Fantasio - Boosey

26
Fantasio Opéra-comique en trois actes Livret de censure Paris 1871 – Première édition provisoire –

Transcript of Fantasio - Boosey

Page 1: Fantasio - Boosey

FantasioOpéra-comique en trois actes

Livret de censureParis 1871

– Première édition provisoire –

Page 2: Fantasio - Boosey

Diese Edition ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertungaußerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes istohne Zustimmung des Verlags unzulässig und strafbar. Das giltinsbesondere für die Vervielfältigung auf Papier (außer für denpersönlichen Gebrauch), die Verwendung in Programmheften,Artikeln, Büchern usw., für Übersetzungen sowie für die Wei-terverarbeitung in elektronischen Systemen. DiesbezüglicheAnfragen sind an den Verlag zu richten.

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin.Eigentum für alle Länder: Boosey & Hawkes · Bote & Bock

Page 3: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 1

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

aut. le 11 Janv. 72

FantasioOpéra-comique 3 actes.__________________

Reçu pour être joué au Théâtre de l’opéra comiquele 10 décembre 1871

Le DirecteurAd. de Leuven

n° 23219 X 71

PersonnagesFantasioLe Prince de MantoueLe Roi de BavièreMarinoni aide de camp du PrinceHartmann }Facio } jeunes gens de la villeRutten }Un PénitentUn TailleurLa Princesse ElsbethLa Gouvernante1er Page2e PageOfficiers, Courtisans, Peuple_______________________

Acte 1er

______

Le théâtre représente une place publique d’un côté laporte du Palais et une terrasse derrière laquelle onaperçoit les jardins du Palais. De l’autre un cabaretavec une tonnelle, la boutique d’un tailleur. Unearcade voutée conduisant à la terrasse traverse lethéâtre. Soleil couchant la ville commence às’illuminer.

_____ Scène 1ère _____

Peuple – Etudiants.

Introduction__________

Chœur______

Doux bienfaitsDe la paixQue la nuit se passe en fêtesGais refrainsEt bons vinsValent mieux que des conquêtes.Les jeunes gensPlace aux chansons, place aux valseursLa valse des plus froids penseursTourne les têtes.~~~

Les jeunes gensPlace aux chansons, place aux valseursLa valse des plus froids penseursTourne les têtes.

Les BougeoisC‘est ce soir que va venirL’époux de la Princesse !Tout ici doit retentirDe nos chants d’allégresse.

Des Débiteurs (sortent de prison leur petit paquetsous le bras.)Le Roi fait ouvrir les prisonsSans un sous comptant nous avonsPayé nos dettes !Nous n’avons plus de créanciersAh ! quelles fêtes ! ...

Des jeunes gensOn parlait naguèreDe faire la guerreEt nous tenions pretsNos sabres, nos mousquets.

(La foule circule sur la place.)

Page 4: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 2

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

_____ Scène 2e _____

Les mêmes, Spark, Hartmann, Facio

SparkIl serait bon de nous mêlerA ce peuple qui court les rues !

HartmannQue de lampions on peut fêterSur ces nez à verrues.

FacioAllons fumons tranquillementInstallons-nous à cette table.

SparkTranquille ! moi ! ... j’ai fait sermentDe me démener comme un diable !Que l’on passe cette nuitDans les chants et dans le bruit.

1.Si l’on veut que l’on m’accrocheQu’on me pende dans le bourdonAinsi qu’un battant de clocheJe ferai mon gai carillon !Et digue dong !Et sonnez donc !Pourvu que jamais tranquilleDe ce vacarme éclatantJe puisse remplir la ville

2.Sur les effets et les causesLaissons les savants discourirTout à loisirJe me en toute chopeA n’écouter que mon désir.

Reprise du chœur.

(Le Roi paraît, rentrant au palais, à la porte du Palaisles gardes passent les armes, la foule s’écarte un peurespectueusement.)

_____ Scène 3e _____

Les mêmes, Le Roi, entouré de ses courtisans.Rutten.

Le RoiMes amis, je vous ai annoncé, il y a déjà longtemps,les fiançailles de ma chère Elsbeth, avec le prince deMantoue. Je vous annonce aujourd’hui l’arrivée dece prince ; ce soir peut-être demain au plus tard, ilsera dans cette ville. Que ce soit un jour de fête pourtout le monde.

TousVive le Roi !

Le RoiQue les prisons s’ouvrent et que le peuple passe lanuit dans les divertissements ! Demain,pour lacérémonie de la présentation du prince les portes demon palais seront ouvertes à tout mon peuple.

TousVive le Roi !

Le RoiRutten, où est ma fille ?

(Les courtisans se retirent.)

RuttenSire elle est dans le parc avec sa gouvernante.

Le RoiPourquoi ne l’ai-je pas encore vue auojourd’hui ?Est-elle triste ou gaie de ce mariage qui s’apprête ?

Ruttenm’a paru que le visage la Princesse était voiléquelque mélancolie elle est la jeune fille qui rêve pasla veille de ses noces ? La mort de St. l’acontrariée.

Le RoiY penses-tu ? la mort de mon bouffon ! d’un plaisantde cour bossu et presque aveugle !

RuttenLa Princesse l’aimait.

Le RoiDis-moi Rutten, tu as vu le prince ; quel homme est-ce ? Hélas ! je lui donne ce que j’ai de plus gracieuxau monde, et je ne le connais point.

RuttenJe suis demeure fort peu de temps à Mantoue ...

Le RoiParle franchement. Par quels yeux puis-je voir lavérité, si ce n’est pas les tiens ?

RuttenEn vérité, je ne saurais rien dire sur le caractère etl’esprit du noble prince.

Le RoiEn est-il ainsi ? Tu hésites, toi courtisan ! Decombien d’éloges l’air de cette place serait déjàrempli, de combien d’hyperboles et de metaphoresflatteuses, si le prince qui sera demain mon gendret’avait paru digne de ce titre ! Me serais-je trompé,mon ami ? Aurais-je fait en lui un mauvais choix ?

RuttenSire, le Prince passe pour le meilleur des Rois.

Page 5: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 3

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Le RoiAh ! pourquoi faut-il que je sois obligé de sacrifierma fille a des raisons d‘Etat ! ...

TousVive le Roi ! (Ils sortent. La foule s’éloigne peu àpeu. Les étudiants restent en scène.)

Le RoiRentrons au palais !

HartmannOù Diable est donc Fantasio ?

SparkAttendons-le, et ne faisons rien sans lui.

FacioBah ! Il nous trouvera toujours !

_____ Scène 4e _____

Les mêmes, Marinoni.

SparkChut ! ... voilà un chapeau rabattu qui flaire quelquenouvelle ... Le gobe-mouche à envie de nousaborder.

Marinoni (s’approchant)Je suis étranger messieurs ; à quelle occasion cettefête ?

FacioLa princesse Elsbeth se marie.

MarinoniAh ! ah ! c’est une belle femme à ce que jeprésume ?

HartmannComme vous êtes un bel homme, vous l’avez dit.

MarinoniAimée de son peuple, si j’ose le dire, car il me paraitque tout est illuminé.

HartmannTu ne te trompes pas, brave étranger ; tous ceslampions allumés que tu vois, comme tu l’asremarqué sagement, ne sont pas autre chose qu’uneillumination.

MarinoniJe voulais demander par là si la princesse est lacause de ces signes de joie.

SparkL’unique cause, puissant rhéteur. Nous aurions beaunous marier tous, il n’y aurait aucune espèce de joiedans cette ville ingrate.

MarinoniHeureuse la princesse qui sait se faire aimer de sonpeuple !

SparkDes lampions allumés ne font pas le bonheur d’unpeuple chez homme primitif.

HartmannCela n’empêche pas la susdite Princesse d’êtrefantasque comme une bergeronnette.

MarinoniEn vérité ? vous avez dit fantasque ?

HartmannJe l’ai dit, cher inconnu, je me suis servi de ce mot.(Marinoni salue et remonte à un groupe qui traversele fond du théâtre.)

_____ Scène 5e _____

Hartman, Facio, Spark, puis Fantasio.

FacioA qui diantre en veut cette espèce d’Italien ? (Sparkverse à boire.) Le voilà qui nous quitte pour aborderun autre groupe. Il sent l’espion d’une lieue.

HartmannIl ne sent rien du tout ; il est bête à faire plaisir.

SparkVoilà Fantasio qui arrive.

HartmannQu’a-t-il ? il se dandine comme un conseiller dejustice. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuselubie mûrit dans sa cervelle.

Fantasio (chantant, sans s’occuper de ses camaradesqui l’observent.)Ballade à la Lune._____________

Voyez dans la nuit bruneSur le clocher jauniLa LuneComme un point sur un i !

Lune quel esprit sombrePromène au bout d’un filDans l’ombreTa face ou ton profil ?

Qui t’aime éborgnéeL’autre nuit ? étais-tuCognéeA quelque arbre pointu ?

Page 6: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 4

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Va ! aime moribondeLe beau corps de PhoebéLa blondeDans la mer est tombé ! ...

Rends-nous la chasseresseBlanche, au soin virginal,Qui presseQuelque cerf matinal ! ...

Ah ! le soir, dans la brisePhoebé, soeur d’ApolloSurpriseA l’ombre, un pied dans l’eau !

Phoebé, qui la nuit closeAux lèvres d’un bergerSe poseComme un oiseau léger !

Lune, en notre mémoireDe tes belles amoursL’histoireT’embellira toujours !

T’aimera le vieux pâtreSeul, tandis qu’à ton frontD’albâtreLes dogues aboieront

T’aimera le piloteDans son grand bâtimentQui flotteSous le clair firmament !

Et ta fillette presteQui passe le buissonPied lesteEn chantant sa chanson !

___

FacioEh bien ! ami ? que ferons-nous de cette bellesoirée ?

Fantasio (Entrant.)Tout absolument, hors un roman nouveau.

