chantier de l’économie sociale précise,pour sa part, que les achats et les investissementspublics doivent aussi prendre en considération ladimension sociale du développement durable.

CohérencePlusieurs voix appellent le gouvernement à

faire preuve de cohérence. Christian Simard dé-plore que la stratégie de développement durable«soit déconnectée des autres stratégies de développe-ment du gouvernement du Québec», dont la planifi-cation stratégique des ministères, des sociétésd’État et des organismes gouvernementaux enca-drée par la Loi sur l’administration publique. «Çadevrait être une seule et même chose», ajoute-t-il.Stéphane Forget, vice-président stratégie et af-faires économiques de la FCCQ, demande augouvernement de s’assurer de la cohérence de lastratégie en rapport avec d’autres chantiers,

comme la future politique énergétique, la straté-gie maritime ou le Plan Nord.

« La stratégie est empreinte d’angélisme etd’idéaux qui nous semblent nettement en contra-diction avec les mesures d’austérité qui sont pro-posées par le gouvernement actuel», lance de soncôté Virginie Larivière, porte-parole du Collectifpour un Québec sans pauvreté.

C’est sans compter le budget limité accordéactuellement au ministère de l’Environnement.Selon les chiffres du Regroupement national desconseils régionaux de l’environnement(RNCRE), son budget aurait baissé de 5% en 10ans, passant de 166 millions en 2004-2005 à157 millions en 2014-2015, alors qu’on lui a pour-tant ajouté de nouveaux mandats. Certains dou-tent qu’il possède les moyens de ses ambitionspour veiller à l’application d’une telle stratégie.

Claude Villeneuve, de la Chaire en écocon-seil de l’UQAC, note qu’un ministère « faible »et « sectoriel » comme celui-ci « ne peut avoirl’ambition de parler au réseau de la santé ou del’éducation ». Son organisation a demandé quecette stratégie soit plutôt sous la responsabi-lité du premier ministre ou du Conseil du tré-sor, pour envoyer un signal fort comme quoi« c’est l’autorité qui exige qu’on tienne comptedes principes du développement durable de fa-çon cohérente et transparente ».

CollaborateurLe Devoir

Le projet de Stratégie gouvernementale de développement durable, présenté le 4 décembredernier par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contreles changements climatiques, David Heurtel, manque d’objectifs quantifiés et de mesurescontraignantes. C’est du moins la conclusion à laquelle en arrivent plusieurs mémoires dépo-sés lors des consultations tenues à l’Assemblée nationale durant les dernières semaines.

VINCENT MUNIER

«La protection de la biodiversité n’est pas un objectif incontournable dans la stratégie. Pour nous,c’est sabrer dans l’esprit même de ce que devrait être le développement durable », souligne ledirecteur général de Nature Québec, Christian Simard.

Entre autres, il préconise deréduire nos envies de consom-mer pour nous orienter versune existence plus enrichis-sante. « L’argent n’est pas toutdans la vie, écrit-il, la consom-mation non plus. » Il faut faireen sorte, chacun pour soi, dese valoriser autrement que parla consommation et par l’ar-gent qu’on gagne.

« Il faut comprendre que nosgoûts et nos désirs sont deschoses qu’on développe — ouqu’on ne développe pas », dit-il.On peut donc choisir de vivreen consommant énormémentde ressources… ou non.

Par exemple, si vous avezdéveloppé le goût de disposerd’une maison de campagne,avec un grand terrain, sur lebord de l’eau (en plus d’unerésidence en ville ou en ban-lieue), et que vous désirezaussi voyager beaucoup, vousconsommez alors plus de res-sources que la Terre ne peuten donner.

Pire : plus le temps passera,moins ce mode de vie sera

viable. Réduire ses désirs etses besoins sera même uncompor tement bénéfiquepour soi-même si on veut évi-ter d’être aux premiers rangsdes « victimes » des change-ments climatiques.

Dans le même esprit, leprofesseur Randers considèreque les jeunes (et moinsjeunes) qui recourent abon-damment aux technologiesmultimédias s’adaptent parti-culièrement bien au mondede 2052.

