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INFORMATION JUIVE Janvier 2017 3

17, rue Saint-Georges75009 Paris

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SOMMAIREN°366 - Janvier 2017

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ÉDITO4-L’an prochain une ambassade américaine à Jérusalem ?Par Joël Mergui

6- REPÈRES

CHRONIQUE7- Donald Trump et Israël Par Guy Konopnicki

POLITIQUE10- Les projets de Trump Par Yehouda Lancry

JUDAÏSME13- Enquête sur le corps humain…Par Jean Baumgarten

15- Face au don d’organes… Par Michaël Azoulay

MEDECINE16- Ethique juive et transplantation… Par le docteur Elie Botbol

ACIP19- La vie du Consistoire

BONNES FEUILLES25- Le rire de Chelm. La cité des demeurésPar Dan Scher

CHRONIQUES TALMUDIQUES29- La fille de Rav HisdaPar Janine Elkouby

SOUVENIRS33- Une liturgie de l’exilPar Ami Bouganim

JUDAÏSME35- Leçon d’urbanismePar Jacky Milewski

DIASPORAS36- Une figure du judaïsme roumain :Alexandre Safran

LIVRES 37 - Les écrits d’Arendt et de HeideggerPar Naïm Kattan

39 - Les sœurs Weiss Par Albert Bensoussan

CINÉMA40 - Joseph Joffo ou la mémoire en partagePar Elie Korchia

41- VERBATIM

42- POST-SCRIPTUMPar V.M

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L’an prochain une ambassade américaine à Jérusa-lem ? La promesse de campagne du candidat Do-nald Trump devenu depuis le 45e Président desÉtats-Unis fait l’objet d’un véritable cataclysme mé-diatique et politique. La question fait débat, les me-naces pèsent, le droit international et l’ONU sont

invoqués. Comment un président déjà controversé peut il pré-tendre officialiser « l’annexion » illégale de Jérusalem, senséeêtre sous statut international depuis 1947 !

Cette étrange situation m’appelle deux remarques. Première-ment, la promesse de Donald Trump n’a rien d’un scoop illégalou médiatique. Elle prétend simplement appliquer la loi votéepar le Congrès américain en 1995 qui reconnait officiellementJérusalem comme capitale d’Israël, etdécide par conséquent du transfert deson ambassade à Jérusalem, au plus tardpour …1999 (cf the Jerusalem embassyact of 1995).

Deuxièmement, l’impossibilité pour Is-raël, État souverain, démocratique et re-connu par l’ONU de choisir sa capitale,emblème international de sa souverai-neté, est un cas unique au monde.

Nankin, par exemple, est la capitale of-ficielle de Taïwan mais n’est pas recon-nue comme telle. Et pour cause, cette îleautrefois appelée Formose, est « l’autre Chine », la Chine noncontinentale, non communiste et n’est pas reconnue par l’ONU.

Nicosie est un exemple intéressant de statut d’une capitaledisputée et même divisée par un mur. Deux Chypre se la dispu-tent comme capitale : d’une part l’officielle République de Chy-pre reconnue par les Nations Unies et d’autre part celle du Nord,soutenue par la seule Turquie. Pour autant, le statut de Nicosiene fait pas davantage débat, le monde entier reconnait Nicosiecomme seule capitale de la République de Chypre et toutes lesreprésentations diplomatiques y sont installées.

A contrario, même lorsque des pays sont contestés, le statutde leur capitale n’est pas remis en cause, même en l’absence dereprésentation diplomatique. Pyongyang par exemple, capitalede la Corée du Nord - État reconnu par l’ONU mais non par leJapon, la France ou les États-Unis -, ne fait l’objet d’aucun débatsur sa légitimité de capitale.

De fait, Jérusalem est la seule ville dont le statut de capitaleest systématiquement remis en question depuis la reconnais-sance officielle de l’État juif par l’ONU !

Est-ce parce qu’elle est l’unique ville trois fois sainte aprèsavoir été la ville du Temple, que les États seraient en droit d’exi-ger de Jérusalem de ne pas être la capitale du seul État juif ?Est-ce parce que certains emplacements de la ville - et non laville toute entière - sont révérés comme des lieux saints par leschrétiens et par les musulmans, que Jérusalem tout entière -fondée en Judée par des juifs, il y a plus de 3000 ans - devraitperdre son identité de capitale éternelle du peuple juif ?

Pourquoi ? Quel droit, international, politique, ou moral sup-pose de s’exercer de façon aussi discriminatoire et unique pourune seule ville et un seul État au monde ?

Seuls les juifs du monde entier prient tournés vers Jérusalem.Aucune autre religion, que le Judaïsme, n’a défini Jérusalemcomme son centre spirituel. Aucun autre peuple ne rêva de re-construire sa capitale éternelle, tout au long des siècles, sinonle peuple juif. Aucun autre peuple n’a prié, chanté, célébré Jé-rusalem comme le peuple juif qui, chaque année à Pâque, par-tout dans le monde, exprime le voeu de se retrouver « l’anprochain à Jérusalem. »

En 1995, Israël et les juifs du monde ont célébré les 3000 ansd’histoire de Jérusalem. Cette célébration avait fait l’objet d’in-

justes remises en question de l’identité pre-mière de Jérusalem, comme si Jérusalemn’avait pas d’abord été la cité du Roi David etla ville du Temple du Roi Salomon, avant dedevenir trois fois sainte.

Cette année, il y aura 50 ans que Jérusalemest la capitale effective et quotidienne d’Israël.50 ans durant lesquels la ville sainte a pu enfinreprendre son développement, s’épanouir enrespectant tous les particularismes, se moder-niser en sauvegardant toutes les différences,sans exclure ni les laïcs ni les pauvres nimême ceux qui lui dénient son passé juif.

50 ans au terme desquels personne ne peut objectivement nierque la liberté de conscience et de culte a été garantie comme jamais, pour tous et pour toutes les religions.

Sans négliger l’importance politique et géostratégique d’undéménagement de la représentation diplomatique américaine -et je l’espère bientôt celle de la France et de toutes les démocra-ties -, la question la plus importante qui doit continuer d’animerles juifs reste celle de continuer à croire à la sainteté de Jérusa-lem, à ne jamais cesser de nous tourner vers Jérusalem pour rechercher la paix des coeurs et des âmes.

Aujourd’hui, alors qu’Israël est devenu un État juif souverainet moderne, si toutes les démocraties ont le devoir d’être fidèlesà leurs idéaux en lui reconnaissant le droit d’exister, de se pro-téger contre ses ennemis et de choisir sa capitale, les juifs dumonde entier ne doivent pas oublier la vérité de Jérusalem, sonorigine, sa sainteté et son importance fondamentale pour la pérennité du Judaïsme.

Il est temps de comprendre le véritable enjeu de Jérusalem.Si depuis 3000 ans, Jérusalem est disputée et convoitée, c’estqu’elle est plus qu’une question juridique, géopolitique ou reli-gieuse. Jérusalem la juive est à l’origine du message universeldes trois monothéismes, à la source du long processus qui amené l’humanité vers un monde plus juste et démocratique etc’est à nous tous qu’elle rappelle que nous devons incarner cette humanité meilleure.

--*Président du Consistoire

EDITO

LÊan prochain une ambassade américaine à Jérusalem ?par Joël Mergui*

« Jérusalem est la seuleville dont le statut de capi-tale est systématiquementremis en question depuis lareconnaissance officielle del’État juif par l’ONU »

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6 INFORMATION JUIVE Janvier 2017

KIRK DOUGLAS FETE SES 100 ANS A LA SYNAGOGUE !

Yosef et Noan Quels sont les prénoms les plus

courants dans la société israélienne ?Selon une étude rendue publique par leService officiel des statistiques , lesprénoms les plus utilisés dans le payssont Mohammed pour les garçons et Noapour les filles. Viennent ensuite Yossef,David et Oury pour les garçons.

Ainsi, 2730 garçons nés en 2015 ontreçu le prénom Mohammed et 1.880 ontreçu celui de Yossef.

1445 filles nées au cours de la mêmeannée ont été prénommées Noa.

Question de plagiatn Le Canard

enchaîné a racontequ’après avoir ditbien des éloges dulivre « Le paysqu’habitait Albert Einstein » d’EtienneKlein, un journalistede L’Express a révéléque l’auteur avaitpiqué des passages

entiers de cette biographie à Paul Va-léry, Gaston Bachelard, Louis Aragon,Stefan Zweig et bien d’autres.

Le physicien Etienne Klein a plaidécoupable et n’a pas nié le plagiat. Dans une lettre adressée au Canard,Klein écrit : « J’ai pris beaucoup denotes de lecture et, en les intégrant à l’ouvrage, j’ai pu oublier qu’elles provenaient d’autres auteurs et croirequ’elles étaient de moi »

Il se trouve cependant que dans uneaffaire similaire, dans les années 70 dusiècle dernier, Thierry Maulnier et Gilbert Prouteau avaient été l’un et l’autre accusés d’avoir pique des pagesentières à un livre de Dominique Aubierpour leur livre « L’honneur d’être juif ».

Maulnier et Prouteau avaient prétenduque des notes leur avaient été remisespar des étudiants qui travaillaient poureux et qui ne leur avaient pas dit l’origine de ces textes.

L’affaire alla tout de même finir devant les juges où on parla de « l’honneur d’être écrivain »

LES ORIGINES DE CASTROn En 2002, une journa-

liste juive du Venezuelaavait réussi à obtenir deFidel Castro un long en-tretien. Nicole Morali fai-sait alors partie d’unedélégation de journalistesde son pays invitée par lesautorités cubaines.

Le 29 décembre dernier,Mme Morali qui vit désor-mais en Israël a racontédans les colonnes du quo-tidien Maariv comment l’ancienleader cubain avait accepté derépondre à ses questions, alorsqu’il était déjà trois heures dumatin :

Castro demandé à la journa-liste :

-D’où es-tu ?-Ma mère est originaire de

Tanger dans le nord du Maroc .Tanger fut longtemps une villeinternationale. Mon père, lui, estné en Uruguay mais sa familleest originaire de Pologne.

- Cela veut dire – intervientCastro, que tu es ashkénaze etséfarade. Le peuple juif estdigne d’admiration. Le judaïsmeest une culture qui s’est perpé-tuée à travers l’histoire. J’aimebeaucoup les livres de Marx. Ilétait juif.

J’aime beaucoup les kibbout-zim. Vous voulez savoir quelssont les politiciens d’Israël quim’ont le plus impressionné ? Ehbien Moshé Dayan était ungrand monsieur. Il a pris unegrande part dans la guerre dessix jours. Je regrette de n’avoirpas eu l’occasion de bavarderavec lui. Par ailleurs, j’ai beau-coup regretté la mort de YitzhakRabin. C’était un homme de paix.

- On raconte que votre famillea des origines juives, demande lajournaliste. On dit que vous ap-partenez à l’histoire des mar-ranes. Etes-vous circoncis ?

- Mon frère Raoul et moi-mêmeavons été circoncis à l’âge de 5 ou 6 ans. Mais je n’ai jamaiscompris pourquoi. La religion n’ajamais joué le moindre rôle dansnos vies.

REPÈRES

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CHRONIQUE

Donald Trump ne décidera pas à la place dÊIsraël

Par Guy Konopnicki

Au lendemain del’élection de DonaldTrump, je me trouvaisdans la plus grandeville juive du monde,qui s’éveillait en état

de choc. Cette ville est New York, onl’aura compris, et elle n’avait jamaisrejeté à ce point un président desEtats-Unis. Le premier effet de l’élec-tion de Donald Trump est d’inverserle sens de la méfiance entre la com-munauté juive des Etats-Unis et lamajorité politique de l’Etat d’Israël. Legouvernement d’Israël s’est efforcé derésister aux initiatives de BarackObama, il accueille sans déplaisirl’intronisation du nouveau président.Vu de New York, le soutien que lui aapporté Benjamin Netanyahou, sansattendre son élection, agace prodi-gieusement une communauté quiporte, au nom du judaïsme, les va-leurs humanistes des Etats-Unis. Dequoi se mêlent ses juifs américains ?De quoi nous mêlons- nous, ici, enFrance ? Avant d’envisager l’effet duchangement d’administration améri-

caine, il me semble essentiel de réaf-firmer un principe : Israël est une dé-mocratie, que son gouvernementnous plaise ou non, il résulte d’unemajorité de députés élus à la Knesset.Les stratèges de l’arrière, les don-neurs de leçons ne vivent pas les dé-chirements de la société israélienne,et il y a quelque indécence à prendreparti avec véhémence, comme si lesengagements théoriques et la suren-chère verbale effaçaient la distancequi nous sépare de la terre d’Israël.

Echecs et humiliations

Certes, il nous est toujours dif-ficile de porter un regard froidsur Israël, surtout en France

où l’on nous somme chaque jour decondamner sa politique, pour devenirdes juifs acceptables. La France, dontla diplomatie ne cesse d’essuyer deséchecs, quand ce ne sont pas des hu-miliations, avait été choisie commescène du dernier acte, dérisoire, de lapolitique velléitaire de BarackObama. Une conférence destinée àimposer une paix, sans permettre à Is-raël de discuter ses modalités, fixée àjamais par une résolution de l’ONUbientôt vieille de 50 ans. Deux prési-dents sur le départ tenaient absolu-ment à organiser cette réunion, si bienqu’elle ne fut pas annulée lorsque leprincipal pays concerné refusa de s’yrendre. François Hollande aura ter-miné son mandat sur une non- confé-rence et Barack Obama lui aura faitl’honneur d’accepter qu’elle se tienneà Paris, sans juger pour autant utile des’y rendre.

Force est de constater qu’Israël estle seul pays dont les grandes puis-sances débattent en son absence. Lesreprésentants de gouvernements cri-minels n’ont jamais quitté leurs siègesà l’ONU et dans les organismes inter-nationaux. Aucune réunion apte àprendre des décisions sur la situationen Syrie ne peut se tenir sans BacharAl Assad. Cependant, pour la pre-mière fois, aucun droit de veto ne s’estexercé aux Nations Unies quand ils’agissait de condamner Israël. La dif-férence de traitement, pratiquée parun Barack Obama sur le départ est in-supportable, même pour qui n’ap-prouve pas la politique dedéveloppement des implantations.

Les fautes d’Obama, la rigiditéd’Hillary Clinton, ne font pas, pourautant de Donald Trump un sauveur.Sa singularité se trouve dans sa doc-trine, l’Amérique d’abord. Il ne sou-tiendra Israël que dans la mesure oùses choix servent les intérêts desEtats-Unis. La Russie vient de repren-dre pied au Proche-Orient, ses forcesarmées sont engagées dans un paysvoisin d’Israël. Donald Trump entendtout à la fois reprendre le dialogueavec Poutine et disposer de forcespour le contenir. Enclavé dans unmonde arabe et musulman en proie àune crise violente dont l’issue semblelointaine, Israël demeure, pour lesEtats Unis, le seul point d’appui. Ce-pendant, Washington supporte diffici-lement l’esprit d’indépendance de sonallié. Tous les secrétaires d’Etat, deKissinger à John Kerry, en passantpar Hilary Clinton, ont été irrités par ce moucheron géogra-

« Force est de consta-ter qu’Israël est le seulpays dont les grandespuissances débattenten son absence. »

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8 INFORMATION JUIVE Janvier 2017

phique, qui ne se laisse pas dicter sapolitique. Donald Trump, qui n’estpas, loin s’en faut, une brute primaire,commence donc par flatter le pointsensible. Il annonce, en campagne,que l’ambassade des Etats-Unis seratransférée à Jérusalem. Or, les ac-cords d’Oslo avaient été signés auprix d’une impasse sur le statut de laville sainte, renvoyé à de futures né-gociations. On sait ce qu’il advint destentatives de mener le processus depaix à son terme, lorsque Bill Clintoninvita Ehoud Barak et Yasser Arafat ànégocier, à Camp David, un accordportant sur Jérusalem. Le Hamas etl’OLP déclenchèrent aussitôt la plusmeurtrière des vagues terroristes,donnant au monde l’effroyable exem-ple des attentats suicidaires. A partirde ce que l’on nomma alors l’Intifadades Mosquées, Israël a affronté unecampagne mondiale de négation ducaractère juif de Jérusalem. Tout pro-jet de construction, fût-ce sur des ter-rains vagues jadis occupés parl’armée jordanienne, passe pour unacte d’agression coloniale. Tant pispour la géographie, le Nord et le Sud

appartiennent à Jérusalem Est. En re-vanche, quand des soldats en permis-sion sont pris pour cible, les pointscardinaux s’évanouissent. JérusalemOuest n’existe pas, en ce sens le fran-chissement de la ligne verte devientlégitime, quand il s’agit de frapper Is-raël à Jérusalem tout court. Le projetde transfert de l’ambassade des Etats-Unis dans la capitale d’Israël passedonc pour une provocation de DonaldTrump. Comme si la paix était possi-ble sans que soit reconnu le caractèrejuif de Jérusalem. L’UNESCO n’a faitqu’enregistrer la conquête de l’hégé-monie culturelle par un islamismeagressif qui s’est arrogé la propriétéspirituelle de la ville.

Lieux symboliques

AOslo, Shimon Peres pariait surla raison. Il imaginait qu’enpermettant aux Palestiniens

de s’affirmer sur un espace territorial,de bâtir une économie en coopérantavec Israël, on parviendrait à brèveéchéance, à l’introduction de la raison

dans le partage des lieux symbo-liques. Toute approche rationnelle deJérusalem s’avère inopérante. BenGourion lui-même s’était résolu aupassage en force, en transférant la ca-pitale aux portes d’une Vielle-Ville,bientôt annexée par la Jordanie. L’his-toire devait par la suite démontrerqu’il n’est pas de paix sans la recon-

« L’affaire de l’ambassade n’estpas une simpleanecdote. Le tempsn’est plus aux traités construits surl’acceptation forcéed’Israël et non sursa reconnaissancepleine et entière. »

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naissance de la capitale de l’Etat juif.Sadate l’avait compris, en se rendantà la Knesset pour sceller la seule paixdurable à ce jour. Et la perspective detransférer l’ambassade des Etats-Unis serait donc une provocation ?En ce cas, elle est nécessaire !

Dans toute la région, les islamistess’attachent à détruire toute trace decivilisation antérieure ou parallèle.Ils portent la guerre dans les ruineset les vestiges. Aucune mémoire nedoit subsister, ni celle de Babylone,ni la présence grecque et romaine,moins encore l’ancienneté du ju-daïsme et du christia-nisme. Détruisant lespierres en Syrie, ils onttriomphé des esprits dansle monde, en islamisantJérusalem.

Un partage

Trump n’est pour-tant pas le premierà vouloir installer

son ambassade à Jérusa-lem. Quand le présidentHarry Truman, suivi par la plupartdes Occidentaux, choisissait Tel-Aviv,l’URSS de Staline et Molotov instal-lait son ambassade à Jérusalem. Ellefut fermée en 1967, lorsque Brejnevrompit les relations diplomatiquesavec Israël. Vingt ans plus tard, Gor-batchev, rétablissant les liens avec Is-raël jugea naturel de procéder à laréouverture de l’ambassade sovié-tique, dans les mêmes lieux, à Jéru-salem. Et celle de la Russie deVladimir Poutine s’y trouve toujours.

L’affaire de l’ambassade n’est pasune simple anecdote. Le temps n’estplus aux traités construit sur l’accep-tation forcée d’Israël et non sur sa re-connaissance pleine et entière. Jedemeure, en ce qui me concerne,persuadé que l’Etat juif et démocra-tique d’Israël ne peut exister sans unpartage raisonnable avec un Etatsouverain des populations palesti-

niennes. Les frontières se négocient,tous les gouvernements d’Israël ontenvisagé des partages de territoires.Mais le refus de toute souverainetéjuive sur Jérusalem, est inacceptable.Israël ne pourrait même pas accueil-lir l’ambassade des Etats-Unis dansla partie occidentale de la ville, partieintégrante et, jusque-là, non contes-tée de son territoire ? J’ai beau par-tager l’hostilité de bien des juifsaméricains envers Donald Trump,expression brutale d’un populismemenaçant de réveiller les pulsionsracistes et antisémites, il n’en restepas moins que le nouveau président

des Etats-Unis commence par tou-cher le point sensible. Il n’y aura pasde paix, ni d’Etat de Palestine, sansla reconnaissance du caractère juifde Jérusalem. Pour le reste, mieuxvaut ne pas se bercer d’illusions.Soutenu par les entreprises pétro-lières, Donald Trump fera passerleurs intérêts avant ceux d’Israël. Iln’agacera pas Benjamin Netanya-hou, avec ces manières de prédica-teurs pacifistes qui caractérisent lesprésidents démocrates. Mais il sou-tiendra ou lâchera l’actuel gouverne-ment de Jérusalem, le prochain, lesuivant, à l’aune de la politique is-raélienne.

