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ÉPOQUESEST UNE COLLECTION

DIRIGÉE PARJOËL CORNETTE

© 2003, CHAMP VALLON, 01420 SEYSSELWWW.CHAMP-VALLON.COMISBN 2-87673-371-4ISSN 029-4792

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Yann Lignereux

LYON ET LE ROI

DE LA « BONNE VILLE »A L’ABSOLUTISME MUNICIPAL

(1594-1654)

Préface de Denis Crouzet

Champ Vallon5

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Denis Crouzet pour la confiance qu’il m’a manifestée tout au long de ma recherche et pourses travaux qui ont été pour moi un modèle d’intelligence et de rigueur. Que Joël Cornette et Patrick Beaunetrouvent ici également toute ma reconnaissance pour avoir soutenu ce projet et permis ce livre. Pour m’avoirconseillé, pour m’avoir encouragé et pour avoir enrichi ma propre réflexion par leurs remarques et leurs cri-tiques, je tiens à reconnaître ma dette envers Yves-Marie Bercé, Boris Bove, Caroline Callard, Olivia Carpi,Michel Cassan, Bernard Hours, Nicolas Le Roux, Xavier Le Person, Benoît Rossignol, François-Joseph Ruggiu,Guy Saupin et Marion Trevisi. Je remercie aussi Henri Hours qui m’a permis de consulter sa thèse de l’Ecole desChartes.Enfin, ce livre est aussi le fruit de la patience et de l’attention de Sophie Peytavin : à ce titre, il est également lesien.

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PREFACE

Denis CrouzetUniversité de Paris-IV-Sorbonne

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Ce livre est impressionnant parce que surprenant et novateur dans lesangles d’attaque par lesquels il se propose d’aborder, sur l’exemple de Lyonet sur la base d’un travail considérable d’investigation, la question du« politique » dans la ville du XVIIe siècle. Il étonne et il étonnera. YannLignereux a voulu réaliser le croisement entre, d’une part, les fantasmes,les actions, les signes et les paroles des individus en charge de la gestion del’ordre politique de la cité, dans les durées de leurs collaborations ou deleurs conflits, et, d’autre part, les stratégies de symbolisation par lesquellesces fantasmes, ces actions, ces signes et ces paroles purent assumer unecohérence idéologique. La politique, ou plutôt les politiques dans la cité,sont des faits de pratiques et d’imaginaires, mais les pratiques et les imagi-naires sont liés circulairement ou interactivement, évoluant de manièresynchrone ou décalée et permettant de se comprendre par toute une séried’effets d’implication et de réciprocité. L’histoire est donc, dans ce livre, envisagée comme un vaste champ

sémiologique, dans lequel le sens des faits et des événements résulte d’uneconstante négociation ou renégociation, de la part des forces qui entrent enjeu, entre la faculté d’agir et celle de représenter. D’où la nécessité de nepas s’en tenir à une conception étroite de la politique qui ne renverrait qu’àla logique des positions socio-économiques de ses protagonistes, maisd’ouvrir la réflexion avant tout sur les productions discursives, saisies dansleurs multiples expressions qui, si elles semblent hiérarchisées et souventcontradictoires, si elles paraissent parfois participer d’un processus d’énon-ciation contournée, n’en relèvent pas moins d’une même logique codifiéeet d’une même grammaire. Intervient donc le recours, à côté de la sourcecentrale des délibérations municipales, source institutionnalisée et doncrépondant à des exigences attendues, aux motifs festifs, toujours replacésdans leur conjoncture courte, aux portraits, aux cartes et aux plans de ville,aux pièces de théâtre, aux poésies, aux tombeaux, aux bâtiments, fontaines,rituels… L’idée-force qui guide le travail de Yann Lignereux est qu’il ne

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faut rien négliger en histoire, que même le plus petit message, le plus ano-din, le plus marginal, est un élément révélateur au sein du langage symbo-lique que l’historien doit tenter de reconstituer et de décrypter. Il endécoule que la ville elle-même, dans la manière dont elle est agencée, dontelle est représentée, est le premier des témoignages, le premier des dis-cours. L’espace est politique tout autant que les rapports antagonistes deforces et les modes de discours le sont. Ou plutôt, dans la ville, tout s’avèrepolitique parce que symbolique et l’historien se doit de travailler d’abordsur les signes par lesquels ce rapport au politique est mis en œuvre. L’art politique, dans le cadre ainsi cerné, est un art de la mise en scène. Le

livre, en conséquence, repose sur une conceptualisation théâtrale de l’his-toire que Yann Lignereux explicite, d’emblée, lors de la tenue des GrandsJours de Lyon et de la valorisation de leur dimension de spectacle, destinée àporter à la connaissance des sujets du roi l’accomplissement d’un devoirmonarchique de moralisation de la société, l’évidence d’une royauté de laraison distributrice de justice et œuvrant pour le salut commun. L’histoirepolitique lyonnaise se lit, par effet de capillarité, comme une pièce dethéâtre en trois actes, avec trois acteurs qui, munis de systèmes particulari-sés de signes, vont et viennent et se donnent des rôles modifiés au fil del’histoire afin de se placer ou de tenter de demeurer au premier plan de lascène : le roi, le gouverneur, la ville. Et le lecteur pourra ici être surpris, ilfaut le redire : la ville est déterminée comme un acteur unique, dans lequelles hommes de pouvoir ne sont pas étudiés en tant que groupe ou réseausocial, culturel ou économique. Ils sont réduits, volontairement, à unensemble anonyme, participant d’une même identité politique et culturelledans la mesure où la distinction consulaire crée, dans la démarche de YannLignereux, une solidarité avec une longue trame historique et impliquel’adhésion à une culture commune de la continuité avec l’ordre des prédé-cesseurs. C’est ici la charge, l’honneur, qui sollicite ou fabrique l’adhésion àune culture politique partagée. Le théâtre n’est donc pas seulement unemétaphore de l’évolution de l’histoire. Il est nécessaire, à la fin du XVIe

siècle, à la construction identitaire des protagonistes municipaux qui jouentdonc à intérioriser un ordre de la répétition et qui jouent d’autant plusqu’ils savent que la vie est un théâtre sous le regard de Dieu, que leur ville,comme le royaume dont elle fait partie, est un théâtre. Mais il y a unecontrainte qui pèse sur cette dramatique, parce que les jeux des acteurs sontappelés à passer par des phases différentes, au cours desquelles ils en vien-dront à changer leur jeu de signes, jusqu’à recourir à des stratégies decamouflage ou d’occultation de leurs intentions, ou encore opérer des recon-versions et des procédures de sublimation. On a l’impression en effet que, sicertaines implications des hommes dans des jeux antagonistes, si certainespostures disparaissent vers 1640 au profit d’une apparence de neutralisation

