Genres Journalistiques

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Sonderdrucke aus der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg ERNST ULRICH GROSSE Evolution et typologie des genres journalistiques Essai d’une vue d’ensemble Originalbeitrag erschienen in: Semen 13 (2001), S. [15] - 36

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Sonderdrucke aus der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg

ERNST ULRICH GROSSE Evolution et typologie des genres journalistiques Essai d’une vue d’ensemble Originalbeitrag erschienen in: Semen 13 (2001), S. [15] - 36

E. U. GROSSEUniversité de Freiburg, Allemagne

EVOLUTION ET TYPOLOGIE DES GENRESJOURNALISTIQUES.

ESSAI D'UNE VUE D'ENSEMBLE.

Trois raisons m'ont déterminé à privilégier la question des genres :1) Le langage des textes en dépend : le genre de l'éditorial diffère

évidemment de celui du reportage, et les lecteurs, instinctivement,tiennent compte de ces différences lorsqu'ils lisent un article de presse.En d'autres mots, les genres intéressent autant les journalistes en cequi concerne la production discursive que les lecteurs lors de laréception textuelle.

2) Les quotidiens se distinguent par les genres qu'ils favorisent.Regarder les genres de plus près sert donc à caractériser les différentsjournaux (Grosse & Seibold, 21996 : 13).

3) La diversité des genres nous rend conscients du fait qu'il y a unlarge éventail de possibilités pour structurer un texte.

Ce large éventail de genres, qui est le résultat d'une diversificationhistorique dont on peut situer les débuts au 17e siècle, continue encoreaujourd'hui à se diversifier, avec la naissance de nouveaux genres.J'essaierai d'en donner une esquisse dans les parties 1-3 de cettecontribution. Lorsqu'on aborde une typologie des genres, il faut en effetêtre conscient de leur historicité, tout comme de leur catégorisationparfois floue (indice des champs transitoires, p. ex. entre l'informationet l'opinion). Cette typologie sera le sujet de la quatrième partie.

1. La diversification historique des genresjournalistiques

Voici un modèle simplifié qui repose sur la thèse qu'une de mesélèves, Anja Hrbek, romaniste et historienne, a publiée (Hrbek, 1995 :voir schéma 1).

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la brève (17e s.)

le compte rendu

la brève (17e s.) 4.

1publicitaire (18e s.) la critique (1815)

la publicité (19e s.)

le reportage(vers 1848 en Italie)

(la rhétorique)le récit-interview(1895)

l'éditorial/l'appel (placé

le commentairesur la une, 20e s.) l'interview (20e s.)

(19e s.),le courrier deslecteurs,le billet "combatif"(dès 1866)

Schéma 1 : La diversification des genres dans la Gazzetta di Mantova

Ce modèle n'a été possible que grâce à une véritable aubaine : LaGazette de Mantoue, quotidien depuis 1866, est le seul journal italien (etpeut-être européen) qui ait été fondé au 17e siècle et qui existe encoreaujourd'hui. Certes, l'histoire de la Gazzetta a connu quelquesinterruptions, surtout en temps de guerre. Le journal a même changéde titre plusieurs fois : en 1812, par exemple, c'était devenu une feuillenapoléonienne, du nom Giornale del Dipartamento del Mincio, pour êtreensuite baptisé en 1814 Giornale de Mincio, lorsque les Autrichiens ontconquis ce territoire. Mais malgré toutes les vicissitudes de l'histoire,la Gazzetta di Mantova a connu chaque fois sa renaissance, tel unphénix qui renaît de ses cendres. Et ce journal a toujours adopté lesinnovations de ses "substituts antérieurs" lorsque celles-cicorrespondaient bien aux attentes des lecteurs. Il s'agit donc d'un objetde recherche quasi unique, qui abonde de renseignements de toutessortes : politiques et sociologiques, bien sûr, mais aussi linguistiques etmême typographiques. Anja Hrbek a fait beaucoup de coupestransversales dans l'histoire de la Gazzetta, en portant une attentionparticulière aux évolutions des genres journalistiques dans ladeuxième partie de son ouvrage. Si l'on fait abstraction de quelquesgenres (ou variantes de genres) disparu(e)s, on arrive à une vued'ensemble telle que le schéma 1 la présente. J'en donne maintenantquelques explications.

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1.1. GENRES PRIMITIFS ET EVOLUTIONS POSTERIEURES

Le premier numéro de la Gazzetta parut en juin 1664. C'était unefeuille de papier, pliée au milieu, ce qui donnait quatre pages deformat 17 x 24 cm. Et ces pages ne contenaient, à peu près, que desbrèves. On peut considérer la brève comme le genre primitif etélémentaire du journalisme. En voici un exemple qui se rapporte à lamort de l'archiduc de Mantoue et aux condoléances que l'ambassadeurd'un duché voisin a présentées à la veuve (Hrbek, 1995: 308). J'endonne une traduction en français :

Mardi dernier, Monsieur le comte Francesco Canossa,ambassadeur du Duc de Modène, partit de cette cour (= celle deMantoue), après avoir présenté ses condoléances à la SérénissimeAltesse.

La Sérénissime Archiduchesse, guidée par sa prudence innée,continue de se vouer aux affaires du gouvernement, dont lapopulation de ces lieux reste entièrement satisfaite.

On voit bien, dans ces nouvelles de la cour destinées à une élitedéjà alphabétisée, qu'il s'agit d'un ton plein de respect et deconformisme. La moindre critique aurait provoqué la censure. Lapremière phrase contient une information courte qui répond auxquestions : qui? (personnes), quoi? (actions), quand? (mardi dernier),où (cette cour). Mais ce n'est pas une information pure et simple, parcequ'on ajoute, dans la deuxième phrase, un éloge de l'archiduchesse, unéloge destiné à vaincre des doutes éventuels quant aux capacités degouvernement de la veuve. On désire calmer l'élite de la ville et de sesenvirons après la mort du Prince.