L’environnement n’a jamais étéaussi incertain, entre le Levant, laTurquie et l’Egypte. Jamais Israël nes’est trouvé dans une position aussicontradictoire. Véritable puissanceéconomique, start-up nation dispo-

sant désormais de ressources éner-gétiques, force militaire redoutée etseule démocratie de la région, ce quilui donne une force vitale, Israël setrouve entouré de volcans. Trump, àson arrivée, relâche la pressionqu’exerçaient Obama et l’adminis-tration démocrate. Il ne cherche pasà imposer un accord, à dicter unepaix conçue à Washington. Il appar-tient à Israël d’utiliser au mieux lesmarges de manœuvres que lui laisseun président moins interventionnisteque son prédécesseur. Contraire-ment à l’idée qui domine à Paris, larésolution des conflits dépend plus

de la volonté desprotagonistes quede l’interventiondes grandes puis-sances. L’avenird’Israël ne dépendpas plus de Trumpqu’il ne dépendaitd’Obama. Jadis, unpetit bonhommetêtu avait imposél ’ indépendanced’Israël, quand lesBritanniques et les

Américains ne semblaient guèrepressés. Le temps de la paix viendraquand la volonté d’Israël rencon-trera, enfin, un peu de bonne volontéde ses partenaires. A ce moment-là,l’étiquette du président des Etats-Unis n’aura aucune importance. Audemeurant, il n’est nullement inter-dit d’imaginer que Donald Trump semontre surprenant. Avant lui, le pré-sident républicain le plus à droite nefut pas Ronald Reagan mais RichardNixon. Cet épicier vulgaire, que lesdémocrates traitaient volontiers denazi, a mis fin à la guerre du Viet-nam, déclenchée par John F. Ken-nedy et intensifiée par Lyndon B.Johnson, et Nixon a, aussi, reconnutla Chine de Mao… En politique,mieux vaut éviter de fonder les pré-visions sur l’image des présidents etleurs postures de campagnes électo-rales.

GK

« Contrairement à l’idée qui domineà Paris, la résolution des conflits dépend plus de la volonté des protagonistes que de l’interventiondes grandes puissances. »

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10 INFORMATION JUIVE Janvier 2017

Vous avez été ambassadeur d’Is-raël en France puis aux NationsUnies. Comment avez-vous réagiquand Obama a lâché Israël aumoment du vote de la résolution2334 ?Yehouda Lancry : Ce fut un mo-

ment pénible, sur la forme comme surle fond du vote.

Sur la forme d’abord: la salve d’ap-plaudissements qui ponctue l’adop-tion de la résolution dénote l’aversion,voire une jouissance maligne, éprou-vées par certains membres du Conseilde Sécurité a l’encontre d’Israël. Lesbienséances protocolaires auraient dû

intimer une plus grande retenue etune meilleure maîtrise de la morgueprimaire de ces membres hargneux.

Sur le fond: c’est une résolution quiéquivaut à une imposition d’un geltotal de toute activité de constructiondans des territoires disputés, sujets ànégociation et à un statut définitif. Larésolution en question constitue unécart unilatéral de la logique des né-gociations bilatérales israélo-palesti-niennes. J’ajoute qu’elle constitue, àl’évidence, un élément significatifdans l’intensification du siège diplo-matique d’Israël aux Nations unies.

Dans cette défaite diplomatique, Is-

raël a sa part de responsabilité. Etantparfaitement conscient de la diver-gence de fond avec les Etats Unis surce dossier, toutes administrations co-fondues, Israël a été pris dans un étatd’impréparation flagrant. Tout indi-quait que Obama , compte tenu de saprofonde mésentente personnelleavec Netanyahou, risquait pour cettefois de ne plus faire violence à sesprincipes et convictions- et à la poli-tique déclarée de son pays- et donc dene pas user du veto protecteur d’Israël.

Incohérences

Du côte israélien, plutôt que d’in-vestir dans une tentative de convictiond’Obama , on passe de façon cavalièrepar - dessus sa tête en s’adressant àTrump, comme s’il n’était plus le pré-sident en exercice. Pour mieux corserla dose d’irritants administrés àObama, Netanyahou capitule face àses extrémistes et soutient leur loi surla régularisation d’implantations illé-gales. C’en était trop pour un prési-dent américain qui ,plus d’une fois,ressentait l’immixtion du Premier Mi-nistre israélien dans les affaires in-ternes américaines et subissait lesincohérences de sa politique et de sonengagement fluctuant en matière depaix.

Comment jugez-vous le bilan po-litique de Barack Obama dans sesrelations avec l’Etat d’Israël ?

POLITIQUE

Les projets de TrumpUn entretien avec Yehouda Lancry

A l’heure où nombre de transfor-mations et de changements pro-fonds vont toucher la géopolitiquedu Proche Orient en général etd’Israël en particulier, nous avonsvoulu savoir ce qu’attendent les

diplomates de l’année 2017.Nous avons posé la question à Yehouda Lancry, celui qui fut undes grands diplomates de l’Etatd’Israël et qui a été ambassadeurà Paris puis aux Nations Unies.

Donald Trump et Benjamin Netanyahou

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INFORMATION JUIVE Janvier 2017 11

Y.L : Le bilan politique de Barack Obama, s’agissant d’Israël, esttrès largement positif.

Sur ses huit années passées à laMaison Blanche, Obama a été notam-ment au Conseil de Sécurité, quasi-infaillible dans sa protection d’Israël.Excepte pour la résolution 2334, ilaura prévenu, au besoin par l’usagedu droit de veto, toute mesure préju-diciable pour Israël. Il a même tenu enéchec la tentative de reconnaissancede la Palestine comme Etat membredes Nations Unies.

Sur le plan sécuritaire, Obama aconsidérablement renforcé Israel, no-

tamment au moyen de l’accord d’as-sistance de l’ordre de 38 milliards dedollars sur les 10 ans a venir! Du ja-mais vu dans les annales américainesavec quelque allié américain que cesoit.

Même l’accord conclu avec l’Iran,de l’avis de nombreux experts israé-liens, présente des avantages non né-gligeables à côte des risques inhérentsau pacte avec un Etat Iranien peusoucieux du respect scrupuleux de sesengagements internationaux.

Dans son discours d’adieux àChicago, le 10 janvier dernier,Obama a mis l’accent sur ses suc-cès mais il a oublié de parler deses échecs. Quels sont, selon vous,ces échecs ?Y.L : Les échecs d’Obama se

ressentent particulièrement au MoyenOrient, sur fond de chaos généré parle” printemps arabe” et par la brutaleémergence de l’Etat islamique.

Probablement “ligoté” par son PrixNobel de la Paix- un prix éminem-ment prématuré- ainsi que par sonidéologie foncièrement pacifiste,Obama n’engage pas la puissance militaire américaine adéquate pourfaire face aux défis majeurs : la me-nace de l’Etat islamique et la désinté-gration de pays comme la Syrie etl’Irak. Le maintien de Bachar El Assad

au pouvoir, la montée en puissance dela Russie et de l’Iran en Syrie, commela crise de Crimée, scellent l’échecd’Obama sur deux fronts de politiqueétrangère des plus cruciaux.

On a l’impression que la diplo-matie israélienne en particulier at-tend beaucoup de la présidenceTrump. Pensez-vous qu’il pourraagir à sa guise ?Y.L : Visiblement, Trump agira

en ami d’Israël. Il en a donné lesgages en maintes déclarations.

Cela étant, il ne pourra pas agir a saguise et l’intérêt intrinsèque des USAinfléchira ses choix et décisions dansun monde où l’interdépendance pè-sera même sur la plus grande puis-sance.

Le peu que l’on connaisse de sa po-litique israélo-arabe est qu’il souhai-terait faciliter l’avènement de la paixisraélo-palestinienne.

S’il s’avérait sérieux dans cette op-tion, la droite radicale israélienne quine cache pas son humeur et sa vervetriomphantes, devra réviser au rabaisses attentes inconsidérées de Trump.

Qu’est-ce qui va se jouer auProche Orient en 2017 ? Y.L : En Syrie, Assad consoli-

dera sa reconquête du pays. La Rus-

« Cette pathologiedu langage imprègne les media,la politique, les dis-cordes sociales,les fractures ethniques et religieuses. »

L'investiture de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis

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12 INFORMATION JUIVE Janvier 2017

sie, n’ayant pas eu trop a limiter sonchamp d’action sous Obama, auraprobablement les mains plus libresavec un Trump qui semble plus com-préhensif de certaines motivations dePoutine.

Une telle perspective pourra géné-rer une plus grande mainmise del’Iran et du Hezbollah en Syrie etconstituer une menace plus prégnanted’Israël

Pathologie

Les chances de reprise de la négo-ciation israélo - palestinienne, au bé-néfice d’une intercession de lanouvelle administration Trump nesont pas nulles. D’ une part la proxi-mité de Trump à Israël pourra fournirà ce dernier des gages suffisants,d’autre part les Palestiniens serontplus motivés à revoir à la baisse leursconditions préalables.

Trump a promis de transférerl’ambassade américaine de TelAviv à Jérusalem. Ne risque-t-onpas de mettre la région à feu et àsang ?

Y.L : De tous les présidentsaméricains ayant promis le transfertde l’ambassade à Jérusalem, Trumpsemble le plus motivé dans l’accom-plissement de cette promesse. Le pas-sage à l’acte provoquera certainementune violente réaction de la rue arabeet des institutions arabes liées à Jéru-salem.

Selon toute probabilité, Trump pren-dra le temps d’une réflexion approfon-die pour se contenter en fin de compted’un transfert aux modalité partielles.

Comment a réagi la classe poli-tique israélienne à la nominationde Jared Kushner, le gendre deTrump, comme conseiller spécialdu Président ? Y.L : La nomination de Jared

Kushner conforte à l’évidence le fac-teur de proximité de Trump à Israël,compte tenu de l’influence du gendresur le beau-père.

Israël a vécu en ce début d’an-née une période relativement dure.Pourquoi le débat politique en Is-raël est-il souvent excessif dansson expression ?Y.L : Le débat politique israé-

lien reflète l’âpreté du discours d’unesociété israélienne durablementconfrontée à une menace existentielle.C’est une société qui véhicule un dis-cours obsidional, porteur d’un substratfoncièrement pathologique.

Cette pathologie du langage im-prègne les media, la politique, les discordes sociales, les fractures eth-niques et religieuses.

Un rapport sur l’antisémitismedans le mondeQuel est l’état de l’antisémitisme

dans le monde ? A l’occasion de laJournée internationale du souvenir dela Shoah, le ministre Naftali Benett,chargé des relations avec la diaspora ,a rendu public au cours du Conseil desministres un rapport consacré à cettequestion..

Le rapport insiste sur le fait que le re-cord absolu d’actes terroristes en Alle-magne a été battu depuis l’arrivéedans ce pays de la masse des migrants.

On compté 416 actes antisémitesentre janvier et septembre 2016, soit200% de plus qu’au cours de la mêmepériode en 2015. La Grande Bretagne,de son côté, a connu un bond de 62 %Le rapport note également une recru-descence de l’antisémitisme en Eu-rope de l’Est.

A propos de la France, le rapport in-siste sur les efforts déployés par legouvernement français dans sa luttecontre l’antisémitisme. Le nombred’actes antisémites aurait baissé de 65 %. Mais l’hostilité à l’Etat d’Israëlcontinue à progresser dans le pays.

La visite de M. Fillon au Mémorial de la ShoahA l’occasion d’une visite qu’il a faite,

le 22 janvier, au Mémorial de la Shahà Paris, M. François Fillon, ancien Premier ministre et candidat à la Prési-dentielle a déclaré : « Lutter contre l’an-tisémitisme c’est défendre la France etla République ».

M. Fillon a ajouté : « Ce n’est pas lapremière fois que je viens au Mémo-rial. Je ressens toujours, comme tousceux qui le visitent, une émotion trèsprofonde ». M.Fillon était accompagnédans cette visite par Serge Klarsfeld etpar son fils Arno.

M.Fillon a encore déclaré : » On me-sure ici devant la liste incroyablementlongue des victimes de la Shoah, à quelpoint les Européens, les nazis singuliè-rement, mais tous ceux qui leur ontprêté la main et en particulier le régimede Vichy, ont commis le crime ultime ».

« L’antisémitisme est toujours pré-sent. On l’a vu avec les enfants assas-sinés à l’école de Toulouse, les victimesde l’Hypercacher ; c’est un danger quimenace la démocratie, qui menacel’humanité et doit faire l’objet de toutenotre attention et de toute notre volonté» a encore déclaré M. Fillon.

« Visiblement, Trumpagira en ami d'Israël. Il en a donné les gages en maintesdéclarations. »

Donald Trump

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Vous avez entrepris de raconter l’his-toire du rapport au corps à partir desprincipaux textes de la littérature juivetraditionnelle. Mais d’abord, qu’appelez-vous « le petit monde » ?

Le petit monde est la dénominationcourante dans la littérature juive pourdésigner le corps humain. On opposele microcosme (Olam ha-katan) aumacrocosme (Olam ha-gadol), en in-sistant sur les liens, les correspon-dances et le jeu de miroirs qui existententre le monde terrestre et les sphèrescélestes. Les parties du corps sont dis-posées selon l’ordre du monde voulupar Dieu lors de la création. Le corpsest un reflet miniaturisé de la structurecéleste ; quant à l’âme, c’est un miroirqui réfléchit les entités spirituelles desmondes supérieurs.

Qu’est-ce qui frappe dans les descriptionsde l’organisme humain telles qu’elles figu-rent dans ces textes ? Que peut-on dire deces représentations du corps dans cette lit-térature ?

Les textes de la tradition juive uni-fient les deux dimensions les plus dis-tantes de la création : d’un côté, Dieuet, de l’autre, les organes du corps hu-main, tout en postulant leur connexion,leur complicité constante. Dieu peutainsi se montrer aux humains sous unemultitude d’apparences, sans limites. Iljoue du don d’ubiquité pour apparaître,tantôt sous la forme d’une vision, d’unrêve, d’une image, d’un visage, d’unenuée, de la lumière, du tonnerre, dufeu, d’un buisson ardent, tantôt par l’in-termédiaire d’un ange ou de la voixd’un prophète.

Certaines traditions spiritualisent lecorps divin ne lui donnant aucune ap-parence matérielle, mais une essencepurement transcendantale. Parallèle-ment se développent des courants quipostulent une réalité matérielle aucorps de Dieu qui peut prendre des ap-parences anthropomorphiques innom-brables. Les discours du corps oscillententre ces deux représentations antithé-tiques.

Qu’appelez-vous la pensée du corps ?La pensée juive, que ce soit, entre

autres, dans les traités philosophiques,les textes éthiques, les commentairesbibliques et les ouvrages mystiques, estfondée principalement sur la préémi-nence, la préséance de l’âme sur lecorps. En général, le corps est une don-née subalterne, inférieure, vouée à ladécrépitude, aux transformationsconstantes de la naissance à la mort.Les textes juifs sont structurés autourde l’opposition entre le haut et le bas,le spirituel et le matériel, le pur et l’im-

pur. Le corps occupant toujours une po-sition secondaire, subalterne.

Dans cet ouvrage, j’ai voulu renver-ser ce postulat : j’ai observé, exploré,ausculté les traditions textuelles juivesen se focalisant sur les données soma-tiques, les réalités physiques, sur cequ’on nomme parfois, sans nuance pé-jorative, la carnalité. Ce que j’appellela pensée du corps consiste à observer,à l’intérieur de l’immense corpus de lalittérature juive, la centralité des don-nées corporelles. En inversant leschéma de pensée qui donnait la pré-éminence à l’âme, loin d’aboutir à sur-déterminer les données concrètes, onclarifie la compréhension des catégo-ries légales, des normes morales, descodes culturels, des pratiques rituelleset des représentations symboliques, no-tamment propres à la mystique juive.C’est en fait par le biais de la concré-tude physique, de l’expérience dessens, de l’observation corporelle que seperçoivent les fondements du ju-daïsme.

On a souvent l’impression, à vous lire,qu’au cœur de votre recherche il y a l’idéede la transmission.

L’idée de transmission est, en effet,centrale. Les traditions textuelles juivesse diffusent, à la fois à partir d’un axe,

JUDAÏSME

Enquête sur le corps humain dans les traditions textuelles juives Un entretien avec Jean Baumgarten

« C’est en fait par lebiais de la concrétudephysique, de l’expé-rience des sens, del’observation corpo-relle que se perçoiventles fondements du ju-daïsme. »

Jean Baumgarten est directeurde recherche émérite au CNRS.Il est spécialiste de l’histoire cul-turelle du judaïsme ashkénaze.Il vient de publier aux éditionsAlbin Michel Le petit monde,une enquête sur le corps humaindans les textes de la traditionjuive, de la Bible aux Lumières.Il répond ici aux questions d’Information juive

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d’un socle commun, en l’occurrence laBible, tout en se ramifiant dans unemultitude de directions éclatées, issuesde courants de pensée pluriels, souventinconciliables. Ils donnent lieu à uneinfinité de discours qui ont la particu-larité de se renouveler constamment.L’important reste l’enchaînement, l’en-gendrement de traditions scripturaires,des sources rabbiniques, entre autres,dans les traités mystiques et les récitsédifiants. Les textes se transmettent degénération en génération, faisant dujudaïsme une entité toujours vivante,caractérisée, d’un côté, par un regardtourné vers l’héritage du passé, la mé-moire, le patrimoine textuel et, de l’au-tre, par une transformation continue,axée sur l’innovation, l’inédit, la nou-veauté, ce qu’on dénomme en hébreu,le hiddush.

Vous interrogez la notion de tradition.Comment la définissez-vous ? Vous notezqu’elle vous semble « incertaine »

L’idée de tradition évoque, entre au-tres, un enchaînement de constructionstextuelles qui s’emboîtent les unesdans les autres selon une cohérencetemporelle, thématique et logique.La chaîne de la tradition suppose latransmission ininterrompue d’une suc-cession d’enseignements des sages etde paroles des savants qui se sont suc-cédé selon l’ordre des généalogies bi-bliques et rabbiniques. L’authenticitéde la tradition est légitimée par l’étude,la lecture interprétative, la passationdes enseignements oraux de maîtres àdisciple et la transmission écrite destextes canoniques. Avec sous-jacentel’idée d’une forme d’immutabilité,d’inaltérabilité et de pureté.

J’ai constaté, toutefois, dans lestextes centrés sur le corps humain, desruptures, des cassures, des contradic-tions qui jalonnent des traditions auxcontours chaotiques, fragmentés, sansqu’il soit possible de retracer des che-minements linéaires et des contenushomogènes. J’ai tenté de rechercherles raisons qui expliquent l’existenced’un enchaînement si désordonné, en-chevêtré, diversifié des discours sur lecorps. Je me suis demandé comments’inventent, se construisent, évoluent etse transforment les sources juives, encontradiction avec l’idée convenued’une tradition statique, hiératique et

unilatérale. Nous découvrons que lestextes sont construits, bricolés, confec-tionnés, à partir d’une combinaison hé-téroclite de fragments de nature,d’époques différentes, puisés dans descourants de pensée irréconciliables,qui se cristallisent dans de nouveauxtextes, eux-mêmes marqués par l’insta-bilité et les contradictions.