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conflictuelle, c’est certes parce qu’ils glissent dans un autre champ de finali-sation de leur action, qu’ils font le choix de l’accommodation, mais aussiparce que, comme il en est au théâtre même d’alors, ils participent del’acceptation d’un système global de règles qui excluent désormais l’affron-tement ou la crise de la sphère et du temps de la mise en représentation.Dans la continuité de cette architecture théâtrale de l’histoire que le

livre distingue et qui fait que les protagonistes agissent, pensent et médi-tent sur une scène qu’ils veulent publique afin de légitimer le pouvoirqu’ils revendiquent, il est intéressant de constater que le spectacle de lapolitique urbaine est arqué sur l’histoire de la résolution d’une contradic-tion qui traverse et rend difficile le jeu municipal. Cette histoire est l’his-toire d’une ville qui veut refonder sa relation au roi sur un affect, l’amour,qui est alors en déréliction à l’âge d’une royauté qui veut que ce soit la rai-son des sujets qui les guide et les happe dans une mécanique de l’obéis-sance. Il est ainsi relaté comment la ville empiriquement, par tâtonne-ments en quelque sorte, parvient à ajuster sa propre logique politique àl’exigence univoque de rationalité étatique. Il n’y a pas alors d’échec de laculture urbaine face à la monarchie et à d’autres agents autorisés, mais aucontraire une stratégie accommodatrice de repositionnements, de déca-lages, d’ajustements. Un des grands apports de la réflexion se trouve là,dans la mise en exergue de ce que c’est par la contradiction sublimée par lejeu de la symbolique que l’histoire progresse ou avance au temps de « lanaissance dramatique de l’absolutisme », pour reprendre le titre d’unouvrage d’Yves-Marie Bercé. Yann Lignereux a parfaitement raison lorsqu’il centre son analyse de la

théâtralité de la politique urbaine sur une problématique de la passioncontrariée. Lyon, au sortir des troubles civils, voulut tout d’abord commerevivre l’événement fondateur qui à plusieurs reprises était censé avoirmarqué son histoire : elle voulut revivre dans la discontinuité avec unpassé rejeté, dans l’oubli d’elle-même afin de se présenter au roi commeune bonne ville, fidèle et aimante, la meilleure des bonnes villes. Elle cher-cha à rendre opératoire, par le travail des fêtes et donc par la présentationd’un système de signes, une relégitimation d’elle-même qui tenta de direque c’est d’elle-même, par ses vraies forces agissant contre des forcesautant maléfiques qu’étrangères, qu’elle s’est enfin retrouvée. C’est ce queYann Lignereux caractérise en tant que « logique d’incorporationmutuelle », qui a ses marques premières : le tableau-portrait du roi précé-dant la présence charnelle du roi, et le roi répondant à cette sémiologierépétée en désignant dès 1595 son fils César de Vendôme comme gouver-neur. La ville reçoit comme l’accompagnement du roi dans sa volontéd’occultation du passé et de surenchère dans la rhétorique de la fidélité :apuration du passif financier réalisée grâce aux interventions royales, épu-

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ration judiciaire grâce au théâtre des Grands Jours ; et surgit l’imaged’une cité fidèle comparée au tournesol penchant toujours du côté où setrouve le soleil. Images, rituels, paroles, spectacles, la ville veut théâtrale-ment retrouver son authenticité en honorant son roi, en se montrant hono-rant son roi, avec les multiples jeux signifiants effectués sur le motif dulion qui va jusqu’à devenir le symbole de la résurrection, expression de latension même de la cité participant, par sa capacité de mythification, d’unretour de l’âge d’or sous les « tranquilles zéphyrs », de l’élaboration syn-chrone de la mythologie henricienne. Jusque dans ses images, la ville vit donc au rythme d’une sorte de dupli-

cation qui la fait adhérer à une conception néo-stoïcienne de la durée. Sonordre même semble énoncer la renaissance à la vie d’un monde enfin délivrédu chaos. De belles pages sont consacrées à la révolution communautaire de1594, à la mise en ordre d’un « idéal fusionnel et unioniste » ; « le but estde rappeler, voire de refonder, la réalité de la ville, moins sur l’évidence deliens économiques qui seraient indépendants d’un vouloir être ensemble,que sur la force d’une communauté nécessaire, quasi organique, préexistantà ces liens sociaux, et dont la substance est première, et indissoluble, mal-gré la pluralité concurrente d’entités multiples qui s’en dégagent ».Mais bien vite, il est montré que des incidents permettent au pouvoir

monarchique de dépasser ce stade nécessaire à sa reprise en main politiquedu royaume, et, sur le motif de l’incapacité du consulat à conserver l’unionurbaine, à reprendre l’offensive en se posant comme l’acteur nécessaire etunivoque de l’unité. C’est-à-dire qu’à un modèle consensuel, pactionnel,imaginé par les autorités consulaires, se superpose alors un modèle diffé-rent, dans lequel, par la réforme institutionnelle et par l’envoi d’émissaires,le roi se fait, unilatéralement, le créateur d’une seconde contractualisationdu fait communautaire urbain. Le livre prouve bien une politique henri-cienne, prudente et raisonnée, procédant par une suite d’écrans successifsjusqu’à enfin intervenir directement dans la cité, une politique méthodi-quement habile, usant de la temporisation afin de parvenir finalement àfausser à son profit le jeu politique. La « pratique » royale est un jeu auterme duquel le souverain se fait et s’énonce le vrai refondateur ou réforma-teur de la cité, dans le cadre de ce qui est un compromis désormais favo-rable à sa seule gloire. Et alors, il ne faut pas s’y tromper, c’est de manièrecouverte qu’une lutte se déroule. Elle fonctionne grâce à ce que YannLignereux nomme « une relation indirecte, médiatisée dans le systèmeclientélaire ou à travers le régime des intendants ». Le pouvoir monar-chique saisit l’occasion favorable pour pousser plus loin son avantage. Il estmarqué par la souplesse et le pragmatisme, mais il est peut-être plus quecela : le roi est le roi acteur, qui utilise la durée pour refaçonner les fonde-ments mêmes de sa pacification au profit de son autorité seule. Toute fai-