Dans beaucoup de brèves écrites de cette manière, on décèle de telséléments d'opinion et d'évaluation : signe de l'époque absolutiste.Pour le reste, une telle brève qui provient directement du lieu derédaction est plutôt rare. La forme normale, c'est la chaîne de trois ouquatre (jusqu'à six) brèves contenue dans la lettre d'un correspondant.L'imprimeur fait suivre ces chaînes de brèves qui portent toujours,comme seul titre, l'indication du lieu et de la date de la lettre. Lelecteur est ainsi informé sur ce qui se passe à Vienne, à Hambourg, àParis, à Milan, à Rome etc. Mais il y règne toujours le même respect

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des autorités, que ce soit, par exemple, « Sa Majesté Très-Chrétienne »(Louis XIV) ou « Sa Sainteté »/ « Sa Béatitude » (= le pape).

Plus rarement, on trouve dans les lettres des correspondants uneforme plus longue qui s'étend sur trois ou quatre paragraphes : lecompte rendu (en allemand : Bericht) qui contient des informationsdétaillées sur un événement en répondant plus précisément auxquestions : comment? et pourquoi? On peut distinguer deux variantesde ce genre : le compte rendu chronologique (p. ex. sur le déroulementde la visite d'un ambassadeur chez le pape) et le compte renduthématique (p. ex. suries diverses résolutions d'un conseil de guerre).

La brève et le compte rendu sont les seuls genres journalistiques de laGazette de Mantoue, jusqu'à la fin du 17e siècle et même jusqu'au débutdu 18e siècle. Puis, Mantoue perd son indépendance et passe sous lecontrôle des Autrichiens (en 1707).

L'évolution ultérieure est très intéressante. Elle nous montre lanaissance d'autres genres journalistiques, due aux transformations, ouplutôt aux « provins », qui se développent à partir des deux genresprimitifs. On trouve d'abord, vers 1750/ 1755, la brève publicitaire. Elleest marquée par un astérisque qu'on place au début du texte et ensuitepar la désignation exacte du commerçant, du lieu où il réside et desproduits qu'il offre. L'information y domine encore, bien qu'on trouvequelques expressions élogieuses. A partir de ces maigres débuts,l'annonce publicitaire se développe lentement. Cette évolution s'accélèreau cours de la seconde moitié du 19e siècle, lorsque des manufacturesainsi que des entreprises industrielles se tournent vers la productionen masse des marchandises, ce qui entraîne le besoin de vendre engrandes quantités. Les annonces paraissent maintenant en page 4,isolées des brèves et des comptes rendus usuels par leur présentationdans un grand rectangle. Ces annonces contiennent beaucoup detextes et ne font que perfectionner les petites composantes laudativesde la brève publicitaire d'antan. Puis, il y a une évolution encore plusrapide, due à l'industrialisation. Dès la fin du siècle, on trouve dessymboles visuels et des slogans.

Il convient ici de distinguer les genres journalistiques, provenantde la rédaction du journal ou de ses correspondants domiciliés dansd'autres villes, de ceux non journalistiques, mais communiqués par lapresse qui sert seulement d'instance médiatrice. Nous verronspourtant plus tard que la distinction n'est pas toujours aussi facile à

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établir : il y a des zones de transition. C'est pourquoi la publicité estincluse dans cette vue d'ensemble.

De la même façon que l'annonce publicitaire s'est séparée trèslentement de la (nouvelle) brève, deux nouveaux genres sont nés de lavariante chronologique du compte rendu. C'est, d'une part, la critique (en1815 : lors de la représentation d'un opéra à Mantoue) qui a une formetrès simple. Il s'agit plutôt d'un véritable compte rendu. Il y manqueencore ce langage esthétisant et plus ou moins persuasif que nousrencontrons aujourd'hui dans la grande majorité des critiques dethéâtre, de livres ou de concerts. Et l'on n'y trouve qu'assez peud'éléments persuasifs qui sont, en outre, très stéréotypés (Hrbek, 1995 :175s.). D'autre part, on trouve le reportage qui se développe égalementà partir du compte rendu. Au début du texte, le journaliste soulignesouvent le fait qu'il a été le témoin oculaire d'un événementsensationnel par des descriptions qui évoquent l'atmosphère générale.On y note aussi des impressions visuelles et acoustiques très concrèteset une macrostructure à la fois chronologique et descriptive (avec deslocalisations précises des étapes d'un événement). Anja Hrbek (p. 183,texte : p. 315) a détecté le premier exemplaire du genre dans l'annéemouvementée de 1848. Mais il faut toutefois souligner le fait que cespremiers reportages, eux aussi, sont encore très proches du compterendu (du « Bericht », en allemand) : ils ne contiennent ni citations -c'est-à-dire des énoncés caractérisant les opinions des personnes quiparticipent à l'événement - ni éléments de documentation (élémentsfacultatifs du reportage), c'est-à-dire des informations sur l'arrière-plan de l'événement, grâce aux rétrospectives historiques et/ ou auxpetits éléments statistiques.