Vous semblez partager le point de vue deGershom Scholem quand il définit le ju-daïsme comme « une force historique du-rable, en évolution et en transformationscontinues »

Oui, je dirai, sans entrer dans desconsidérations polémiques, qu’on aparfois eu tendance, ces dernierstemps, à contester l’héritage de Ger-shom Scholem dont les idées ont sou-vent été remises en cause par unegénération de chercheurs empressésde « tuer le père ». Or, Gershom Scho-lem, non seulement, a été un savantd’une inventivité, d’une créativité ex-ceptionnelles, auteur d’une œuvre quia profondément renouvelé notre per-ception de la mystique comme forcepositive à l’œuvre dans l’histoire ;Scholem a développé unevision du judaïsme très ou-verte qui rompt avec cer-taines tendances actuellesau repliement sur soi.

Les sources variées,contradictoires, inconcilia-bles, que nous avons évo-quées autour du corpshumain témoignent de lacapacité infinie d’imagina-tion, d’inventivité, de créati-vité des auteurs juifsinvestissant dans l’étude, larumination, l’exploration des textes,une force de vie et une espérance in-déracinable. C’est une des leçons fon-damentales de l’œuvre de GershomScholem.

Vous dites qu’il n’est pas question de ré-duire la tradition juive à « un bloc monoli-thique ». Vous dites refuser une traditionjuive homogène.

Ce qui m’a le plus frappé en explo-

rant cette masse immense de textes,c’est la diversité irréconciliable des vi-sions et des représentations du corpshumain. Ce qui apparaît à leur lecture,c’est l’incohérence des images concer-nant les données somatiques au seindes traditions juives. L’étude critiquedes discours m’a effectivement permisde me détacher de conceptualisationsréductrices, unilatérales. Les textes té-moignent d’une particulière libertéd’invention, d’imagination religieuse,fruits de rebonds, de rémanences, demutations imprédictibles. Ce que, deplus, m’a révélé ce cheminement à tra-vers les textes juifs, c’est combienl’éphémère, l’immanent, l’immédia-teté, la corporéité sont aussi essentielsque la quête de l’Etre, de l’essence del’âme, indestructible, indivisible et in-finie. En partant du concret, de la sur-face corporelle, longtemps jugéecomme subalterne, on atteint, en fait,les profondeurs du divin.

A quel besoin répond votre enquête ?Ce livre a deux finalités principales :

d’abord, renverser les fondements de laperception de la tradition juive tellequ’elle est couramment définie, en pla-

çant non plus l’esprit,l’âme au centre de l’explo-ration, mais les réalitésphysiques, la matérialité,les données somatiques.

D’autre part, j’ai voulupartir du concret, de la sur-face corporelle, longtempsjugée comme subalterne,par l’inversion des concep-tions idéalistes, ontolo-giques, métaphysiques, dudualisme entre la penséeet la matière. A l’inverse

des « contempteurs du corps », commele disait Nietzsche, ceux qui donnentla prééminence à l’âme spirituelle, j’aivoulu mettre en lumière une vision dela continuité, de la complémentarité,de l’unité du corps et de l’esprit. Lapensée du corps manifeste, à la fois, lapluralité, la diversité contradictoire etl’unité, la totalité du vivant, tout enconstituant une fenêtre ouverte sur lesmondes supérieurs.

« Les textes témoignent d’une particulière liberté d’invention, d’imagination religieuse,fruits de rebonds, de rémanences, de mutations imprédictibles. »

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INFORMATION JUIVE Janvier 2017 15

L’entrée en vigueur, au 1er

janvier 2017, d’une loi de2016 modifiant les moda-lités de refus de prélève-ment, a suscité l’émoi ausein de la communauté

juive de France. Renforçant le principe du consente-

ment présumé de chaque citoyen quin’a pas fait connaître de son vivant sonrefus de donner ses organes, cette évo-lution législative a le mérite d’inciterchaque citoyen à prendre position surun sujet encore largement tabou, maisnéanmoins vital, au plein sens duterme.

Soulignons d’emblée qu’une lectureattentive de la loi fait pièce aux ru-meurs selon lesquelles les prochesn’auraient désormais plus la possibilitéd’exciper du refus de la personne dé-cédée, si celle-ci ne leur a pas confié deson vivant un document écrit dans le-quel elle manifeste ce refus. La loi pré-voit en effet qu’un proche peut attesterpar écrit du refus de prélèvement de cedernier, en « mentionnant précisémentle contexte et les circonstances de sonexpression ».

Une remarque préalable s’impose :Si tous les juifs français ne se déter-

minent pas forcément en se référantaux textes religieux du judaïsme trai-tant du don d’organes, préférant se fierà leur conscience et à leurs convictions,il n’en demeure pas moins que la reli-gion est souvent invoquée pour expri-mer un refus. Et ce, trop souvent enméconnaissance des textes qui devien-nent ainsi des prétextes.

D’où l’intérêt de s’informer réelle-ment quant à ce que préconise la Ha-lakha (« Loi juive ») en matière de dond’organes ?

Un devoir religieuxLes dons du vivant sont autorisés, et

même considérés comme un devoir re-ligieux par la quasi-totalité des déci-sionnaires, en vertu des versetsbibliques « Tu aimeras ton prochaincomme toi-même ! » (Lévitique 19, 18)et « Ne reste pas indifférent devant lesang (c’est-à-dire, le risque de mort) de

ton prochain ! » (Lévitique, 19, 16).La préservation de la vie étant une

valeur cardinale du judaïsme, le donposthume devrait être unanimementencouragé par les décisionnaires.Certes, la dégradation du corps consé-cutive au prélèvement1 ainsi quel’inhumation différée qu’il impliqueconstituent des transgressions, maiscelles-ci sont moralement et religieuse-ment justifiées par le sauvetage d’uneou de plusieurs vies. « Qui sauve uneseule vie, sauve le monde entier », ditle Talmud.

Toutefois, si la vie du receveur est icien jeu, la vie du donneur l’est aussi auregard de la question complexe de ladétermination du moment de la mort.

Or, les opinions savantes divergentquant à la question de savoir quel or-gane ou quelle fonction, lorsqu’il ouelle s’arrête, détermine le moment dela mort d’un point de vue religieux.

Deux opinions, fondées chacune surune étude approfondie et contradictoiredes textes religieux, dominent le débat.L’une soutient que ce sont l’arrêt car-diaque et l’arrêt respiratoire (le cœurapportant, via la circulation sanguine,l’énergie aux muscles respiratoires) quidéterminent le trépas, tandis que l’au-tre opte pour la mort cérébrale et l’arrêtirréversible de la fonction respiratoire(contrôlée par le tronc cérébral), défini-tion légale de la mort en France depuis1968, et en Israël depuis 1986, pour legrand rabbinat d’Israël2. Un diagnosticde mort cérébrale doit de ce fait êtreétabli, après des examens cliniques (dedifférents réflexes, dont la respiration)et d’imagerie (électro-encéphalo-gramme ou angio-scanner, afin de vé-rifier qu’il n’y a plus de sang qui circuledans le cerveau).

Ce débat n’avait pas de raison d’êtreavant l’apparition de la respiration ar-tificielle, puisque l’arrêt cardiaque et lamort cérébrale étaient alors quasi-concomitants. Avec la ventilation artifi-cielle, le cœur continue de battre tandisque le cerveau n’a plus d’activité.

Pour les tenants de l’arrêt cardiaque,le prélèvement d’organes sur un pa-tient en état de mort cérébrale dont le

cœur bat, est assimilé à un meurtre quene saurait justifier le sauvetage de la viedu receveur. Au contraire, les décision-naires qui ont tranché pour la mort cé-rébrale considèrent que le cœur battantn’est pas un critère de vie, seul le cer-veau (qui ne contrôle pas le cœur maiscommande tout le reste) étant le siègede la vie.

Récemment, certaines autorités rab-biniques ont préconisé de s’inscrire surle registre des refus, en estimant quedu fait de cette controverse entre les dé-cisionnaires, un doute persiste quant àla juste définition de la mort, et que l’onne pouvait se prononcer en faveur d’undon, réalisé au prix d’un homicide etd’un suicide.

Ces mêmes autorités religieusesconcèdent toutefois que si le don poseproblème, il en va tout autrement dufait de recevoir un organe…

Il revient donc à chaque citoyen juifde décider, en son âme et conscience,d’être donneur d’organes vitaux ou des’y refuser, après avoir opté pour l’uneou l’autre des orientations religieusesprécitées.

-*Michaël Azoulay, rabbin, en charge

des affaires sociétales auprès du grandrabbin de France, ancien membre duComité Consultatif National d’Ethique.

Merci au Docteur Stan Kandelman,praticien hospitalier en anesthésie-réa-nimation, dont les précieux conseils ontpermis la rédaction de cet article « enconnaissance de cause ».

Le judaïsme face au dond’organes post mortem : « Tu choisirasla vie ! »(Deutéronome 30, 19).

--1 La loi prescrit la meilleure restaura-

tion possible du corps. 2 D’anciens grands rabbins d’Israël,

tels que Ovadia Yosef ou Shlomo Amar,se sont prononcés dans ce sens. Cen’est qu’en 2008 que la Knesset (le par-lement israélien) a voté une loi sur ledon d’organes conforme aux exigencesdu grand rabbinat israélien, relativesnotamment au diagnostic de mort cé-rébrale.

JUDAÏSME

Face au don dÊorganes⁄ Par Michaël Azoulay *

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16 INFORMATION JUIVE Janvier 2017

Depuis 1976, enFrance, la loi Cail-lavet fait de chaquepersonne un don-neur d’organes po-tentiel, tout en

affirmant la possibilité de s’opposer àun tel prélèvement. Si les trois grandsprincipes (consentement présumé,gratuité et anonymat) restent inchan-gés, la loi de modernisation de notresystème de santé (janvier 2016) pré-cise les nouvelles modalités de refusainsi que le rôle des proches. Dès le1er janvier 2017, les personnes refu-sant de donner leurs organes pourronts’inscrire en ligne sur le registre natio-nal des refus géré par l’Agence de labiomédecine (site: www.registrenatio-naldesrefus.fr) - et non plus seulementpar courrier postal, comme c’était lecas jusqu’à présent.

Etat des lieux

Actuellement, seuls 7% des Françaisconnaissent la loi sur le don d’organes.En faisant connaître ce registre et enfacilitant son accès, le législateur es-père que davantage de personnespourront faire connaître leur opposi-tion, ce qui permettra de soulager lesproches lors d’un deuil brutal. Rappe-lons que l’inscription sur le registre estrévocable à tout moment. Seules 150000 personnes sont inscrites sur le re-gistre à ce jour1, un nombre qui a dou-blé depuis un an, depuis que l’Agencecommunique sur ce sujet. La nouvelleloi prévoit aussi la possibilité de fairevaloir son refus par écrit et de confierce document daté et signé à un mem-bre de son entourage. Si toutefois undéfunt n’a pas fait ces démarches de

son vivant mais qu’il avait fait part ora-lement de son refus, ses proches pour-ront en dernier recours faire valoir sadécision2. Ils devront alors retrans-crire l’expression précise du refus et lasigner.

L’objectif de cette loi est aussi de ré-duire le taux actuel d’opposition audon qui est de 40% à 20% qui serait letaux de refus réel. Car actuellementbeaucoup de familles refusent le don

par réaction émotionnelle après undécès brutal, or selon certains son-dages, seules 20% des personnes se-raient opposées au don. Cette loidevrait donc permettre de soulager lesfamilles et de réaliser 1000 à 1500greffes supplémentaires chaqueannée en France.

Anonymat du donneur

La difficulté de la cession d’un or-gane est accentuée par l’anonymat dudon qui prévaut selon la loi en France.En effet, le fait que le donneur nepuisse pas connaitre concrètement, oumême administrativement, l’identitédu receveur relativise dans saconscience la dimension altruiste deson don en le confinant à un acte vir-tuel. D’aucuns pourraient y voir aucontraire un acte noble puisque tota-lement désintéressé et mû par le seulamour d’autrui, du genre humain et

de la vie. En tout état de cause, le codecivil déclare qu’ : “Aucune informationpermettant d’identifier à la fois celuiqui a fait don d’un élément ou d’unproduit de son corps et celui qui l’areçu ne peut être divulguée. Le don-neur ne peut connaître l’identité du re-ceveur ni le receveur celle dudonneur”. Le motif de cet anonymatest d’éviter le risque de pressions psy-chologiques et financières de la partdes familles des donneurs sur la per-

sonne greffée. Cette dernière peutainsi vivre librement avec le greffonqui lui a été donné. Rappelons que leprincipe d’anonymat ne concerne quele prélèvement d’organes sur une per-sonne décédée.

La loi Caillavet de 1976

La loi du consentement présumé,dite loi Caillavet3, qui considère le si-lence de tout donneur potentielcomme un acquiescement automa-tique au don, suscitait de la méfiancede la part des donneurs. Ceux-ci sesentaient dépossédés de leurs corps,voire d’une partie de leur identité, parcette loi. Aussi, pour pallier toutmalentendu, il était recommandé deposséder une carte de donneur danslaquelle on pouvait noter son refus ouson accord pour le don le cas échéant.Avec la loi de modernisation de notresystème de santé (janvier 2016) qui

MEDECINE

Ethique juive et transplantations d'organes au regard de la nouvelle loiPar le docteur Elie BOTBOL*

« Le don d'organe ne peut donc êtreconsenti que par devoir moral et bonté. »

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INFORMATION JUIVE Janvier 2017 17

entre en vigueur le 1er janvier 2017,cette carte n’est plus indispensablepuisque le refus peut être notifié sur lesite. Notons néanmoins qu’en Israël,depuis janvier 2010, le porteur d’unecarte de donneur d’organe est priori-taire pour l’attribution d’un organe parrapport à un patient de gravité iden-tique mais non porteur d’une carte dedonneur, et ce dans le but d’inciter audon d’organe4.

La sauvegarde de la vie

Il est vrai que l’acte de prélèvementvise ici la sauvegarde de la vie du re-ceveur potentiel laquelle dépend de lagreffe. A ce titre, certaines dérogationsreligieuses sont légitimes. Le Talmudautorise par exemple la transgressiondes lois du shabbat même pour lemaintien d’une vie momentanée d’untraumatisé (Yoma 85a). De même, ilaffirme que tous les préceptes de laTora peuvent être enfreints à l’excep-tion de trois (idolâtrie, débauche etmeurtre) pour la préservation de la viehumaine. Le précepte de l’assistanceà personne en danger (Lévitique 19,16) exige de tout faire (ou presque)pour la sauvegarde de la vie d’autruieu égard à la valeur suprême conféréepar la Tora à la vie humaine, carcomme l’affirme le Talmud: “tout celuiqui supprime une seule vie humaineest semblable à celui qui détruit unmonde dans sa totalité” (Sanhédrine37a). Est-ce que pour autant le dond’organes s’impose à tout un chacunen tant qu’obligation religieuse? C’estseulement à titre de mitsva, unebonne action, concèdent certains dé-cisionnaires5 en se fondant sur despreuves talmudiques6. Si l’aide à lasurvie d’autrui impose des efforts di-vers (physiques, financiers, etc.), celane peut inclure pour autant la cessiond’une partie de son propre corps. Ledon d’organe ne peut donc êtreconsenti que par devoir moral etbonté.

De même, si le prélèvement risquede porter atteinte à la vie du donneur,

il n’est pas autorisé. C’est ainsi que leprélèvement d’un cœur encore battantsur un comateux ou sur toute per-sonne qui n’a pas encore émis sondernier souffle n’est pas acceptable.Le respect de la vie est en effet unprincipe catégorique qui ne dépendpas de l’espérance de vie de la per-sonne. Celle d’un agonisant est aussiimportante que celle d’un nouveau-né, dans le sens où cette dernière nepeut être prolongée au détriment decelle du premier.

Principe de revitalisation

Lorsqu’un organe est prélevé sur undéfunt pour être greffé, les trois impé-ratifs religieux liés au respect de soncorps (impératif d’inhumation, interditd’enlaidissement du corps et de tout

profit tiré de sa chair) peuvent êtrelevés dans la mesure où l’organegreffé va être revitalisé et connaîtreune seconde vie au sein du corps dureceveur. Cette revitalisation, compa-rable à une résurrection partielle dudéfunt, confère à l’organe le statut devivant7. Néanmoins, si le donneur estjuif, le receveur devra s’engager à nepas se faire incinérer par exemple afinde respecter les trois impératifs relatifsau donneur défunt. Cette réserve etd’autres encore nous engagent à re-commander aux donneurs juifs d’ins-crire sur leur carte de donneur lanécessité de consulter l’autorité rabbi-nique de leur ville avant tout prélève-ment sur leur corps afin que celle-cis’assure du respect des règles hala-khiques relatives au donneur et au re-ceveur. Cependant, du fait de

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18 INFORMATION JUIVE Janvier 2017

l’anonymat des receveurs en vigueuren France, il sera impossible à qui-conque de s’assurer de l’applicationdes obligations halakhiques liées aureceveur.

En conclusion, nous ne dirons ja-mais assez notre reconnaissance àtous les acteurs (donneurs, cher-cheurs, biologistes, chirurgiens etmédecins) qui permettent depuis desdécennies la survie des receveursqui étaient destinés à une mort cer-taine à brève échéance ou à suppor-ter de grandes souffrances sans cetteintervention. La transplantation d’or-ganes est une technique qui a rendude grands services à l’humanité, àtous les malades quelles que soientleurs croyances, leurs cultures etleurs ethnies. Elle a montré qu’outreses acteurs habituels, la médecine aparfois besoin de la bienveillanced’hommes et de femmes sollicités entant que donneurs pour sauvegarderla vie d’autrui. Ce pont interhumainen faveur de la vie montre à quelpoint le destin commun de l’huma-nité est lié à la bonne volonté des unset des autres. Les impératifs reli-gieux, juridiques et éthiques sontcertainement les garants d’unebonne pratique, et cette loi qui entreen vigueur en 2017 va dans ce sens,mais la chance qui nous est offertepar cette technique de sauvegarderdes vies ne doit pas quitter laconscience des différentes autoritésappelées à s’exprimer sur cette ques-tion.

Reconnaissons néanmoins que,pour le judaïsme, l’anonymat du re-ceveur et le prélèvement pratiquéparfois sur des patients non encoredécédés selon la Halakha consti-tuent un frein à ce geste posthumede don de soi. Notons qu’en Israël cetype d’obstacle est plus facilementsurmontable8.

--* Auteur de Ethique juive et trans-

plantations d’organes, édition L’Archedu Livre. [email protected]

--1 Notons qu’en 1980, 8 refus seulementétaient inscrits sur les registres hospita-liers, soit 1,1% des 667 greffes réaliséesdurant cette même année (Revue de mé-decine de Toulouse 1982, 18, p. 167-168.2 Qui de ses proches sera le plus en-tendu s’il y a divergence sur la déclara-tion du défunt ? Les parents ou leconjoint ? Cette question s’est posée etn’a pas encore été tranchée par la loi àpropos de l’affaire Vincent Lambert(cessation des soins chez un malade enétat végétatif).3 Du nom du sénateur qui avait proposécette loi. Henri Caillavet a été aussi unmilitant acharné de l’euthanasie au seinde l’Association pour le droit de mourirdans la dignité (ADMD) et du Comiténational d’éthique.4 Lavee J, Ashkenazi T, Gurman G,Steinberg D, « A new law for allocationof donor organs in Israel » Lancet 2010;375:1131-3.5 R. M. Feinstein in Iggerot Moshé Y.D.174, 4ème partie; R. Y. Weiss in MinhatYitshak vol. 5, chap. 7, note 17; R. MSimha in Or saméah, Hil. Rotséah (77,8) et Responsa du Radbaz (III. 627). Enrevanche, R. E. Y. Waldenberd, ancienrav de l’hôpital Cha’aré Tsedek de Jéru-salem, interdit le don d’organes dans sesResponsa Tsits Eliezer, vol.13, chap. 91,notes 1-3-5.6 Sanhédrine 73a, TJ Haguiga chap. 2et Sanhédrine 44b.7 R. I. Y. Unterman in revue Noam vol.4, p. 102; Chevet Yéhouda p. 313 et Koltsofaïkh p. 384. Cette opinion est confor-tée par Nida 70b dans laquelle l’enfantressuscité de la Chounamite est consi-déré comme vivant bien qu’ayant étéimpur durant la phase précédant son re-tour à la vie. R. Y. Glickman (Noam vol.4 p. 206) conteste cette opinion en sefondant sur Sanhédrine 47b.8 Cet anonymat peut être levé pour lesmédecins pour des exigences thérapeu-tiques. On peut imaginer qu’il puisseaussi être levé partiellement à la familledu donneur (sans donner l’identité dureceveur pour autant) juste pour apai-ser les craintes halakhiques relativesau receveur.