Le futurologue viendrad’ailleurs partager les conclu-sions de ses 40 années de dé-marches lors du colloque del’Association québécoise dela production d’énergie re-n o u v e l a b l e ( A Q P E R ) , l e11 mars prochain. « Le Québecet la Norvège ont énormémenten commun, remarque-t-il, lamême superficie, deux popula-tions dif férentes, plusieurslangues, de l’hydroélectricité etde l ’éolien comme sourcesd’énergie… Et il s’agit, bienentendu, de deux pays nor-d i q u e s … Vo u s ê t e s d o n cconfrontés aux mêmes défisque les nôtres ! »

CollaborateurLe Devoir

SUITE DE LA PAGE H 1

SURVIVRE

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Le professeur Randers préconise de réduire nos envies deconsommer pour nous orienter vers une existence plusenrichissante.

Page 4: DÉVELOPPEMENT DURABLE€¦ · et de transition énergétique, tout en restant ou-vert à la production d’hydrocarbures: tel est le numéro d’équilibriste auquel se prêtent

DÉVELOPPEMENT DURABLEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 8 F É V R I E R E T D I M A N C H E 1 E R M A R S 2 0 1 5H 4

É M I L I E C O R R I V E A U

A yant entamé un virageécologique il y a près de

20 ans, Aéroports de Montréalne cesse depuis de « verdir ».Cette année encore, la sociétéaéropor tuaire amélioreraconsidérablement ses perfor-mances écologiques grâce àune acquisition faite en octo-bre dernier. Désormais équi-pée d’un système de récupéra-tion et de requalification del’éthylèneglycol lui permettantde redonner un degré de pu-reté d’au moins 99,5 % au li-quide, elle pourra recyclerchaque année des millions delitres d’eau et de dégivrant.

Transparent, incolore, ino-dore, pratiquement non volatilet visqueux, l’éthylèneglycolest un liquide largement uti-lisé en Amérique du Nordcomme dégivrant, car il per-met d’abaisser le point decongélation de l’eau présentesur les avions sous forme degivre, de glace ou de neige. Depar ses propriétés physicochi-miques, en particulier sa mis-cibilité totale avec l’eau, l’éthy-lèneglycol se répar tit facile-ment et rapidement dans tousles écosystèmes et se dégradetrès vite. Le principal dangerde l’éthylèneglycol provient desa toxicité en cas d’ingestion,mais ses vapeurs sont aussiconsidérées comme irritanteset peuvent causer cer tainespathologies.

Vu sa toxicité et la grandeconsommation que sa sociétéen fait pour le dégivrage desaéronefs, ce n’est pas d’hierqu’Aéropor ts de Montréalcherche à trouver une solutionpour recycler le glycol qu’elleutilise. «Ça remonte au milieudes années 1990 », af firmeMme Christiane Beaulieu, vice-

présidente affaires publiqueset communications d’Aéro-ports de Montréal.

« En 1996, on s’est entenduavec Aéro Mag pour bâtir uncentre de dégivrage avec unpad central et de grands réser-voirs pour récupérer le glycol,poursuit Mme Beaulieu. Avantça, le dégivrage avait lieu auxportes d’embarquement et le li-quide se retrouvait dans leseaux de déversement. Au fil desans, on a amélioré le centre etl’équipement a vraiment étémodernisé. Mais, malgré tout,o n s e r e t r o u v a i t a v e c d egrandes quantités de glycolqu’on ne pouvait pas réutili-ser ! Pendant plusieurs années,on a été attentif à ce qui se fai-sait ailleurs dans le monde,pour voir s ’il n’y avait pasquelque par t une solutionadaptée à nos besoins, mais onne trouvait rien qui fût vrai-ment satisfaisant. »

Il faut savoir qu’à l’étranger,notamment en Europe et aux

États-Unis, certains aéroportsse sont dotés, dès la fin des an-nées 1990, d’installations pourrecycler le glycol qu’ils récu-péraient, mais qu’aucun n’étaitencore parvenu à redonner àla substance un degré de pu-reté suffisant pour le réutiliserpleinement dans le cadre deso p é r a t i o n s d e d é g i v r a g ed’avions.

« La plupar t des aéropor tsqui recyclent le glycol ne le fontp a s à 9 9 , 5 % , r e m a r q u eMme Beaulieu. Ils le font à lahauteur de 50% ou 60% et, en-suite, ils vendent le glycol, quipeut être utilisé comme lave-glace ou comme dégivrant. »

Une solution suédoiseC’est finalement du côté de

la Suède qu’Aéropor ts deMontréal et Aéro Mag onttrouvé la solution au problèmequi les préoccupait depuis plusd’une décennie. L’entrepriseVilokan Sweden AB, spéciali-sée dans les technologies de

purification en circuit fermé,leur a proposé de recycler leurglycol grâce à un procédé dedistillation.