Facio (se lève.)Je disais qu’il faudrait nous lancer dans cettecanaille et nous divertir un peu.

FantasioL’important serait d’avoir des nez de carton et despétards.

Hartmann (se lève)Prendre la taille aux filles, tirer les bourgeois par laperruque et casser les lanternes. Allons, partons,voilà qui est dit.

Fantasio

Il était une fois un Roi de Perse ? ...

HartmannViens donc Fantasio.

FantasioJe n’en suis pas ! je n’en suis pas ! que celam’ennuie que tout le monde s’amuse. Je voudraisque ce grand ciel si lourd fut un immense bonnet decoton, pour envelopper jusqu’aux oreilles cette sotteville et ses sots habitants ! ... Donnez-moi un verrede ça.

SparkHolà ! ohé ! ... à boire ! ...

_____ Scène 6e _____

Les mêmes, Un Page.

Flamel (Entrant)Messieurs, je viens vous prier de vouloir bien allerplus loin, si vous ne voulez pas être dérangés dansvotre gaieté.

HartmannPourquoi, mon capitaine ?

FlamelLa Princesse est dans ce moment sur la terrasse, etvous comprenez aisément qu’il n’est pas convenableque vos cris arrivent jusqu’à elle. (Il sort)

FacioVoilà qui est intolérable !

SparkQu’est-ce que cela nous fait d’aller rire ici ouailleurs ?

HartmannQu’est-ce qui nous dit qu’ailleurs il nous sera permisde rire ? Vous verrez qu’il sortira de tous les pavésde la ville un drôle en habit galonné pour nous prierd’aller rire dans la lune.

FantasioLa Princesse n’a jamais fait un acte de despotismede sa vie ; que Dieu la conserve ! Si elle ne veut pasqu’on rie, c’est qu’elle est triste ou qu’elle chante.Laisson-là en repos.

(Ils entrent dans le cabaret.)

_____ Scène 7e _____

Elsbeth et sa Suivante, paraissant sur la terrasse puisFantasio. Elsbeth passe sur le pont qui joint le Palaisaux jardins, puis elle s’arrête un moment ets’accoude sur la terrasse, la suivante entre au palais.

Page 7: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 5

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

ElsbethRécit____

Voilà toute la ville en fêteQue sera-t-il pour moi cet hymen qui s’apprête ?Mon fiancé, demain, doit paraître à la cour !Hélas ! je tremble, hésitante, inquiète,Devant ces mots si doux de tendresse et d’amour.1Pourquoi ne puis-je voir sans plaisir et sans peineLes baisers du Zéphir trebler sur la fontaineEt l’ombre des tilleuls passer sur mes bras nus ?Hier j’étais une enfant, et je ne le suis plus !

L’eau, la terre et les vents tout s’emplit d’harmonieUn jeune rossignol chante au fond de mon cœurJ’entends sous les roseaux murmurer les génies,Tout me parle d’amour, d’ivresse et de bonheur !

Fantasio, qui a paru depuis un instant sous latonnelle du cabaret et qui a écouté Elsbeth prend uneguitare et chante sans se montrer.Elsbeth ! Elsbeth ! que fais-tu de la vieL’heure s’enfuit, le jour succède au jourRose ce soir demain flétrieComment vas-tu, toi qui n’as pas d’amour ?

Elsbeth (à elle-même)Est-ce un rêve ? Quelle est cette chanson d’amour ?

FantasioRegarde-toi, la jeune filleTon cœur bat et ton œil pétilleAujourd’hui le printemps, Elsbeth, demain l’hiver !Quoi ! tu n’as pas d’étoile et tu vas sur la mer !Au combat sans musique, au voyage sans livre ...Quoi ! tu n’as pas d’amour et tu parles de vivre ! ...Moi, pur un peu d’amour, je donnerais mes jours,Et je les donnerais pour rien sans les amours !

ElsbethJe ne me trompe pas singulière romance !Mais comment ce chanteur me parle-t-il ainsiPeut-être sa beauté s’appelle Elsbeth aussi ...

FantasioQu’importe qu’un jour finisse et recommenceQuand d’une autre existenceLe cœur est animé ! ...Ouvrez vous jeunes fleurs ! si la mort vous enlèveLa vie est un sommeil, l’amour en est le rêveEt vous aurez vécu si vous avez aimé.

Elsbeth (se penchant et cherchant à voir Fantasio)Ses éperons d’argent brillent dans la roséeUne chaine gland d’or retient son manteau noir !La chanson qu’il m’adresse est vraiment bien oséeQuel est ce personnage et comment le savoir ? ...

_____

Ensemble_______

FantasioElsbeth ! Elsbeth ! Que fais-tu de la vie ?Le jour s’enfuit, la nuit succède au jour.Rose ce soir, demain flétrie,Pourquoi vis-tu, toi qui n’as pas d’amour ?

____

Elsbeth (se répétant les paroles à elle-même.)Elsbeth ! Elsbeth ! qu’as-tu fait de la vie ?Le jour s’enfuit la nuit succède au jourRose ce soir demain flétriePourquoi vis-tu, toi qui n’as pas d’amour ?~~~

La suivante reparaît. Elsbeth s’arrache à sa rêverie etrentre avec sa suivante dans le palais. En mêmetemps Spark sort du cabaret et frappe sur l’épaule deFantasio qui toujours regarde Elsbeth s’éloigner.

_____ Scène 8e _____

Fantasio, Spark.

Spark (à Fantasio)Quel astre contemples-tu là ?

FantasioLa lune ! vois comme ce clair de lune est manqué !Regarde-moi un peu ces quatre ou cinq petitsnuages. Je faisais des ciels comme celui-la, quandj’avais douze ans, sur la couverture de mes livres declasse.

SparkQuel bon tabac ! quelle bonne bière ! (Il boit)

FantasioJe dois bien t’ennuyer, Spark.

SparkNon, pourquoi cela ?

FantasioC’est que, toi, tu m’ennuies horriblement ! Cela nete fait rien de voir tous les jours la même figure ?Que diable Hartmann et Facio s’en vont-ils fairedans cette fête ?

SparkCe sont deux gaillards actifs qui ne sauraient resteren place.

FantasioQuelle admirable chose que les Mille et une nuit ! OSpark ! mon cher Spark, si tu pouvais me transporteren Chine ! Si je pouvais seulement sortir de ma peaupendant une heure ou deux ! (Un monsieur sort du 3e

plan) Si je pouvais être ce Mr qui passe !

Page 8: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 6

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

SparkCela me paraît difficile.

FantasioCe Monsieur qui passe est charmat ! (Il se lève)regarde : quelle belle culotte de soie ! quelles bellesfleurs rouges sur son gilet ! Ses breloques de montrebattent sur sa panse, en opposition avec les basquesde son habit, qui voltigent sur ses mollets. Je suis sûrque cet homme-là a dans la tête un millier d’idéesqui me sont absolument étrangères ; son essence luiest particulière. Hélas ! tout ce que les hommes sedisent entre eux se ressemble ; les idées quiéchangent sont presque toujours les mêmes ; maisdans l’intérieur de ces machines isolées, quelsreplis ! (Il se r’assied à sa place) Quelscompartiments secrets ! C’est tout un monde quechacun porte en lui ! un monde ignoré qui naît et quimeurt en silence ! Quelles solitudes que tous cescorps humains !

SparkBois donc, désoeuvré, au lieu de te creuser la tête.(Spark va pour verser à boire.)

FantasioIl n’y a qu’une chose qui m’ait amusé depus troisjours ! C’est que mes créanciers ont obtenu un arrêtcontre moi, et que si je mets les pieds dans mamaison, il va arriver 4 estafiers qui me prendront aucollet.

SparkVoilà qui est fort gai, en effet ! Où coucheras-tu cesoir ?

FantasioA l’aventure ! allons jouer au 30 et 40.

SparkNon ! en vérité !

FantasioPourquoi ?

SparkParceque nous perdrions notre argent.

FantasioAh ! mon Dieu ! Qu’est-ce que tu vas imaginer-là !Tu ne sais quoi inventer pour te torturer l’esprit. Tuvois donc tout en noir, misérable ? Perdre notreargent ! tu n’as donc ni foi en Dieu ni espérance ?Tu es donc un athée épouvantable, capable de medessécher le cœur et de me désabuser de tout, moiqui suis plein de sève et de jeunesse ?

SparkEn vérité, il y a des moments ou je ne jurerais pasque tu n’es pas fou. Pourquoi n’écris-tu pas ce que turêves ? cela ferait un joli recueil.

FantasioUn sonnet vaut mieux qu’un long poème, et un verrede vin vaut mieux qu’un sonnet. (il va à la table etboit.)

SparkPourquoi ne voyages-tu pas ? Va en Italie.

FantasioJ’y ai été. Il y a une quantité de mouche grossescomme des hannetons qui vous piquent toute la nuit.

SparkVa en France.

FantasioIl n’y a pas de bon vin du Rhin à Paris.

SparkVa en Angleterre.

FantasioJ’y suis. Est-ce que les Anglais ont une patrie ?J’aime autant les voir ici que chez eux.

SparkVa donc au diable, alors !

Fantasio (à Spark)Connais-tu une plus divine romance que celle-làSpark ? C’est une romance française. Elle ne m’estjamais venue à l’esprit sans me donner l’envied’aimer quelqu’un.

SparkSi tu étais amoureux, tu serais le plus heureux deshommes.

FantasioL’amour n’existe plus, mon cher ami. La foi était saveille nourrice. Le lait lui manque, il n’y a plusd’amour. Vive la nature ! il n’y a encore du vin !

SparkTu vas te griser.

Fantasio (s’assied)Je vais me griser, tu l’as dit.

SparkIl est est un tard pour cela.

FantasioQu’appelles-tu tard ? Midi, est-ce tard ? minuit, est-ce de bonne heure ? Où prends-tu la journée ?(arrêtant Spark) Tiens, Spark, allons prendre la luneavec les dents !