Si l'on pouvait s'attendre à la naissance de la critique et dureportage à partir du compte rendu, celle d'un troisième genre, de lamême origine, était moins prévisible. Il s'agit de l'interview. Hrbek(1995 : 245s.) a démontré que son apparition fut assez tardive en Italie,vers 1895, dans une forme tout à fait apparentée au compte renduqu'on pourrait appeler « récit-interview » ou « compte rendu d'uneinterview » (en allemand : Interviewbericht). Ce qui est caractéristique decette forme de transition, ce sont les introductions et les fins de textes.Voici, par exemple, la première phrase d'une de ces interviews :« Notre collaborateur se rendit chez le seigneur cavalier Cervis,

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inspecteur de la sécurité publique, qui était très courtois dans sesréponses aux questions de notre collègue. » Et voici la dernièrephrase : « Notre collaborateur exprima ses remerciements aufonctionnaire courtois et honnête et prit congé de lui. » La partieprincipale de ces textes contient toujours la reproduction"authentique" du cours de la conversation. Puisqu'il s'agissait souventd'une affaire où la justice jouait un rôle, cette interview avait unevéritable importance documentaire, et c'est pour cela que les questionset les réponses étaient reproduites. Le récit-interview était donc uneespèce de protocole (Hrbek, 1995 : 245ss.). Plus tard, on a supprimé lesintroductions et les fins pour se concentrer sur le discours direct. Ils'agissait en fait d'une mise à l'écrit, bien altérée, mais on y faisaitsubsister quelques signes d'oralité pour conférer plus d'authenticité audiscours. Aujourd'hui, on ajoute souvent une nouvelle petiteintroduction qui décrit le personnage interviewé en évoquantl'atmosphère de la rencontre : voilà donc l'interview moderne. Mais ilfaut se rendre compte qu'elle est née du récit-interview, formetransitoire qui provient du compte rendu chronologique.

1.2. LA GENESE DES GENRES DE L'OPINION

Par contre, les genres du commentaire, de la lettre d'un lecteur(reproduite intégralement et non par extraits, comme dans le"courrier" moderne) et du billet ne proviennent pas des genres"primitifs" du journalisme, bien que A. Hrbek ait trouvé des formes detransition (vers 1800) qui contiennent quelques éléments decommentaire ajoutés à des narrations plus ou moins objectives. Lespremiers commentaires apparaissent en 1805 et en 1815, la premièrelettre d'un lecteur est imprimée en 1866 et le premier billet paraît en1872. Le modèle de ces trois genres journalistiques est fourni par larhétorique classique telle qu'elle est enseignée à l'époque aux écoles etaux universités. L'auteur veut persuader les lecteurs de son opinion, etil a donc recours à tous les moyens que la rhétorique lui offre : il utilisel'arsenal des figures rhétoriques contenu dans la doctrine de l'elocutio,il emploie de façon systématique les techniques de l'argumentation, etsuit, pas à pas, le modèle macrostructurel du discours oratoireclassique (exordium, narratio, argumentatio, conclusio). Le style est donctrès rhétorique et très élevé, surtout dans les commentaires et dans leslettres qui, elles, sont plutôt des commentaires écrits par des non-journalistes. Nous sommes à l'époque de l'État national qui vient de

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naître en 1861 et qui s'agrandit en 1866 (Vénétie) et en 1870 (Rome).Les textes de ces genres reflètent les combats opiniâtres et lepatriotisme ardent de l'époque. Deux autres quotidiens font leurapparition à Mantoue, suite à l'alphabétisation générale du peuple et àla démocratisation de la vie politique (Hrbek, 1995: 51). Les troisquotidiens appartiennent à des courants politiques différents. Ils sefont une concurrence acharnée. Les longs éditoriaux et les billetscombatifs (en allemand : politische Streitglossen) qui en résultent utilisentvraiment tous les registres de la rhétorique. Ils emploientparticulièrement souvent - trait caractéristique du billet - l'ironie oumême le persiflage, la parodie du langage des adversaires lorsqu'ils'agit d'attaquer une personne/ un groupe/ un journal de l'autrecamp. Les billets de l'époque sont donc bien plus polémiques et plusviolents que ceux d'aujourd'hui.

Cette origine du commentaire (y compris l'éditorial), du courrier etdu billet dans la rhétorique classique est un résultat très instructif dutravail d'Anja Hrbek. Pour comprendre cela, il faut ajouter que larhétorique était encore bien vivante au 19e siècle en Italie. Même lesdiscours politiques de l'époque s'orientaient vers celle-ci.

Ulrich Püschel (1994: 163-174) a prouvé que des évolutionsanalogues avaient lieu en Allemagne. Là aussi, la macrostructure et lestyle de la rhétorique "scolaire" ont fourni le modèle des éditoriaux,des commentaires et des lettres de lecteurs. Lorsque, déjà avant larévolution de mars 1848, la censure prussienne se relâchait ets'assouplissait, les personnes cultivées pouvaient enfin dire et écrireleurs opinions, et elles le faisaient dans un moule bien appris à l'école,mais jusque-là seulement utilisé à des fins littéraires ou théologiques :celui de la rhétorique. La presse d'information se transforma alors enpresse d'opinion, pour devenir un forum public de la discussionpolitique (bien que les vieux genres informatifs y aient subsisté). Voilàce qui explique l'éclosion des nouveaux genres d'opinion et depersuasion. La seule différence entre l'Allemagne et l'Italie concerneun décalage de phases : le règne et la censure autrichiennes dans devastes régions de l'Italie du Nord, avant 1861 et 1866, y ont empêché, àtrès peu d'exceptions près, une éclosion antérieure. C'est seulementdepuis l'unification italienne que la presse devient le forum primordialdes débats publics et le lieu privilégié des nouveaux genres d'opinion.

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En même temps, beaucoup d'hebdomadaires ou bi-hebdomadaires setransforment en quotidiens (entre autres, la Gazzetta di Mantova, en1866).