« La transplantation

d'organes est une

technique qui a

rendu de grands

services à l'huma-

nité, à tous les

malades quelles

que soient leurs

croyances, leurs

cultures et leurs

ethnies. »

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La Vie du Consistoire

La communauté de Lyon reçoit le maire de Beer-ShevaAprès l’inauguration à Lyon d’un nouvel espace

communautaire,grâce notamment à l’action du prési-dent du Consistoire régional, Alain Sebban, le mairede Beer-Sheva, Ruvik Danielovich, a été reçu par lacommunauté lyonnaise dans le cadre de la signaturedu jumelage et de l’accord de coopération culturelleet économique entre Beer-Sheva et Lyon.

Le Consistoire partenaire de l’Appel pour la tsédaka

La grande synagogue de la Victoire accueillait le 15 janvier les Choeurs de l’armée française et de laGarde républicaine pour un concert en faveur de laTsédaka, dont le Consistoire est partie prenante aucôté du FSJU depuis plus de 20 ans. Jack-Yves Boh-bot, vice-président du Consistoire central, représentaitJoël Mergui, retenu à Nancy pour la prise de fonctiondu nouveau rabbin régional.Précédemment avait eulieu le 12 décembre dernier, au Palais des sports deParis, la soirée de gala avec pour parrains, Yvan Attalet Dominique Farrugia, en présence de Gérard Gar-çon, président de campagne, Ariel Goldmann prési-dent du FSJU, Haïm Korsia, Grand rabbin de France,et Joël Mergui Président du Consistoire.

Le Consistoire soutient les femmes bénévoles

Les responsables de l’association israélienne « Lecœur des mamans » (Lev Haimot) étaient de passageà Paris le dimanche 11 décembre. Près de 200 per-sonnes se sont pressées pour faire des dons et soutenirces femmes bénévoles qui se consacrent aux enfantsdéfavorisés dans l’Etat juif. Animée par le chanteurDavid Hababou, la soirée s’est déroulée en présencede nombreuses personnalités. Parmi elles, le présidentdu Consistoire, Joël Mergui, et le député UDI repré-sentant les Français installés en Israël, Meyer Habib.

Les responsables ont évoqué leur rôle et leurs actions,souvent menées dans l’urgence, pour nourrir, vêtir outout simplement donner du baume au cœur à des en-fants et des familles qui vivent dans l’incertitude dulendemain.

Le 15 décembre, Joël Mergui assistait commechaque année au dîner de gala de la WIZO dans lessalons de l’Hôtel de Ville de Paris. Aux côtés de la pré-sidente Joëlle Lezmi, et du parrain de la soirée, le ci-néaste Alexandre Arcady, le président du Consistoirea insisté sur le rôle éminent et souvent pionnier qu’oc-cupent les femmes dans le judaïsme en rendant hom-mage aux bénévoles françaises.

Seminaire francophone en région parisiennesur la lutte contre l’antisemitisme

Un seminaire francophone consacre a la lutte contrel’antisemitisme s’est deroule au Sud de Paris du 16 au18 decembre sous l’e gide de l’Organisation sionistemondiale (OSM). Le president du Consistoire, JoelMergui, y participait en compagnie de l’ambassadriced’Israel en France, Aliza Bin-Noun, les universitairesGeorges Bensoussan et Alexandre del Valle. Denoncerle danger de l’islamisme est un premier pas, selonJoe l Mergui qui a aussi particulie rement insiste surla necessite de faire front commun pour mieux luttercontre un fleau qui menace non seulement Israe l,mais aussi tout l’Occident.

Le Secours juif main dans la main avec Lev Layeled

C’était le 22 décembre. Le rav David Benelbaz, res-ponsable de l’association Lev Layeled (« Un cœurpour l’enfant »), organisait la traditionnelle cérémoniedes bnei mitzva à l’hôtel Intercontinental de Paris. Accompagnés de leurs familles, 14 adolescents issusde milieux défavorisés ont fêté plus que dignementleur passage à l'âge adulte. Vedettes de la soirée, ilsont été célébrés par un public ravi. Le Secours juifsoutenait l’opération et c’est Joël Mergui, président

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La Vie du Consistoire

du Consistoire, qui a offert les paires de tefilin auxjeunes gens au nom de la caisse caritative avant quele rabbin Mikaël Journo, aumônier général israélitedes hôpitaux, se charge de la remise des diplômes debar mitzva.

Hanoucca : la communauté en fête

Allumage public géant au Champ de Mars

Le président du Consistoire, Joël Mergui, et le di-recteur du Séminaire israélite, le grand rabbin OlivierKaufmann, ont participé le 25 décembre au tradition-nel allumage public des bougies de Hanoucca orga-nisé par le mouvement Loubavitch au Champ deMars, à Paris, devant des milliers de personnes.Compte-tenu du lieu et du contexte, ce rassemble-ment fut lui aussi placé sous haute sécurité.

Hanoucca au Centre Européen du Judaïsme : le premier allumage d’une longue série !

Les lumières de Hanoucca ont brillé pour la pre-mière fois le 29 décembre dans la future salle de ré-ceptions et de conférences du Centre Européen duJudaïsme, qui ouvrira ses portes dans un an. L’am-biance festive était assurée par la chorale d’enfants is-raélienne Pirchei Yéroushalaïm. L’objectif, pour leprésident du Consistoire, Joël Mergui, était surtout demontrer aux membres fondateurs l’avancée des tra-vaux et de les remercier pour leur soutien. Parmi lespersonnalités présentes : Bruno Le Roux, ministre del’Intérieur chargé des cultes, qui a assuré que l’Etattiendrait toutes ses promesses ; Brigitte Kuster, mairedu 17ème arrondissement où se situe le Centre, quisera le plus vaste et le plus moderne espace commu-nautaire du Vieux Continent ; Francis Kalifat, prési-dent du CRIF ; Philippe Allouche, directeur généralde la Fondation pour la mémoire de la Shoah (l’un desbienfaiteurs institutionnels du Centre), mais aussiFrancis Huster, Enrico Macias, Marek Halter… JoëlMergui a rappelé que s’il fallait respecter le choix des

olim, il fallait aussi permettre à la majorité des juifsde France, « qui restent ici », de vivre leur foi et leuridentité avec des structures adaptées. Le grand rabbinde France Haïm Korsia a insisté sur le message d’es-pérance et de confiance dont la fête de Hanoucca estporteuse, tandis que Bruno Le Roux, qui s’est déclaré« en famille » devant les bougies, a promis que le dis-positif Sentinelle serait prolongé « avec des aména-gements au cas par cas » pour améliorer encore lasécurité des lieux juifs.

2 500 participants à Sarcelles

Pour Hanoucca, chaque communauté locale se dépense sans compter pour organiser une fête et/ouun allumage public et le public est partout au rendez-vous. A Sarcelles, ils étaient au moins 2 500 le 25 décembre. « My Hanoucca » a remporté un succèsinégalé. Cette journée était organisée sous la houlettede René Taïeb, président de l’Union des communau-tés juives du Val-d’Oise et du Grand rabbin LaurentBerros. Cadeaux, jeux de plein air géants dignes d’unparc d’attraction, beignets, friandises… : tout étaitgratuit pour les enfants, avec le concours du Secoursjuif. Le ministre de l’Intérieur chargé des cultes,Bruno Le Roux, a fait le déplacement pour l’occasion- « à titre privé », a-t-il précisé.

… et des dizaines de milliers partout en France

En région parisienne comme en province, une mul-titude de fêtes et d’allumages communautaires ont étéorganisés, souvent en présence d’élus et de responsa-bles associatifs non-juifs. Les petites villes commeEvian, Vichy, Annemasse ou Aubagne ont offert desanimations réunissant une grande partie des Juifs desalentours. Dans les principales communes d’Ile-de-France et dans les métropoles régionales comme Tou-louse, on a compté des centaines, voire des milliersd’enfants et d’adultes présents pour célébrer collecti-vement Hanoucca, prononcer les bénédictions, se ré-galer et recevoir des cadeaux.

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La Vie du Consistoire

Les malades aussi

A l’initiative du rav Mikaël Journo, aumônier géné-ral israélite des hôpitaux, des allumages ont eu lieuchaque soir de la fête des lumières dans les princi-paux centres de santé et maisons de retraite. Des ha-noucciot et des bougies ont également été distribuéesavec le soutien du Secours juif.

… et les détenus

Le grand rabbin Haïm Korsia et le président JoëlMergui ont rencontré les prisonniers juifs du centrepénitentiaire de Fresnes à l’occasion de l’allumage dela 4ème bougie de Hanoucca. Tous nos coreligion-naires détenus à travers la France ont reçu des bou-gies et un cadeau grâce au Secours juif.

Présentation des voeux du Président de la République aux autorités religieuses

A l’occasion des vœux traditionnels aux représen-tants des cultes, début janvier, le chef de l’Etat a salué« la relation harmonieuse que la République entre-tient avec les religions », gage d’« une forte cohésion

nationale ». Le président du Consistoire, Joël Mergui,en a profité pour rappeler que « la laïcité doit permet-tre à tous les citoyens de s'exprimer et de pratiquerson culte librement ». Il a aussi demandé à la France,après le vote révisionniste de l’UNESCO sur Jérusa-lem (avec l’abstention de la France), « d'apporter sonsoutien à Israël » et de reconnaître le lien éternel quiunit le peuple juif à la ville sainte.

Hypercacher : 2 ans déjà

Plusieurs cérémonies officielles auxquelles ont par-ticipé le Grand Rabbin de France et le Président duConsistoire se sont déroulées à Paris pour commémo-

rer le deuxième anniversaire de tous les attentats dejanvier 2015. Le 5 janvier, devant l’Hypercacher dela porte de Vincennes, le Grand rabbin de France,Haïm Korsia, le Président du Consistoire, Joël Mer-gui, et le président du CRIF, Francis Kalifat, ont dé-posé des gerbes de fleurs aux côtés de représentantsde l’Etat et d’élus.

Le 8 janvier, la mémoire de Philippe Braham zal,Yohan Cohen zal, Yoav Hattab zal et François-MichelSaada zal a été honorée par la commune limitrophede Saint-Mandé, son maire, Patrick Beaudouin, leGrand Rabbin de France et le Président du Consistoirenotamment, sur le site du Jardin de la paix, où 5 oli-viers symbolisent les victimes de l’Hypercacher etl’ensemble des Français qui ont péri dans les derniersattentats terroristes.

Le lundi 9 janvier, une soirée de recueillement com-munautaire a attiré des centaines de personnes quiont bravé le froid pour signer, sous une tente installéedevant le supermarché, un registre de condoléancesou allumer des bougies (le chanteur Renaud, auteurd’une chanson sur l’Hypercacher a marqué la fin desoirée de sa présence). Auparavant, les familles desvictimes et les rescapés de la prise d’otages se sontréunis autour des responsables juifs et de deux can-didats à la présidentielle : Manuel Valls et FrançoisFillon.

Le même jour à Montrouge, hommage fut rendu àla jeune policière municipale Clarissa Jean-Philippe,assassinée à quelques mètres de l’école juive YaguelYaacov. La cérémonie s’est déroulée en présence dela famille de la jeune femme, des représentants del’Etat, du président du Consistoire, Joël Mergui, durabbin de la communauté locale, Yaacov Mergui etdes responsables de l’école.

Paris : l’Hôtel de Ville illuminé aux couleurs d’Israël

A l’instar de la porte de Brandebourg, à Berlin, lamairie de Paris s’est illuminée quelques heures auxcouleurs d’Israël, le 10 janvier, afin de rendre hom-mage aux 4 jeunes victimes israéliennes de l’attentatau camion-bélier qui a endeuillé Jérusalem : Yaël

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La Vie du Consistoire

Yekutielzal, Shir Hadjadjzal, Shira Tzurzal et Erez Or-bachzal.Le Président du Consistoire, Joël Mergui,était présent aux premières minutes de l’illuminationaux côtés - entre autres - d’Aliza Bin-Noun, Ambas-sadrice d'Israël en France, de Francis Kalifat, prési-dent du CRIF et de nombreuses personnalitésreprésentées (dont la Maire de Paris en déplacementhors de Paris.) Auparavant, le Consistoire avait pré-senté ses condoléances aux familles des disparus et àl’ensemble du peuple israélien, comme il l’avait faitquelques semaines plus tôt à l’intention de l’Alle-magne touchée par l’attentat perpétré le 19 décembreà Berlin.

Un nouveau rabbin pour la Lorraine

La prise de fonction officielle du nouveau rabbinconsistorial de la Lorraine Mickaël Gabbai a attirébeaucoup de monde à Nancy, le 15 janvier, à com-mencer par les membres de la communauté juive dela ville et de la région. Des représentants de la muni-cipalité, des élus et des responsables religieux étaientégalement présents. Le Grand rabbin de France,Haïm Korsia, le président de la communauté deNancy, Alain Lefebvre, le numéro un du Consistoire,Joël Mergui, le directeur du Séminaire israélite deParis dont Mickaël Gabbai est fraîchement diplômé,le grand rabbin Olivier Kaufmann, se sont expriméstour à tour. Puis, le jeune rabbin a pris la parole d’unevoix déjà bien assurée pour remercier toute l’assem-blée.

Rencontre avec le ministre israélien de la Santé

Le président du Consistoire, Joël Mergui, et legrand rabbin Haïm Korsia ont rencontré le 16 janvierle ministre israélien de la Santé, le rav Yaakov Litz-man, à l’occasion de sa visite à Paris. Il a évoqué avecses interlocuteurs la question délicate de la diminu-

tion des forces vives du judaïsme hexagonal du fait dela vague d’alya. La réforme de la loi française relativeaux dons d’organes post mortem a également fait l’ob-jet d’un échange de vues.

Le nouveau « Monsieur judaïsme » de l’Eglise de France reçu au Consistoire

Louis-Marie Coudray est le nouveau directeur duService national pour les relations avec le judaïsmeau sein de l’Eglise de France. Ce frère bénédictin quia vécu 35 ans au monastère d’Abou Gosh, en Israël,connaît parfaitement son sujet et parle courammenthébreu. Il a donné de multiples cours et conférencessur le judaïsme. Il remplace le père Patrick Desbois.Il a été reçu le 11 janvier au Consistoire par le prési-dent Joël Mergui et par Michel Gurfinkiel avec les-quels a échangé sur les moyens de développer lesrelations judéo-chrétiennes.

Soutien à Israël pendant la conférence de Paris

Le 15 janvier un rassemblement s’est tenu dans lamatinée devant l’ambassade d’Israël, pour soutenirl’Etat juif à quelques centaines de mètres du lieu oùse tenait la conférence de Paris « pour la paix auProche-Orient ». A l’appel du CRIF, du Consistoire etdu FSJU, de nombreuses personnalités communau-taires et politiques ont dénoncé à la tribune cette réu-nion de 75 Etats et organisations internationales, dansle seul but de placer Israël sur le banc des accusés.Francis Kalifat, président du CRIF, est intervenu lepremier pour marteler qu’aucun accord n’était envi-sageable sans des négociations directes entre Jérusa-lem et Ramallah. Ariel Goldmann, président du FSJU,

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La Vie du Consistoire

a prononcé une allocution sans ambiguïté, qualifiantla conférence d’« imposture » et de « simulacre de dia-logue (…), simulacre historique ». Le Président duConsistoire Joël Mergui a ensuite affirmé que la paixne sera possible qu’à condition d’éradiquer la terreuret d’exiger des Palestiniens qu’ils reconnaissent le ca-ractère juif d’Israël et de sa capitale « une et indivisi-ble. Nous demandons au gouvernement français,a-t-il ajouté solennellement, de ne pas donner un pré-texte à une nouvelle vague d’antisionisme et d’anti-sémitisme ».

Les députés Pierre Lellouche (Les Républicains),Meyer Habib (UDI) et Claude Goasguen (Les Répu-blicains et maire du 16ème arrondissement), se sontsuccédés à la tribune. L’ambassadrice de l’Etat hé-breu, Aliza Bin-Noun, a conclu ces interventions ensoulignant que les conditions nécessaires à la paix nesauraient être remplies « tant que des assassins sontfélicités par l’Autorité palestinienne et leurs famillesrémunérées pour leurs actes de terreur ».

Joël Mergui au Beth Hamidrach SIF – Hazac

Le Beth Hamidrach du SIF avec la Hazac, placésous la direction du directeur de l'école rabbinique, leGrand Rabbin Olivier Kaufmann réunit tous les mar-dis soir avec le rav Menahem Engelberg, directeur dela hazac, une vingtaine de jeunes, élèves rabbins etmembres de la Hazac, pour étudier en binôme. Deuxfois par mois dorénavant, une personnalité est invitéeà se joindre à cette étude pour encourager le plus pos-sible de jeunes à poursuivre dans cette voie ouverte àtous. Le 10 janvier, le président du Consistoire étaitle premier invité d'honneur, il a souligné l'importancede l'étude de la Torah, à titre individuel, même si l’onest très occupé par toutes sortes d’obligations profes-sionnelles ou personnelles, mais également à titre col-lectif pour que se perpétue l’héritage du judaïsme. S’il

a remercié chacun pour son engagement, il a tenu asouligner particulièrement celui d’ Emmanuel Cohenqui s’investit sans compter pour la réussite de ce bethHamidrash.

Double inauguration à Fontenay-sous-Bois

Le grand rabbin de Paris, Michel Gugenheim, étaitl’hôte de marque de la communauté de Fontenay-sous-Bois, le 15 janvier, pour l’inauguration du nou-veau Centre Hillel, situé à quelques mètres del’ancien et beaucoup plus vaste. Il comprend une sy-nagogue, un beth hamidrach, une salle de réceptions,un espace de loisirs pour les jeunes… Le même jourle Grand Rabbin de Paris a inauguré le parvis Fran-çois-Michel Saada, situé devant le Centre, du nom dece Fontenaysien assassiné il y a 2 ans lors de l’attentatde l’Hypercacher de la porte de Vincennes. Jack YvesBohbot représentait le Président Joël Mergui aumême moment devant l’ambassade d’Israël.

Rencontres autour de Casherout

Le grand rabbin et président du bethdin de la capi-tale, Michel Gugenheim, a reçu le 18 janvier les rab-bins Holland et Heyman du « Star K Kosher Certi-fication », l’un des principaux organes de certificationde produits conformes à la Halakha aux Etats-Unis.En ligne de mire: leurcollaboration avec le tribunalrabbinique de Paris en matière de casherout.

Le 26 janvier, le Président du Consistoire, Joël Mer-gui, et le Grand Rabbin Bruno Fiszon, représentant leGrand Rabbin de France, ont participé à la présenta-tion des conclusions de l’enquête sur l’abattage rituel,diligentée par le Ministre de l’Agriculture, StéphaneLe Foll. Ce rapport indique que le pourcentage d’abat-tage rituel en France (Musulman + Israélite) n’ex-cède pas 13% de tous les bovins et 26% des ovins(moutons, chèvres) abattus en France.

Ces chiffres particulièrement importants démententles informations et rumeurs faisant état du fait que lamajorité des abattoirs en France feraient du « tout rituel ».

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Rabbi David de Novogro-dok, auteur du Traité dela découverte (Gali Ma-sachta) disait : « Pour-quoi les hommes n’ontpas ce qu’ils veulent ? –

Parce qu’ils ne veulent pas ce qu’ils ont.S’ils voulaient ce qu’ils ont, ils auraientce qu’ils veulent. »

Alter Druyanov (Druya, 1870 – Tel-Aviv, 1938), lui, ne s’intéressait pas à lanature ou l’origine de l’humour juif. Il

a rassemblé et livré en vrac des blagueset histoires en laissant le lecteur en de-viner la provenance et la destination.C’est l’inconvénient d’une compilation,mais c’est aussi son avantage. Nousavons pu procéder à une sélection quinous semble reconstituer une sorte desociologie humoristique des Juifs d’Eu-rope centrale et orientale au XIXe siècleet au début du XXe. Loin d’être aussi ri-goureuse qu’une étude socio-politique,notre ouvrage est par-contre beaucoupplus plaisant. Ce livre pourrait s’appe-ler The Best of Druyanov, si ce n’est quenous avons décidé – arbitrairement –de situer l’ensemble des histoires et destraits d’esprit sélectionnés dans uneChelm mythique. Nous convions doncle lecteur à y séjourner à travers des ré-cits communémentattachés à Chelm etd’autres histoiresméritant de l’être. Onnous reprocherad’avoir étendu indû-ment Chelm à d’au-tres endroits, etd’avoir modéré sasottise en lui prêtantdes histoires qui nelui reviennent pas.Nous nous défen-drons comme le plustêtu des Chelmiens :ce n’est pas nous,mais la réalité et le cours de l’histoirejuive. Depuis l’époque de Druyanov,Chelm, arrachée à son site géogra-phique et historique, a gagné d’autreslieux. Malgré de sourdes et irritantesallusions, ce livre veut être un doublehommage : à Chelm, où qu’elle sesitue, et à Druyanov, d’où qu’il nouslise...