«La compagnie est parvenueà développer une tour de distil-lation qui donnait d’excellentsrésultats, relate Mme Beaulieu.Grâce à cette installation, ellearrivait à recycler le glycol et àlui redonner un degré de puretéde 99,5%. C’était exactement cequ’on cherchait, parce que çasignifiait qu’on allait pouvoirréutiliser notre glycol à des finsde dégivrage. On a donc décidéde faire l’achat de la fameusetour ! »

Lorsque décrit, le procédédéveloppé par Vilokan Swe-den AB pour recycler le gly-col peut paraître simple, maisil s’agit en fait d’un processusassez complexe et technolo-gique. Dans un premiertemps, le liquide de dégivrageest récupéré et ramené à uneconcentration de 50 %. Puis, ilest ensuite augmenté à un de-

gré de pureté de 99,5 % grâceà une tour de distillation. Unefois requalifié aux fins de l’as-surance de la qualité, le glycolest prêt à être réutil isécomme liquide de dégivrageet peut l’être à d’innombra-bles reprises.

Fait intéressant : la distilla-tion du glycol permet égale-ment de récupérer l’eau qui setrouvait initialement dans le li-quide dégivrant, de la filtrer etde la réinsérer dans le sys-tème. Elle peut ainsi être réuti-lisée lors d’opérations de dégi-vrage successives.

Pour mettre en place cenouveau système performant,Aéropor ts de Montréal etAéro Mag ont dû investir10 millions de dollars. L’instal-lation n’a pas été de tout re-pos ; la tour de distillation de-vant impérativement être si-tuée à proximité du centre dedégivrage de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau et s’élever àplusieurs mètres de hauteur

pour être fonctionnelle, elle adû être en par tie enfoncéedans le sol pour ne pas nuireaux contrôles aériens. Inci-demment, l’aménagement apris plus de temps que prévuet a quelque peu retardé l’im-plantation de la technologie.

De bons résultatsBien qu’elle ne soit en fonc-

tion que depuis octobre, latour de distillation a déjà faitses preuves. «Ça marche vrai-ment bien, souligne Mme Beau-lieu. On n’a plus besoin destocker d’énormes quantités deglycol, puisqu’on réutilise tou-jours celui qu’on a. Le 4 janvierdernier, lorsqu’il y a eu du ver-glas, on a pu vraiment testernotre nouveau système. Évi-demment, il a fallu beaucoupde glycol pour dégivrer lesavions, mais on en a eu suf fi-samment ! On est vraiment trèssatisfait ! »

Concrètement, l’installationdevrait améliorer considéra-blement l’efficacité du centrede dégivrage d’Aéroports deMontréal en permettant l’at-teinte d’un degré d’autosuffi-sance appréciable en matièrede besoins annuels de glycolconcentré, lesquels s’élèvent àenviron deux millions de litrespar année. L’utilisation d’eaupotable sera aussi réduite dedeux millions de litres par an-née et les coûts de l’éthylène-glycol seront diminués de prèsde 30 % pour les transporteursaériens durant la période hi-vernale. Les coûts du dégi-vrage pouvant s’élever à plu-sieurs milliers de dollars selonla température et la taille del’engin, l’économie s’annoncenon négligeable.

CollaboratriceLe Devoir

UN INVESTISSEMENT DE 10 MILLIONS DE DOLLARS

AdM recycle le liquide de dégivrage des avions

AÉROPORTS DE MONTRÉAL

Transparent, incolore, inodore, pratiquement non volatil et visqueux, l’éthylèneglycol est un liquide largement utilisé en Amérique duNord comme dégivrant, car il permet d’abaisser le point de congélation de l’eau présente sur les avions sous forme de givre, de glaceou de neige.

A N D R É L A V O I E

P our ceux qui en doutaient encore, rappe-lons que Montréal figure parmi les villes

importantes sur l’échiquier mondial de la re-cherche sur l’environnement, l’économie verteet les changements climatiques. Cette positionde leader fut loin d’être contestée après l’an-nonce, le 13 février dernier, de la nominationdu Dr Paul Shrivastava au poste de directeur gé-néral de Future Earth, une organisation inter-nationale dont la tâche est de coordonner les ef-forts de la science sur les bouleversements éco-logiques et le développement durable.