SparkJe le veux bien ! (Passent des pénitents.)

Page 9: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 7

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

_____ Scène 9e _____

Les mêmes, Les Pénitents.

Les PénitentsO Saint-Jean ta joyeuse faceA fait sa dernière grimaceToi qui riaisToi qui raillaisTon sourire et ta raillerieSont endormis à tout jamais.

FantasioBraves gens au manteau noirOù courez-vous à cette heure ?

1er PénitentNous accompagnons ce soirA sa dernière demeureCe pauvre St. Jean !

FantasioEh ! quoi ! ...St. Jean le bouffon du Roi ...St. Jean est mort ! ...

Les PénitentsQue Dieu lui fasse grâce !

FantasioEt quel ministre a pris sa place ?

1er PénitentLa place est vacante et tu peuxLa prendre si tu veux !

Les Pénitents (passant)Ô St. Jean ta joyeuse faceA fait sa dernière grimaceToi qui riais,Toi qui raillais,Grand docteur en plaisanterieTon sourire et ta raillerieSont endormis à tout jamais.(ils sortent)~~~

FantasioQue je prenne la place de St. Jean, a-t-il dit ?

SparkVoilà une insolence que tu t’es bien attirée ...à quoipenses-tu d’arrêter ces gens ?

FantasioIl n’y a là rien d’insolent. C’est un conseil d’ami quem’a donné cet homme, et que je vais suivre àl’instant.

SparkTu vas te faire bouffon de la Cour ?

FantasioCette nuit même, si l’on veut de moi.

SparkComme tu es fin ! On te reconnaîtra, et les laquais temettront à la porte ; n’es-tu pas le filleul de la feuereine ?

FantasioComme tu es bête ! je mettrai une bosse et uneperruque rousse comme la portait St. Jean, etpersonne ne me reconnaîtra, quand j’aurais troisdouzaines de parrains à mes trousses. (Il frappe àune boutique à droite.) Hé ! brave homme ouvrez-moi, si vous n’êtes pas sorti, vous, votre femme etvos petits chiens.

_____ Scène 10e _____

Les mêmes, Un tailleur.

Le tailleurQue demande votre Seigneurie ?

FantasioN’êtes-vous pas tailleur de la cour ?

Le tailleurPour vous servir.

FantasioEst-ce vous qui habilliez St. Jean ?

Le taillerOui, Monsieur.

FantasioVous le connaissiez ? vous savez de quel côté étaitsa bosse, comme il frisait sa moustache, et quelleperruque il portait.

Le tailleurHé ! Hé ! Monsieur veut rire !

Fantasio (lui mettant la main sur l’épaule)Homme, je ne veux point rire ; entrons dans tonarrière-boutique, et si tu ne veux être empoisonnédemain dans ton café au lait, songe à être muetcomme la tombe sur tout ce qui va se passer ici. (Ilentre chez le tailleur.) Spark le suit.)

_____ Scène 11e _____

Le Prince et Marinoni

Le Prince (entre pensif)Eh ! bien, colonel ?

Marinoni

Page 10: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 8

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Altesse.

Le PrinceEh bien, Marinoni ?

MarinoniMélanoclique, fantasque, soumise à son père, aimantbeaucoup les pois verts ...

Le PrinceEcris cela ; je ne comprends clairement que lesécritures en bâtarde.

MarinoniMélanco ...

Le PrinceEcris à voix basse ; je rêve à un projet d’importancedepuis mon dîner.

MarinoniVoilà, altesse, ce que vous demandez.

Le PrinceC’est bien. Je ne connais pas dans tout mon royaumede plus belle écriture que la tienne. Je te nommemon ami intime ... assieds-toi ... à quelque distance.Vous pensez donc, mon ami, que le caractère de laPrincesse, ma future épouse, vous est secrètementconnu ?

MarinoniOui, altesse ; j’ai parcouru les alentours du palais, etces tablettes renferment les principaux traits desconversations différentes dans lesquelles je me suisimmiscé.

Le PrinceIl me semble que je suis poudré comme un hommede la dernière classe.

MarinoniL’habit est magnifique.

Le PrinceQue dirais-tu, Marinoni, si tu voyais ton maîtrerevêtir un simple frac olive ?

MarinoniSon altesse se rit de ma crédulité.

Le PrinceNon, colonel ; apprends que ton maître est le plusromanesque des hommes.

MarinoniRomanesque, altesse.

Couplets_______

1

Le PrinceJe médite un projet d’importance !

MarinoniUn projet d’importance !

Le PrinceJe conçois un dessein surprenant

MarinoniUn dessein surprenant !

Le PrinceNul mortel de ma naissanceEt nul homme de mon rangN’en a jamais fait autant.A la cour princièreDu roi mon beau-père,Sous l’habillementD’un aide de campSans que nul soupçonneJ’arrive et je veux,Tout voir par mes yeux !Je médite un projet d’importance.

2Ce qui m’embarrasseC’est que de ma raceL’éclat radieuxSe lit dans mes yeux.Je médite un projet d’importanceEtc.~~~

MarinoniEst-il vrai, altesse ?

Le PrinceNe reste pas pétrifié. Un homme tel que moi ne doitavoir pour ami intime qu’un esprit vaste etentreprenant.

MarinoniUne seule chose me paraît s’opposer au dessein devotre altesse.

Le PrinceLaquelle ?

MarinoniL’idée d’un tel travestissement ne pouvait appartenirqu’au prince glorieux qui nous gouverne. Mais simon gracieux souverain est confondu parmi l’état-major, à qui le roi de Bavière fera-t-il leshonneurs d’un festin splendide qui doit avoir lieudans la galerie ?

Le PrinceTu as raison, si je me déguise, il faut que quelqu’unprenne ma place. Cela est impossible, Marinoni, jen’avais pas pensé à cela.

Page 11: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 9

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

MarinoniPourquoi impossible, altesse ?

Le PrinceJe puis bien abaisser la dignité princière jusqu’augrade de colonel, mais comment peux-tu croire queje consente à élever jusqu’à mon rang un hommequelconque ? Penses-tu d’ailleurs que mon futurbeau-père me le pardonnerait ?

MarinoniLe Roi passe pour un homme de beaucoup de sens etd’esprit, avec une humeur agréable.

Le PrinceAh ! ce n’est pas sans peine que je renonce à monprojet. Pénétrer dans cette cour nouvelle, sans fasteet sans bruit, observant, approcher de la princessesous un faux nom, et peut-être m’en faire aimer !Oh ! je m’égare, je ne saurais y resister. Marinonimon ami, viens essayer mon habit de cérémonie ...Colona ...

MarinoniAltesse !

Le PrincePenses-tu que les siècles futurs oublieront unepareille circonstance ?

MarinoniJamais, gracieux prince.

Le PrinceViens essayer mon habit, mon ami ! (ils sortent.)

_____ Scène 12e _____

Les Etudiants.Final.____

Les Etudiants (revenant)Tout bruit cesseLe jour fuitDans le calme de la nuitMa maitresseQui m’attendEcoute nos chants en rêvantQuand sommeilleLe bougeoisQue sans trêve notre voixLe réveilleDans son litPrès de son flambeau qui palit

SparkCe soir Fantasio nous a dit de l’attendre,Parmi nous il tarde à se rendreNous devions le trouver ici !Fantasio ! mais où donc peut-il être.

Tous (appelant)Fantasio !

_____ Scène 13e _____

Les mêmes, Fantasio (habillé en fou.)

FantasioMe voici !

Tous, reculantSt. Jean ressucité qui vient nous apparaître

SparkMais c’est Fantasio lui-même !

FantasioC’est bien moi !

SparkToi sous l’habit d’un fou !

FantasioRien n’est plus raisonnableEt ce déguisement est le seul convenableJe m’en vais vous dire pourquoi

1.Est-il un plus doux passe-temps ?Tout entendre et tout dire !Au nez de graves courtisansSe permettre de rire !Ayant pour fleurons des grelotsPour sceptre une marotteRailler les méchants et les sotsEt piquer qui s’y frotte !Le sort des fous est agréableLe sort des fous est trop heureux :Est-il un homme raisonnableQui n’aimât changer avec eux !

2.Le sort des fous est agréableEtc.~~~

SparkSeigneur fou puis de la défroqueDe Saint-Jean vous portez bonheur !De vote entreprise baroqueTirez-vous donc à votre honneur.

FantasioOui je vais à la cour ! l’idée est amusante

SparkDis-nous donc quel est ton dessein ?

FantasioJe prétends toucher de la main

Page 12: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 10

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Ces orangers, qui, lorsqu’il vente,Ont souvent sur notre cheminFait pleuvoir leur neige odorante.Moi qui ne puis coucher chez moiJe m’en vais coucher chez le roiJe veux voir, l’idée est hardie,De la loge du souverainCette royale comédieQue l’on représente demain.Mes amis, voila pourquoiJe vais à la cour du Roi !

Les EtudiantsSeigneur fou, dépêche-toiVa donc à la cour du Roi !

FantasioMais surtout, amis, silence ! ...Que chacun de vous soit muetNe dites rien de mon projet

SparkSur nous tu peux compter d’avance

FantasioMaintenant, laissez-moi, partez !Et dans la ville illuminéePour bien finir votre journéeRépandez-vous de tous côtés !

Les EtudiantsNous partons ! bonne chance !Adieu donc ! à demain ! bonsoir !

FantasioDemain ! ... avant demain j’épouseElsbeth j’aurai pu te revoir

Les EtudiantsReprise du ChœurQuand sommeilleLe BourgeoisEtc.

(Ils s’éloignent)

_____ Scène 14e _____

Fantasio puis 2 Gardes.

FantasioLeur chant au loin se perd dans la cité joyeuseDoux refrains du passé répétés tant de fois !(regardant la terrasse)La c’est une autre voixTendre et mystérieuseQui semble m’appeler dans un monde enchantéQue faire ? ... (il prend son parti et va frapper auchateau)

2 Gardes (ouvrant la porte)

Un revenant. St. Jean ressucité ! ...