1.3. APPELS, ENTREES INFORMATIVES ET ENSEMBLES REDACTIONNELS :CONDENSATIONS ET EXPANSIONS

Pour arrondir ce tableau, ajoutons que la structure des petits appelsde la Une moderne est inspirée de celle de la brève. Là aussi, on n'offreque des informations essentielles, celles répondant aux questions :qui?, quoi?, quand?, où? (et éventuellement, par quelques mots, auxquestions : comment?, pourquoi?). Ces condensations extrêmes sontdestinées à orienter les lecteurs ét à leur offrir un choix de lecturespossibles, munis de renvois à des pages situées à l'intérieur du journal.Cela est surtout valable pour les textes qu'on place dans la "fenêtre" dela Une. Dans les écoles du journalisme en France, on désigne cesappels comme des « brèves », en accentuant l'analogie structurelle.Mais il faut ajouter que le langage des appels paraît plus "travaillé" : ils'agit de rendre les lecteurs curieux, de les inciter à la lecture.

Il existe également une forme plus longue de condensation sur la« tribune » de la Une du Figaro, du Monde, du Temps, de La Libertéfribourgeoise et parfois du Matin romand, aussi bien que dans laGazzetta di Mantova et dans beaucoup d'autres quotidiens européens.En général, cette forme a une longueur de 20 à 60 lignes, elle estégalement munie de renvois à l'intérieur du journal. J'ai baptisé cegenre nouveau « article de présentation » ou « introduction-résumé »(Grosse/ Seibold, 1996: 54), en le distinguant bien du « cheval »d'antan qui n'était pas un texte complet, mais seulement un débutd'article imprimé sur la Une, interrompu à une ligne quelconque etcontinué (ce qui impliquait un "saut" dans la lecture) à une pageintérieure. Un terme nouveau et très heureux vient toutefois de naîtrepour désigner ce genre de résumé sur la Une : « l'entrée informative »(Baudriller, 2000: 46). Ce terme est plus clair que le termed'introduction-résumé car il met l'accent sur le caractère informatif dutexte.

Il existe donc l'appel, inspiré de la forme de la brève, et l'entréeinformative, plus longue que celui-ci et d'une origine que j'ignoreencore. Ces deux genres également nouveaux sont destinés auxlecteurs qui ont peu de temps en leur offrant une pré-information. Ilsannoncent, de plus en plus souvent, non pas un seul article, mais tout

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un ensemble rédactionnel qui peut aussi contenir des articles decommentaire. Voilà les innovations essentielles de la seconde moitiédu 20e siècle dans les quotidiens européens en ce qui concerne lesgenres. (M. Lugrin en donnera plus de détails au cours de sacontribution sur les genres dans l'hyperstructure.)

1.4. DE LA LECTURE TOTALE A LA LECTURE SELECTIVE

Le travail de recherche d'Anja Hrbek est le seul qui ait dépeint,jusqu'ici, une vaste fresque historique sur l'évolution des genresjournalistiques. On voit très bien qu'une histoire de la presse n'est pasforcément une histoire des institutions et des techniques d'imprimerie,comme c'est presque toujours le cas. On peut la concevoir aussicomme une histoire des genres textuels. Voilà pourquoi je viens d'ensouligner les traits essentiels, et ceci peut-être d'une façon plus claire etplus distincte que l'auteur ne l'a fait au cours de sa vaste étude etmême dans sa conclusion.

Une remarque pertinente et très comprimée, relative à la structureglobale du journal entre 1665 et aujourd'hui, peut être citée en guise deconclusion à cette partie de ma contribution :

In struktureller Hinsicht geht die Entwicklung von einer aufGanzlektüre angelegten, aus Rezipientensicht uniikonomischstrukturierten, kaum Selektionshilfen bietenden zu einerzunehmend leseôkonomischeren und selektionserleichterndenZeitung. (Hrbek, 1995 : 277)

Je traduis :

L'évolution de la structure du journal prend son départ dansune forme disposée en vue de la lecture totale, peu encline à unesélection des articles de la part du lecteur, donc non-économe dansl'optique du destinataire, pour aboutir (grâce surtout à la Une etaux titrailles) à une forme de plus en plus économe de "guidage"dans la lecture, par des arrangements qui facilitent le choix desarticles.

Parmi tous les instruments et les agencements destinés au"guidage", les appels et les entrées informatives qu'on place sur la Une

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des quotidiens modernes sont peut-être les indices les plus évidents dela lecture sélective proposés par la rédaction aux lecteurs.

2. Le décalage des phases d'apparition

L'Italie et l'Allemagne étant des nations "tardives" où l'apparitionde la presse dite "d'opinion" (et de combat) se fait avec beaucoup deretard, par rapport à la Grande-Bretagne et à la France, il n'est pasétonnant alors que les genres d'opinion se trouvent tout d'abord enFrance (et probablement aussi en Angleterre). Voici quelques preuvesde ce décalage des phases d'apparition :

L'éditorial, « un article d'opinion sur un problème d'actualité »qu'on sépare bien « des rubriques réservées aux nouvelles », apparaîtdéjà, « par exemple, dans les Annales patriotiques de Carra en 1790 et1791 » (Popkin, 1990: 92) et s'installe, comme un genre qui était alorsassez polémique, dans toute la presse ultérieure. (Mais cet article nes'appelle pas encore ainsi. Le mot éditorial, d'origine anglaise,n'apparaît en France qu'en 1856.)