La métropole québécoise accueille ce secré-tariat mondial, mais elle n’est pas le point cen-tral d’une organisation traditionnelle, là où toutse décide, et se joue, à un seul endroit. FutureEarth se déploie dans quatre autres grandesvilles, dont Paris (France), Tokyo (Japon),Stockholm (Suède) et Boulder (États-Unis),une structure unique en son genre destinée àassurer la meilleure coordination possible avectous les chercheurs liés de près ou de loin auxsciences du climat.

Cette approche atypique de gestion est loinde déplaire à celui qui est maintenant le grand

responsable de Future Earth. Jusqu’à tout ré-cemment professeur émérite au Centre David-O’Brien pour l’entreprise durable de l’Univer-sité Concordia (là où logent les bureaux de l’or-ganisation), Paul Shrivastava af fiche un par-cours tout aussi singulier, voire éclaté. Né enInde, détenteur de la citoyenneté américaine, ilhabite depuis longtemps à Montréal, possédantun profil universitaire, mais aussi une grandeexpertise dans le monde des af faires, ayantégalement œuvré comme consultant auprès demultinationales.

Lorsqu’on évoque le mode de fonctionne-ment de Future Earth, Paul Shrivastava recon-naît qu’« il ne sera pas simple ». « Je suis dans lemilieu universitaire depuis 30 ans et je sais quela collaboration entre les divers établissementsmontréalais constitue parfois un défi, alors ima-ginez sur le plan international, en tenant comptede cinq fuseaux horaires. » Le constat est toute-fois loin de diminuer son enthousiasme. « Enmatière de potentiel d’innovation et de créativité,c’est une autre histoire. Future Earth veut voirémerger une pensée nouvelle, une autre formed’engagement. Comment faire tout cela en optant

FUTURE EARTH

Penser globalement

VOIR PAGE H 5 : PENSER

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Paul Shrivastava, directeur général de Future Earth (au centre), est entouré du maire de Montréal,Denis Coderre, et du premier ministre québécois, Philippe Couillard.

Page 5: DÉVELOPPEMENT DURABLE€¦ · et de transition énergétique, tout en restant ou-vert à la production d’hydrocarbures: tel est le numéro d’équilibriste auquel se prêtent

DÉVELOPPEMENT DURABLEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 8 F É V R I E R E T D I M A N C H E 1 E R M A R S 2 0 1 5 H 5

Le CRCHUM, un bâtiment certifié LEED OR

Inauguré en octobre 2013, le Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM) offre des plateformes hautement technologiques pour la recherche et la formation continue en santé, ainsi que des espaces lumineux et rassembleurs à près de 2 000 chercheurs, étudiants, professionnels et employés. Performance écologique du CRCHUM :

Aménagement écologique Gestion efficace de l’eau Efficacité énergétique Matériaux sains et régionaux Qualité des environnements intérieurs

De nombreux prix, dont :

Prix du meilleur projet immobilier de type commercial, Institut de développement urbain du Québec Prix du meilleur projet, Project Management Institute de Montréal

Le CRCHUM, l’audace de chercher plus loin

VISER L’EXCELLENCE EN SANTÉ,

DANS UN ENVIRONNEMENT SAIN!

pour des formes d’organisation traditionnelles ?C’est une manière d’avoir une présence et une dy-namique vraiment globalisées. »

Cette structure par pôles exige une concerta-tion de tous les instants, et le directeur de Fu-ture Earth compte sur les développements ra-pides des technologies de communicationspour faciliter les choses. Cette particularitén’est pourtant pas son idée, même s’il la juge« excitante ». René Quirion, scientifique en chefdu Québec, était présent lors de l’élaborationde cette proposition, soutenue avec vigueur parl’organisme Montréal international, différentesuniversités et le consortium de recherche surle climat Ouranos. Tout cela partait d’abordd’un constat, selon M. Quirion. «Depuis 20 ans,les organismes internationaux maintenant re-groupés avec Future Earth travaillaient indépen-damment les uns des autres. Ça donnait debeaux rapports… Pourtant, entre l’acidificationdes océans, la gestion des déchets et les change-ments climatiques, il y a des vases communi-cants. On a donc proposé un regroupement degrandes villes, un secrétariat distribué sur cinqsites, plutôt que d’opposer Montréal à Paris, parexemple. C’est cette proposition qui a été retenue,même si tout le monde n’était pas d’accord. »

René Audet, directeur de l’Institut dessciences de l’environnement de l’UQAM, n’ap-partient pas au camp des opposants, bien aucontraire. Il voit même en Future Earth le sym-bole d’une évolution remarquable de sonchamp d’exper tise, une transformation quiprend sa source dès les années 1970. « Lessciences de l’environnement prennent de plus enplus de place dans les universités et elles se ren-dent compte qu’elles ont autant besoin de la so-ciologie que de la biologie et de l’économie pourrépondre aux défis scientifiques de la crise écolo-gique actuelle, mais aussi aux défis sociaux ethistoriques. » Fini, donc, le travail en vase clos,place à l’approche multidisciplinaire, mais aussià ce qu’il nomme « l’intersectorialité ».