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blesse interne à la cité autorise une modification des règles du jeu et laremise en question de la fiction urbaine de la refondation post-ligueuse. Tout se passe comme si était valorisé un décalage culturel entre les

hommes de la ville, attachés à des valeurs qu’ils espéraient et énonçaientpérennes, intangibles, dont ils se voulaient les figures mêmes dans leurrêve de répétition, et un pouvoir baroquisant, vivant la durée comme unflux constant, dans lequel le prince doit toujours être prêt à changer pourmieux s’adapter à la temporalité, toujours disposé à passer d’une identité àune autre afin de se donner une force à travers ce déplacement. Un pouvoirqui change les règles de l’échange langagier. Et le désenchantement muni-cipal est proche, d’autant que le gouverneur est pensé par la ville commeun relais de la royauté, le consulat attendant qu’il fasse corps avec lui dansla concorde. Ce scénario est loin de se dérouler comme prévu. Car surgit une crise qui voit l’altération accentuée de la fiction urbaine

par le fait du conflit avec le gouverneur d’Halincourt. La ville, du fait de sonattachement à une idéologie rendue obsolète par la mutation idéologique àlaquelle les guerres de Religion semblent avoir conduit, est entraînée dansune spirale de déperdition d’autorité et de gloire. Surtout à partir de 1611-1612, puis quand le consulat se trouve comme pris au piège d’un environ-nement critique. Le gouverneur modifie son jeu ; il cherche, en effet, à fairede la ville un outil pour sa propre gloire. Dans ce but, il fausse la fictionencore possible du jeu théâtral, introduisant dans son déroulement mêmedes pratiques obliques et donc perturbantes : manipulations des électionsconsulaires, tentatives de contrôle de la milice, mais aussi introduction deses propres marques dans la symbolique politique de l’espace civique, àcommencer par ses écussons. La gloire du gouverneur se télescope à la gloirede la ville, elle cherche à se l’approprier. Ce sont deux systèmes de signes quis’affrontent, dans la confrontation de la ville à une culture de la parade ou dela provocation destinée à user les capacités d’auto-affirmation du consulatpar l’affirmation réitérée d’un mépris, l’intrusion de gestes ou de paroles deviolence. Tout se passe comme si le gouverneur avait la volonté opiniâtre defaire de la ville sa propre figure de pouvoir à travers certes des gesticulationsmais aussi des images le fondant dans l’identité urbaine, fusionnant l’iden-tité urbaine avec sa propre personne. De plus, le drame est que les relations avec le roi ont changé. La ville

demeure attachée ou accrochée à un rêve d’intimité et d’amour, mais saquête de la dilection se heurte à une froideur ou une distanciation royale.Le roi de raison – ou, avec Louis XIII, le souverain de la raison d’État – neveut plus de la dilection. Le système de signes monarchique est celui del’obéissance et d’une obéissance raisonnée excluant les affects, alors que lesystème des signes du gouverneur – auquel le pouvoir royal laisse visible-ment une marge large d’action afin d’user la capacité d’identité de la ville

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– est celui de la gesticulation et de l’intimidation. La cité se trouve mena-cée par ce jeu corporel à un moment où, précisément, le pouvoir royal semet à ignorer sa rhétorique de l’amour. À cette évanescence des rapportsrêvés se surajoutent les tensions internes à la ville, des tensions certesconjoncturelles, mais qui pèsent lourd : l’ordre public bafoué, les conflitsavec le clergé ou les ouvriers de la soie. Au sein de cette crise du pouvoirconsulaire, comme prise en étau, la ville se lance ou se replie dans un tra-vail de collation historique destiné à revivifier la mémoire de ses privi-lèges, elle se replie sur l’écrit, sur une forme d’ego-document, les registresde délibérations étant ainsi destinés à être les témoignages de cette gran-deur ou de cette gloire qu’elle s’efforce de faire se continuer mais qui estpourtant journellement contestée ; elle se replie sur l’écrit et des signes dedistinction par lesquels elle s’efforce de resignifier une culture politique ausein de laquelle chaque échevin ou prévôt est moins une identité indivi-duelle que la partie prenante d’une longue chaîne historique. Tout se passecomme si donc, ne parvenant plus à adhérer à des postures reconnues dansl’ordre de l’espace public du royaume, la ville se créait comme un espacefictif, ou aussi cherchait à temporairement raviver l’idéal de communion,en exaltant par exemple la guérison miraculeuse du roi dans ses murs ;« armes anciennes et rhétorique usée » selon Yann Lignereux. Une postureschizophrénique, pourrait-on dire, qui symboliserait l’effondrement dusystème référentiel.Mais comme toute pièce de théâtre dans laquelle dialoguent l’amour et

le pouvoir, l’histoire lyonnaise va vers une forme de résolution qui, si ellen’est que temporaire, n’en est pas moins révélatrice d’un système au seinduquel la ville, parce que ses représentants ont le sens d’une mission,adapte son jeu à l’évolution même des rapports signifiants. Elle ne peut retrouver, dans un troisième temps, un équilibre qu’en

s’adaptant au système symbolique qui lui est externe et en s’y glissantpour mieux en contourner les conséquences jusque-là négatives. Il y a làune sorte de ruse historique et la simulation envahit la scène pourrépondre aux exigences de l’idéologie monarchique. Mais c’est désormaisla ville qui, simulant l’acceptation des règles du jeu, prend l’initiative desortir d’un ordre symbolique négatif pour elle. Le roi ne veut plus êtrel’objet d’un amour impliquant une logique de la réciprocité. Il aime sessujets et l’amour ne peut être que de lui, mais ses sujets doivent marquerleur reconnaissance de son autorité par ce qui est le contraire de l’ordre despassions, en l’occurrence un désengagement des passions, par une absoluesoumission reconnaissant qu’il est la raison même gouvernant le monde.La forme de neutralisation des passions qu’est la charité et la projectiondans une politique eschatologique traduisent cette accommodation. Lapièce de théâtre, comme toute pièce de l’âge classique, marque donc la

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défaite, ici assumée et acceptée, d’une politique passionnelle. Le livre, endéfinitive, est un livre sur la question de la gloire durant le premier XVIIe

siècle. Comment concilier une possibilité de gloire municipale au seind’un royaume dans lequel le roi se veut le seul dépositaire de la gloire ?L’imaginaire politique se désaxe de ses illusions et de ses postures défen-sives, et se met en quête d’un autre réseau de légitimations et donc de dis-cours. La Contre-réforme catholique lui donne l’instrument d’un rattra-page de l’histoire. Elle rend, selon Yann Lignereux, possible l’inventiond’une culture politique qui est alors une culture des apparences. On passed’une conception théâtrale dans laquelle chaque acteur voulait tenir ledevant de la scène à une pratique du théâtre dans le théâtre, de l’emboîte-ment des scènes. Par effet de reflet en quelque sorte. Tout devient illusion,mais c’est par l’illusion que se reconstitue l’identité municipale, qu’elle serefonde. La ville, en effet, se redonne comme une possibilité d’autonomie grâce à