La critique de théâtre et de roman naît encore plus tôt : Le Mercurefrançais s'attache depuis la création de son « article des spectacles » en1721 à « signaler les moindres nouveautés de la scène parisienne »(Rétat/ Sgard, 1978: 279), mais il s'agit là plutôt d'une forme assezsèche. Cette observation est également valable pour la critique duroman : « Ce n'est pas dans la critique journalistique, médiocre,prudente, déroutée, que nous trouverons posés les problèmes duroman » (ibidem, 270). Car la critique journalistique, comme plus tarden Italie, ne contenait, à l'époque de ses origines, que très peud'évaluations et de "stimulus" esthétiques : en France également, ils'agissait plus ou moins d'une variante du compte rendu.

Le reportage et l'interview, genres qui s'annoncent dans desexemplaires textuels dès 1789, résultent de la nouvelle image que lesjournalistes engagés se donnent à eux-mêmes lors de la Révolution(Labrousse/ Rétat, 1989 : 164, 172-174, 265s.).

J'ai vérifié ces données en étudiant les facsimilés des journauxfrançais du 17e et du 18e siècle, mais il faut renoncer à la citationd'exemples textuels qui rendraient ma contribution trop longue et troplourde.

Ces faits jettent une lumière vive dans un domaine qui est restéassez obscur jusqu'ici, domaine ou des recherches approfondies

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manquent encore terriblement. Une chose est sûre, en tout cas : ilexiste un décalage de phases entre la France, d'une part, etl'Allemagne et l'Italie, d'autre part. Et même si l'on pouvait avancer dequelques années, à l'aide de recherches dans d'autres journauxallemands et italiens, les dates d'apparition de certains genres (ou deleurs formes transitoires primitives), le décalage resterait tout demême un fait. Il semble que la centralisation de la vie politique,culturelle et journalistique dans la capitale française et, surtout, leprocessus révolutionnaire de "1789" sont les facteurs déterminants decette avance française.

3. Ébauche d'une théorie

A partir de ces données sur l'histoire des genres journalistiques, onpeut essayer de faire l'ébauche d'une théorie pour expliquer l'évolutionconstatée jusqu'ici. Cette ébauche, pour l'essentiel, se limite à deuxfacteurs : le contexte économique et le contexte politique.

3.1. SOCIETE PRE-CAPITALISTE ET ABSOLUTISTE

Au temps du pré-capitalisme (ou "capitalisme primitif", né enItalie, puis disséminé dans presque toute l'Europe), les marchands etbanquiers internationaux ainsi que les princes et leur entourage ontbesoin de nouvelles sur les conflits et les guerres en cours et sur lesautres grands faits politiques pour bien ajuster leurs stratégies. Lesnouvelles feuilles périodiques qui se répandent grâce à l'invention del'imprimerie satisfont ces besoins. Elles se limitent plus ou moins auxdeux genres primitifs qui transmettent les informations essentiellesaux élites : la brève et le compte rendu (un récit un peu plus longqu'on appellerait aujourd'hui filet). Les éléments de commentairequ'on y décèle parfois ont un rôle subordonné.

3.2. SOCIETE CAPITALISTE DES ÉTATS NATIONAUX DEMOCRATIQUES (OUDES PERIODES QUI LES PREPARENT)

La Révolution française et son rayonnement dans l'époquenapoléonienne et, plus tard, dans les révoltes et révolutions qui ontlieu dans les pays situés autour de la France crée une presse où

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l'opinion et le débat apparaissent à côté de l'information. On al'habitude de parler d'une presse d'opinion, pour caractériser lejournalisme de cette époque. En réalité, il s'agit d'une "presse mixte"où, à droite comme à gauche, on préfère imprimer des informationsqui peuvent être profitables au propre camp et où l'on exprime sonopinion sous forme de plusieurs genres commentatifs. L'interview,imprimée à titre documentaire, fait également son apparition et aide lejournaliste (et le lecteur) à bien affermir ses convictions. Les annoncespublicitaires, qui ont leur origine dans la petite feuille (« lefeuilleton ») de Théophraste Renaudot (17e siècle), apparaissentd'abord sous forme de brèves publicitaires (18e siècle), avant d'écloredans la société bourgeoise et capitaliste du 19e siècle.

3.3. SOCIETE MODERNE DES SERVICES ET DE LA "MONDIALISATION"

Après la société à dominante agraire (et en même temps pré-capitaliste), puis la société industrielle, nous voici dans une société oùle troisième secteur, celui des services, l'emporte de loin sur les deuxautres secteurs "de production". Le journal quotidien ethebdomadaire, lui aussi, affiche sa volonté de vouloir surtout rendredes services au lecteur. C'est pourquoi une nouvelle catégorie, celledes conseils, devient de plus en plus fréquente. Le travail d'AnjaHrbek, bien qu'il contienne également un chapitre sur les numéros desmois de novembre 1992 et juin 1993, n'en parle guère. Hrbek (p. 261)indique pourtant, en peu de mots, qu'on rencontre dans la Gazzettaquelques conseils où les experts répondent aux questions posées parles lecteurs et également des conseils de consommation. Vers 2000, lephénomène est devenu plus vaste, à Mantoue également. Lesjournaux, et en particulier les journaux plutôt populaires, donnent àleurs lecteurs des conseils pratiques de toute sorte. Un exemple :Aujourd'hui en France, l'édition nationale du Parisien, offre desrubriques qui s'appellent « Votre économie », « Vivre mieux », « Vouset le multimédia » (avec des titres comme « Des logiciels gratuits àprofusion sur Internet », "Des programmes pour améliorer votre PC »,pour citer l'édition du 25 mars 2000). On y trouve aussi, bien sûr,l'horoscope, les pronostics pour les courses de chevaux, etc.. Leshebdomadaires féminins vont jusqu'aux psycho-tests et auxconsultations de spécialistes sur des problèmes psychologiques. Tousces genres de conseils abondent, mais ils sont encore mal définis. Il y a,certes, des éléments d'information, mais aussi des éléments d'opinion

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et de persuasion, puisque l'acte de conseiller implique toujours desinformations, des évaluations et parfois même des éloges de lastratégie proposée. Mais le conseil indique en plus une certaineconduite à suivre ou une action pratique au lecteur intéressé ; c'est cequi le distingue de l'article d'opinion qui vise plutôt son attitudegénérale et ses convictions intérieures (mais aussi, seulement lors descampagnes électorales, son action de vote).