Chelm est une petite ville de 70,000habitants, située à 300 km de Varsovieet à 17 km du Bug, où passe la frontièreentre la Pologne et l’Ukraine. Dominée

encore par une colline de 263 mètres,sur laquelle se dresse une église destyle baroque datant du XVIIIe siècle,son nom est dérivé d’un mot slave pourcolline. Sa renommée lui vient de laplace qu’elle tient dans le folklore etl’humour des Juifs de l’Europe centraleet orientale et de la portée symboliquede son nom. Aujourd’hui encore, unesituation particulièrement absurde,maladroite ou ridicule se déroulera for-cément à Chelm.

Dans la première moitié du XXe siè-cle et avant la Seconde Guerre mon-diale, elle comptait 30,000 habitantsdont la moitié étaient juifs. On raconteque 90 % des boutiquiers étaient juifs,de même que 70 % des charretiers et

des cochers. Seuls,quelques centainesd’entre eux survécu-rent aux massacres etaux déportations dela Shoah. Les Juifs deChelm n’étaient niplus ni moins culti-vés, érudits ou intel-ligents que leurscoreligionnaires desautres communau-tés. Pourtant, ils en-trèrent dans lalégende comme leshéros de la balour-

dise juive. Les histoires de Chelm sontsi nombreuses qu’elles se rencontrentdans l’ensemble de la riche littératureyiddish. On ne sait pourquoi leur villemérite cette glorieuse indignité. Leuraisance relative leur attirait peut-être lajalousie, ou le fait qu’ils rivalisaientd’ingéniosité et que leur génie allaitdans tous les sens ou encore parce quele mot de Chelm prononcé en yiddishprésente des assonances avec ‘‘idiot’’en polonais. La légende locale résoutpeut-être le mystère par son récit qu’à

BONNES FEUILLES

LE RIRE DE CHELMLa cité des demeuréspar Dan Scher*

Sefer Habdiha vé-hahidouch(Le livre de la plaisanterie et del’esprit ) est l’œuvre la plusconnue d’Alter Druyanov, qui fitses études dans la prestigieuseacadémie rabbinique de Voloz-hin. C’est dans la Palestine desannées 20 qu’i rédigea la mo-numentale encyclopédie danslaquelle il compila des milliersde plaisanteries et de traits d’esprit et d’humour caractéri-sant l’humour des communau-tés juives de l’Est.Ce livre parut pour la premièrefois en 1922 et depuis lors, il n’acessé d’être réédité.Les Editions Matanel et Berg In-ternational publient sous le titre« Le rire de Chelm » des mor-ceaux choisis de l’œuvre deDruyanov. Nous remercions lesdeux éditeurs de nous avoir au-torisés à publier ici l’introductiondonnée à cet ouvrage par DanScher ( Le rire de Chelm,155pages,19 euros )

« Chelm est leroyaume desbienheureux etleur mode de vien’a pas plus desens que de vocation. »

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la création de la ville se produisit un ac-cident céleste entre deux anges, l’unporteur du sac de la sagesse, l’autrecelui de la bêtise – et que ce dernier sedéversa sur la ville.

L’humour juif, après avoir longtempshésité entre Prague et Chelm, s’est ins-tallé à Chelm. Cette dernière s’est doncimposée comme capitale de la bêtisejuive, comme Abdère, pourtant ville na-tale de Démocrite, l’avait été pour laGrèce antique et Gotham pour l’Angle-terre victorienne. Les premièresblagues sur Chelm remontent auXVIIIe siècle. Les histoires les plus co-casses, tirées d’un recueil paru en alle-mand sur une ville imaginaire du nomde Schidburg, sont apparues dans unecompilation en yiddish.

Les habitants de Chelm ne sont pasdélurés – ce serait leur prêter une ma-lice qu’ils n’ont pas. Ils ne sont pas va-niteux – ce serait leur attribuer uneperversion qu’ils ne présentent pas. Ilsne sont pas humbles – ce serait leurconcéder une vertu qui leur est étran-gère. Ils ne sont pas plus déments quelucides et n’ont pas plus raison que tort.Chelm est le royaume des bienheureuxet leur mode de vie n’a pas plus de sensque de vocation. A force de traiter detoutes les questions, d’avoir pesé lepour et le contre, de s’être interrogé surtout, les habitants de Chelm ne com-prennent plus pourquoi ils simplifie-raient les choses s’ils peuvent lescompliquer à l’envi. Bien entendu, cetrait est plus l’apanage des lettrés quiprétendent toujours en savoir plus queles communs des mortels. CertainsChelmiens, sinon la plupart, sont tantembrouillés qu’ils croient voir alorsqu’ils ne voient goutte et qui se piquentde leur niaiserie savante comme d’unesagesse suprême.

À Chelm, les habitants sont, autant lereconnaître, des pharisiens ayant maltourné ou ne tournant plus. Ils distin-guent si peu entre l’avant et l’après – cequi précède et ce qui suit – qu’ils ne sa-vent plus si l’on bâtit la maison avantde la meubler ou si on la meuble avantde la construire. Ou si l’on doit exami-

ner la bête avant de l’abattre ou aprèsl’avoir abattue. Les Chelmiens sont sidistraits qu’ils ne savent pas quand ilsont leur canne et quand ils ne l’ont pas.Ils ne délibèrent qu’à posteriori, mêmes’ils ont lamentablement échoué.Surtout ils croient être douésd’un grand sens de l’humouralors qu’ils en sont terriblementdépourvus, et que si l’on rit vo-lontiers, c’est, la plupart dutemps, à leurs dépens.

Le midrash railleur

Entre les premiers accèsd’émancipation des Juifs et laShoah, l’humour juif qui prévaleen Europe centrale et orientaleest à contre-courant des adagesrabbiniques. Souvent, il consti-tue une tentative de les éculersans les ruiner. Le verset bibliqueet le dire talmudique, ne sont nirécusés, ni contredits, mais mo-qués.. Contre toute attente, leMessie ne se déclare pas ; contretout espoir, les ennemis du peu-ple d’Israël ne relâchent pas leurs pres-sions ni ne desserrent leur contrôle ;contre toutes les promesses des Lu-mières, la situation économique nes’améliore pas ; contre toute prière, leSaint, béni soit-Il, ne se décide pas à li-bérer son peuple ou à atténuer les ri-gueurs de son exil. Alors, bien sûr, ondéchante et le désenchantement prenddes accents humoristiques.

Partout, dans les ghettos, les villageset les localités juives – le shtetl –, on sequerellait et on se narguait. Les Hassi-dim – qui s’en remettaient à des Maî-tres qu’ils considéraient comme desJustes et des intermédiaires avec leSaint, béni soit-Il – dénonçaient lesharcèlements rabbiniques des Mitnag-dim – leurs opposants, plus lettrés et ra-tionalistes, partisans de l’étude serréedes textes plutôt que du culte des rab-bins. Sans compter les Maskilim – ac-quis à la science et à la culturegénérale, et réservés sur les rites, lespratiques et les dogmes du judaïsme –

qui se mêlaient aux débats. Lescroyances et les mœurs des popula-tions juives commençaient à se fissurer,et ces fissures étaient des éclats de rire.

On ne peut dire qui des Maskilim,Hassidim ou Mitnagdim riaient le plus.Mais comme l’humour suppose uncertain dessillement, et qu’on le ren-contrait plus volontiers chez les Maski-lim, tentés par le grand monde, que

chez les Hassidim, plus dévots, et lesMitnagdim, plus intransigeants, ce sontprobablement les Maskilim qui segaussaient le plus.

Les Juifs vivaient dans un entre-deuxbien inconfortable : entre un universghettoïsé par les murs et les rites et un

« Contre toute attente, le Messie ne se déclare pas ; contre tout espoir, les ennemis du peupled’Israël ne relâchent pas leurs pressions ni ne desserrent leur contrôle. »

« L'humour juif estd'abord et avant tout fait de désabusement.Abusés par Dieu,les prophètes et les Messies, il n’est d’autrerecours que le rire. »

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univers ouvert sur le grand monde. Ilsétaient écartelés entre le repli sur soi etl’attrait du grand large. Ils étaient prisdans la parenthèse entre ce monde etl’autre monde dont on était de moinsen moins sûr. Cet écartèlement généralétait propice à la raillerie. Sous lescommentaires, on se percevait danstoute son indigence religieuse. Der-rière les arrois des commandements,on se sentait terriblement vulnérable.Malgré les compensations et les in-demnités promises dans l’au-delà, onse désolait des rigueurs de la misèreterrestre. On en était réduit à poser unregard biaisé sur le cours des choses.L’humour juif est d’abord et avant toutfait de désabusement. Abusés par Dieu,les prophètes et les Messies, il n’estd’autre recours que le rire. Alors, leshistoires juives sont-elles faites d’auto-dérision, de diatribe, de satire, de sar-casme ou d’autocritique, ou de tout à lafois ? .

En tout cas, elles ne sont pas nou-velles puisqu’on peut les faire remonterà la période talmudique (du IIe siècleavant J.-C. au Ve siècle après J.-C.). Eneffet, elles participent du « midrashrieur ». Rappelons-nous que les maî-tres du Talmud se disputaient sur la si-gnification des textes sacrés et sur leurportée, sur le sens de la vie et le non-sens de la mort, sur l’interprétation desrêves et les ressorts du sexe, sur le mau-

vais instinct et la piété, ou sur les sageset les mécréants. Le « midrash rieur »marquait une diversion dans les dis-putes, poussait les controverses dansleurs retranchements les plus cocasses,parodiait les interprétations. Il débus-quait Dieu de son lancinant silence etde sa désespérante impuissance. Lablague juive moderne, elle, « s’éman-cipe » en interprétant plutôt la réalité.Elle n’a pas tant la prétention d’uncommentaire que d’un contre-com-mentaire dont la vérité est amère. Cen’est pas une louange de Dieu, maisplutôt une pique dirigée contre lui.Clin d’œil de vérité dans le concert deshomélies creuses et des vaines prières,l’humour juif moderne est d’autantplus mordant qu’il récuse une sacréevérité. Le raconteur relaie le commen-tateur irascible ou déluré. On n’a plusgrand-chose à dire, mais autant le direle plus éloquemment possible :

Herschel se rendit dans la ville impé-riale. Il n’y trouva pas de travail maisdécouvrit le pouvoir des mots. Il de-manda de l’argent, monta sur scène etharangua la foule : « Mes Maîtres, Messieurs, savez-voussur quoi va porter mon discours? » Le public répondit d’une seule voix : « Non, nous ne savons pas. » Herschel dit : « Puisque vous ne le savez pas, mieux

vaut en rester là. » Il ôta son châle de prière et quitta lascène. Le lendemain, il demanda denouveau de l’argent, monta sur scène etharangua la foule : « Mes Maîtres, Messieurs, savez-voussur quoi va porter mon discours au-jourd’hui ? » Le public répondit d’une seule et mêmevoix : « Oui, nous le savons. »Herschel dit alors : « Il est donc inutile de revenir sur ce quevous savez déjà. » Il ôta son châle de prière et descendit descène. Le surlendemain, il demanda pour latroisième fois de l’argent, monta surscène et harangua la foule : « Mes Maîtres, Messieurs, savez-voussur quoi va porter mon discours au-jourd’hui ? » Le public était divisé. Les uns répon-daient par la négative, les autres parl’affirmative. Herschel dit alors : « Puisque c’est ainsi, arrangez-vouspour que ceux qui savent informentceux qui ne savent pas. »Il ôta son châle de prière et descendit descène.

Portant sur un rite ou un verset, l’hu-mour est mordant pour ceux qui sont

« Rappelons-nous que lesmaîtres du Talmud se dis-putaient sur la significa-tion des textes sacrés etsur leur portée, sur lesens de la vie et le non-sens de la mort, sur l'in-terprétation des rêves etles ressorts du sexe, surle mauvais instinct et lapiété, ou sur les sages etles mécréants. »

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versés dans les débats rabbiniques. Onn’épargne rien, ni personne. On rit detout. Les traits d’humour les plus tran-chants se rencontrent bien sûr dans labouche des mécréants, qui ne man-quent aussi pas une occasion de se mo-quer d’eux-mêmes. Détournant lesversets de leur sens convenu, ils ren-voient les sages les plus divisés dos àdos. Même Dieu est tourné en dérisionet c’est ce qui détend la pression durite, dédramatise la controverse etdonne sa crédibilité à l’humour. Detoutes les variétés d’humour, le textuelest sans doute le plus ingénieux. Arra-chés à leur contexte sacré, les passagesbibliques sont transposés dans une si-tuation prosaïque de nature toute do-mestique. Cet humour assez ésotériqueest intraduisible et réservé aux disci-ples-de-sages, ce serait une dernière

ruse de Dieu pour nousforcer à l’étude et au res-pect des lois… C’est le loi-sir et le privilège du sagede tirer de sa mémoire lemeilleur verset pour dé-nouer une situation parti-culièrement compliquéeou percer la vanité hu-maine. Il ne s’agit pasd’une accusation, maisd’un verdict, d’autant plusaccablant qu’il vient, par sabouche, de Dieu. Un versetpeut ainsi constituer lameilleure louange, ou décocher lapique la plus féroce. La science, ni lasagesse ne sont épargnées. Chmeril,un des fameux plaisantins deChelm, fait d’une pierre deux coups encritiquant la sagesse et la renommée

du Roi Salomon :Chmeril disait : « Les écrits encensent

le Roi Salomon, paix à son âme, quidans sa grande sagesse a su découvrirqui était réellement la mère de l’enfant[dans le légendaire procès des deuxfemmes qui réclamaient le même en-fant]. Je l’aurais, pour ma part, encoreplus encensé, si dans sa grande sa-gesse, il avait su trouver le père de l’en-fant... »

L’humour juif est démesuré commel’illusion d’un Dieu tout-puissant donton se libère le temps d’un éclat de rire.La chute est souvent si cuisante qu’onne peut qu’en mourir de rire. Leslarmes du rire et du pleur ne contien-nent-elles pas le même sel ?

Ces midrashim railleurs ont deshéros. Le schnorrer, sans doute le plusimportant d’entre eux, « fait la tournée

des seuils » (en reprenant l’expressionconsacrée) : Il investit des ressourcesd’ingéniosité dans l’art délicat de men-dier sa vie. Clochard finaud plutôt quemendiant, on ne sait s’il est ainsi parparesse ou par vocation. Il a du mal àtrouver un emploi dans une société où

l’on s’use à l’usure, s’exténue àl’étude ou se livre à toutes sortesde menus travaux. Il n’envie pasle riche sans s’en moquer et nes’en moque pas sans l’envier. Dureste, on ne sait lequel des deuxaide l’autre et qui, en définitive,pratique la charité : celui qui re-çoit ou celui qui donne. Si la cha-rité nourrit le mendiant, ellesauve aussi le riche.

Loin d’être inculte, le schnorrerconnaît assez les textes pour faire

de sa condition une légende. Econduit,il prend sa revanche en disant ce qu’ilpense de la personne sollicitée, qu’ellese montre avare ou généreuse. La réac-tion du mendiant exprime aussi ce quel’on pense communément de la men-dicité et trahit une sorte d’économie dela sournoiserie. La gratitude ne carac-térise pas les mendiants et ce n’est paslà le moindre de leurs mérites. Quantaux rabbins, particulièrement les maî-tres hassidiques, ils en prennent pourleur grade et leur pouvoir. Leurs détrac-teurs, plus alertes et rationnels, les rail-lent à qui mieux mieux : les maîtreshassidiques réalisent des miracles –dont personne n’est jamais témoin et serengorgent d’un savoir – dans unmonde d’ignorants (...)

--*Traduit de l’hébreu

par Elisabeth Anidjar-Apter

« Il n'envie pas le riche sans s’en moquer et ne s’en moque pas sans l'envier. Du reste, on ne sait lequel des deux aide l’autre et qui,en définitive, pratique la charité : celui qui reçoit ou celui qui donne. Si la charité nourrit le mendiant, elle sauve aussi le riche. »

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Comment la prophé-tie a-t-elle été don-née aux enfants ?Un exemple estcelui de la fille deRav ‘Hisda. Elle

était assise sur les genoux de sonpère et face à lui étaient assis Ravaet Rami bar ‘Hama.Il lui dit : « Le-quel des deux voudrais-tu épou-ser ? » Elle répondit : « Les deux ».Là-dessus, Rava dit : « Que je soisdonc le second ». (TB Baba Batra12b)

Tu es la fille de Rav ‘Hisda. Tuseras la femme de Rava. Nombreuxsont les textes qui t’évoquent, en-fant, jeune fille, jeune femme,épouse. Et qui donnent de toil’image d’une personnalité bientrempée, dénuée de crainte ou de ti-midité, sûre d’elle-même et de cequ’il y a lieu de faire. Tu ne connaispas l’hésitation ni l’hypocrisie, et tescolères sont redoutables, à la me-sure de l’amour qui te lie à tonépoux et qu’il te rend bien. Tu saisce que tu veux et tu n’hésites pas àle proclamer, au risque de choquer.Mais de cela, tu ne te préoccupesguère...

Tableau 1 : Un père et sa fille(Baba batra 12b)

Tu es assise sur les genoux de tonpère, dans la Maison d’Etude. Cen’est pas vraiment la place d’unefille, pas même d’une petite fillecomme toi, et certains, si on en jugepar leurs regards, ne manquent pasde trouver incongrue ta présence.Mais qui oserait faire une remarqueau grand Rav ‘Hisda, dont le savoiret l’érudition sont connus de tous ?Chacun sait, d’ailleurs, combien ilest proche de ses filles. Il y a

quelques jours à peine, l’une d’elles– ne serait-ce pas toi ? - a osés’adresser à lui, en plein cours, pours’inquiéter de lui et lui conseillerd’aller faire une sieste !1 Les étu-diants en sont restés muets de stu-péfaction ! Mais ce sans-gêne etcette absence de retenue n’ont riende surprenant, ils ne sont que lacontrepartie de l’attitude pour lemoins insolite du Maître lui-même :ne préfère-t-il pas, de son propreaveu, ses filles à ses fils ?2 Une opi-nion qui en étonne etmême en scandaliseplus d’un : avoir des fils,n’est-ce pas, toujours etpartout, le souhait leplus cher de touthomme ? Celui qu’onlui adresse solennelle-ment au moment dumariage, en prenant laprécaution de redoublerla formule : « des fils mâles » ? Et lepère qui est affligé de nombreusesfilles, n’encourt-il pas la commiséra-tion un peu condescendante desSages ? Mais Rav ‘Hisda n’a cure detout cela… Il enseigne, quant à lui,qu’ « une fille qui naît en premierconstitue un bon signe pour les gar-çons qui viendront ensuite »3.