Un autre concept à la mode ? Plutôt une né-cessité, toujours selon René Audet. «Dans plu-sieurs domaines, en génie ou en sciences de lagestion, on avait le réflexe de travailler avec lesentreprises pour développer des technologies.Mais, comme scientifique, il faut travailler aussiavec les pouvoirs publics, les citoyens, les groupesde la société civile. Les savoirs scientifiques doi-vent se construire en tenant compte des besoins etdes aspirations de la société, pour produire unsavoir per tinent. Future Ear th s’inscrit danscette mouvance. »

Paul Shrivastava abonde dans ce sens. « Iln’est pas question de faire de la science sur lemode business as usual. La science que noussouhaitons développer doit s’enraciner dans lescollectivités et avoir un impact sur les gens. »« Le Québec a déjà une longueur d’avance dansce domaine, précise René Quirion, et ce futcertainement un point positif pour aller cher-cher le secrétariat. »

Si personne ne remet en doute cette exper-tise en matière de conciliation et de recherchede consensus, il en va tout autrement du bilanécologique du Canada, qui aurait sans doute pu

être un obstacle à l’établissement de la compo-sante importante de Future Earth à Montréal.« Il faut regarder the big picture, souligne PaulShrivastava. Je ne dis pas que le Canada est par-fait, mais chaque pays a une responsabilité, peuimporte ce qu’il a fait par le passé. Nous avonstous une responsabilité envers l’avenir. FutureEarth, c’est ça : une vision bâtie par chaque payspour l’amélioration de l’environnement. Le Qué-bec et le Canada ont des initiatives intéressantesà proposer, mais celles-ci s’inscrivent dans unedimension internationale. Ça fait partie d’untout. »

CollaborateurLe Devoir

SUITE DE LA PAGE H 4

PROBLÈMES Je ne dis pas que le Canada est parfait, mais chaque pays a uneresponsabilité, peu importece qu’il a fait par le passé. Nous avons tousune responsabilité face à l’avenir. Paul Shrivastava, directeur général de Future Earth

«

»

ÉMILIE TOURNEVACHE

René Audet, directeur de l’Institut des sciencesde l’environnement de l’UQAM, voit en FutureEarth le symbole d’une évolution remarquable deson champ d’expertise, une transformation quiprend sa source dès les années 1970.

C L A U D E L A F L E U R

Pour une troisième annéeconsécutive, l’Université de

Sherbrooke (UdeS) maintient sapremière position en matière dedéveloppement durable parmiles universités canadiennesayant participé au GreenMetricWorld University Ranking 2014.À l’échelle mondiale, l’UdeS seclasse même au 14e rang parmiles 361 universités ayant parti-cipé à ce sondage.

«Le classement de GreenMe-tric permet deux choses, indiqueAlain Webster, vice-recteur audéveloppement durable et auxrelations gouvernementales del’Université de Sherbrooke.Tout d’abord, cela permet d’éva-luer combien d’universités ac-cordent assez d’importance audéveloppement durable pour sedonner la peine de répondre ausondage. C’est donc intéressantde voir qu’il y en a tout de même361 ! D’autre part, le sondagenous permet de nous compareraux autres et de voir si ce qu’onfait est bien ; comment donc sepositionne-t-on par rapport auxautres universités?»

M. Webster est devenuvice-recteur au développe-ment durable il y a huit ans.« Nous avons inventé la fonc-tion au Canada, dit-il fière-ment. J’ai été le premier à oc-cuper cette fonction au Ca-nada, mais, maintenant, j’aiquelques collègues. »

Son rôle consiste à inté-grer les dif férentes facettesdu développement durabledans l’administration et lesact iv i tés quotidiennes del’université. « Il y a là à lafois des enjeux de politique,d’enseignement, de rechercheet de gestion de l’universitéqui englobent l ‘énergie, lesmatières résiduelles, l’appro-visionnement, etc., et qu’ilfaut por ter à l’attention du

Comité de direction de l’uni-versité », explique-t-il.