Il faudrait donc faire une recherche linguistique approfondie surles conseils journalistiques, cette catégorie de plus en plus fréquente,mais aux genres encore mal définis, si l'on excepte les vieux genres del'horoscope et de la recette. Voici les critères linguistiques du conseil :ce sont les titres particuliers, l'adresse directe au lecteur (deuxièmepersonne du pluriel), l'impératif (ou l'infinitif en fonction d'impératif),la fréquence des adjectifs en -able et -ible (préférable, etc.) et des verbesmodaux ou impersonnels, tels que pouvoir, vouloir, devoir, falloir.

Une autre innovation de la presse "de services" moderne concerneles suppléments illustrés et également les magazines joints auxéditions week-end des quotidiens, tels que Madame Figaro ou Versionfemme, nouveau magazine des quotidiens régionaux de la Socpresse,c'est-à-dire de "l'empire Hersant". On y trouve, bien sûr, des conseilsde toute sorte, mais aussi beaucoup d'exemples de la publicitérédactionnelle. Celle-ci présente la forme extérieure des contributionsde la rédaction (et elle provient en effet de cette dernière), tout endonnant des conseils aux consommateurs potentiels. On y indiquemême, pour les vêtements, les « bonnes tables » ou les voyages, le nomdes produits précis ou des services avec adresse, numéro detéléphone, prix, etc. Les journalistes y proposent donc un doubleservice : aux lecteurs et, en même temps, aux entreprises. En ce quiconcerne les entreprises, l'intention de la « pub rédactionnelle » estévidente : il s'agit d'attirer un maximum d'annonces, puisque ce sontsurtout les annonces et non les ventes des numéros qui font vivre lesquotidiens. Par exemple, 80% environ des revenus du Figaro,"vaisseau-amiral" de la Socpresse, proviennent de la publicité.Personne ne sait en outre s'il existe une pratique de rémunérationindividuelle ou collective lorsqu'une entreprise est satisfaite d'unebonne « pub rédactionnelle ».

28 Évolution et typologie des genres journalistiques

J'ai remarqué que ce genre nouveau ne se limite pas du tout auxproduits de la Socpresse. Il se rencontre aussi dans les autres journauxet périodiques français et dans plusieurs quotidiens romands, surtoutdans leurs suppléments et dans leurs « dossiers spéciaux », quoique lafréquence de ce genre y soit inférieure à celle des journaux de laSocpresse. La publicité rédactionnelle est devenue un phénomène denotre temps, et c'est la raison pour laquelle la publicité tout court, celledes grandes et des petites annonces, est incluse dans ma typologie desgenres journalistiques. En d'autres termes, le regard sur la publicité estjustifié par l'existence du champ transitoire entre textes rédactionnels etpublicité. D'ailleurs, il faut ajouter à ce champ transitoire d'autresgenres plus ou moins nouveaux : l'article de complaisance, plein d'éloges,la publi-information faite par une agence et la publicité auto-référentielle,(cf. Grosse/ Seibold, 1996 : 52s).

Alors que les grandes entreprises fusionnent et se "mondialisent" etque l'internationalisation des magazines (Elle, Marie-Claire, Géo,Capital, etc.) est très avancée, les quotidiens restent confinés par lesfrontières linguistiques, si l'on excepte quelques collaborations ou co-éditions occasionnelles. Mais ceci est seulement valable pour leurversion papier. Par contre, on peut observer une convergencecroissante des versions électroniques des quotidiens, une convergencequi saute aux yeux, bien que quelques différences continuent desubsister et que la presse romande y présente quelques particularitésface à la presse française (Grosse, 2000 : 162s.). Et notons d'ailleurs quela brève, sous forme d'appel muni de renvois, joue un rôle absolumentprédominant sur la "une" des éditions électroniques et qu'on larencontre aussi sur beaucoup d'autres "pages" des éditions online.Ceci rappelle les débuts de la presse périodique.

Actuellement, ce sont plutôt les magazines qui s'internationalisentet les éditions électroniques qui montrent qu'il y a un lien entre lesservices et la mondialisation. Les quotidiens de papier, nationaux ourégionaux, sont encore à cent lieues de l'internationalisation.

La société post-industrielle, celle où les services ont conquis uneposition dominante, a donc généré deux nouveaux domaines en ce quiconcerne les genres journalistiques : celui des conseils et celui, toutaussi omniprésent, de la publicité rédactionnelle. On parlait autrefoisdes « rubriques de servitude » (qui contenaient, entre autres, les coursde la Bourse, les programmes des émissions de radio et de télévision,les bulletins météorologiques) ou des « services », tout court.