Fantasio (à lui-même)Par rien je ne suis arrêtéElsbeth ! ... je vais le voir ! le sort en est jeté.(il entre. On entend au loin le chant des Etudiants)

ChœurTous bruit cesseLe jour finitDans le calme de la nuitEtc.~~~

Fin___

Acte 2e

______

Les jardins du Palais.

______ Scène 1ère _____

Elsbeth, Dames de la Cour, Pages.

Chœur.Quand l’ombre des arbresFera voltigerAu front de ces marbresSon voile légerEnfant couronnéeOn verra demainL‘anneau d’hymenéeBriller à ta main !

Le PageElle a pâli la jeune filleEt de ses beaux yeux abaissésUne larme s’échappe et brilleNaïf regret des jours passés.

ElsbethCachons l’ennui de mon âme oppresséeMes pleurs sechez-vous dans mes yeuxUne royale fiancéeNe doit montrer qu’un front soyeux

AirDans son destin qui donc peut lireQuel est l’époux qu’hélas j’attendsPour commencer il faut en rireDe pleurer il est toujours temps

Après tout je vais être reineQui sait c’est peut être amusantSuivons le fleuve qui m’entraîneSans chercher où va le courant

Page 13: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 11

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Et puis, au lendemain des nocesQui sait ! peu-être au lieu d’amourJe prendrai goût à mes carossesA mes parures, à ma cour

Peut-être au fond de ma corbeilleSans y songer, comme une fleurQui le matin éclot vermeille,Je m’en vais trouver le bonheur

Pour une princesse à mon âgeJ’en ferais bien le pariIl est dans le mariageAutre chose qu’un mari.

Reprise du chœurQuand l’ombre des arbresEtc.

_____ Scène 2e _____

Elsbeth, Le Page.

ElsbethJe me sens au fond du cœur une vague tristesse.Peut-être est-ce la mort de ce pauvre St. Jean.

Le PageIl avait tant d’esprit !

ElsbethCe n’était pas un bouffon ordinaire.

Le PageQui ne parlait que de vous le jour durant. Un garçonsi gai, si amusant, qu’il faisait aimer la laideur et queles yeux le cherchaient toujours en dépit d’eux-mêmes ! Dire que le pauvre homme est allé là-haut,la veille de vos fiançailles !

ElsbethNe me parle pas de mon mariage ; c’est encore là ungrand malheur. Ne sais-tu pas que le Prince deMantoue arrive aujourd’hui ?

Le PageOn dit que c’est un Amadis

ElsbethJe ne demandais pas un Amadis mais cela est cruelquelquefois de n’être qu’une fille de Roi. Mon pèreest le meilleur des hommes ; le mariage qu’il prépareassure la paix de son royaume ; il recevra enrécompense la bénédiction d’un peuple ; mais moi,hélas ! j’aurai la sienne et rien de plus.

Le PageComme vous parlez tristement !

Elsbeth

Quel malheur que des traités de paix se signenttoujours avec des larmes ! Je voudrais être une fortetête et me résigner à épouser le premier venu, quandcela est nécessaire en politique. Etre la mère d’unpeuple cela console les grands cœurs, mais non lestêtes faibles.

Le PageJe suis sûr que si vous refusiez le Prince, votre pèrene vous forcerait pas.

ElsbethNon certainement il ne me forcerait pas, et c’estpour cela que je me sacrifie. Veux-tu que j’aille direà mon père d’oublier sa parole et de rayer d’un traitde plume son nom respectable sur un contrat qui faitdes milliers d’heureux ? Qu’importe qu’il fasse unemalheureuse ? Je laisse mon bon père est un bonRoi.

Le PageSi St. Jean était là

ElsbetAh ! St. Jean ! St. Jean !

Le PageVous l’aimiez beaucoup.

ElsbethCela est singulier ; son esprit m’attachait à lui avecdes fils imperceptibles qui semblaient venir de moncœur ; sa perpétuelle moquerie de mes idéesromanesques me plaisait à l’excès tandis que je nepuis supporter qu’avec peine bien des gens quiabondent dans mon sens ; je ne sais ce qu’il y avaitautour de lui, dans ses yeux, dans ses gestes, dans lamanière dont il prenait son tabac. C’était un hommebizarre ; tandis qu’il me parlait, il me passait devantles yeux des tableaux délicieux ; sa parole donnait lavie, comme par enchantement, aux choses les plusétranges.

Le PageC’était un vrai Triboulet.

ElsbethJe n’en sais rien ; mais c’était un diamant d’esprit.

Le PageVoilà des pages qui vont et viennent, je crois que lePrince ne va pas tarder à se montrer ; il faudraitretourner chez vous pour vous habiller.

ElsbethLaisse-moi un quart d’heure encore ; va me preparerce qu’il me faut. Hélas je n’ai plus longtemps àrêver.

Le PageEst-il possible que ce mariage se fasse, s’il vousdéplaît ! Un père sacrifier sa fille !

Page 14: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 12

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

ElsbethVa, et que l’on prépare ce qu’il me faut.

_____ Scène 3e _____

Elsbeth, puis Fantasio

ElsbethIl me semble qu’il y a quelqu’un derrière cesbosquets. Est-ce le fantôme de mon pauvre bouffonque j’aperçois dans ces bluets ? Répondez-moi : quiêtes-vous ? que faites-vous là, à cueillir ces fleurs ?

Fantasio, (en bouffon)Je suis un brave cueilleur de fleurs qui souhaite lebonjour à vos beaux yeux.

ElsbethQue signifie cet accoutrement ? Qui êtes-vous pourvenir parodier sous cette perruque un homme quej’ai aimé ? êtes-vous écolier en bouffonnerie ?

Fantasio1C’est le nouveau bouffon du RoiQui devant vous Elsbeth s’inclineLe majordome est bon pour moiOn me protège à la cuisineJe suis venu modestement(Sachez quelle envie est la mienne)Cueillir des fleurs en attendantQu’un beau matin l’esprit me vienne.~~~

ElsbethCela me paraît douteux que vous cueilliez jamaiscette fleur-là.

FantasioComment appelez-vous celle-ci, s’il vous plaît ?

ElsbethUne tulipe. Que veux-tu prouver ?

FantasioUne tulipe rouge ou une tulipe bleue ?

ElsbethBleue à ce qu’il me semble.

FantasioPoint du tout ; c’est une tulipe rouge, et cependant jeconviens qu’elle est bleue.

ElsbethComment arranges-tu cela ?

FantasioComme votre contrat de mariage.

2Qui sait s’il naquit rouge ou bleu ?Les jardiniers et les notairesFont chaque jour, comme par jeuDes greffes extraordinairesL’homme commande au monde entier,A son gré le métamorphoseLa pâle fleur de l’églantierDans ses mains devient une rose

ElsbethLa pâle fleur de l’églantier peut devenir une rose,mais une fleur ne peut en devenir une autre ; ainsi,qu’importe à la nature ? On ne la change pas. Onl’embellit ou on la tue. La plus chétive violettemourrait plutôt que de céder, si on oubliait altérer saforme d’une étamine.

FantasioC’est pourquoi je fais plus de cas d’une violette qued’une fille de Roi.

ElsbethIl y a des choses que les bouffons eux-mêmes n’ontpas le droit de railler, fais-y attention. Si tu as écoutéma conversation avec mon page, prends garde à tesoreilles.

FantasioNon pas à mes oreilles, mais à ma langue. Vousvous trompez de sens ; il y a une erreur de sens dansmes paroles ?

ElsbethNe fais pas de calembour, si tu veux gagner tonargent, et ne me compare pas à des tulipes, si tu neveux gagner autre chose.

FantasioUn calembour console de bien des chagrins, et joueravec les mots est un moyen comme un autre de joueravec les pensées.

ElsbethTu me fais l’effet de regarder le monde à travers uneprisme tant soit peu changeante.

FantasioChacun a ses lunettes, mais personne ne sait au justede quelle couleur en sont les verres. Qui est-ce quipourra me dire si je suis heureux ou malheureux,bon ou mauvais, triste ou gai, bête ou spirituel ?

ElsbethTu es laid, du moins, cela est certain.

FantasioPas plus certain que votre beauté, pas plus certainque vos plaisirs et vos peines. Tenez, voilà votrepère qui vous amène votre futur mari. Qui sait sivous l’épouserez ? (Il sort)

Page 15: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 13

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

_____ Scène 4e _____

ElsbethCe fou m’intéresse ; son esprit m’amuse. Il semoque de moi ; mais il me plaît, et sous son ironie,je sens un cœur ami. C’est fort heureux qu’il soitlaid ... Je l’aimerai peut-être comme j’aimais monpauvre St. Jean.

_____ Scène 5e _____

Elsbeth, Le Page, puis le Roi, Marinoni, costume duPrince, Le Prince, costume de Marinoni.

Le PageLe voilà chère PrincesseLe voilà ce noble épouxDont la jalouse tendresseVous emmène loin de nous.

Le Prince et Marinoni (entrant)La voilà cette PrincesseDont je vais } être l’époux ! il doit }Quelle grâce enchanteresseAh ! qui n’en serait jaloux !

Le RoiLa voilà ! venez, Altesse,Mon Elsbeth est devant vousPermettez qu’à la PrincesseJe présente son époux.

ElsbethQuoi ! c’est donc là cette AltesseQu’on me donne pour époux ?Quel trouble secret m’opresseJe sens flechir mes genoux !

Le RoiNous vous recevons simplementEt vous voyez dès ce momentQuelles manières sont les nôtresChez nous de l’étiquette on adoucit les loisEt vous êtes chez un bourgeoisQui tâche d’en gouverner d’autres.

MarinoniOn ne saurait mieux s’exprimer.

Le PrinceLa Princesse a tout pour charmer.

RepriseLa voilà cette PrincesseEtc.~~~

Marinoni

Permettez-moi de baiser cette main charmante,Madame, si ce n’est pas une trop grande faveur pourmes lèvres.