Incidemment, l’UdeS s’enor-gueillit d’avoir mis sur pied, ily a des décennies déjà, le Cen-tre universitaire de formationen environnement. « Près desdeux tiers des détenteurs d’unemaîtrise en environnement sontformés à Sherbrooke, af firmeM. Webster. Nos étudiants ex-priment d’ailleurs un vif intérêtpour faire de l’environnementune priorité institutionnelle. »

Transformer l’université…et la ville de Sherbrooke!

Alain Webster relate d’ail-leurs qu’une propor tion im-portante de ceux et celles quichoisissent de venir étudier àl’Université de Sherbrookeaccordent énormément d’im-portance à l’environnement,ce qui a par fois des ef fetsinattendus.

Ainsi, il y a une dizaine d’an-nées, raconte-t-il, des étudiantsse sont mis en tête de fairepression sur l’administrationafin que celle-ci intègre desstratégies de développementdurable dans ses activités.«Mais nous, on leur a dit que,au lieu de faire pression surnous, ils devraient plutôt venirs’asseoir avec nous pour qu’onle fasse ensemble », raconteM. Webster. Puis, par la suite,les étudiants ont réclamé da-vantage : «On veut plus, on veutdévelopper une stratégie detransport en commun, poursuitle vice-recteur au développe-ment durable. Par fait, a ré-pondu l’administration. As-soyons-nous donc ensemble.»

Résultat : l ’Université deSherbrooke, de concert avecses étudiants, a élaboré unestratégie de mobilité durablequi est devenue « un élémentextrêmement important » pourla communauté universitaire.

« Les étudiants nous disaient

que l’une des principalescontraintes de venir étudier àl’UdeS était le stationnement,rappor te M. Webster. Maisnous, nous n’allions tout demême pas construire de nou-veaux stationnements. Non! Aucontraire, même, on allait plu-tôt en fermer pour privilégierune stratégie de mobilité. On a,par conséquent, créé la pre-mière stratégie de libre accès autransport en commun au Qué-bec, un modèle qui a changél’université et même l’ensemblede la ville de Sherbrooke. »

«Ce qu’on a fait est très sim-ple, poursuit-il. On dit à nos étu-diants : votre carte d’étudiantvous donne bien sûr accès à tousles services universitaires, mais,en plus, elle vous permettrad’avoir accès à l’ensemble descircuits d’autobus de la ville.»

Concrètement, en 10 ans, letaux d’utilisation du transporten commun par les étudiants

est passé de 25% à 65%. En ou-tre, cette stratégie a « changéla ville » du simple fait que,désormais, au lieu d’habiterdans les parages de l’univer-sité, les étudiants s’installentun peu par tout dans la ville.« Ils ont choisi d’intégrer l’en-semble de la ville », résume levice-recteur, qui souligne enoutre que, toutes proportionsgardées, Sherbrooke comptela plus grande propor tiond’étudiants universitaires desvilles québécoises. « Noussommes véritablement une villeuniversitaire», dit-il.

Une mobilisation pour le compostage

C’est dire que l’Universitéde Sherbrooke a choisi un mo-dèle de gouvernance plusproche de ses étudiants, sou-ligne Alain Webster. « On es-saie de travailler ensemble surplusieurs enjeux, dit-il, en met-

tant en place une stratégie dedéveloppement durable… Cequ’on vise à faire, c’est de nousservir de notre enseignement etde la recherche que nous me-nons pour les appliquer à lagestion universitaire. »

Ainsi, dans le cadre d’uneformation en administration etenvironnement, des étudiantsont, un jour, attiré l’attentionde l’administration sur la pos-sibilité d’installer un compos-teur afin de traiter l’ensembledes matières résiduelles is-sues des cafétérias.

«Nous avons alors demandé ànos étudiants en génie de tra-vailler sur la mécanique fine ducompostage, relate M. Webster.Nous avons aussi fait appel à unprof pour développer le traite-ment des bioplastiques. On a en-suite demandé à un partenaireindustriel et à une entreprise deconcevoir pour nous un compos-teur et un petit véhicule élec-

trique qui acheminerait les bacsde compostage.»

Et, lorsque la filière du com-postage a été fin prête, l’uni-versité a demandé aux ser-vices alimentaires de n’utiliserque des bioplastiques. «On ré-cupère donc les matières rési-duelles — nourriture et bioplas-tiques — qu’on traite grâce aucomposeur industriel installés u r l e c a m p u s » , i n d i q u eM. Webster. Et le compostsert ensuite à l’entretien desterrains de l’université.