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Aujourd'hui, ces informations existent encore, mais le domaine s'estélargi de façon considérable. Pourquoi? Les journaux, en concurrenceaccrue entre eux et avec les autres médias, cherchent à souligner leurproximité aux lecteurs pour les fidéliser et à démontrer leur utilité parleurs conseils pratiques et leurs publicités rédactionnelles. Ces articles,munis de grandes photos, sont aussi actuels que, par exemple, lesfilets ou les éditoriaux. Leur actualité est celle des problèmes de tousles jours, celle de la mode et des "trends". Ils ne se heurtent donc pas àla norme de l'actualité qui régit les quotidiens et les hebdomadaires.

Citons enfin un autre indice précieux de l'importance des« services ». Celui-ci provient de l'enquête comparative sur lesrubriques qu'Herman/ Lugrin ont menée en étudiant onze quotidiensromands et trois grands quotidiens français. Après avoir souligné lesdifficultés de bien cerner cette « rubrique canonique » (= RC) un peuparticulière qu'ils appellent « info-service », les auteurs font laremarque suivante qui est révélatrice :

On peut tout de même relever que cette RC bénéficie de lamoyenne la plus importante (4,4 pages), ce qui est pour le moinssymptomatique du poids de ce type d'informations, et ceci danstous les quotidiens. Par exemple, la nouvelle maquette de la Tribunede Genève (13 avril 1999) propose un cahier entier réservé à cesinformations pratiques. L'espace donné à l' « Info-service » est sansprécédent : c'est le signe net d'une valorisation de l'informationpratique de proximité - rarement faite jusqu'à présent, que ce soitau niveau topographique ou typographique. C'est aussi lareconnaissance de sa valeur marchande. (1999 :123)

Ajoutons, selon les statistiques d'Herman/ Lugrin, que c'estLibération qui prend la tête du peloton (presque 9 pages), suivi par leJournal de Genève (presque 6 pages) et l'Impartial (5,2 pages). Mais sil'on compte également tous les conseils pratiques et les publicitésrédactionnelles (qu'offrent p. ex. de grandes rubriques comme « Vivreaujourd'hui », auxquelles s'ajoutent les suppléments et les magazinesvolumineux du week-end), c'est probablement le Figaro - surtout celuide la nouvelle formule (à partir du 29 novembre 1999) - qu'il faudraitd'abord nommer.

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4. Modèles synchroniques

Il y a plusieurs chemins qui mènent à Rome. Il y a égalementplusieurs chemins qui nous mènent aux genres. Presque toutes lesthéories prennent leur départ dans les grandes catégories textuellespour aboutir aux genres. Ceux-ci sont considérés comme destraditions discursives (macrostructurelles et stylistiques, c'est-à-diremacrostructurelles) plus particulières. En allemand, on les appelleTextsorten (espèces textuels, genres textuels).

Parmi les études des germanistes, l'essai le plus vaste pour décrireles genres journalistiques actuels provient de Heinz-Helmut Lüger(21995). Lüger, qui est aujourd'hui professeur universitaire de françaisà Coblence-Landau, fait dans son étude de 1995 une longueintroduction théorique inspirée par la pragmatique linguistique pourarriver à cinq catégories textuelles : contact, information, opinion,demande appellative (Aufforderung) et instruction. Il souligned'ailleurs le fait qu'il s'agit chaque fois de la fonction manifeste quidomine et que d'autres fonctions peuvent jouer un certain rôle dansles textes. C'est pourquoi il parle d' « informationsbetonte Texte »(textes mettant en relief l'information), « meinungsbetonte Texte »(textes où l'expression de l'opinion domine), etc.. Chaque catégorietextuelle est ensuite différenciée en genres. Les textes où l'opiniondomine se différencient, par exemple, en commentaire (y comprisl'éditorial), billet, critique et interview d'opinion. Ce modèle est pratiqueet très valable et il a déjà inspiré beaucoup de travaux de recherche. Ily a d'ailleurs beaucoup de points communs entre son modèle et celuide Grosse/ Seibold (1996).

La typologie de P. Charaudeau (1997: 140) fait la distinction entretrois grandes catégories textuelles : événement rapporté (p. ex. dans labrève et le filet), événement commenté (p. ex. éditorial, critique, analyse)et événement provoqué (p. ex. interview, débat). Pour ne citer ici quequelques autres classifications : les deux premières catégories deCharaudeau sont équivalentes aux « articles d'information » et aux« articles de commentaire » dans le manuel pratique de Voirol ( 41993 :41ss.) qui inclut les analyses à la série des « article de commentaire »(p. 63s.) ou aux « genres informatifs » / « genres de commentaire »chez Martin-Lagardette (1994: 75ss.). La troisième catégorie deCharaudeau, par contre, sort du cadre commun. Mais j'ai quelquesdoutes en ce qui concerne sa valeur pratique. Un exemple : l'interview

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ne sert souvent, dans les ensembles rédactionnels, qu'à ajouter unaspect d'authenticité, de personnalisation et aussi d'émotion auxinformations. De surcroît, l'interview de presse est une chose récrite,elle n'a que l'apparence de « l'événement provoqué » par le journaliste(ou par l'interviewé). Et que dire des genres de l'interviewparaphrasée et de la quote story (Grosse/ Seibold, 1996: 39s.)?Beaucoup de textes journalistiques reposent sur des interviews, et lesgenres que je viens de nommer se situent seulement plus près del'interview authentique, orale, sans l'être véritablement. D'ailleurs,Charaudeau lui-même souligne que « les interviews et débatsradiophoniques et télévisés » (1997: 141) répondent mieux à cettecatégorie de l'événement provoqué par l'instance médiatrice. - Etl'extension des « services » et surtout des conseils (voir la section 3.3.de cette contribution) n'est pas encore dans son modèle de 1997.