Jugement susceptible de bien desinterprétations, et les étudiants nesavent pas si ce bon signe résidedans la preuve que l’épouse n’estpas stérile, ou dans le fait que lemeilleur est encore à venir, ou dansl’assurance que personne n’auradroit à une double part d’héritage etque la paix entre frères sera préser-vée…

Donc, tu es assise sur les genouxde ton père, tandis qu’il débat dequestions gravement juridiques

avec ses deux disciples de prédilec-tion, Rami Bar Hama et Rava. Tu asles yeux grands ouverts sur lemonde, tu observes inlassablementles gens et les choses, avec aviditéet plaisir. Tes doigts jouent avec labarbe de Rav ‘Hisda, se perdentdans les longs poils drus, dont ilséprouvent la douceur rêche avec ra-vissement. Tu te sens en sécurité, ledos calé contre sa poitrine solide, aucreux de ses bras qui te serrent, unpeu trop sans doute, puisque tu

écartes délibérément sa main pourmieux voir. Tu écoutes sa voix so-nore, tandis qu’il discute avec sesdeux élèves. Eux boivent ses pa-roles, mais n’en interviennent pasmoins avec véhémence, avec pas-sion… Tous deux sont encore de trèsjeunes gens, mais leur science estdéjà étendue, et ton père place eneux de grands espoirs : ils seront unjour ses successeurs, répète-t-il avecla joie profonde du maître qui se voitsurpassé par ses élèves. Tu les ob-serves avec une curiosité ardente.L’un, Bar Hama, le plus petit, a unbeau visage, aux traits réguliers etexpressifs, aux yeux très bleus,comme un ciel d’été sans nuages, etsa voix est douce et musicale ; il rou-git brusquement car le Maître le fé-licite pour la réponse qu’il vient defaire. L’autre, qu’on appellera unjour Rava, est plus grand, ses

CHRONIQUES TALMUDIQUES

La fille de Rav ÂHisda Par Janine Elkouby

« Avoir des fils, n’est-ce pas, toujours et partout, le souhait le plus cher detout homme ? »

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épaules sont larges, l’espace sembletrop étriqué pour lui. Ses yeux sontnoirs, ils brillent comme les perlesdu collier que ta mère porte lechabbat et ils se posent sur lemonde avec une franche et jovialecuriosité. Comme ils t’intéressenttous les deux ! Ton regard passe del’un à l’autre, tu ne te lasses pas deles contempler, de les comparer, tun’arrives pas à décider lequel est leplus beau, lequel est le plus intelli-gent. Soudain ton père, à qui tonmanège n’a pas échappé, te de-mande le plus sérieusement dumonde :

- Avec lequel veux-tu te marier ? La question est précisément celleque tu te posais et, tout en observantdu coin de l’œil tes deux époux po-

tentiels, dont l’un a plongé, écarlate,entre les lignes de son livre, et dontl’autre a relevé la tête, très attentif,tu réponds, sans hésiter, avec lemême sérieux et le plus naturelle-ment du monde :

- Avec les deux !L’éclat de rire de Rav ‘Hisda est in-

terrompu par la réponse de Ravaqui, lui, ne rit pas :

- Dans ce cas, ce sera moi le der-nier.

Est-il besoin de dire que ce doublesouhait, étrange et prémonitoire, seréalisera ? Car tu épouseras, eneffet, Bar Hama et, plus tard, deve-nue veuve, tu deviendras la femmede Rava.

D’ailleurs si les Sages ont pris la

peine de consigner cette scène d’in-timité charmante entre père et fille,c’est précisément, disent-ils, pourillustrer l’aphorisme : « Après la des-truction du Temple, la prophétie aété confiée aux esprits simples etaux enfants ». N’est-ce pas aussipour témoigner de l’amour et de latendresse entre un père et sa fille ?

Tableau 2 : Education sexuelle(Chabbat 140b)

Tu es à la veille de ton mariage.Les préparatifs battent leur plein :les servantes s’activent, transpi-rantes et fiévreuses, dans la vastecuisine, pétrissant, enfournant, tran-chant, cuisant ; les pains au sésameet aux noix, les pâtisseries frites au

miel, les plats de viandes et de lé-gumes mijotés, les poissons farcisaux épices s’empilent sur les tables,et donnent un aperçu du festin quisera offert demain aux Juifs deMa’hoza à cette occasion mémora-ble. Certes, tu n’es plus une toutejeune fille. Certes ce mariage n’estpas le premier pour toi. Tu as étéd’abord l’épouse de Rami bar‘Hama, l’un des deux étudiants deton père qui t’avaient si fort intéres-sée jadis. Mais ton premier époux apassé comme une étoile filante, quitraverse le ciel et disparaît, à peineentrevue… Et tu t’es retrouvéeseule, après quelques mois de ma-riage seulement. Tu te souviens : la solitude dans la maison de ton

père, où, selon l’usage, tu étais re-venue. Puis le désir de te remarier.L’image du second disciple, quiflotte autour de toi, de plus en plusprésente, de plus en plus précise, deplus en plus captivante. L’intérêtpassionné que tu lui portais, enfant,n’a fait que s’amplifier au fil desjours, au fil des mois. C’est lui quetu épouseras, comme tu l’avais pré-dit, comme il l’avait souhaité. Etc’est demain le jour de ton ma-riage…

Excitation, curiosité, impatiencese bousculent dans ton esprit et toncœur, au seuil de cette nouvelleexistence, que tu as hâte d’entamer.Des souvenirs passent à tire d’aile,légers, frôlent ta mémoire, d’autress’inscrivent en images plus solides.Tu penses aux leçons de ta mère, quite disait ce qui se faisait et surtoutce qui ne se faisait pas envers unmari. Mais ce qui occupe la pre-mière place dans tes pensées, ce nesont pas les éclaircissements ni lesconseils de ta mère, non, ce sont lesenseignements de ton père ! CarRav ‘Hisda n’a pas hésité à enfrein-dre les usages et à franchir la fron-tière qui délimitait le domaineréservé des femmes : il a osé prodi-guer une éducation sexuelle à sesfilles, et à toi en particulier ! 4Voilantà peine son propos sous des méta-phores aussi poétiques que transpa-rentes, il vous enseignait que laretenue, et non l’étalage indiscret,suscite le désir, que celui-ci naîtchez un homme, et s’intensifie ets’exacerbe à la faveur d’une sa-vante stratégie féminine d’avancéeset de reculs, d’acceptation et derefus, que la sexualité masculine estdifférente de celle des femmes, quesi la première est toute d’impétuo-sité et de d’immédiateté, la secondeest capable de calcul, de distance.Une femme doit être consciente, ré-pétait-il à mots pudiquement maislégèrement couverts, c’est elle quitient la barre et la bonne marche dunavire est entre ses mains.

D’aucuns- et d’aucunes - de nos

« Si les Sages ont pris la peine de consignercette scène d’intimité charmante entre père etfille, c’est précisément, disent-ils, pour illustrerl’aphorisme : « Après la destruction du Temple,la prophétie a été confiée aux esprits simples etaux enfants »

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jours sont gênés de la liberté despropos de Rav ‘Hisda, de ce qui leurapparaît comme une ingérencedans la vie intime de ses filles etplus généralement des femmes ; ilsy décèlent une insupportable mainmise sur leur sexualité , une prise depossession de ce que les femmes ontde plus intime et de plus personnelet l’affirmation, in fine, qu’unefemme est liée, ligotée, pieds etpoings, corps et âme, cœur et tripes,sur l’autel de la puissance deshommes.

J’ai tout d’abord, instinctivement,souscrit à cette critique, choquée,moi aussi, par la démarche insolite,audacieuse et transgressive de tonpère, cette façon qu’il avait, tout enparlant de retenue, de briser lesconventions, - les idoles ? - de cequ’il est convenu d’appeler latsniout, et qui est devenu, de nosjours, le leit motiv obsessionnel debien des rabbins… Puis, depuis lefutur lointain d’où je te contemple,séparée de toi et de ton monde parun fossé de dix-huit siècles, j’ai en-trevu une autre lecture de son com-portement : et si Rav ‘Hisda aimaittout simplement ses filles ? Si c’étaittout simplement ce souci qui lepoussait à vous éduquer, tes sœurset toi, et à vous enseigner des clefssusceptibles de vous aider à assurerl’entente physique et l’harmoniedans votre couple ? C’est ainsi, j’ensuis sûre, que tu as reçu cet ensei-gnement : comme une marqued’amour d’un père attentif et préoc-cupé au premier chef par le bon-heur de ses filles, lorsque d’autres,ses collègues, les pères de tesamies, si peu présents, si lointains,sont absorbés, dévorés par l’étude,sans laquelle ils n’existeraient pas.

C’est demain le jour de ton ma-riage. Demain, tu épouses Rava.L’élève de Rav ‘Hisda. Elevé, formé,grandi à son contact. Et qui a apprisauprès de lui qu’une femme,qu’une fille constituent un univers

à approcher avec tendresse et res-pect. La nuit, tombée très vite, ré-sonne d’appels, de rires, de cris, demusique. L’air est saturé d’une ef-fervescence fiévreuse. Tu t’apprêtesà passer ta dernière nuit solitaire.Nuit de veille. Nuit grave. Nuit deréflexion…

Tableau 3 : Un homme et une femme(Yevamot 34b)

Les années ont passé. Tu n’esplus une toute jeune femme. Tu asacquis de la maturité et de l’expé-rience. Tes quatre fils ont grandi etleur père est, à juste titre, fierd’eux, de leur sérieux dans l’étudecomme dans la vie, de leur espritexigeant et droit. Toi aussi, tu lescontemples avec tendresse. Ce soir,tandis qu’ils reviennent de la Mai-son d’Etude et t‘entourent, monteen toi le souvenir d’un petit garçonvif et joyeux, votre premier fils, si tôtet si brutalement arraché à la vie –l’Eternel a donné, l’Eternel a repris,loué soit le nom de l’Eternel - . Etune boule de chagrin, tant d’annéesaprès, t’obstrue la gorge, et t’embueles yeux ; tu essuies furtivementune larme obstinée, qui n’a paséchappé au regard acéré de tonépoux. Lui aussi, te rappelles-tu,avait été bouleversé par ce deuil, etil avait éclaté en pleurs, comme,jadis, Rabbi Méir, lorsqu’il avait dé-couvert, à la fin de chabbat, sesdeux fils morts.5

Tu secoues la peine embusquée.Tu veux songer au bonheur d’avoirquatre fils si beaux, si réussis. Et unmari que tu aimes. Et qui t’aime.Oui, quel bonheur ! Et tu songes,tandis que le repas s’achève, et quele père et les fils s’embarquent dansune discussion animée, oùs’éprouve la solidité des liens quiles unissent. Tu songes…Et le passéremonte soudain par pans entiers…

Tu as épousé Rava après être res-tée seule durant dix ans…Dix ans !C’est un temps bien long… Et tu te

demandes, ce soir, pourquoi celong veuvage ? Ton premier ma-riage t’avait-il si fort marquée ?Avais-tu aimé ton époux, si vite dis-paru ? Aimé au point de ne pouvoirl’oublier et de te condamner à vivredésormais une vie au ralenti, uneombre de vie, diminuée, mutilée,une vie réduite à l’état de squelette,d’où la chair vive s’était évaporée ?Ou bien au contraire cette unionavait-elle duré trop peu de tempspour laisser sur toi, en toi, une im-pression durable, et t’étais-tu repro-ché, peut-être, l’indifférence etl’oubli qui te gagnaient ? T’étais-tuimposé, pour te punir, un célibatprolongé, une interminable soli-tude ?

Non. Tu secoues la tête, toute àtes pensées, tandis que les éclats devoix du débat t’entourent d’uncocon familier et rassurant. Non,penses-tu. Car depuis longtempsdéjà, tu pensais à Rava… Ce Ravasi intéressant, qu’enfant tu obser-vais passionnément et que déjà tuvoulais épouser, en même temps

« Et si Rav ‘Hisda ai-mait tout simplementses filles ? Si c’était toutsimplement ce souciqui le poussait à vouséduquer, tes sœurs ettoi, et à vous enseignerdes clefs susceptiblesde vous aider à assurerl’entente physique etl’harmonie dans votrecouple ? »

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que Bar Hami, refusant en ce tempslointain et bienheureux de ton en-fance de choisir entre les deux…Oui, tu avais Rava en tête. Tu pen-sais à lui. Tous les jours. Et toutesles nuits. C’est toi qui, un beaumatin de printemps - comment au-rais-tu pu l’oublier - avec le naturelet la franchise qui sont ta marque,c’est toi qui as rompu le consensusdu silence et brisé l’immobilismedes usages. Sans doute la tendressede ton père, à qui rien n’échappait,t’a-t-elle facilité les choses.Et la mémoire de Rava, etsa fidélité et, peut-être déjà,son amour…

Oui, les années ont passé.Pourquoi, ce soir, les imagessurgissent-elles, avec cetteforce, avec cette précision ?

Tu as veillé, inlassable-ment, sur Rava, attentive àle protéger de ses démons6.Car des démons de toutesorte hantent les souterrainsobscurs de l’esprit d’unhomme, montent une gardemalveillante autour de lui,guettant ses failles, exploi-tant le moindre instantd’inattention pour s’emparerde son cœur et de son corpset le dominer. Tu connaissaisbien ces choses et tu avaisélaboré quantité de straté-gies pour mettre ton mari àl’abri. Tu revois avec un sourire lepanier de noix que tu secouais avecforce chaque matin au moment oùil quittait la maison. Le bruit descoques qui s’entrechoquaient l’ac-compagnait, te disait-il, durant sajournée, et si ses démons le lais-saient en paix, c’était grâce à toi.Plus tard, lorsque l’académie deMa’hoza avait acquis une immensenotoriété et que les étudiants sepressaient à ses portes pour y êtreacceptés, tu avais, de ta propre ini-tiative, fait percer une fenêtre dansle mur mitoyen entre la Maison

d’Etude et votre logis et les élèvesdes Sages s’étaient accoutumés à tevoir journellement passer la mainpar cette fenêtre et la poser sur latête de leur maître. Ce n’est passans fierté que tu penses à cetteprotection dont Rava t’était redeva-ble. Ta prudence n’était pas exagé-rée, car une fois au moins, tonépoux, malgré tout l’amour qu’il teporte, avait bien failli être vaincupar ses démons. Et par une femme,très belle et très seule, la veuve de

son collègue aimé, Abbayé. Tufronces les sourcils de mécontente-ment au souvenir de ce jour lointainoù Rava était rentré en pleine jour-née et avait souhaité avoir une re-lation sexuelle avec toi. Tu avaisvite compris : c’était ‘Homa, quiavait joué de son charme ! Tun’avais fait ni une ni deux et tuavais toi-même, au comble de lacolère, chassé cette femme deMa’hoza…7

Rava t’aimait. Et son amour tecomblait. Tu te souviens de ce jour

où, présente au Tribunal, tu avaismis en question la déposition d’unefemme qui, sur la demande de tonmari, s’apprêtait à prêter serment,car tu savais qu’elle mentait. Rava,tenant compte de ton témoignage,avait renoncé à faire prêter sermentà cette femme, préférant régler le li-tige par d’autres voies. Quelquesjours plus tard, un collègue de tonépoux, Rav Papa, avait vu son té-moignage disqualifié, car on nepeut s’appuyer sur un témoignageunique pour établir la véracité d’unfait. A quoi Rav Papa objecta qu’ils’était pourtant, il y avait peu,contenté d’un seul témoignage etqui plus est, celui d’une femme !Rava, à ton ravissement, lui avaitfait cette réponse : « Je connais mafemme, et je la crois. Mais vous,monsieur, je ne vous connais pas, etje n’ai donc aucune raison de vouscroire ».8

Fille de Rav ‘Hisda, femme deRava, comme tant d’autres tu n’aspas de nom. Ton identité se définiten termes de dépendance. Mais tuas bénéficié d’une chance insigne :les deux hommes auxquels tu es re-liée, ton père et ton époux, ontpour point commun d’éprouver uneintense curiosité et une intensesympathie envers les femmes. L’uncomme l’autre t’ont fait une place,et une place de choix. Sans douteleur dois-tu, autant qu’à ta person-nalité, d’avoir été une femme forte,une échet ‘hayil, qui n’a jamais re-noncé à elle-même, et qui , loin des’effacer, a su affirmer ses droits enmême temps que ses devoirs.

J.E--1 Erouvin 65a2 Baba Batra 141a3 Ibid.4 Chabbat 140b5 Yalqout Chimoni sur Proverbes 31, 106 Berakhot 62a7 Cf supra : « ‘Homa »8 TB Ketoubot 85a

« Des démons de toutesorte hantent les souter-rains obscurs de l’espritd’un homme, montentune garde malveillanteautour de lui, guettantses failles, exploitant lemoindre instant d’inat-tention pour s’emparerde son cœur et de soncorps et le dominer. »

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INFORMATION JUIVE Janvier 2017 33

Du côté de Meknès

Ce fut une soirée mémorable commeMeknès n’en avait pas connue depuisla nuit où l’on attendait anxieusementla fin du monde, prédite par les astro-nomes et les astrologues. On avaitalors passé la soirée à réciter lespsaumes et peu avant minuit, on avaitregagné ses matelas convaincus demourir et de ressusciter. Le lendemain,on avait peut-être ressuscité, mais lemonde n’avait pas disparu et personnene s’était présenté pour conduire lesJuifs en Terre sainte. Le concert sepoursuivait depuis plus d’une heure etla salle était en transes, le chantre ennage, et le musicien s’inquiétait pourses précieux doigts. Le public ne ces-sait de grossir et bientôt la salle de ré-création déborda sur la rue. Baba setourmentait sur son escabeau. D’uncôté, il ne voulait pas interrompre leconcert pour vendre ses bougies et sesamulettes ; de l’autre, il pensait à seschères mignonnes qui, sans être gour-mandes, avaient besoin d’être nourrieset mariées. En définitive, ce fut lechantre qui, dans sa délicatesse, de-manda une pause. Il présenta son ac-compagnateur :

– Rabbi Abraham Bentolila, mieuxconnu sous le nom de Baba le Luthiste,pressenti par l’Alliance pour créer sonconservatoire de musique à Casa-blanca, se voue désormais à célébrer leTrès-Haut après avoir passé des an-nées à l’assister dans ses activités ma-

trimoniales. C’est un saint homme quine consomme ni alcool ni tabac, senourrit d’herbes pour ne pas commet-tre de crimes contre les bêtes et connaîtl’extase permanente. Il est porteur debénédiction et répand la bénédiction.Vous connaissez la qualité de ses ac-couplements, vous découvrirez cellede ses mérites. Je le laisse vous propo-ser nos bougies et nos amulettes letemps que je me remette un peu demes excès liturgiques.

C’était la première fois que Baba selivrait à son commerce. Or, il n’avaitaucune expérience et ne s’était pasexercé, ni sur le tombeau d’un saint nidans une synagogue. On ne s’impro-vise pas vendeur d’indulgences, sur-

tout un homme réservé comme lui,casanier sinon misanthrope et de plusphilosophe et réshidien. Il sortit unepremière bougie à torsades blanche,bleue et violette, la dédia au saint deslieux et la brandit pour ouvrir les en-chères. On lança un premier prix, suivid’un deuxième, puis un troisième.Baba donnait de nouveaux signes del’on ne savait quelle crise que seul le

chantre posté dans un coin, un verre àla main, décelait. Il lui aurait volontiersporté secours s’il ne redoutait de com-promettre la vente aux enchères. Iln’allait tout de même pas présenter sesconvulsions comme des transes mys-tiques. Il était d’autant plus désemparéque cette crise, dont il ne savait quelletournure elle prendrait, risquait de dé-truire la carrière musicale du luthiste,le priver de ses recettes et l’envoyer surle carreau. Il s’était attaché à l’hommeauquel il passait ses sautes d’humeur,ses silences et son austérité. Sans par-ler que c’était un virtuose du oud etqu’il s’était, contre toute attente, ac-cordé à lui au point de pressentir sesenchaînements et de suivre ses impro-visations. Il ne pouvait prendre les de-vants, il ne pouvait que le laisserpiquer sa crise, prétexter un malaisepour qu’on l’évacue et prendre le relaispour vendre les bougies et les amu-lettes. Baba titubait, sa bougie dirigéevers le sol alors qu’elle devait être diri-gée vers le ciel, quand l’on vit Mimounsauter sur scène, la lui arracher et re-lancer les enchères d’une voix toni-truante :

– Je ne céderai pas cette bougie pasà moins de cent riels, je ne mettrai pasd’autres bougies aux enchères tant que

cette bougie des bou-gies, dédiée à SidiHamdouch, que sesmérites plaident ennotre faveur auprès duciel, ne parte à plus decent riels, cent riels quidit mieux, l’Alliancepropose cent riels, vous

n’allez pas laisser l’Alliance acheternos bougies après avoir conquis nosâmes, cent cinq riels, c’est reparti, vousn’allez pas laisser un pauvre meunierprendre cette mitsva, qui dit mieux, ondoit se dépêcher si l’on souhaite avoirplus de temps avec Rabbi David Bous-kila.