la redéfinition empirique de la mission de ses magistrats qui, dans leurespace même de vie, font de leur honor comme un miroir de la gloire duroi, un roi qui se voulait la figure de Dieu sur terre. Ils se donnent unemission sacrée, grâce à un discours historique et géographique toutd’abord qui fait de Lyon un théâtre de la providence, un lieu qui a été, estet sera le cœur et le centre dans le monde, un espace témoignant histori-quement de Dieu à travers le souvenir de la longue chaîne de ses martyrset de ses saints. Les magistrats transfèrent alors leur sphère d’autorité dansla gestion d’une politique qui vise à amener les habitants de la ville ausalut. Il n’est plus question d’amour, le langage de l’amour cède le pas àcelui de la charité, par l’exercice de laquelle le pouvoir consulaire, peut-être inspiré par le pseudo-Denys, s’intégrant dans le mythe de la destinéeprovidentielle de la ville pour mieux l’entretenir, « pouvait s’imagineraussi absolu que le roi, dans une sphère inférieure ». Il y a, alors, des pageslumineuses sur l’image de l’Hôtel de ville entouré d’écussons, marque quechacun, par sa vertu, se voue sacrificiellement à la continuation de la voca-tion providentielle de la cité, sur l’image encore de l’Hôtel de ville tiré desa localisation urbaine pour ouvrir à une manière d’infinité qui évoque ceregard toujours tourné vers Dieu. Les tenants du positivisme historiogra-phique auront les cheveux dressés sur la tête à l’issue de leur lecture, maistant pis pour eux ! L’objet du livre est de décrypter un ordre symboliquepermettant de rendre compte d’un imaginaire qui, précisément, s’exprimeprimordialement par des images, par des jeux de sens. Et il est démontréque la conjoncture est favorable à ce réajustement qui est ainsi en action :les séditions populaires, les tensions avec les officiers ou le nouveau gou-verneur tendent à devenir un vieux souvenir, le processus électoral est sta-bilisé, les relations avec la cour sont désormais adoucies.

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Et, dans ce cadre d’un recentrement de l’autorité municipale, YannLignereux insiste sur ce qu’il nomme « une métaphysique de la ville », parlaquelle les élites consulaires s’efforcent de faire glisser l’ordre urbain, enfonction d’une harmonie formelle qui doit être l’objet de leur attentionquotidienne, vers une harmonie éthique et religieuse. On est dans un uni-vers au sein duquel la forme implique le sens, dans lequel la substanceconditionne l’essence. La raison, après avoir contribué à défaire l’idéologiepassionnelle du consulat, envahit le jeu symbolique de la cité. Commequoi l’histoire ruse avec elle-même. Une autre rationalité naît qui est cellequi cherche à faire de la ville comme un espace pacifié et protégé desséductions du mal. La ville de Lyon, par le soin apporté aux travaux de voi-rie, à la sécurité et à la commodité, par le blanchiment même des façades,les plantations d’arbres, les fontaines, les aménagements de la placeBellecour, se veut comme une pédagogie de sa vocation à être une cité deDieu grâce à ses magistrats agents de la Providence et entraînant les habi-tants dans les desseins divins. À quoi s’ajoute le travail de surveillance éco-nomique, contrôle du prix du pain, contrôle des marchés, médiation dansles rapports ouvriers-patrons, le travail de lutte contre les tentations, pros-titution, débauches. C’est à l’édification d’une ville sainte que YannLignereux voit le corps consulaire se vouer, dans une redéfinition donc dupouvoir municipal comme une tension eschatologique impliquant la mul-tiplication des monastères et couvents, la lutte pour la conversion des pro-testants, la distinction dans le temps urbain d’émergences merveilleuses :une hiérophanie de miracles, de signes, de saintetés. Un enchantement du monde de la ville succède donc au désenchante-

ment de l’utopie municipale : la ville, s’acceptant pleinement comme villeroyale, ville fidèle et travaillant à la gloire de son souverain, devient unlieu de réconciliation par la conversion, un théâtre de la Toute-puissancede Dieu.Lire le livre étonnant de Yann Lignereux, c’est se trouver propulsé dans

une tension tragique travaillée de l’intérieur par la dissimulation et la ges-ticulation, l’ambiguïté et l’équivoque. Mais c’est aussi appréhender que,dans l’univers politique par essence conflictuel ou oppositionnel qu’a étécelui de la « naissance dramatique de l’absolutisme », la culture de la théâ-tralité était si prégnante qu’elle put donner aux protagonistes municipauxles instruments mêmes qui leur permirent de dépasser la prégnance descontradictions auxquelles ils étaient confrontés. Et au premier plan des-quelles il y avait la rupture, fortement déstabilisatrice et bien formulée parJoël Cornette, qui concernait « l’énergie d’émotion dont la souverainetédoit constamment se nourrir pour pouvoir s’exercer »…

Denis CROUZET

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INTRODUCTION

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Une histoire politique de Lyon au XVIIe siècle, plus précisément dutriomphe d’Henri IV au règne de Louis XIV, peut-elle être autre chose quela chronique du triomphe de la monarchie absolutiste et centralisée sur lesvieilles identités médiévales et renaissantes vainement brandies par unconsulat, responsable de « la conduicte et gouvernement de la ville », sou-mis à l’ordre royal et domestiqué par la puissance souveraine de l’État ?Si l’on s’en tient aux péripéties de cette chronologie et à l’écume des

événements, conclure différemment semble impossible tant le courantabsolutiste, dirigé par les cardinaux-ministres et animé par les intendants,paraît éroder les libertés immémoriales de la cité et emporter les anciensprivilèges de son consulat, substituant à la fidélité la docilité et à l’obéis-sance la soumission. À l’insurrection de la ville contre Henri III enfévrier-mars 1589 et à sa réduction volontaire à son successeur cinq ansplus tard, lesquelles témoignaient d’une certaine autonomie politique,rejetant ou acceptant la tutelle monarchique examinée au crible de sesvaleurs, répond en 1658 « la comédie du mariage savoyard », mise enscène à Lyon par Mazarin pour accélérer le cours des négociations matri-moniales entre son royal filleul, Louis XIV, et la fille de Philippe IVd’Espagne. En cette fin d’année 1658, les membres du consulat sont ainsimobilisés dans le subterfuge diplomatique d’une monarchie-spectacle.Soixante-dix ans plus tôt, leurs prédécesseurs fermaient les portes de lacité devant les troupes du roi, correspondaient avec le pape et le souverainespagnol et érigeaient la ville en une république urbaine à l’image descités de l’Italie voisine.Circonscrire cette histoire dans le seul tableau de ces saisissants

contrastes revient à se laisser éblouir par la force du clair-obscur et à négli-ger cette limite infime, mais capitale, qui fait passer de l’ombre à lalumière. C’est alors s’interdire de brosser autrement qu’à grands traits unehistoire téléologiquement déterminée par le succès de l’absolutisme bour-bonien : sans être fausse, celle-ci n’en est pas moins partiale et superfi-