Ce qui est vraiment nouveau -dans le modèle de Charaudeau, c'estl'idée d'ajouter une instance interne (journalistique) et une instanceexterne (p. ex. : expert extérieur) à la tripartition des événements. Il y adonc deux axes, x et y. Cela permet une classification "en croix",bidimensionnelle et, par conséquent, capable de situer les genresdifférents dans un continuum. Une telle localisation des genresjournalistiques dans un continuum a d'ailleurs déjà été tentée dans unmodèle des transitions (Grosse/ Seibold, 1996: 46). Et notonségalement qu'un continuum, quoique limité à un seul axe, a étéproposé aussi par Adam (1997: 9-11). Mais dès qu'on inclut plusieursautres catégories (telles que : conseils, fiction, divertissement,publicité) et les hyperstructures modernes dans une typologie, uneclassification purement bidimensionnelle devient impraticable. Or, lesarticles de conseil et de publicité rédactionnelle existent bel et bien etprennent une place toujours plus grande, même si les manuels dujournalisme n'en parlent pas encore. Que faire? Les considérationshistoriques m'ont amené à un modèle arborescent qui comprend, jel'espère, tous les genres "pratiqués" dans la presse moderne - voirschéma 2 (pages suivantes). Ce modèle n'est qu'une énumérationordonnée des catégories textuelles et des genres. La catégorie textuelle(en allemand Textfunktion, fonction du texte) se définit par l'intentiondominante et manifeste (affichée), c'est-à-dire telle que les lecteursdoivent la comprendre. Le genre, considéré - bien sûr - comme proto-

32 Évolution et typologie des genres journalistiques

les « hard news » / l'entrefiletles « soft news »la brève / le télexle « bloc-notes »le récit (sous-genres divers)

le « récit »la « quote story »l'interview paraphraséela biographie journalistique / le portraitl'hommage / la nécrologie / la commémoration

le reportagele bulletin météorologique

INFORMATION

le combinat « information-article »l'analysel'interview (sous-genres divers)

lè « statement »le commentaire

l'éditorialla libre opinion

le billetla caricaturela critiquele courrier des lecteurs

CHAMP TRANSITOIRE

OPINION

Schéma 2 : Modèle arborescent :

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la recettele « jardinage », les « conseils de beauté », etc.l'horoscope

le roman-feuilletonla bande dessinéela nouvelle / le conte

les jeuxles mots croisés

« l'article de complaisance »la « publicité rédactionnelle »la « publi-information »

la publicité (sous-genres divers)

les petites annonces

CONSEILS

PUBLICITE

FICTION

DIVERTISSEMENT

CHAMP TRANSITOIRE

l'introduction-résumé / l'appelle programme TV (grilles et loupes)l'ensemble article-« encadré(s) »le dossierle multitextela story

HYPERSTRUCTURES

Les catégories textuelles et leur diversification en genres journalistiques.

34 Évolution et typologie des genres journalistiques

type (Adam, 1997: 12), se définit par la macrostructure du texte, doncpar la structure de l'article, la suite conventionelle de ses parties. Maisd'autres critères y entre aussi. Ils sont linguistiques comme p. ex. les"pré-signes" (surtitre, titre, ...) ou extra-linguistiques ou plutôt"contextuels" pour ainsi dire, comme p. ex. la typographie,l'emplacement, les illustrations. Dans les typologies de Lüger ( 21995) etde Grosse/ Seibold (21996), les critères pour définir les genres de lapresse écrite sont donc hiérarchisés, tandis qu'Adam (1997: 16s.)propose la distinction de six « plans d'organisation complémentaires »,parfaitement équivalents, pour rendre compte de la complexité et de ladiversité des genres. Il est impossible d'en donner ici d'autresexplications. Le lecteur trouvera des détails dans l'exposé, uniquementsynchronique, qui est intitulé « Typologie des genres journalistiques »(in : Grosse/ Seibold, 1996: 32-58) et dans son annexe (p. 59s.)« Critères linguistiques : information vs. opinion ».

Conclusion

En guise de conclusion, j'aimerais souligner deux choses :1) Ce modèle peut se lire aussi d'une façon diachronique : d'abord

les genres de l'information, puis ceux de l'opinion et enfin lacroissance des vieux « services » (conseil, fiction, divertissement etc.)qu'on modernise, quoique des genres nouveaux, p. ex. la série des« statements » de plusieurs personnes interviewées à propos d'unproblème actuel, soient aussi apparus dans les domaines anciens. Leshyperstructures enfin, innovation déjà présentée en germe dans lapresse de la seconde moitié du 20e siècle, font leur pleine apparitiondans les éditions électroniques.

2) Les genres ressemblent un peu au vocabulaire d'une languenaturelle, à une époque donnée. Il y a, également au niveau textuel,des "archaïsmes", p. ex. le roman-feuilleton, puis la bande dessinée,moyens importants de marketing et de vente au cours des deux sièclespassés et subsistant dans différents journaux de province. Il y a lesgenres (et les mots) tout à fait usuels et de longue durée, et l'on trouveenfin des "néologismes" qui sont en train de se développer dans lesdomaines indiqués dans la partie 3. Ces "néologismes" prendront descontours plus précis dans un proche avenir, pour devenir tout à faitusuels à leur tour... Ne construisons donc pas trop de théories

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purement synchroniques à propos des genres journalistiques. Ce sontdes phénomènes historiques, des traditions discursives, "contingentes"par définition, qui se révèlent comme rébarbatifs lorsqu'on essaie deles mettre dans un système étroit et plus ou moins symétrique. Lacontribution présente a tenté d'offrir une première vue d'ensemble deces "moules flexibles" du discours journalistique. Elle devrait êtreenrichie et modifiée par des recherches ultérieures.

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