ElsbethVotre Altesse m’excusera. Je la verrai, je pense,d’une façon plus convenable à la présentation de cesoir.

Le PrinceLa Princesse a raison, voilà une divine pudeur. Unedivine pudeur.

Le Roi (à Marinoni)Quel est donc cet aide-de-camp qui vous suit commevotre ombre ? Il m’est insupportable de l’entendreajouter une remarque inepte à ce que nous disons.Renvoyez-le je vous prie.

Le Prince (à Elsbeth)Je comprends, Madame, quelles alarmes doit jeterdans le cœur d’une jeune Princesse la vue de sonfutur époux ; mais moi, qui ne suis rien, hélas !oserai-je solliciter la grâce de vous baiser la mainavec le respect d’un simple officier subalterne etd’un humble sujet de votre Altesse ?

ElsbethJe ne suis pas encore Princesse de Mantoue, moncher monsieur. (Elle sort.)

Le RoiSi vous ne renvoyez cet animal, je vais le congédiermoi-même.

MarinoniColonel, Colonel, je vous prie de vous retirer. Vosremarques sont indiscrètes et vos parolesimpertinentes.

Le PrinceUn affront public ! ... A moi !

Le RoiCet aide-de-camp est un imbécile, mon ami, quepouvez-vous faire de cet homme-là ?

MarinoniHum ! hum ! quelques pas plus avant, si votreMajesté le permet ; je crois apercevoir un kiosquetout à fait charmant dans ce bocage. (Ils sortent.)

_____ Scène 6e _____

Le Prince, Elsbeth.

Le PrinceJe ne sais où j’en suis. Mais que vois-je ? laPrincesse ! un tête à tête ! Quel heureux coup dusort ! Arrêtez, madame !

Page 16: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 14

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

ElsbethEncore !

Le PrincePermettez, de grâce, à un fidèle serviteur de votrefutur époux de vous offrir les félicitations sincèresque son cœur humble et dévoué ne peut contenir envous voyant.

Air.___

Ah ! trois fois heureux les grands de la terreIls peuvent prétendre à vous épouser !Et sa Majesté le Roi votre pèreA bien peu de chose à leur refuser,Ce qu’ils peuvent, eux, ne m’est pas possibleJe dois dévorer mon cruel tourmentEt ce rêve ardent d’un cœur trop sensibleN’est qu’un rêve vain, vain absolument.

Je n’ai que mon nom pour tout bienNom célèbre par ma vaillanceNom d’un homme qui ne craint rien !Je suis d’une obscure naissanceJe ne suis qu’un pauvre soldatDont le corps est criblé de ballesExilé sans un seul ducatBien loin de ses rives natalesSilencieux, maudit rêveur.Je vis le deuil au fond de l’âmeEt je n’ai pas un cœur de femmeUn cœur à presser sur mon cœur !

Ah ! trois fois heureux les grands de la terreEtc.

ElsbethQue me voulez-vous, mon cher monsieur ? Etes-vous fou ? ou demandez-vous l’aumône ?

Le PrinceQu’il serait difficile de trouver des paroles pourexprimer ce que j’éprouve ! Je vous ai vue seule, j’aicru qu’il était de mon devoir de me jeter à vos piedset de vous offrir ma compagnie jusqu’à la poterne.

ElsbethJe vous suis obligée ; rendez-moi le service de melaisser tranquille. (Elle sort.)

_____ Scène 7e _____

Le PrinceAurais-je eu tort de l’aborder ? Il le fallait cependantpuisque j’ai le projet de la séduire sous cet habit. Jen’aurais peut-être pas dû lui parler si vivement. Il lefallait pourtant, puisque je dois supplanter Marinoni.Mais la réponse est désagréable, aurait-elle un cœurdur et faux ? Il faudra sonder adroitement la chose.

_____ Scène 8e _____

Le Prince, Marinoni.

MarioniEh bien, Prince, êtes-vous content de moi ?

Le PrinceTu n’es qu’un sot, colonel.

MarinoniVotre Altesse se trompe sur mon compte de lamanière la plus pénible.

Le PrinceTu es un maître butor, ne pouvais-tu empêcher cela ?Je te confie le plus grand projet qui se soit enfantédepuis une suite d’années incalculables et toi monmeilleur ami, mon plus fidèle serviteur, tu entassesbêtises sur bêtises. Non, non, tu as beau dire, celan’est point pardonable.

MarinoniComment pouvais-je empêcher Votre Altesse des’attirer les désagréments qui sont la suite nécessairedu rôle supposé qu’elle joue ? Vous m’ordonnez deprendre votre nom et de me comporter en véritablePrince de Mantoue. Puis-je empêcher le Roi deBavière de faire un affront à mon aide-de-camp ?Vous aviez tort de vous mêler de nos affaires.

Le PrinceJe voudrais bien voir qu’un maraud comme tois’avisât de me donner des ordres !

MarinoniConsidérez, Altesse, qu’il faut cependant que je soisle prince ou que je sois l’aide-de-camp. C’est parvotre ordre que j’agis.

Le PrinceMe dire que je suis un impertinent parceque j’aivoulu baiser la main de la Princesse ! Je suis prêt àdéclarer la guerre et à retourner dans mes états pourme mettre à la tête de mes armées.

MarinoniSongez donc, Altesse, que ce mauvais compliments’adressait à l’aide-de-camp et non au Prince.Prétendez-vous qu’on vous respecte sous cedéguisement ?

Le PrinceIl suffit. Rends-moi mon habit.

MarinoniSi mon souverain l’exige, je suis prêt à mourir pourlui.

Le Prince

Page 17: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 15

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

En vérité, je ne sais que résoudre. D’un côté, je suisfurieux de ce qui m’arrive ; et d’un autre je suisdésolé de renoncer à mon projet. La Princesse neparaît pas répondre indifféremment aux mots àdouble sens dont je ne cesse de la poursuivre. Déjàje suis parvenu deux ou trois fois à lui dire à l’oreilledes choses incroyables. Viens, refléchissons à toutcela.

Marinoni (tenant l’habit)Que ferai-je, Altesse ?

Le ParinceRemets-le, remets-le, et rentrons au Palais.

_____ Scène 9e _____

FantasioQuel métier délicieux que celui de buffon ! J’étaisgris, je crois, hier soir, lorsque j’ai pris ce costume etque je me suis présenté au Palais, mais en vérité lasaine raison, ne m’a rien inspiré qui valût cet acte defolie. J’arrive, et me voilà reçu, choyé, enregistré, et,ce qu’il y a de mieux encore, Je vais et viensdans ce palais, comme si je l’avais habité toute mavie. J’ai rencontré le roi, il n’a pas même eu lacuriosité de me regarder ; son bouffon était mort, onlui a dit : Sire, en voilà un autre. C’est admirable !Dieu merci, voilà un cervelé à l’aise, je puis fairetoutes les balivernes possibles sans qu’on me diserien pour m’en empêcher. En attendant, mescréanciers peuvent se casser le nez contre ma porte.Je suis aussi bien en sûreté ici, sous cette perruque,que dans les Indes occidentales. N’est-ce pas laPrincesse que j’aperçois dans la galerie, à travers desvitres ? Elle essaye son voile de noces devant uneglace, deux longues larmes coulent sur ces joues ; envoilà une qui se détache comme une perle et quitombe sur sa poitrine. Pauvre jeune ! j’ai entendu cematin sa conversation avec son page, en véritéc’était par hasard ; j’étais assis sur le gazon, sansautre dessein que celui de dormir. Maintenant lavoilà qui pleure et qui ne se doute guère que je lavois émue. Ah ! si j’étais un écolier de rhétorique,comme je refléchirais profondément sur cette misèrecouronnée, sur cette pauvre brebis à qui on met unruban rose au cou pour la mener à la boucherie !Cette jeune est romanesque, il lui est cruel d’épouserun homme qu’elle ne connaît pas. Cependant elle sesacrifie en silence. Que le hasard est capricieux ! Ilfaut que je me grise, que je prenne le costume et laplace de ce pauvre St. Jean, que je fasse enfin la plusgrande folie de la terre, pour venir voir tomber, àtravers ces vitres, les deux seules larmes que cettepauvre enfant versera peut-être sur son triste voile defiancée.

Récitatif_______

Pleure ! le ciel le voit, pleure fille adorée

Laisse une douce larmeAu bord de tes beaux yeux brillerBriller en s’écoulant comme une étoile aux cieuxBien des infortunés dont la cendre est pleuréeNe demandaient pour vivre et pour bénir leurs mauxQu’une larme, une seule et de deux yeux moinsbeaux

_____ Scène 11e _____

Elsbeth, Fantasio.

ElsbethTe voilà, pauvre garçon ! Que fais-tu là ?

FantasioJe regarde mon ombre au soleil pour voir si maperruque pousse.

ElsbethComment te plais-tu ici ?

FantasioComme un oiseau en liberté.

ElsbethTu aurais mieux répondu si tu avais dit : comme unoiseau en cage. Ce palais en est une assez belle ;cependant c’en est une.

FantasioLa dimension d’un palais ou d’une chambre ne faitpas l’homme plus ou moins libre. Le corps se remueoù il peut, l’imagination ouvre quelquefois des ailesgrandes comme le ciel, dans un cachet grand commela main.

ElsbethAinsi donc, tu es un heureux fou ?

FantasioTrès heureux à quand votre noce ?

ElsbethDans quelques heures

FantasioC’est-à-dire tout sera commencé.

ElsbethD’où viens-tu donc, et qui es-tu, pour que depuis unjour que tu es ici, tu saches déjà pentérer desmystères que les princes eux-mêmes nesoupçonneront jamais ? Tout-à-l’heure, pendant quej’essayais mon voile, j’ai entendu marcher derrièrecette porte ; je me trompe fort, si ce n’était toi.