«Encore une fois, nous avonsmis en œuvre l’approche la plusintégrée possible, où on utilise àla fois notre enseignement et larecherche pour littéralementtransformer notre université enun laboratoire de développe-ment durable », lance avec sa-tisfaction Alain Webster.

CollaborateurLe Devoir

L’Université de Sherbrooke se démarque

UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Le compost réalisé grâce aux déchets récupérés sur le campus de l’Université de Sherbrooke sert ensuite à l’entretien des terrains.

Page 6: DÉVELOPPEMENT DURABLE€¦ · et de transition énergétique, tout en restant ou-vert à la production d’hydrocarbures: tel est le numéro d’équilibriste auquel se prêtent

DÉVELOPPEMENT DURABLEL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 8 F É V R I E R E T D I M A N C H E 1 E R M A R S 2 0 1 5H 6

Les énergies renouvelables sont un pôle d’inter vention deFondaction, le fonds de travailleurs créé par la Confédérationdes syndicats nationaux (CSN). Les interventions de l’organi-sation prennent dif férentes formes, comme des investisse-ments dans des entreprises ou dans des fonds de capital derisque spécialisés en énergies renouvelables et des incitationsauprès des entreprises soutenues financièrement pourqu’elles réduisent leurs émissions de gaz à ef fet de serre(GES). Entrevue sur le thème des énergies renouvelables avecLéopold Beaulieu, président-directeur général de Fondaction.

FONDACTION ET ÉNERGIES RENOUVELABLES

Des actions sur différents fronts

Leur avenir.Notre

responsabilité.

En réduisant dès aujourd’hui notre empreinte écologique, nous nous assurons de meilleurs lendemains.

Chez Aéroports de Montréal, l’environnement nous tient à cœur. En effet, nous travaillons sans cesse pour accroître notre effi cacité énergétique et réduire nos émissions de gaz à effet de serre dans toutes nos sphères d’activité.

Par exemple, nous avons amélioré de 70 % l’effi cacité de nos systèmes de chauffage, ventilation et climatisation, en plus d’avoir installé des stores motorisés « intelligents »

dans l'aérogare et rehaussé le rendement écologique de nos véhicules. De plus, nous conservons certains espaces verts à proximité de nos sites, ce qui favorise la reproduction des papillons monarques qui sont, eux aussi, attirés par les destinations soleil en hiver !

Ainsi, nous faisons de grands pas pour laisser une plus petite empreinte.

admtl.com

M A R T I N E L E T A R T E

L a COOP Carbone, lancéeen septembre, a pour am-

bition de permettre notam-ment aux entreprises québé-coises de tirer profit du mar-ché du carbone en dévelop-pant une économie verte. L’or-ganisation s’ef force aussi demaximiser les réductions deGES en territoire québécoispar l’accompagnement d’en-treprises dans dif férents pro-jets. La COOP Carbone a étécréée grâce à Fondaction et àd’autres partenaires.

« Depuis janvier, les entre-prises distributrices de produitspétroliers doivent acquérir descrédits carbone, alors que lemarché est plus structuré au-tour de la Californie, expliqueLéopold Beaulieu, président-directeur général de Fondac-tion. La COOP Carbone of freaux entreprises de faire lestransactions pour elles en privi-légiant l’offre québécoise en ma-tière de crédits carbone. »

Pour arriver à acheter descrédits québécois, la COOPCarbone travaille à développercette offre.

« C’est important d’avoir unlevier pour soutenir ce dévelop-pement, affirme Léopold Beau-lieu. Mais les actions de laCOOP ne se limitent pas à sou-tenir les entreprises qui pour-ront mettre des crédits sur lemarché : elle travaille avec plu-sieurs filières pour moderniserles équipements utilisés, de fa-çon à réduire les émissions deGES des entreprises. »

Investissements directsFondaction n’hésite pas

non plus à investir directe-ment dans des entreprises dusecteur des énergies renou-velables. C’est le cas pourEnerkem, par exemple, uneentreprise québécoise deve-nue un leader mondial dansla fabrication de biocarbu-rants et de produits chi -miques renouvelables à par-tir de matières résiduelles.

Fondaction investit aussidans les fonds pancanadien etquébécois en énergies propresque sont Chr ysalix et CycleCapital Management.