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cielle, ne se faisant que la chronique d’un absolutisme irrésistible, ou sipeu contesté et combattu1. L’ambition de ce livre n’est cependant pas, inversement, d’explorer des

résistances à l’ordre royal ou des obstacles à la genèse de l’État moderne, maisd’envisager dans le cadre de la seconde ville du royaume comment se nouè-rent les relations entre ses élites et la couronne sans céder ni aux chantrestriomphaux d’une modernité centralisatrice ni au dolorisme d’une histo-riographie locale se lamentant sur la déchéance politique de la ville et pro-cédant à l’inventaire pathétique de ses humiliations2. Déplacer le regarddu centre du pouvoir royal aux provinces et aux villes ne suffit pas à mieuxcomprendre l’histoire des relations politiques entre la royauté et les citésde son État : les progrès de l’une étant les échecs des autres, la résistancedes secondes constituant des archaïsmes pour la première – enfermementdonc du débat historique dans une évaluation en termes d’acquits ou depertes peu pertinente et dans des jugements de valeurs oscillant avec laposition de celui qui les porte. Aussi est-il nécessaire d’aborder différemment cette histoire : nous ne

l’envisagerons pas seulement depuis les définitions institutionnelles quiconsacrent un absolutisme idéal ni depuis les manifestations banalementpittoresques d’une identité locale, mais à partir de ce qui en constitue lecœur, le politique lui-même, entendu comme un champ en mouvement,un espace de rencontres et d’équilibres incessamment recomposé par lesimaginaires et les pratiques de ses acteurs et dans lequel l’absolutisme estmoins une force qui s’impose qu’une idéologie qui se communique3. L’idéeprincipale de cet ouvrage est, en effet, de proposer l’idée d’un « absolu-tisme municipal », de soumettre à l’examen la thèse d’un absolutisme rela-tif dans le cadre d’un gouvernement urbain.Dans cette perspective, ce travail s’inscrit dans le renouvellement de

l’histoire politique de l’Ancien régime français entrepris depuis une ving-taine d’années en privilégiant les acteurs prétendument secondaires oupassifs de l’absolutisme, les élites urbaines qui en supporteraient l’affirma-tion, et en faisant du politique, non seulement un espace normé et le cadrede pratiques institutionnellement réglées, mais le lieu également de rêveset d’imaginaires dont il faut écouter les frémissements et rendre sensibles

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1. Pour une première approche de cette histoire et de son historiographie, J. Cornette, (sd.), La Monarchieentre Renaissance et Révolution, 1515-1792, Paris, Éditions du Seuil, 2000, F. Cossandey et R. Descimon, L’Abso-lutisme en France. Histoire et historiographie, Paris, Éditions du Seuil, 2002.2. C. Petit-Dutaillis, Les Communes françaises. Caractères et évolution des origines au XVIIIe siècle, Paris, Albin

Michel, 1947, p. 284, M. Guyaz, Histoire des institutions municipales de Lyon avant 1789, Lyon, H. Georg, 1884,p. 244, M. Cassan, Le Temps des guerres de Religion. Le cas du Limousin (vers 1530-vers 1630), Paris, Publisud,1996, pp. 302-303.3. D. Crouzet, « Écritures de l’Histoire et idéologie urbaine. Lyon au Grand Siècle », in État, Marine et

Société. Hommage à Jean Meyer, M. Acerra, J.-P. Poussou, M. Vergé-Franceschi et A. Zysberg (éd.), Paris, Pressesde l’Université de Paris-Sorbonne, 1995, pp. 144-145.

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les variations1. Sans dénier aux progrès de l’État monarchique et à l’affir-mation de l’absolutisme royal tout caractère de réalité, il faut en préciser lanature en suivant le destin de la « bonne ville » lyonnaise durant cetteétape majeure de la construction de la monarchie absolue française entre lesacre, le 27 février 1594, du premier roi bourbon et celui de son petit-fils,le 7 juin 16542.La périodisation historique constitue, de manière générale, un exercice

délicat aux résultats nécessairement imparfaits, mais les défauts de celle-cisont peut-être plus manifestes encore quand elle prétend ériger ses bornesdans le domaine des imaginaires politiques, des représentations culturelleset dans le champ des idéologies aux dynamiques complexes qui anticipent,accompagnent ou survivent à leurs traductions empiriques et institution-nelles3. Aussi, les dates qui encadrent ce travail et celles qui seront distin-guées doivent-elles être considérées bien davantage comme des indicationsd’inflexions majeures, signalant une charnière à partir de laquelle un dis-cours, des images, un horizon idéologique commencent à s’imposer dansun espace culturel et politique concurrentiel, que comme des césures radi-cales. Renvoyant classiquement à l’histoire générale de la monarchie fran-çaise, cette périodisation singularise également un moment particulier del’histoire lyonnaise, compris entre la fin de l’épisode ligueur, en février1594, et le sacre, en juin 1654, de son nouvel archevêque, Camille deNeuf ville, pourvu, depuis 1645, de la lieutenance générale du gouverne-ment de la province sous l’autorité de son frère, Nicolas, duc de Villeroy,maréchal de France et gouverneur du roi. L’année 1654 voit en effet, la concentration des plus importantes

charges politiques et religieuses locales entre les mains des petits-enfantsdu secrétaire d’État de Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII. Ellefait entrer la ville dans un autre moment de son histoire comme en rendcompte Saint-Simon dans ses Mémoires lorsqu’il évoque la consolidation decette autorité dans la province depuis la nomination de Charles deNeufville en 1607 comme lieutenant-général du gouvernement lyonnais4.Cette nomination religieuse et politique à la césure du siècle imprimedonc à l’histoire de la cité son véritable portrait classique, mais il ne doitpas masquer tout aussi définitivement pour l’historien les expressionsantérieures d’une identité politique qui s’affirma autrement. En 1594, la

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1. D. Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1991, pp. 67-68, J. Cornette, LeRoi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Éditions Payot, 1993, p. 9.2. B. Chevalier, Les Bonnes Villes en France du XIVe au XVIe siècle, Paris, Aubier-Montaigne, 1982, p. 309,

P. Guignet, Le Pouvoir dans la ville au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre dela frontière franco-belge, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990, pp. 501-502.3. M. Cassan, Le Temps des guerres de Religion…, op. cit., p. VIII, M. Senellart, Les Arts de gouverner. Du regi-

men médiéval au concept de gouvernement, Paris, Éditions du Seuil, 1995, p. 46.4. Saint-Simon, Mémoires (1701-1707). Additions au Journal de Dangeau, Y. Coirault (éd.), Paris, Gallimard,

T.II, 1983, pp. 561-562.