Baba n’allait plus être que l’aide dunain. Sitôt que celui-ci avait vendu une

SOUVENIRS

Une liturgie de lÊexil Par Ami Bouganim

« Le concert se tiendrait enprésence du collège rabbi-nique au grand complet »

Ses hagiographes ont fait de David Bouzaglo un grand poète et ungrand maître. Il n’était peut-être ni l’un ni l’autre ; il était plus quecela. C’était le chantre aveugle qui, de concert en concert dans cettesynagogue de la rue Lusitania à Casablanca, a déterminé bien desveines liturgiques. C’est dire que rien dans ce récit ne correspond àce qu’a été sa vie ou à celle que lui composent les chercheurs hagio-graphes. Son personnage, ses tournées et son œuvre ont inspiré àAmi Bouganim un roman – à paraître – dont sont extraits les deuxpassages ci-dessous :

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bougie ou une amulette, il demandaitd’un signe de la tête un nouvel articleque le musicien, soulagé et reconnais-sant, lui tendait. Le Nain avait chargéla caisse enregistreuse humaine de lasynagogue des Hautes Lignées detenir la liste des acquéreurs et le mon-tant de leurs dons.

Du côté de Fès

Le soir même, le crieur public prin-cipal, dûment mandaté par le tribunalrabbinique, faisait la tournée des bou-tiques, des synagogues et des salles debillard, de cartes et de dominos pourannoncer la tenue « d’un concert litur-gique extraordinaire du chantre casa-blancais, R. David Bouskila, dont lacélébrité déborde les frontières duMaroc ». Le Grand Rabbinat de Fèss’était assuré le soutien du Comitécentral de l’Alliance pour proposercette heureuse activité à l’ensemble dela communauté. Le concert se tiendraiten présence du collège rabbinique augrand complet, des membres du Co-mité de communauté, des représen-tants de l’Alliance, du Joint et de l’Oséet sous le parrainage de la célébritémusicale Zohra El-Fassia. Ce n’étaitpas tous les jours que les Fassis avaientl’occasion de se rassembler pour écou-ter autre chose que des remontrancesde leurs rabbins, l’homélie décousued’une sommité étrangère ou les mau-vaises prédictions de toutes sortes deprophètes du Messie qui ne venait ja-mais.

Le lendemain soir, la cour de l’écoleétait comble. Les rabbins et les nota-bles étaient au premier rang, le per-sonnel de l’Alliance au second, lesélèves, les parents et la pléthore desmendiants, des célibataires, des dé-biles, des bâtards et autres déclassésdu mellah derrière. Seule Zohra brillaitpar son absence. On racontait qu’elleétait au Palais, qu’elle avait un enga-gement à Sefrou. L’ambiance était re-cueillie. On attendait un concertliturgique, pour tout le reste on avaitZohra. Le public se révéla si sagequ’on ne savait s’il était charmé oudéçu. Il ne donnait ni signes de contra-riété ni d’enthousiasme. Les deux mu-siciens étaient perplexes. C’était lapremière fois qu’ils se heurtaient à un

public aussi insensible. Même les Té-touanais avaient vibré quand Davidavait entonné leurs romanceros. Ils en-visageaient d’un commun accordd’écourter le concert quand des re-mous parcoururent la salle et gagnè-rent les rangs des dignitaires quidesserrèrent les mains qu’ils avaientsur le nombril.

Quand ils les virent se lever, les deuxmusiciens conclurent qu’ils s’apprê-taient à accueillir un hôte de marque.Un représentant de la Résidence ou duPalais royal sinon le Grand rabbin duMaroc. Mais ce n’était que Zohra quis’était libérée de tout engagementpour assister au concert. Baba étaitétourdi par l’intérêt qu’elle suscitait.

Personne à Béréshid ne croirait qued’augustes rabbins et de respectablesnotables se levaient pour accueillir unevulgaire shikha. On lui fit une placeentre le Grand rabbin et le Présidentdu Comité. Les deux musiciens repri-rent le concert sur un chant du poètemédiéval Judah Halévi qui s’intéres-sait au sort des otages de Jérusalem.Soudain, sans avertir son accompa-gnateur, sans plus s’encombrer del’engagement de ne chanter que deschants religieux, le chantre enchaînasur un chant de Zohra.

La salle sortit aussitôt de son recueil-lement, les visages s’épanouirent, lesmains s’arrachèrent aux nombrils pourse mettre à virevolter au-dessus de latête. David s’attardait tant à varier ses

vrilles auxquelles il soumettait le re-frain que la salle se déchaîna. Bientôtc’était la diva qui se trémoussait sur sachaise et elle fut la première à émettreun ululement : il était si impeccablequ’il fut salué par un chœur déliéd’ululements. Baba en avait hontepour tous les rabbins du Maroc et enparticulier pour ceux du Tafilalet. Biensûr les ululements étaient tolérés dansles synagogues mais là, ils prenaientdes intonations résolument grave-leuses. La salle se déchaîna et Zohramonta sur scène pour mêler sa voix,plutôt rauque, à celle cristalline dujeune chantre. Ils ne terminaient pasun chant sans enchaîner sur un autre,comme s’ils s’étaient longuement pré-

parés pour ce duo. Le malheureuxBaba tentait de suivre les deux artistesqui ne chantaient pas tant qu’ils diver-tissaient une salle surexcitée. Ils se mi-rent à l’aroubi et au hawzi etachevèrent de conquérir le public enégrenant les grands succès de la divades lieux, de « Hbibi Diali » à « Yawarda » en passant par « Ya biadiana… » Baba démissionna totalement,rangea son oud et les laissa se livrer àleurs improvisations. Il n’était plusquestion de musique religieuse et cen’étaient pas les rabbins au premierrang qui donnaient l’air de s’en scan-daliser. Baba songea seulement que cen’était pas ce soir qu’il écoulerait sesamulettes et se demanda s’il ne feraitpas mieux d’aller chercher son appa-reil photos.

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C’est en 1919 qu’estadoptée la premièregrande loi française enmatière d’urbanisme,demandant aux villessinistrées et aux

grandes villes de se doter de plansd’aménagement, d’embellissement etd’extension (loi Cornudet). C’est d’ail-leurs juste avant la première guerremondiale qu’apparaît le vocable d’ur-banisme. En réalité, les plans urbains(même s’ils n’étaient pas connus sousce nom) remontent depuis la plushaute antiquité, tant chez les Grecs quechez les Romains. On parlait par exem-ple de plan d’ensemble impérial.

Le judaïsme régit tous les domainesde la vie. La volonté divine inscritedans la Torah se déploie dans toutes lesdimensions de l’existence, et mêmedans celles qui paraissent n’entreteniraucune relation avec la religion ou laspiritualité. On ne sera donc pas surprisde trouver dans le texte biblique lui-même une véritable problématique del’aménagement des villes, une préoc-cupation authentique du cadre de viedes membres qui composent la nationd’Israël.

« L’Eternel parla à Moïse… : Or-donne aux enfants d’Israël de donneraux lévites… des villes pour qu’ils y ha-bitent. Vous leur attribuerez une ban-lieue (migrach) autour de ces villes.Les villes leurs serviront pour l’habita-tion et les banlieues seront destinées àleur bétail, leurs biens, tous les besoinsde leur vie. Ces banlieues que vousdonnerez aux lévites seront, à partir du

mur de chaque ville, d’une largeur de1000 coudées. Vous mesurerez en outreextérieurement à la ville, 2000 coudéesdu côté Est, 2000 coudées du côté Sud,2000 coudées du côté Ouest et 2000coudées du côté Nord, ayant pour cen-tre la ville. Telles seront les banlieuesde leurs villes « (Nombre 35, 2 à 6) (unecoudée vaut a peu près 50 cm).

Un espace aéré

Ce paragraphe indique donc l’obli-gation d’établir une ceinture tout au-tour de la ville. Ceci est clair. Ce quil’est moins, c’est la mesure de celle-cipuisqu’un verset l’établit à 1000 cou-dées de large et un autre verset à 2000 !Le Talmud (Sota 27b) résout la contra-diction ainsi : « 1000 coudées pour lemigrach et 2000 pour les champs et lesvignes ». Rachi explique que le mi-grach désigne l’espace libre où il n’y nia ni semailles, ni maisons, ni arbres. Cemigrach contribue à la beauté de laville en lui offrant un espace aéré. 2000coudées entourent donc la ville : 1000pour l’espace aéré et 1000 pour leschamps et les vignes. Chaque ville estdonc entourée de deux ceintures : uneceinture intérieure destinée à l’agré-ment de la ville, à son aération et uneceinture extérieure réservée à la cul-ture.

Dans Lévitique 25, 34, La Torah dit àpropos des villes de lévites : « le champde la banlieue (migrach) de leur villene sera pas vendu ». Toutefois, il est im-possible de comprendre ce verset litté-ralement puisqu’au verset 32, il estquestion de la vente et du rachat par leslévites de leur territoire. C’est pourquoile Talmud (Arakhin 33b) interprète « labanlieue (migrach) ne sera pas vendu »comme signifiant que la banlieue (mi-grach) « ne devra pas changer de na-ture », c’est-à-dire qu’elle devra resterbanlieue. Le rapport entre « vendre » et« changer de statut » s’explique ainsi :la vente constitue un changement depropriété. C’est pourquoi le terme de« makhar, « vendre » a été empruntépour signifier d’autres changementscomme la transformation d’un terrain

(cf. Torah Temima sur le verset, note179).

Les structures citadines

Maïmonide formule ainsi la loi dé-duite : « Dans les villes des lévites, onne transforme pas la ville en banlieue,ni la banlieue en ville, ni le migrach enchamp, ni le champ en migrach. Et ilest en ainsi pour toutes les villes d’Is-raël » (Lois sur la chemita 13, 4 et 5). LaTorah interdit donc formellement demodifier en quoi que ce soit l’aména-gement urbain qu’elle prescrit. Ainsi,les générations se suivent et connais-sent les mêmes structures citadines…

Dans son commentaire sur Lévitique25, le Rav Chimchom Raphaël Hirchnous invite à une jolie réflexion. Celle-ci porte sur l’opposition ville et village.La ville est généralement un centre in-tellectuel mais complètement éloignéde la nature. Le caractère citadinpenche pour l’anonymat et le repli sursoi. La vie rurale respire une autreodeur : celle de la nature, de la convi-vialité. Au village, tout le monde seconnaît. C’est une certaine simplicitéqui y règne. Pour notre commentateur,le souci de la Torah est de créer « unepopulation citadine qui se préoccuped’agriculture ». La typologie de la na-tion juive se veut urbain à l’esprit rural.« Il faut éviter l’agrandissement desvilles et leur transformation en cité dé-connectée des champs. Les villes quiexistent ne peuvent dépasser la fron-tière de leur migrach aux dépens deschamps… et de manière générale, unezone agricole ne doit pas se transfor-mée en zone urbaine. Avec l’augmen-tation de la population, il faut fonder denouvelles villes dans des lieux où il n’yavait pas de champ… Ce mode defonctionnement permet de développerune intelligentsia urbaine liée à la mo-rale et à la simplicité rurale ».

Voilà l’une des idées véhiculées parla structure d’une ville telle que le pres-crit la Torah : permettre la rencontre del’œuvre divine par le biais de la natureet des réalisations humaines au traversde leur cité.

JUDAÏSME

Leçon dÊurbanisme Par Jacky Milewski

« La vie rurale respireune autre odeur : cellede la nature, de la convi-vialité. Au village, tout lemonde se connaît. C’estune certaine simplicitéqui y règne. »

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On connaît depuislongtemps les tra-vaux du chercheurCarol Iancu qui, de-puis Montpellier oùil est professeur émé-

rite de l’université Paul Valéry et direc-teur de l’École des Hautes Études duJudaïsme de France, s’est intéressé deprès à sa communauté d’origine enproduisant des ouvrages tels que LesJuifs en Roumanie (1866-1919). De l’ex-clusion à l’émancipation, Le combat in-ternational pour l’émancipation desJuifs de Roumanie ou La Shoah en Rou-manie. Tout en se penchant, par ail-leurs, sur les Juifs du Midi, son lieu derésidence, voire sur les Juifs d’Afriquedu Nord, aux côtés de sa savanteépouse Danièle Agou (originaire deDjelfa).

S’il est une figure emblématique dujudaïsme roumain contemporain, c’estbien celle du grand-rabbin AlexandreSafran auquel Carol consacre au-jourd’hui l’étude la plus documentéeen produisant, en complément de sabiographie, des documents totalementinédits – provenant des archives diplo-matiques américaines et britanniquesdes année 1944-1948 – et des articlesde presse, du plus haut intérêt. Cetteétude complète un précédent ouvrageAlexandre Safran. Une vie de combat,un faisceau de lumière (Montpellier,2007 – et publié en traduction rou-maine à Bucarest en 2008). Nous re-trouvons donc ici le grand-rabbin deRoumanie dans les années de pestebrune, suivies de celles de peste rouge,car comme le dit cet épigramme poli-tique d’un opposant roumain : « Cama-rade, ne sois pas triste / la Garde de Feravance / par le Parti Communiste » ! Siles statistiques disent qu’entre 280 000et 380 000 Juifs Roumains et Ukrai-niens – ceux de Bessarabie et de Buco-vine où était né Aharon Appelfeld – ontpéri dans les pogromes et les déporta-

tions sous administration roumaine al-liée à l’Allemagne nazie (110 530 ex-terminés à Auschwitz-Birkenau), ilrestera malgré tout en Roumanie 360000 Juifs à la fin de la Seconde Guerremondiale, ce qui représente alors laplus importante communauté juived’Europe de l’Est. Mais justement,nous dit Iancu, si plus de la moitié desJuifs roumains purent échapper à laShoah, c’est grâce à leur combat pourleur survie sous la conduite de diri-geants remarquables dont, au premierchef, Alexandre Safran, leur guide spi-rituel. Iancu cite à ses côtés, notam-ment, la haute figure de WilhelmFilderman, président de l’Union desJuifs Roumains, lui-même victime de larépression et déporté un temps enTransnistrie. Tout cela ne fut pas facile,on le comprend bien, on le devine, et legrand-rabbin sur toujours mettre sa vieen jeu pour sauver celle de son impor-tante communauté. Menacé de toutcôté par le pouvoir fasciste en place,c’est miracle – Baroukh Hachem – qu’ilait pu échapper à la mort. À la Libéra-tion – par l’Armée Rouge, qui saurabien faire sentir combien ces Roumainslui sont redevables – on trouveraAlexandre Safran sur deux fronts :d’une part ses démarches aux États-Unis pour obtenir des secours bien né-cessaires et collecter des fonds auprèsde l’American Jewish Committee – et lerôle, après la guerre, de l’AmericanJoint Distribution Committee, là commeailleurs pour la survie des communau-tés juives (et je me rappelle sa présenceet son action à Alger, capitale de laFrance Libre en 1943). L’auteur noteque cette générosité et ces largesses,bien qu’une partie de l’aide ait été ver-sée aussi aux populations chrétiennes,attisèrent l’antisémitisme roumain quine demandait qu’à se raviver, malgrél’horreur du Génocide. Et deuxièmefront d’autre part, la conférence de See-lisberg en Suisse (30 juillet – 5 août1947) où Alexandre Safran se rendit

pour que l’Europe chrétienne – à partirdes 18 propositions de notre grandJules Isaac (issues de son ouvrage ca-pital Jésus et Israël) − puisse partir surun autre pied, et d’un bon pied avec lebon pape Jean XXIII. On le voit à See-lisberg sur une photo reproduite ici auxcôtés de notre grand-rabbin du mo-ment Jacob Kaplan. Par ailleurs,Alexandre Safran aida au développe-ment de ce qu’on a appelé l’Alya Beth– l’immigration illégale – qui, malgrél’opposition farouche – et, disons-le,franchement « dégueulasse » des Bri-tanniques qui firent refluer bon nombred’émigrants sur l’île de Chypre, en re-créant pour eux de nouveaux camps deconcentration (le film Exodus, de Pre-minger, en a fait son point de départ) –, permit, entre 1950 et 1951, à 100 000Juifs roumains de gagner Eretz-Israëloù ils constituent aujourd’hui une trèsactive et importante communauté is-raélienne, forte de près de 500 000âmes. Rappelons que la Roumaniecommuniste traitera les candidats àl’alya comme une marchandise, empo-chant 10 000 dollars de “compensa-tion” pour chaque juif en partance pourIsraël. Mais, bien sûr, Alexandre Safranen avait trop fait, et il fut contraint àl’exil, juste au lendemain du vote tantattendu et tant célébré de l’ONU sur lapartition de la Palestine et la créationd’un État juif indépendant « pour le-quel – écrit Carol Iancu – il s’était tantinvesti n, près aussi de Mi u Benvenisti,président de la Fédération sioniste deRoumanie en 1947, et aussi en compa-gnie de Yehudi Menuhin : les grandssages de la terre se tenaient près de lui.Assurément Alexandre Safran fut ungrand sage, un tsadik.

Albert Bensoussan--1 Carol Iancu, Alexandre Safran et

les Juifs de Roumanie durant l’instau-ration du communisme, EdituraUniversit ii ‘’Alexandru Ioan Cuza’’Ia i, 2016, 562 p.

DIASPORAS

Une figure du judaïsme roumain :Alexandre Safran

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INFORMATION JUIVE Janvier 2017 37

Le récente publicationdes Carnets noirsd’Heidegger a révéléet confirmé l’apparte-nance du philosopheallemand au natio-

nal-socialisme dès les débuts desannées trente jusqu’à sa mort en1976. Les liens qu’il entretenaitavec Hannah Arendt, son élève etamante juive, furent égalementconnus dans leurs complexités

Emmanuel Faye a entrepris unegigantesque entreprise d’étude etd’analyse de leurs écrits. Il exposele sens de leurs livres, en révèle lescontradictions, les non-dits et larhétorique. Après la guerre, Hei-degger a dû reconnaitre son appar-tenance au parti nazi. Il futcependant défendu, quasi révérépar nombre d’intellectuels, y com-pris français et considéré commel’un des principaux philosophescontemporains.

Emmanuel Faye s’applique àaller au-delà des apparences et desobscurités de ses textes pour mettreen lumière sa défense du nazisme,et son fuhrer. Il obéit à la même vi-gilance dans la lecture des livresde Hannah Arendt, faisant état deschangements et des non-dits. Il netient pas compte des relations per-sonnelles et surtout des relationsamoureuses des deux personnagesde son ouvrage. Il s’appuie sur lesécrits, les cours, les déclarations.

Née en 1906, Hannah Arendt aconnu Heidegger en 1925. Elle futson étudiante, très marquée par

son influence et eut des relationsamoureuses avec lui. En 1933 ellefut arrêtée comme juive par la Ges-tapo et, relâchée, elle quitta l’Alle-magne pour se réfugier en Franceoù elle fut secrétaire de la Baronnede Rothschild. Elle réussit à se ren-dre aux Etats-Unis en 1941 où elledemeura jusqu’à sa mort en 1975.

Faye analyse ses ouvrages sur letotalitarisme, l’antisémitisme, etrend compte des controverses etdes débats suscités par ses prisesde position.

L’étude détaillée des écrits deHeidegger, fourmillant de détailset de références conduisent cet Al-

lemand adulé par des intellectuelsde son pays ainsi que de France,atteignent la conclusion que lesénoncés mènent, dit Faye, à « unevision hallucinée, celle de l’ab-sence de sol et de patrie, de l’aban-don ou de la solitude d’hommesdevenus superflus qui n’existent

pas à proprement parler, parcequ’ils n’ont pas su s’élever jusqu’àl’agir héroïque, l’espace partagé dela polis et de l’acquiescement auSeyn heideggerien »

Cela s’est exprimé par l’adhésiondès les débuts des années trente,au nazisme et implicitement, àl’admission des camps d’extermi-nation.