«Nous avons été l’un des pre-miers à soutenir le fonds de ca-pital de risque Cycle CapitalManagement, qui investit dansdes entreprises très intéres-santes comme Éocycle Techno-logies, qui travaille à améliorerla per formance et la fiabilitéd’unités de production d’énergieéolienne, et Airex Energie, endéveloppement et commerciali-sation d’une technologie de tor-réfaction de la biomasse. »

Fondaction investit aussidans le développement de la fi-lière du chauf fage à la bio-masse forestière résiduelle viala Fédération québécoise descoopératives forestières.

« Les commissions scolaires,par exemple, les hôpitaux, plu-sieurs établissements et entre-prises peuvent transformerleur système de chauffage pourutiliser de la biomasse fores-tière, une énergie ver te et re-nouvelable, explique LéopoldBeaulieu. Nous annonceronsla création d’un fonds d’inves-tissement prochainement dansle domaine. »

Analyse globale des entreprises

Depuis la création de Fon-daction, en 1996, sa missions’inscrit dans une pratique definance socialement responsa-ble, alors les préoccupationsécologiques ont toujours étéprésentes.

D’ailleurs, Fondaction tenteaussi de montrer l’exemplepar ses propres choix d’entre-prise. Entre autres, elle aconstruit son bâtiment à Qué-bec tout en bois.

« C’était le premier en Amé-rique du Nord d’une telle hau-teur, soit six étages, avec unestructure de bois, souligneM. Beaulieu. Le choix du bois

comme matériau a permis uneéconomie d’énergie de l’ordre de30 %. L’édifice, cer tifié LEED(Leadership in Energy and En-vironmental Design), a reçuplusieurs prix, dont celui duFSC (Fore s t S t ewardsh ipCouncil) des États-Unis. »

L’entreprise a aussi adoptéplusieurs politiques à caractèreécologique, notamment en ges-tion des matières résiduelles eten achats responsables.

Puis, lors de l’analyse d’en-treprises dans lesquelles inves-tir, Fondaction regarde notam-ment leurs différents choix etimpacts sur l’environnement.

« Nous encourageons et ac-compagnons les entreprises quenous finançons à se tournervers des énergies propres et àmoins gaspiller », préciseM. Beaulieu.

Par exemple, Fondaction in-vestit dans le Groupe Radis-son, actif dans le domaine desser vices ambulanciers dansdif férentes régions du Qué-bec. L’entreprise a commencéà utiliser des ambulances hy-brides propane et essence, quifont diminuer jusqu’à 20 % lesémissions de GES, par rapportà un moteur à essence.

La Société de développe-ment Angus, spécialisée en dé-veloppement de projets en mi-lieu urbain, a aussi pour parte-naire financier Fondaction de-puis ses débuts. On leur doitde nombreux projets certifiésLEED, dont le 2-22 et l’aména-gement global du quar tierTechnopôle-Angus.

RentabilitéRentables, tous ces investis-

sements socialement respon-sables ? « Nous ne faisons pasde la philanthropie, mais del’investissement, alors, oui,nous devons atteindre des objec-tifs de rentabilité, affirme Léo-pold Beaulieu. Nos choix d’in-vestissement doivent tenir laroute. »

L’an dernier, le rendementde Fondaction a été de 4,4 %,mais il a été de 1,98 % en cinqans. « Il faut toutefois ajouterà ça le crédit d’impôt de 40 %(35 % à partir du 2 mars, enraison de la baisse du créditd ’ impôt fédéral), préciseM. Beaulieu. C’est intéressantaussi pour plusieurs per -sonnes de savoir que l’argentqu’i l s invest issent ser t àquelque chose d’utile, de posi-tif dans le développement del’économie québécoise. »

Depuis 10 ans, Fondactionproduit un rapport de dévelop-pement durable comme le de-mande la GRI (Global Repor-ting Initiative).

« Nous nous conformons auplus haut niveau d’exigence dela GRI avec des critères de me-sure exhaustifs. »

Fondaction investit aumoins 60 % de son actif dansdes entreprises québécoises et40 % sur les marchés finan-ciers. L’organisation investitdans 42 fonds et 91 % d’entreeux répondent à des critèresécologiques ou sociaux ou ontun code d’éthique en matièred’investissement.

CollaborationLe Devoir

Nousencourageons et accompagnonsles entreprisesque nousfinançons à setourner vers desénergies propreset à moinsgaspiller

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Fondaction investit aussi dans le développement de la filière du chauffage à la biomasse forestière résiduelle via la Fédération québécoisedes coopératives forestières.