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faillite de la Ligue signifiait la défaite politique des résistances communa-listes de la ville et sa réduction au nouvel ordre bourbonien ; à partir de1654, l’ancienne capitale des Gaules se voit soumise non seulement à ladomination du roi, mais aussi et surtout à celle de ses très fidèles serviteursque l’absence de la Fronde à Lyon a illustrée avec éloquence. Entre l’écheclyonnais de la Ligue, qui avait prétendu faire survivre le système urbaintraditionnel face aux ambitions de l’État monarchique et de ses officiers, etla « despotique » puissance des Villeroy, est-ce véritablement d’un tempssans histoire qu’il s’agit, qui ferait passer la ville de la domination duprince à celle de ses serviteurs au fur et à mesure de l’éloignement parisienpuis versaillais du roi ?Cette période, essentielle ainsi dans la construction de la « monarchie

exécutive », est abordée généralement cependant dans l’histoire urbained’une étrange façon puisqu’elle se trouve réduite à une sorte d’inexistencehistorique, prise entre deux modèles qui en occultent toute spécificité etintérêt. Les grandes synthèses historiques sont ainsi peu à même derépondre à la question liminaire de Wolfgang Kaiser. Ce dernier, dans sonétude de la cité phocéenne, s’interroge sur la nature du système urbain enplace entre le modèle renaissant et celui de l’Ancien Ré gime « classique »,demandant ce qu’il y avait « donc eu entre la ville médiévale des Xe-XIIIe

siècles et la ville d’Ancien Régime »1. L’Histoire de la France urbaine, dirigéepar Georges Duby et dont le troi sième tome prend en charge « la villeclassique de la Renaissance à la Révolution », reflète les lacunes d’une his-toriographie traditionnelle rendant compte du premier XVIIe siècle urbainsoit comme l’avatar d’un modèle renaissant déliquescent, soit comme leprologue immature du XVIIIe siècle classique, mais jamais considérécomme une temporalité véritablement autonome et originale2. L’histoirepolitique des villes se résumerait donc à l’enregistrement des défaites d’unidéal communaliste, à la consignation de sa soumission au seul modèlelégitime de l’État royal et elle ne connaîtrait comme « événements » queles bouleversements mineurs de conflits de préséance entre des élites ran-gées sous la bannière de l’absolutisme monarchique, seuls reliefs alorsd’une vie municipale glacée et atone.À la lecture des délibérations consulaires, de la correspondance du corps

de ville et d’une importante production littéraire, devant la transforma-tion du paysage urbain durant cette période et le spectacle des mises en

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1. W. Kaiser,Marseille au temps des troubles, 1559-1596. Morphologie sociale et luttes de factions, Pa ris, Éditionsde l’EHESS, 1991, p. 8.2. G. Duby (sd.), Histoire de la France urbaine, T. III, E. Le Roy Ladurie (sd.), La Ville classique : de la Renais-

sance aux Révolutions, Paris, Éditions du Seuil, 1981. Cette réduction historiographique est illustrée dans le cadrelyonnais par les deux principaux livres consacrés à l’histoire de la cité sous l’Ancien régime, R. Gascon, Grandcommerce et vie urbaine. Lyon et ses marchands (environs de 1520-environs de 1580), Paris / La Haye, Mouton / Édi-tions de l’EPHE, 1971, et M. Garden, Lyon et les Lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, Éditions les Belles Lettres, 1970.

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scène de la ville, il m’est apparu nécessaire de considérer plus attentive-ment cette sclérose municipale prétendue et de préciser les rapports entre-tenus entre la couronne et la capitale rhodanienne durant ce long demi-siècle. Examinant la pertinence des termes d’« assujettissement », de« tutelle » et de « soumission », communément employés pour définir lanature des relations entre le pouvoir monarchique et les autorités urbaines,il s’agit de dégager le portrait politique le plus juste de la cité sans fairel’économie de son abaissement administratif certes, mais sans tout luisacrifier pour autant ni comprendre ce qui échapperait à cette lecture uni-voque en termes de survivances archaïques ou de compensations psycholo-giques.Trois périodes scandent cette chronologie comme les mouvements d’une

pièce classique dont elle épouse de manière singulière les enjeux et lesrègles. Comme sur les scènes théâtrales contemporaines, la violence ini-tiale et les conflits refluent dans l’ombre des coulisses pour donner à voirseulement la représentation publique de l’ordre. Ce livre est bâti commeune pièce théâtrale : la première partie pose les acteurs et établit leurs rela-tions initiales ; la seconde est celle du déséquilibre et de la tension, généra-trice de désordres et conflits ; la dernière témoigne de l’apaisement desrivalités dans le triomphe apparent de l’ordre monarchique et dans ladéfaite des passions consulaires. L’histoire de la cité aurait-elle suivi le par-cours cornélien du héros dramatique, du Cid, qui fonde avec la figure éta-tique une relation faite de nécessité et de réciprocité, à Polyeucte qui,après Cinna, indique l’autre voie offerte au héros : l’absolu de la foi, lesacrifice de la gloire mondaine pour la soumission de ses passions à la réa-lisation d’un ordre supérieur à tous les autres : l’État chrétien ? Cetouvrage donne à entendre les voix muettes d’un consulat qui, dans les plisde l’absolutisme royal, découvrit paradoxalement l’espace de son propreabsolu.Il s’agit donc de suivre la pérennité d’une « bonne ville » renaissante

transformée, alors même que la « monarchie exécutive » et absolue entendplacer sous sa coupe et référer à ses valeurs exclusives les communautéspolitiques et les différents ordres de son État. Dans l’assujettissementadministratif indéniable de la seconde ville du royaume, on peut lire sarésistance politique qui subvertit le sens même de sa soumission et ménageainsi à une identité urbaine et politique spécifique un espace d’affirmationet de démonstration.J’examinerai tout d’abord, de 1594 à 1608, le rétablissement et le

renouvellement de la « bonne ville » médiévale et renaissante selon unmodèle politique auquel je propose de donner le nom de « ville royale ».La seconde partie suivra, de 1608 à 1638, les tribulations baroques et lescrises de ce modèle, affronté aux évolutions propres de la monarchie et aux

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ambitions personnelles de son gouverneur dans la province. Enfin, ilconviendra de comprendre et d’analyser comment ces troubles constituentla genèse d’un imaginaire politique consulaire de résistance dont je suivrail’affirmation et l’épanouissement durant les années 1638-1658, jusqu’àson acmé dans les fastes d’un hôtel de ville proprement extraordinaire,manifeste à la fois d’un accommodement, administratif et social, à l’ordreroyal et à ses représentants locaux et d’une indépendance politique préser-vée, spectacle paradoxal tout à la fois d’une humilité et d’une superbeurbaines affichées.