FantasioSoyez sûre que cela reste entre votre mouchoir etmoi. Est-ce ma faute s’il m’est tombé tandis que jedormais, une de vos larmes sur la joue ?

Page 18: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 16

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

ElsbethTu me parles sous la forme d’un homme que j’aiaimé ; voilà pourquoi je t’écoute. Mes yeux croientvoir mon pauvre St. Jean ; mais peut-être n’es-tuqu’un espion ?

FantasioA quoi cela me servirait-il ? Ne me chassez pas, jevous en prie. Peut-être n’aurez-vous pas sujet devous en repentir.

ElsbethOui-dà ! Tu m’offres ta protection et tes services.

FantasioPourquoi pas ? N’avez vous jamais remarqué la,dans la galerie cette servante du tableauflamand qui verse à boire d’un air pensif à unvoyageur à larges bottes, droit comme un piquet surson grand cheval blanc ? le souper préparé, lesenfants endormis, toute la tranquillité de la viepaisible et contemplative dans un coin du tableau, etlà l’homme haletant, ayant fait 20 lieues, en ayant 30à faire, une gorgée d’eau-de-vie, et adieu !

Duo___

Mais le temps est là-bas menaçantAu loin l’orage grondeUn bandit peut guetter le passantDans la forêt profondeL’homme part et la femme en rentrantSe dit : le reverrai-je ?Puis retourne à son feu, murmurant :Que le ciel le protège !

ElsbethC’est étrange, devant ce tableau bien souventJ’ai rêve sans comprendreQuel charme m’attirait !

FantasioVous venez de l’apprendre.C’est que le peintre avait un cœur aimantC’est que tout ce qui souffre et lutte avec constanceSent dans une peinture en avoir vaguementLe tableau de son existence

ElsbethAchève

Fantasio2Vous marchez au devant un épouxSans l’avoir pu connaîtreJusqu’au bout du chemin irez-vous ?Vous faiblirez peut-êtreJe vous vois soupirer tristementRedoutant quelque piègeEt tout bas je me dis : Pauvre enfant

Que le ciel la protège

ElsbethJe n’ai donc rien de plus pour consoler mon cœur.La pitié d’un bouffon !

FantasioElle a quelque douceurMais je comprends, oui, je devine,Vous avez peur assurémentDu confident de l’héroïneQui son ombre en déclamantDes vers bien longs, d’un ton bien lentParu ennuyeux, bien étonnantNon, ce n’est pas la tragédieQue nous jouons en ce moment

ElsbethJe ris et n’en ai guère envieMa peur s’envole en l’écoutant

FantasioSouriez toujours vous avez seize ansA votre âge on doit voir la vie en roseSouriez toujours, pour être moroseQuand on a seize ansOn a bien le temps

ElsbethSourions toujours, puisque j’ai seize ansEtc.

FantasioMais pourtant hâtez-vous. Songez-y, le temps presseL’autel, le pretendu, la victime sont prêts !Pour que votre malheur soit en règle à jamaisQue manque-t-il ? presque rien, ô PrincesseCependant dites un motFaites un signe ! aussitôtJe romps votre mariageTout buffon que je suis !

ElsbethAh ! vraiment je voudraisSavoir comment tu t’y prendrais

FantasioNon par le fer ou par le poison, mais je gageSur un moyen plus sûr, mes pièges sont dressésSonnez seulement et c’est m’en dire assez !Souriez toujours, vous avez seize ansEtc.On vient ! Adieu ! comptez sur moi. (Il sort)

_____ Scène 12e _____

Elsbeth, Le Page.

Le PageSavez-vous une chose terrible, Princesse ?

Page 19: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 17

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

ElsbethQue veux-tu dire ? Tu es tout tremblant !

Le PageLe prince n’est pas le Prince, ni l’aide-de-camp nonplus. C’est un vrai conte de fées.

ElsbethQuel imbroglio me fais-tu là ?

Le PageChut ! Chut ! C’est un des officiers du Prince lui-même qui vient de me le dire. Le prince de Mantoueest un ventable Almaviva ; il est déguisé et cachéparmi les aides-de-camp ; il a voulu sans doutechercher à vous voir et à vous connaître d’unemanière féerique. Il est déguisé, le digne Seigneur ;il est déguisé comme Celui qu’on vous aprésenté comme votre futur époux n’est qu’un aide-de-camp nommé Marinoni.

ElsbethCela n’est pas possible.

Le PageCela est certain, certain mille fois. Le digne hommeest déguisé ; il est impossible de le reconnaître.

ElsbethEt il ne t’a pas montré parmi les aides-de-camp levéritable prince de Mantoue ?

Le PageFigurez-vous qu’il en tremblait lui-même, le pauvrehomme, de ce qu’il me disait. Il ne m’a confié sonsecret que parce qu’il désire vous être agréable etqu’il savait que je vous préviendrais. Quant àMarinoni, cela est positif, mais pour ce qui est duprince véritable, il ne me l’a pas montré.

ElsbethCela me donnerait quelquechose à penser si c’étaitvrai. Viens, amène-moi cet officier.

Le PageIl n’est plus temps, Princesse. Voici toute la cour.

_____ Scène 13e _____

Courtisans, puis Le Roi, Marinoni, Le Prince, Pagesetc.

ChœurC’est aujourd’hui fête à la courUn jour d’hymen est un beau jourDéjà du fond de nos provincesDe toutes parts la foule vientLe ciel est pur comme il convientQuand vont s’unir des Princes !

Les Pages

Le peuple qui te loueEn toi met son espoirPrincesse de MantoueTu regneras ce soir !La royale couronneSied bien aux jeunes frontsUn époux te la donneElsbeth, nous te l’offrons.

ChœurQue tout célèbre tes bienfaitsO paix enchanteresse !Et que notre PrincesseSoit bénie à jamais.(Le Roi, Marinoni et le prince entrent)Vive le Prince et la Princesse

CourtisansQuel air superbe a Son AltesseCombien la Princesse a d’attraits !

Fantasio (paraissant)Ils chantent tous ! Pauvre PrincessePas un n’a compris tes tourmentsMais je suis là ! mes braves courtisansElsbeth, pour toi je me dévoueJamais tu ne seras princesse de Mantoue

Marinoni1Princesse si charmanteDevant vousSouffrez que je présenteVotre époux !Qu’il vous salue aux yeux de tous Suivant les lois de l’étiquetteJ’adresse ma requêteMais je saisQue votre Altesse est prêteSans regrets,A se soumettre à nos projetsPour le bonheur de ses sujets !Ah ! quel beau jourQuand s’unit sans détourLa politique avec l’amour !

Le PrinceLe compliment est éloquent !

Le RoiTaisez-vous donc ! aide-de-camp !

Marinoni2Le ciel par qui tout être fut dotéAit pu nous faire naîtreSans beautéSans bel esprit, sans majesté !On nous eût unis tout de mêmeMais pour le rang suprêmeFaits tous deuxVous m’aimez, je vous aime

Page 20: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 18

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

C’est au mieux !Et cet hymen délicieuxDe nos deux cœurs comble les voeux.Ah ! quel beau jourEtc.

Le RoiPermettez, Prince, à nos sujetsD’exprimer leur reconnaissanceEt leur voeux pour cette allianceGage de bonheur et de paix

MarinoniMessieurs ! quand des races royalesForment un auguste lien,Lorsque deux nations rivalesMêlent le sang tudesque au sang italien,Il semble qu’au ciel sans nuageVa resplendir un astre radieuxEt que prenant son vol dans l’espace ...(Fantasio, dans un arbre, enlève la perruque deMarinoni avec une branche)Grands Dieux !

Le PrinceAh ! quel affront ! ah ! quel outrage !

TousC’est lui ! c’est le buffon du Roi !

EnsembleOser ainsi braver le Roi !Pourtant j’ai souri, je croi,Bien malgré moi.Eh ! quoi ! c’est le nouveau bouffon !C’est un joyeux compagnonLe tour est bon

Le PrinceÔ crime ! ô forfait effroyable !Que l’on arrête le coupable

MarinoniQui donc se moque ainsi de moi ?

Les ChambellansC’est lui ! c’est le bouffon du roi !

ChœurAh ! quelle horreur ! ah ! quel scandale !Où va l’audace d’un pervers !Voyez la perruque royaleQui se balance dans les airs ! ...

Le PrinceAh ! pour une pareille offenseEst-il un supplice assez grand !Le RoiCalmez-vous car cette insolenceVa recevoir son châtiment(à part)Oser ainsi braver un Roi

Etc.

Le Prince, Marinoni, Les ChambellansMais qui donc s’est permis ... Quel est donc lecoupable ?Qu’on le cherche à l’instant ! Quelle audaceincroyable !Trouvez-le, courez tous. Quel affront ! quel forfait !Sans retard, sans pitié, La prison ! le givet !

Le RoiQu’on l’amène

Fantasio (paraissant)Eh ! bien, oui, c’est moi.

RepriseOser ainsi braver un RoiEtc.

FantasioLorsque déjà la fiancéeA son époux tendait la mainSauvant la pauvre délaisséeEn un moment je romps l’hymen.

ElsbethQuand j’étais seule et délaisséeUn inconnu me tend la main,Et de la triste fiancéeEn se jouant il rompt l’hymen.

Le PrinceLa mort !

Le RoiC’est trop !

Le PrinceNon c’est trop peu !

Le RoiQu’on l’emmène !

FantasioPrincesse, adieu !Je vous l’avais bien dit : pour vous je me dévoueJamais vous ne serez Princesse de Mantoue

Le Prince, Les ChambellansLa guerreLa guerreEt que la BavièreLa Bavière entièreNous rende raisonDe la trahison.

ChœurAux arrêts du destinQui pourrait se soustraireC’est un fou qui soudainA rallumé la guerre.