Arendt n’est pas allée jusque là.Elle s’est efforcée de réhabiliter lephilosophe puissant en l’excusantdes erreurs où il s’était disparu lui-même dans le superflu. Elle aamalgamé dans le totalitarismemeurtrier le nazisme et le stali-

nisme, sans souligner que lesadeptes du dictateur soviétiquen’ont pas distingué, tels les nazis àl’endroit des juifs, un peuple enparticulier et n’ont pas érigé le ra-cisme comme pierre angulaire deleur action. D’après elle, les totali-tarismes ont condamné des majori-

LIVRES

Les écrits dÊArendt et de Heidegger

Hanna Arendt avec Heidegger

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tés de populations à la déshumani-sation, aussi bien parmi les bour-reaux que parmi les victimes,plaçant ainsi les juifs et leurs as-sassins dans le même amas d’ab-sents à toute pensée. Laconséquence est l’exonération desbourreaux de leur responsabilité.Cela a culminé en 1963 à son livresur le procès Eichmann. D’aprèselle, celui-ci n’était qu’un exécu-tant, sans préoccupations morales.Il appartenait aux personnes super-flues du totalitarisme pour lesquelsle mal est une banalité. Son essai-reportage publié d’abord dans lel’hebdomadaire New Yorker a sou-levé une tempête d’indignationnon seulement de la part des survi-vants de la Shoah mais égalementde tous ceux qui tenaient comptede la pire barbarie que l’humanitéait connue. On a révélé plus tard,à Buenos Aires où Eichmann s’étaitréfugié, sa fierté d’avoir exterminétant de juifs.

Arendt n’a jamais masqué sonorigine juive. Elle a cependant sou-

ligné que ses rapports avec un juifse limitaient à un individu sanstenir compte de son appartenanceà un peuple. Emmanuel Faye dé-cèle qu’elle partage en réalité deséléments essentiels des écrits deHeidegger.

Ce livre foisonne de détails et de

références qui retiennent le lecteur.On ne peut que louer l’auteur pourla révélation des personnagesd’Arendt et de Heidegger à traversles méandres de leurs ouvrages.(Arendt et Heidegger par Emma-nuel Faye, Albin Michel, Paris2016, 554 pages.)

Israël en images personnelles

Photographe bien connu, au-teur de nombreux albums, DidierBen Loulou était étudiant à Parisquand, au début des années qua-tre-vingt, il est parti en Israël oùil a vécu dans un kibboutz. Pen-dant plusieurs années il a par-couru le pays, du nord au sud,passant par les gares d’autobus,les cafés, les rues de Tel-Aviv, Jé-rusalem, Haïfa, à Mea Shearimoù s’agglomèrent les hassidim,les quartiers arabes. Il captait lesscènes de plage, les joueurs decartes, ne faisant pas de distinc-tion entre les jeunes et les vieux,

les hommes et les femmes. Il necherchait ni la beauté ni la lai-deur et ne se préoccupait pas dela transmission d’une vision.Loin de tout soucis de médiation.Un artiste ? Plutôt un homme quivivait un espace humain inconnu,sans privilégier des scènes ou desfigures. « Ces images racontentun moment de ma vie, rien d’au-tre » dit-il. On regarde ces photosavec le sentiment qu’un hommese confie à nous dans la candeuret la sincérité. (Israel eighties,album photo par Didier Ben Lou-lou, Editions La Table Ronde,Paris 2016, 120 pages.)

Naim Kattan

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Naomi Ragen, aprèssix romans de bellefacture – Sotah, LaFille de Jephté, Le Silence de Tamar,Doña Gracia Men-

des, Le Serment, Le Dixième chant –, etun succès éditorial de grande ampleur,notamment avec Sotah prix de la Wizo2010, nous revient avec un roman total,probablement le plus accompli, Lessœurs Weiss, qui résume et complètetoutes les œuvres antérieures. L’auteur,juive américaine issue d’un milieu or-thodoxe, vit à Jérusalem depuis 1971 etmilite activement pour les droits desfemmes. Son judaïsme, sincère et en-raciné, ne s’accommode pas de la dis-crimination faite aux femmes, toutparticulièrement dans le milieu des ha-redim (« Craignant Dieu »). Que ce soità Jérusalem ou comme ici à New York,la femme juive se trouve infériorisée,infantilisée, exploitée (elle doit travail-ler pour que son mari étudie à la yes-hiva), domestiquée, en somme, comme« un animal en cage ».

Le roman de Naomi Ragen se dé-ploie sur trois générations : il y a les pa-rents – Mamé et Taté – et même lagrand-mère – Boubé –, les deux filles –Rose et Pearl –, et les deux petites-filles– Hannah et Rivka. Tout en haut de lapyramide, une famille qui pratique l’or-thodoxie pure et dure et vit dans unquartier ghettoïsé de Brooklyn où toutle monde est juif, et donc a priori rassu-rant – sauf que la petite Pearl se fait ac-coster par un hassid qui lui donne unbonbon et veut l’entraîner dans un cou-loir. C’est là le moteur initial, un moteurà explosion, car la petite ne veut plusaller à l’école toute seule et risquer pa-reille rencontre, dont elle ne souffle motà personne ; la grande sœur qui va déjàau lycée, loin de cet itinéraire, refuse del’accompagner et la petite va se vengeren révélant le secret de Rose : un livrede photographies de Doisneau que luia prêté le père de sa meilleure amie, desurcroît un Séfarade. Scandale dans lafamille : des photos de Doisneau, deshommes en maillot de bain, les multi-ples portraits d’enfants, et puis le fa-meux baiser de la Libération… Rose est

bannie de la famille et expédiée dansune école où on lui serrera la vis, où, leyiddish étant la seule langue autorisée,on lui interdira de lire le houmash et deparler l’hébreu « la langue impure desapostats sionistes » ; et elle devra vivrechez sa grand-mère, cou-pée de ses parents et desa sœur. Et cette adoles-cente au départ si gentille, prévenante etpieuse, va se retrouverseule avec Boubé, qu’elleaime et aide beaucoup,frustrée dans ses certi-tudes et désormais reve-nue de ce judaïsme siétroit qui fait d’elle, pourpresque rien – un regardsur des photos d’art mon-dialement admirées et enrien licencieuses – une paria, et parcontrecoup une révoltée.

Dès lors sa pensée et son attitude senourriront du dur combat pour sonémancipation, pour la libération de lafemme, et son autonomie par rapport àl’homme. Ses parents voudront la ma-rier de force, façon de s’en débarrasser,de s’en remettre au mari pour garder lafille dans les rails de la juste orthodoxie,mais Rose s’enfuira nuitamment laveille du mariage, au grand dam de lafamille, et déclenchant le pire scandaleau sein de la communauté. Libérée àgrand peine et payant de sa personne,Rose va s’émanciper et accomplir savocation au-delà de toute espérance,puisqu’elle deviendra une des grandesphotographes du moment, avec uneœuvre qui entrera dans le plus presti-gieux des musées : le MoMA (Mu-seum of Modern Art) de New York.Quant à sa petite sœur, elle se pliera àla volonté de la tribu, épousera unhomme, qui ne sera d’ailleurs pas untyran, mais qui, du fait de la souillurefamiliale qui a compromis ses shiddou-khim, est un homme âgé, veuf, pèred’un enfant, en somme un laissé pourcompte qui veut bien épouser cettejeune fille avilie. Mais leur fille, Rivka,suivra la voie de révolte de sa tanteRose et le même schéma ; le même

combat se reproduira donc à la géné-ration suivante. On voit bien où nousmène l’auteur : le roman n’est que l’his-toire de ce choc culturel entre une tra-dition étriquée jusqu’à l’absurde (dansquel sens faut-il se chausser et nouer

ses lacets ?) et, finalement,un judaïsme éclairé (malgréles comptes que règle in finel’auteur avec la Haskala, faitde fidélité, de respect et detraditions juives familiales :les lumières du Chabbat, lesmatsot de Pessah, le jeûne deKippour, les Seders, la nour-riture casher (sans excès)…À la révolte initiale succèdeun apaisement relatif et l’es-poir d’une vie meilleure pourla femme juive.

Naomi Ragen nous donne là ungrand livre sur un débat majeur de nossociétés. Mesurée, malgré toute la pé-dagogie du discours, dans un style toutà la fois percutant et amène à grandrenfort de mots yiddish (son roman selit d’une traite, et sitôt commencé, im-possible de s’en détacher), elle sait ren-dre ses personnages attachants et nousamener, avec talent, avec passion et ef-ficacité, à convenir que notre judaïsmedoit forcément s’adapter à la moder-nité : à quand la suppression – à tout lemoins l’aménagement – de la me-hitsa ? (L’homme fort d’Israël, GoldaMeir, devait-elle aller se cacher en tri-bune ?) Et surtout, quand l’homme juifultrareligieux cessera de considérer lafemme comme un objet sexuel (unepoule pondeuse), une servante toutedévouée et travaillant pour lui, un élé-ment, certes précieux mais sans valeur,du mobilier domestique ? Mais, gottei-nou, il faudrait alors donner un toutautre sens à la célèbre bénédiction dela femme et parfaite épouse : EshetHayil. Un peu moins d’éloges conve-nus, un peu plus de respect et de di-gnité. Un peu plus d’amour.

Albert Bensoussan--Les sœurs Weiss, trad. Véronique

Perl-Moraitis, éditions Yodea, Paris,2016, 448 p., 22 .

LIVRES

Les soeurs Weiss

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Une semaine avant la sortie très attenduede la comédie musicale La La Land, lefilm phénomène de Damien Chazellenommé 14 fois aux Oscars, sortait lanouvelle adaptation d’Un sac de billes, lecélèbre roman autobiographique de

Joseph Joffo, qui a conquis depuis sa parution en 1973 plusde 20 millions de lecteurs à travers le monde.

Reconnaissons-le toutefois d’emblée, nous avions quel-ques doutes sur l’opportunité d’une nouvelle adaptation dece best-seller, 42 ans après celle déjà réalisée par JacquesDoillon, alors même que plusieurs films très récents ontretracé le parcours d’enfants ayant réchappé de la Shoa,comme Le voyage de Fanny réalisé par Lola Doillon (quifaisait justement honneur au travail de son père) ou encoreLes enfants de la chance, de Malik Chibane.

Nos réticences ont toutefois été rapidement levées ausortir de ce nouveau film mis en scène par ChristianDuguay (déjà remarqué avec Jappeloup en 2013), qui nousoffre ici des images de toute beauté et un castingimpressionnant, au service d’un long-métrage humanisteet solaire, qui vient réchauffer cette froide périodehivernale.

C’est aussi peut-être parce que le livre de Joseph Joffoest assez peu connu au Québec, comme le relatait Duguayà l'occasion de la promotion du film, que le réalisateur deHitler, La naissance du mal (sorti en 2003) a pu porter unregard neuf et enthousiaste sur ce projet de remake.

En outre, si Joseph Joffo a souvent affirmé ne pas s’êtrevraiment reconnu dans le film de Doillon, cet éternel jeunehomme de 85 ans s’est dit particulièrement heureux decette nouvelle adaptation, qui rend un vibrant hommage àsa famille et à sa destinée, tout en s’inscrivant dans latradition de certains films populaires - au sens noble duterme - du regretté Claude Berri.

Bien évidemment, pour celles et ceux qui ont grandi avecle récit picaresque et tumultueux de Joseph Joffo et de sonfrère aîné Maurice, ce nouvel opus ne révélera pas de

grandes surprises, mais encore faut-il souligner ici leprisme particulier qui a été choisi par Christian Duguay,lequel met davantage en lumière le rôle central du père deJoseph, Roman, brillamment interprété par Patrick Bruel.

Ce père courageux, lucide et bouleversant devient eneffet dans cette nouvelle adaptation “la colonne vertébraledu récit” selon les propres termes du réalisateur, qui anotamment déclaré avec justesse et émotion lors de l’avant-première du film que “c’est en entendant Joseph parler deson père que j’ai compris ce qu’il y avait dans les entraillesdu livre”.

Rappelons ainsi que le film débute en 1941, alors que lafamille Joffo menait jusque-là une existence heureuse àMontmartre, dans le 18ème arrondissement de Paris.Heureux époux d’Anna (Elsa Zylberstein, touchante etjuste) et père de sept enfants, dont quatre garçons et troisfilles, Roman exerce la profession de coiffeur et voit sesdeux fils cadets dérouler leur enfance dans une belleinsouciance et une profonde complicité.

Toutefois, dès après que le port de l’étoile jaune estdevenu obligatoire, Roman et Anna pressentent que le pireest devant eux et poussent leurs deux derniers enfants àpartir se réfugier vers la zone libre, où vivent déjà leursdeux fils aînés.

Débute alors un incroyable périple initiatique pourJoseph et Maurice, qui traverseront au péril de leur vie toutle sud de la France, de Nice à Golfe-Juan, avant d’arriverdans le village savoyard de Rumilly, où Maurice travailleradans un hôtel alors que joseph sera engagé par un librairepétainiste, ignorant totalement qu’il est juif...

En dépit d'un traitement assez académique, ce filmbénéficie d'une mise en scène élégante, à hauteurd'enfants, et de deux jeunes interprètes remarquablesdont Joseph Joffo s'est dit très fier, lui qui n'a eu de cessede transmettre la mémoire de ceux qui sont partis et dontle message positif et plein de vie est étudié chaque annéepar des milliers d'enfants, dans de nombreux collèges deFrance.

CINÉMA

Joseph Joffo ou la mémoire en partage

Par Elie Korchia

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VERBATIM

Muriel Beyer. Editrice :

«Je n’aurais pas publié Mein Kampf

comme l’a fait Fayard»

Karim Boutchari. Journaliste marocain:

«Daech n’est pas en Syrie mais à l’in-

térieur de nos crânes »

Bruneau Retailleau. Sénateur de la Vendée :

« Ce n’est quand même pas une tare

de se déclarer chrétien »

Vincent Peillon. Ancien ministre :«Si certains veulent utiliser la laïcité,ça a déjà été fait dans notre pays (…)avec les juifs à qui on mettait desétoiles jaunes »

Gilles-William Goldnadel.Avocat :

«Il faut dire que les Verts allemands

n’ont pas grand-chose à envier à nos

islamo-gauchistes français »

Robert Redeker. Philosophe :

«La langue est la chair de la nation.

Maltraiter la langue c’est blesser cette

chair, la déchirer toujours plus »

Etienne Gernelle. Directeur du Point :

“L’Histoire se déchaîne et nous n’en

sommes que les spectateurs bavards”

Franz-Olivier Giesbert. Editorialiste au Point

(à propos du président Obama):

« Une sorte de Nixon bonasse , avec

lui toutes les bornes du cynisme ont

été franchies. Il ne nous manquera

pas »

François Bayrou.Hommes politique :

«En 2022, je serai plus jeune que le

président autrichien qui vient d’être

élu…Regardez Shimon Pérès ! Il est

devenu président d’Israël à 84 ans.

L’âge n’est pas un obstacle »

Philippe Tesson. Journaliste :

« Macron donne un sens à l’identité

française Il en incarne l’un de ses as-

pects les plus positifs »

RAMA YADE. Ancienne Secrétaire d’Etat :

«Malgré la guerre, la société israélienne parvient à réinven-ter le quotidien, à être l’une des plus innovantes aussi… Il faut sans doute trouver l’origine de cet état d’esprit dansl’Histoire. A Pessah, alors que les juifs lisent la tragédie del’esclavage et de l’exode, ils terminent par « l’an prochain àJérusalem », par cette note de confiance en l’avenir »

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Le neveu de Scemaman D’abord, un aveu qui ne coûte

pas cher : ce n’est pas parce queSerge Moati a eu la gentille impru-dence d’écrire dès les premièrespages de son livre que « Le granddésarroi » était excellent qu’on nousinterdirait du même coup, au nom del’éthique journalistique, de dire leplaisir que l’on a eu à lire « Juifs deFrance. Pourquoi partir » (EditionsStock 19 E ).

On s’étonne en vérité que le popu-laire réalisateur de télévision n’aitpas eu jusqu’à présent , l’occasionde réfléchir aux relations intermit-tentes qu’il entretient avec le ju-daïsme mais aussi avec Israël surtoutque son oncle André Scemama a étéun des meilleurs correspondants quela presse française ait eu à Jérusa-lem. André à qui ce livre est dédié aété un homme de lumière et deconviction.

Serge Moati dit avoir voulu dansce livre « juste comprendre » ce quipousse nombre de juifs français à re-joindre Israël. Est-ce parce qu’ilsveulent construire pour leurs enfantsun tout autre avenir ? Ou bien parcequ’ils tentent de « bâtir un futur quiait du sens » ? Moati est donc parti àla rencontre des candidats à l’aliya.Le réalisateur s’est donc transformépour l’occasion en reporter. Pourconstater, entre autres, qu’il existeune aliya de la peur, celle du cœur etcelle qu’on est « obligé » de faire.Chemin faisant, il ne se prive pasd’observer qu’en Israël, « tout est ju-diciarisé, légalisé » et que « Kafkaaurait pu être israélien ». Et puis il ya ce professeur de médecine , ancienchirurgien à Marseille qui expliqueà l’auteur que le doyen de la facultélui avait dit un jour : « Tant que jeserai vivant, aucun juif ne seraagrégé ».

Moati n’oublie pas de noter la trèsmauvaise image que les juifs françaisont dans le pays : prétentieux, arro-gants. Sans compter qu’en Francemême la « voix juive n’a plus de por-tée, la communauté à part raser lesmurs et se ghettoïser n’a pas d’ave-nir ».

Il faut attendre les toutes dernièrespages de ce livre pour savoir les le-çons personnelles que Moati tire dece voyage à l’intérieur de soi. Il ditn’être jamais allé à la synagogue. Ilreconnaît être le dernier juif de sa li-gnée .

Mais à ses obsèques, il veut quandmême un rabbin…

Mais pourquoi joue-t-il au « maî-tre ès judaïsme » au cours de l’entre-tien ennuyeux accordé aux grandesGueules sur RMC ?

Conflits de presseOn raconte à propos de William

Randolph Hearst, patron de journaux,devenu Citizen Hearst au cinéma,qu’il fomenta un jour la guerre dansune région où il dépêcha un de sesmeilleurs reporters, chargé de racon-ter jour après jour l’évolution duconflit. Les journaux de Hearstconnurent ainsi le succès et l’opu-lence.

La guerre ayant cessé, le journalisten’envoya plus à son journal le moin-dre papier.

Le patron du journal envoya untélégramme à son reporter :- Pourquoi n’envoyez-vous plusrien ?- Parce que la guerre s’est arrêtée !- Contenez-vous de me fournir vospapiers et moi, je vous fournirai laguerre !

C’est à cette histoire que l’on ensei-gnait jadis dans les écoles de journa-lisme que l’on a pensé ces jours-ciquand on a appris que le patron dugrand journal Yediot Aharonot NoniMozes a rencontré en secret le chefdu gouvernement Netanyahou. Lejournaliste proposait au Premier mi-nistre de cesser ses attaques quoti-diennes contre lui à la condition quele Premier ministre s’oppose à l’exis-tence du journal concurrent IsraëlHayom , le quotidien gratuit qui, jouraprès jour, devenait le plus importantjournal d’Israël. De plus, il mettait encause l’existence même du Yediot.

Quand la chose fut connue, lesjournaux du pays entrèrent dans despolémiques d’autant plus violentesque, pour le coup, chacun avaitquelque chose à se reprocher.

Et cela se passe alors que laconfiance que l’opinion publiquemanifeste à l’égard de la presse dupays en général, toutes spécialitésconfondues, est des plus réduites.

Préférencen Un titre piqué le 28 décembre

dernier dans les colonnes du Haa-retz, considéré comme le quotidiende l’élite israélienne :

« Il est préférable que nous ayonsun chef de gouvernement de droiteplutôt qu’un Marocain ! »

A rapprocher du fait qu’Amir Pé-retz, ancien ministre de la défense, adéclaré vouloir contester à M.ItzhakHerzog le poste de président du partitravailliste (le Camp sioniste).

Strasbourg

Il était fatal qu’un jour, l’histoire dela ville de Strasbourg, intéresseraitl’édition israélienne. On vient de tra-duire pour les éditions Zalman Cha-zar le livre de Mme Deborah Kaplanconsacré à « Strasbourg, les juifs, leschrétiens, la Réforme ».

V.M

POST-SCRIPTUM

André Scemama

Noni Mozes

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