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PROLOGUE

Les difficiles lendemains de la Ligue lyonnaise

Dresser le tableau de la cité, au lendemain de l’insurrection qui l’aréduite à l’autorité d’Henri IV, revient à entonner le chant d’une lamentatiotemporis paré des figures les plus sombres de l’éloquence des contemporainset reconstitué plus sobrement depuis par les historiens de la période1.Cependant, si les mots et les images employés à cet effet ont changé, leconstat général demeure le même : celui d’une incontestable détresse de lacité rhodanienne se déclinant aussi bien dans le champ du politique, dureligieux, du social que de l’économique. Cette déploration d’un désordreuniversel permet ainsi de mettre en évidence les syntagmes essentiels àpartir desquels le discours monarchique de la pacification des troublesarticule son argumentaire, dresse l’inventaire des domaines de son exerciceet détermine l’ordre de ses priorités. Particulièrement altérés durant laLigue lyonnaise, c’est alors l’idéal monarchique, le sens même de la cité etles conditions de sa prospérité qu’il convient pour les royalistes de restau-rer impérieusement. L’articulation et la réciprocité de ces trois chantiers,menés de manière conjointe, favorisent l’idée de leur identité communesur laquelle se fonde le sentiment de l’unité substantielle de la glorifica-tion royale et de l’exaltation des vertus du gouvernement urbain. Cetteconfusion générale est le fruit des cinq années de péripéties ligueuses de laville.

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1. A. Steyert, Nouvelle Histoire de Lyon et des provinces du Lyonnais, Forez, Beaujolais, Franc-Lyonnais et Dombes,T. III, Époque moderne, Lyon, Bernoux et Cumin, 1899, A. Kleinclausz (sd.), Histoire de Lyon, T. II, De 1595 à1814, Lyon, Pierre Masson, 1948, A. Latreille, Histoire de Lyon et du Lyonnais, Toulouse, Privat, 1988, F. Bayardet P. Cayez (sd.), Histoire de Lyon des origines à nos jours. T. II, Du XVIe siècle à nos jours, Le Coteau, Horvath, 1990.

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I.

CHRONIQUE D’UNE REBELLION

De l’adhésion à la Ligue

À la suite des événements de Blois qui voient l’exécution des Guise, les23 et 24 décembre 1588, les Lyonnais, le consulat à leur tête, se considè-rent en rupture de fidélité avec le roi meurtrier. La déclaration du 25février 1589 précipite la cité rhodanienne dans la lutte ligueuse et le ser-ment prêté, le 2 mars suivant, à la Sainte-Union consacre l’adhésion de laville au mouvement conduit par le duc de Mayenne, présent à Lyon aumoment de l’exécution de ses deux frères, et promu ensuite lieutenantgénéral de l’État et couronne de France1. Les royalistes exilés de la ville outenus à distance de ses murailles, le pouvoir ligueur s’organise sous laforme d’une direction bicéphale qui, à côté du consulat assisté d’unConseil de la Sainte-Union, voit se côtoyer l’archevêque de Lyon, Pierred’Épinac, garde des Sceaux de Mayenne, et le gouverneur de la région, lejeune duc de Nemours, demi-frère de ce dernier2.Les ambitions des uns et des autres, liées aux difficultés financières rela-

tives à l’état de guerre qui achève de déstabiliser une situation commer-ciale déjà sur le déclin depuis le déclenchement des guerres de Religion,portent à son comble le sentiment d’une réunion purement conjoncturelled’intérêts divergents. La création d’une assemblée, en mars 1589, modifiéele 10 avril, dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs au profit desnobles et du duc de Nemours, baptisée « Conseil d’État », à l’encontreprincipalement des prétentions des consuls, témoigne de la réalité des hos-tilités mutuelles. La présidence de cette assemblée, confiée au duc deNemours – et, en son absence, au marquis de Saint-Sorlin, son frère, âgéde seize ans seulement –, illustre l’ambition grandissante du demi-frère deMayenne et suscite la méfiance de l’archevêque, soutenu en ce sens par leconsulat qui appréhende les projets sécessionnistes de son gouverneur, liésaux visées annexionnistes du duc de Savoie, son parent3.La mise en place de mesures fiscales et financières nécessaires à la pour-

suite de la guerre aggrave la détresse de la cité sujette aux tentatives de

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1. Déclaration des consulz, eschevins, manans et habitans de la ville de Lyon, sur l’occasion de la prise des armes pareux faicte, le vingtquatriesme Febvrier 1589. Avec les Articles de la resolution par eux prinse sur les occasions des presentstroubles, [Claude de Rubys], à Lyon, par Jean Pillehotte, 1589, avec permission, in-8°, 31 p. ; BML, Ms. Fds.Gal. 1463, pièce 15, fol.96 et 140.2. P. Richard, La Papauté et la Ligue française. Pierre d’Épinac, archevêque de Lyon (1573-1599), Paris,

A. Picard et Fils, 1901 ; J.-H. Mariéjol, Charles-Emmanuel de Savoie, duc de Nemours, gouverneur du Lyonnais, Beau-jolais et Forez (1567-1595), Paris, Hachette, 1938.3. S. Gal, Grenoble au temps de la Ligue. Étude politique, sociale et religieuse d’une cité en crise (vers 1562-vers

1598), Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2000, pp. 512-514.

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subversion royaliste et à l’exaspération des méfiances réciproques des chefsde la Ligue1. Le 21 septembre 1593, un terme semble être mis à la rivalitéentre le duc de Nemours et Pierre d’Épinac par la chute du premier, àl’issue d’une insurrection menée par le consulat, fatigué de la conduiteautoritaire et arrogante de son gouverneur, désormais enfermé dans le châ-teau de Pierre-Scize2. Envisageant non seulement la constitution d’uneprincipauté personnelle, constituée des provinces du Lyonnais, du Forez,du Beaujolais, de l’Auvergne, du Bourbonnais et de la Marche, et pensant,en cas de résistance, être en mesure d’asphyxier le commerce de la ville enmultipliant les péages indus, il assignait encore les habitants à des cotisa-tions et à des confiscations très lourdes afin de parvenir à ses fins. Laremise des pouvoirs du gouverneur à l’archevêque, sous l’autorité duquelse range résolument le consulat, éclaircit le paysage politique en le simpli-fiant, mais ne peut en rien soulager les détresses économiques et humainesde la cité, exaspérées au contraire par les ravages que font subir au plat-pays les troupes du marquis de Saint-Sorlin pour favoriser la libération deson frère. Une lettre du consulat au marquis, du 2 octobre 1593, dresseainsi l’état des exactions barbares perpétrées par ses troupes évoquant « lesmassacres, forcements de femmes, violements des filles, ravages et aultresactes inhumains », fruits funèbres de « trouppes mal disciplinées […] surla paouvre plat pays »3.Contrainte pour s’en protéger d’accepter l’aide royale proposée par