Page 21: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 19

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

~~~

Fin du 2e Acte.____________

Acte 3e

_____

1er Tableau_________

Une prison.

______ Scène 1ère _____

Fantasio.Par Jupiter ! Il ne tiendrait qu’à moi de me croire unhéros de tragédie ! Je l’avais bien prédit : Voilà lemariage manqué et tout remis en question. Le Princede Mantoue a demandé ma tête en échange de saperruque ; le Roi de Bavière a trouvé la peine un peuforte et n’a consenti qu’à la prison. Le Prince deMantoue, grâce à Dieu, est si bête qu’il se feraitcouper en morceaux plutôt que d’en démordre ; ainsila Princesse reste fille, du moins pour cette fois. S’iln’y a pas là le sujet d’un poëme épique en douzechants, je ne m’y connais pas ! Ah ! si j’étais poëte,comme je peindrais la scène de cette perruquevoltigeant dans les airs ! Mais celui qui est capablede faire de pareilles choses dédaigne de les écrire.Ainsi la postérité s’en passera. (Il se couche)D’ailleurs est-il bien certain que le poëme en soit àsa fin ? ... Ce qui est certain, c’est le contraire ! Ilmanque l’incident de la Princesse dans le cachot, carenfin il est bien évident qu’elle va venir. Cela esthors de doute, ou bien je ne connaîtrais pas lesfemmes, ce qui serait beaucoup plus grave qued’avoir manqué de respect à la perruque du Princede Mantoue. Je parierais même à l’heure qu’il est laprincesse ne doit pas être très loin ! Justement,j’entends crier les gonds de la porte : Je n’ai plusqu’à fermer les yeux ; c’est Elsbeth qui entre. (Ilfeint de dormir.)

_____ Scène 2e _____

Fantasio, endormi, Elsbeth.

Elsbeth, (Elle entre une lampe à la main. Ellecherche des yeux Fantasio et laisse sa lampe sur latable.)Il dort. J’aime autant cela, et cependant j’étais venuepour lui parler ... Il s’est exposé pour moi à la colèredu Prince, à celle de mon père ... au moins cela nel’empêche pas de dormir. Ah ! pourquoi m’a-t-ondonné à lire tant de romans et de contes de fées,pourquoi a-t-on semé dans une pensée tant de fleursétranges et mystérieuses. Serait-il vrai, ce bruit qui acouru par la ville que le Prince était déguisé ...

(regardant Fantasio.) Si je pouvais voir son visage ...Psyché, prends garde à ta goutte d’huile !

Romance

FantasioEst-ce un rêve ? Il me semble que je tiens le coind’une robe blanche. (regardant Elsbeth.) Vous !Princesse ! Vous ici ! (se levant) Quelle surprise !Jamais je ne me serais attendu ...

ElsbethJe devais venir. Vous avez risqué pour moi votre vieou tout au moins votre liberté.

FantasioBah ! cela se fait tous les jours ! On ne saurait passerdans une rue sans risquer de recevoir un pot defleurs sur la tête ou d’être coupé en deux par unevoiture. Quant à la liberté, c’est le gage de noscréanciers. Du moins les miens ne viendront pasm’arrêter ici.

ElsbethCe que je regrette, c’est que votre dévouement auraété inutile, je ne pourrai refuser à mon père ce qu’il atant de droits à me demander ... Ce consentement quidoit faire le bonheur de son peuple.

FantasioAinsi, vous voulez vous sacrifier pour éviter laguerre, pour empêcher tout un peuple de revêtir desuniformes et de marcher au son du tambour ! Maisces gens-là finiront par vous en vouloirmortellement. Laissons faire tous ces êtres qui sedisent raisonnables, cela ne nous regarde pas !

Duo.Il n’est qu’un refrain à chanterUn refrain plus vieux que le monde,Et, belle ou laide, brune ou blonde,Toute femme doit l’écouter :

Partout, sous le jour radieuxComme au sein de la nuit obscureIl n’est qu’un mot que la natureRedit dans son concert joyeux :« Aimez ! Aimez ! soyez heureux ! »

Elsbeth (à elle-même)Quelle est cette clarté nouvelleQui soudain à moi se révèle ?

FantasioEssayez seulement, consentez à m’aimerEt, sous vos yeux, je vais me transformer

ElsbethVous voulez rire !

FantasioNon ! ce ne sera qu’un rêve

Page 22: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 20

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Un éclair fugitif s’éteignant aussitôtLa dernière lueur d’un beau jour qui s’achèveUn rayon amoureux éclairant ce cachot !Un mot, un seul mot de tendresseEt vous me rendez la jeunesse !

Fantasio et Elsbeth, (répétant la phrase)Partout sous le jour radieuxComme au sein de la nuit obscureIl n’est qu’un mot que la natureRedit dans son concert joyeux :« Aimez et vous serez heureux ! »

(Pendant l’ensemble Fantasio a retiré sa bosse, saperruque, son chapeau de fou : Elsbeth en seretournant, l’aperçoit transfiguré.)

ElsbethDieu ! J’ai peine à le reconnaître !

FantasioD’un peu d’amour voilà l’effet,Si je ne suis pas beau, peut-êtreJe dois vous paraître moins laidNe le trouvez-vous pas ?

ElsbethJe n’oseVous l’avouer !

FantasioC’est un aveu !Vous voyez la métamorphose,Et de ce prodige la cause ...C’est ... c’est que vous m’aimez un peu ...

ElsbethVous vous trompez !

FantasioEh ! quoi ! Pas même un peu ?Regarde-toi, la jeune fille,Ton cœur bat et ton œil pétille.Aujourd’hui le printemps, Elsbeth, demain l’hiverQuoi ! tu n’as pas d’étoile et tu vas sur la mer !Au combat sans musique, au voyage sans livre,Quoi ! tu n’as pas d’amour et tu parles de vivre.Moi, pour un peu d’amour je donnerais mes jours,Et je les donnerais pour rien sans les amours !

ElsbethIl parle ! Je l’écoute, et soudain, ô merveille ! A savoix qu’est-il donc en moi qui se réveille ?Jamais on ne m’avait ainsi parlé d’amour !

FantasioQu’importe que le jourFinisse ou recommenceQuand d’une autre existenceLe cœur est animé !Ouvrez-vous, jeunes fleurs ; si la mort vous enlèveLa vie est un sommeil, la mort en est le rêve

Et vous aurez vécu si vous avez aimé !

ElsbethÔ douce illusion à qui mon cœur se livre !L’avenir à mes yeux est rayonnant d’espoirIl me semble dès ce jour que je commence à vivre ...(observant curieusement Fantasio)

Ensemble

FantasioElsbeth ! Elsbeth ! que fais-tu de la vie ?Le jour s’enfuit, la nuit succède au jour,Rose ce soir, demain flétrie,Pourquoi vis-tu, toi qui n’as pas d’amour.

Elsbeth (à elle-même)Elsbeth ! Elsbeth ! qu’as-tu fait de ta vie !Le jour s’enfuit, la nuit sccède au jour,Rose ce soir, demain flétriePourquoi vis-tu, toi qui n’as pas d’amour.

__________ Scène 3e _____

Fantasio, Elsbeth, Flamel.(A la fin du duo, le Page entre vivement)

FlamelPrincesse, on vous cherche. Le Roi, votre père, vousa fait demander plusieurs fois.

ElsbethC’est bien. Le Prince n’a pas reparu au Palais ?

FlamelNon, Princesse. Cependant on sait qu’il n’a pasencore quitté la ville.

Elsbeth (à Fantasio)Je veux que vous quittiez cette prison. (au Page)Flamel, comment pourra-t-il sortir ?

FlamelJe ne sais. Au moment où j’arrivais, on relevait lesfonctionnaires, et j’ai entendu donner les ordres lesplus sévères.

FantasioN’est-ce que cela qui vous embarrasse ! Vous allezvoir. (Il va frapper à la porte.) Holà ! hé ! un soldat !un sergent ! un capitaine ! un colonel ! n’importequi, pourvu qu’il porte un sabre ou un mousquet.(Un suisse paraît.)

_____ Scène 4e _____

Les mêmes, Un Suisse.(Le Suisse reconnaît la Princesse et présente lesarmes.)

Fantasio

Page 23: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 21

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Ah ! voilà notre affaire. Dis-moi, mon brave Suisse,quelle est ta consigne ?

Le SuisseOhé ! hafré lé gouzigne té carter sur mon tête unpouffon laid et possu !

FantasioUn pouffon laid et possu ! A merveille ! Il est là-basqui ronfle. Veille bien, brave Suisse, et exécute taconsigne militairement.

Le SuisseBilidairement.

Fantasio (à Elsbeth)Adieu.

ElsbethTiens, voilà la clef des jardins ... Tu reviendras ?(Fantasio prend la clef, salue Elsbeth qui passe. Ilpasse ensuite d’un air dégagé. Flamel les suit. LeSuisse l’arme au bras fait demi-tour, et sort enfermant la porte à double tour)

__________

2e Tableau________

La place devant le Palais du Roi.

_____ Scène 1ère _____

Le Prince, Marinoni.

Marinoni, (courant après le Prince toujours trèsagité)Calmez-vous, Prince ! Calmez-vous, de grâce !

Le PrinceNon ! Je ne veux pas me calmer.

MarinoniVous aviez résolu d’abord de quitter la cour sansvous faire connaître !

Le PrinceEh bien ! Je change de résolution ... et je vaischanger d’habit. Il est temps que j’éclate ! Cela ne sepassera pas ainsi. Feu et sang ! ... une perruqueroyale accrochée à une branche ! ... Sommes-nouschez les Barbares ? ... dans les déserts de la Sibérie !Y a-t-il encore sous le soleil quelque chose decivilisé et de convenable ! J’écume de colère et lesyeux me sortent de la tête !

MarinoniEt vous perdez tout par cette violence !

Le Prince

Et ce père ! ... Ce Roi de Bavière ! ... Ce monarquevanté dans tous les almanachs de l’année passée, quise met à rire, en voyant la perruque de son gendrevoler dans les airs ! Car, enfin, Marinoni, jeconviens que c’est ta perruque qui a été enlevée ...mais quand je pense que si c’eût été moi, en chair eten os, ma royale coiffure aurait peut-être ... Ah ! il ya une providence ! Lorsque Dieu m’a envoyé toutd’un coup l’idée de me travestir, ce fatal événementétait prévu par le destin. C’est lui qui a sauvé del’affront le plus intolérable la tête qui gouverne mespeuples. Mais, par le ciel ! tout sera connu ! C’esttrop longtemps trahir ma dignité. Puisque lesmajestés divines et humaines sont impitoyablementviolées et lacérées, puisqu’il n’y a plus chez leshommes de notions du bien et du mal ... Marinoni !Rends-moi mon habit !

Marinoni, (ôtant l’habit)Si mon souverain le commande, je suis prêt àsouffrir pour lui mille tortures !

Le PrinceJe connais ton dévouemet ! Viens ! Je vais dire auRoi son fait en propres termes !

MarinoniEt cependant, la Princesse vous a lorgné d’unemanière évidente.

Le PrinceNon, Colonel ... mes avantages t’abusent ... nousnous abusons !

Couplets._______

IJe ne serai donc jamaisAimé pour moi-même !Ô destin ! tu m’enviraitCe bonheur suprême !Le Prince gouverne ; maisC’est l’homme qu’on aime.Ah ! combien je grandirais ...Aimé pour moi-même !

IIEh bien, un jour je seraiAimé pour moi-même.Car ce jour-là je prendraiSpectre et diadème.Et, dans l’éclat le plus vraiDu pouvoir suprêmeA la fin je me verraiAimé pour moi-même !

___

MarinoniQue faut-il faire, Altesse ?

Le Prince

Page 24: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 22

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Viens toujours ! Allons chez le Roi !

Marinoni, (tenant toujours l’habit)Et ... l’habit ?

Le PrinceRemets-le pour un instant. Tu me le rendras tout-à-l’heure. Ils seront bien plus pétrifiés en m’entendantprendre le ton qui me convient sous ce frac decouleur foncée.

(Ils entrent dans le Palais)

_____ Scène 2e _____

Spark, Hartmann, Facio, Les Etudiants, puis lePeuple.

(Les Etudiants, qui écoutaient et qui observaient lePrince et Marinoni entrent en scène.)

Les EtudiantsIls sont entrés dans le PalaisEt nous allons bientôt apprendreA quel destin il faut s’attendreEst-ce la guerre, est-ce la paix ?

Spark, (arrivant)Le Prince est-il parti ? Connaît-on ses projets ?

Les EtudiantsIl est entré dans le PalaisEt nous allons bientôt apprendreA quel destin il faut s’attendreEst-ce la guerre, est-ce la paix ?

SparkA tout l’on nous trouvera prêtsMais le chef qu’il nous faut, l’ami que l’on demandeC’est Fantasio ! lui ! lui seul !

TousIl a raison !

SparkQuelqu’un de vous l’a-t-il vu ?

Hartmann

Non !

FacioSans doute on le garde en prison !

SparkIl faut, il faut qu’on nous le rendeC’est lui, c’est lui que l’on demande.

Les Etudiants

Oui, nous ferons une émeute plutôt !Que l’on nous le rende, il le faut !

(Au bruit que font les Etudiants la foule est arrivéepeu à peu. Des femmes, des bourgeois, se mêlentaux groupes)

Les EtudaintsIl faut ! il faut qu’on nous le rende !

Le PeupleIls ont raison ! Ils ont raison !

Un monsieur (qui passe criant plus haut que lesautres)Ils ont raison ! Cent fois raison !(à son voisin)De quoi donc est-il question ?

Le voisinC’est Fantasio qu’on demande.

Un monsieurJe ne le connais pas.

Un autreMais, quoi,Vous criez !

Le monsieurOn peut bien, ma foi,Crier sans savoir pourquoi !

Les EtudiantsIl faut ! Il faut qu’on nous le rende !

SparkFantasio ! nous l’aimons tous !Pour le sauver unissons-nous !(à la foule)Allez dans toutes les familles !Voyons ! répondez bons bourgeois,Interrogez tout à la foisVos enfants, vos femmes, vos filles ;Ils diront d’une seule voix :Fantasio, c’est lui que l’on demandeIl faut, il faut qu’on nous le rende !

Tous (criant)Il faut, il faut qu’on nous le rende !(Ils se tournent en masse vers le Palais)Fantasio ! Fantasio ! La guerre ! La guerre !

_____ Scène 3e _____

Les mêmes, Fantasio.

Fantasio, (en étudiant. Il apparaît de l’autre côté)Eh ! bien ! Le voilà, Fantasio !

Spark

Page 25: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 23

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

Toi ! Libre !

FacioQui t’a mis en liberté ?

FantasioC’est le governement ... sous sa plus jolie forme ...Qu’est-ce qu’ils veulent, tous ces gens-là ?

SparkIls veulent se battre !

FantasioPourquoi ?

SparkParcequ’on t’a mis en prison.

FantasioMais puisque je n’y suis plus ! ... Et qu’est-ce qu’onfait là, dans le palais ?

SparkLes souverains ? ... Ils discutent la paix ou la guerre.

Tous (se tournant vers le palais)La guerre ! La guerre !

Fantasio (à Spark)Attends un peu ... (au peuple) Vous voulez laguerre ?

TousOui ... oui ...

FantasioPourquoi ? ... Vous n’en savez rien rien de vous-mêmes ! Comment ! Vous avez des femmes, desenfants, des mères, des fiancées, des bestiaux, desmaisons, des champs ... ceux qui n’ont rien de toutcela ont la vie, le soleil, l‘espérance, l’amour, levin ! Et vous voulez vous battre et vous massacrerles uns les autres ; pourquoi ? Parcequ’il a passé parla cervelle d’un bouffon d’enlever la perruque d’unPrince ! Et encore, ce n’était pas le Prince ... C’étaitun imbécile déguisé en Altesse ... tandis quel’Altesse était à côté déguisée en imbécile ... maisvous êtes des imbéciles incommensurablementstupides ! Retournez donc à vos travaux, à vosplaisirs, à vos amours ... au lieu de donner la mort,donnez la vie, et, si les Rois ont encore besoin de laguerre, qu’ils se la fassent entre eux, qu’ils se battenteux-mêmes ...

TousC’est vrai ! C’est vrai ! Il a raison !

Les EtudiantsVive Fantasio !

Hartmann

Jamais la fête des fous n’aura inspiré de plus sagesdiscours !

SparkIl a sauvé notre chère princesse d’un hymen indigned’elle !

Fantasio (montrant le palais)Eh bien, à nos princes maintenant ! Laissez-nousfaire.

TousOui, oui.

Final____

SparkSous ta bannière on se rallieEt nos amis avec bonheurVont célébrer en ton honneurLe triomphe de la Folie

FantasioQue dis-tu là ?

SparkChacun te proclame en ce jourRoi des fous, et voici tes sujets et ta cour.

_____ Scène 4ème _____

Les Mêmes, Etudiants en fous.

Tous (à Fantasio)Chacun te proclame en ce jourRoi des fous et voici tes sujets et ta cour !

SparkOui ! Puisqu’ils déraisonnent tousDeviens leur arbitre et leur juge !Reprends donc le bonnet des fousDe la raison dernier refuge !Ami, comme un spectre reprendsTa marotte aux grelots brillants.

Le sort des fous est agréableLe sort des fous est trop heureuxEst-il un homme raisonnableQui n’aimât changer avec eux !

HartmannIls sortent du palais ! Rangez-vous ! les voilà !

_____ Scène 5ème _____

Les Mêmes, Le Prince, Marinoni, Le Roi, Elsbeth,Pages, Chambellans, Gardes.

Le Prince (il sort du palais)

Page 26: Fantasio - Boosey

Fantasio – Livret de Censure (1871) 24

© 2005 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. Alle Rechte vorbehalten.

(au roi)Sire ! Adieu ! Voici donc les guerres alluméesNous ne nous reverrons qu’au sein de nos armées.

Fantasio (au prince)Arrêtez.

Le PrinceQu’est-ce donc ? Et quels sont ces gens-là

FantasioSi vous voulez vous battre, eh bien ! tirez la glaivePrinces, que le débat entre nous deux s’achève.

Le princeTu dis !

FantasioJe dis tout haut ce qu’ils disent tout basRois ! battez-vous ! Cela ne nous regarde pas !

Tout le peupleQu’ils se battent ! Cela ne nous regarde pas.

Le PrinceQuoi nous faire battre en personneVraiment ! leur démence m’étonne

ChœurOser ainsi braver un roiPourtant, j’en ai ri, je croiBien malgré moi ...

FantasioJe viens au nom du Roi vous défier en face

Le PrinceMarinoni ! Je vais te faire un grand honneur !Tu te battras pour moi, j’y consens

MarinoniMonseigneurNous sommes incompris ! Vraiment à votre placeJe crois que j’en rirais !

Le princeTu crois ? Que faut-il que je fasse

FantasioVous hésitez ? Eh bien ! Faites la paixEt deux peuples vous rendront grâceD’avoir assuré leur bonheur

Le princeC’est une idée ! Au moins, j’en sors à mon honneurAu peupleSachez ma volonté, pleine, entière, absolueJe retourne à Mantoue et la paix est conclue

TousVive le Prince !

(Le prince sert la main du roi)

Les EtudiantsHurrah ! Vive le Roi !Vive Fantasio !

Le PrinceQuant à toi, gai compèreJe te pardonne et je te faisComte, pour avoir fait déclarer cette guerre !

ElsbethMoi, Prince, pour avoir fait conclure la paix !

(Reprise du triomphe des Fous)

Fantasio (à la princesse)Princesse, cette clef que votre main si chèreDaigna me prêter ... la voilà ...

ElsbethLa clef du jardin ? garde-la !

Reprise du chœur______________et triomphe de la Folie__________________