Alphonse d’Ornano, colonel général des Corses et lieutenant général enDauphiné, la ville semble s’acheminer vers un ralliement monarchique,favorisé par l’abjuration par le roi à Saint-Denis du protestantisme et parl’envoi de deux de ses agents, Jacques de la Fin et Arthus Prunier de Saint-André, pour tenter de gagner Lyon à sa cause4. La trêve, signée le 13

PROLOGUE

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1. R. Doucet, Finances municipales et crédit public à Lyon au XVIe siècle, Genève, Mégariotis Reprints, 1980.Une partie importante de l’œuvre littéraire du procureur général de la ville et partisan du duc de Nemours, deRubys, est consacrée à la dénonciation des complots royalistes : outre le Discours véritable des traysons descouvertesde la ville de Lyon et de Montbrison en Forest, ensemble la prinse et exécution qui en a esté faicte par le commandement deMgr le marquis de Saint-Sorlin et le marquis d’Urfé, à Lyon, jouxte la coppie imprimée par Jehan Pillehotte, 1591,in-8°, 8 p., voir La Rodomontade de Pierre Baillony. Discours sur une lettre escripte par ledit Baillony, sieur de Saillans,contenant la trahison malheu reuse conspirée par ledit Baillony et ses complices, contre la ville de Lyon. Avec la coppie deladicte lettre. Ensemble le proces verbal de la recognoissance d’icelle le 3e may, à Lyon, par Jean Pillehotte, 1589, in-8°,28 p. 2. Discours véritable et sans passion sur la prinse des armes et changemens advenus en la ville de Lyon, pour la conser-

vation d’icelle sous l’obeyssance de la S. Union et de la Couronne de France, le 18 septembre 1593, envoyé par un bon citoyende Lyon, à un sien amy. Avec la proposition faicte à Mgr le duc de Nemours, par le Conseil, et le renouvellement du sermentde l’Union, [P. Matthieu] à Lyon, s.i., 1593, in-8°, 27 p. 3. « Lettre des Consuls et échevins de la ville de Lyon à Henri de Savoie, marquis de Saint-Sorlin, du 2

octobre 1593 » (Godemard, Documents pour servir à l’histoire de Lyon, tirés des Archives de cette ville pendant les années1834-35-36-37, Lyon, Imprimerie de Barret, 1839, pp. 36-38).4. M. Dumoulin, Jacques de La Fin. Études et documents sur la seconde moitié du XVIe siècle, Paris, Imprimerie

nationale, 1896, et A. Vellot (éd.), Vie d’Artus Prunier de Saint-André, conseiller du Roy en ses conseils d’Estat et privé,premier président aux Parlements de Provence et de Dauphiné (1548-1616), d’après un manuscrit inédit de Nicolas Cho-rier, Paris, Alphonse Picard éditeur, 1880 ; S. Gal, Grenoble au temps de la Ligue…, op. cit., pp. 305 et 313-322.

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octobre 1593, permet à chacun d’envisager les moyens de son salut poli-tique et autorise la tenue de tractations occultes entre certains dirigeantslyonnais et les hommes du roi pour réduire la cité à l’obéissance de ce der-nier. Si les échevins sont reconduits en décembre 1593 pour une année sup-plémentaire, afin de ne pas mettre au grand jour les divisions du consulat,c’est toutefois bien dans une atmosphère de décomposition que la Liguelyonnaise entre dans la nouvelle année. Toutes les conditions sont désor-mais réunies pour le soulèvement du 7 février 1594 qui remet la ville dansson devoir d’obéissance duquel elle s’était affranchie pendant cinq ans.

À la reconnaissance d’Henri IV

Effectivement, dans la nuit du 6 au 7 février 1594, une insurrectionmenée par une partie des échevins aux cris de « Vive la liberté française ! »s’empare des principaux points forts de la ville, enlevés aux chefs ligueurs :en particulier le pont de Saône, l’arsenal et le corps de garde de l’Herberie1.Les barricades dressées durant la nuit et dans la matinée du 7 février entre-tiennent un climat de grande fébrilité qui sert les manœuvres des échevinsroyalistes lors d’une séance extraordinaire du consulat durant laquelle sontexpulsés de la ville les principaux partisans du duc de Nemours. Si dans unpremier temps, l’archevêque est prié de conserver le gouvernement de laville et de la province sous l’autorité du duc de Mayenne et de la Sainte-Union, la rencontre qui est prévue entre Pierre d’Épinac et le colonelAlphonse d’Ornano l’après-midi permet aux insurgés de « pratiquer » lepeuple en faveur du roi. Aussi, le matin du 8 février 1594, est-ce désor-mais aux cris de « Vive le Roi ! » que la ville s’apprête à recevoir le coloneld’Ornano dans ses murs. Tandis que les rues de la ville se couvrent alorsdes armes du roi et que des bûchers voient brûler celles, noires et rouges,

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1. AML, BB 131, fol.20-22 et BNF, Ms. Fr. 15912, fol.265-270vo (« Discours de Monsieur de Bellièvresur la reduction de la ville de Lyon en l’obéissance du Roy. Et de ceux qui ont bien merité de sa Majesté au faictde ladicte reduction, et conserva tion d’icelle ville contre les entreprises de Mr. de Nemours et autres Partisansde la Ligue ») ; Discours sur la réduction de la ville de Lyon à l’obéissance du roi, d’Antoine du Verdier, à Lyon, parThomas Soubron, 1594, in-8°, 36 p., Response de Pierre la Cognée à une lettre escripte par Jean de la Souche à l’Autheurdu discours faict sur la réduction de la ville de Lyon soubs l’obeissance du Roy. Avec la coppie de la lettre, [A. du Verdier]à Lyon, R. Le Fendant, 1594, in- 8°, 28 p., Brief recit contenant au vrai ce qui s’est passé en la réduction de la ville deLyon en l’obéissance de sa Majesté, les 7, 8 et 9 février, par P.M.G., à Tours, 1594, reproduit par Pierre de l’Estoiledans son Journal pour le règne d’Henri IV à la date du 12 février 1594 (M. Petitot (éd.), « Mémoires de Pierre deL’Estoile (journal de Henri IV) », Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, T. XLVI, Paris, Fou-cault Libraire, 1825, pp. 607-612), et Discours royal de ce qui est requis et nécessaire aux Roys et Princes, et la réductionde la ville de Lyon à sa Majesté, le 7e jour de février en l’année 1594, par D.T.C, à Lyon, par Pierre Dauphin,M.D.XCIIII., avec permission, in-8°, 20 p. ; « Fragments du journal de Ponson Bernard, échevin lyonnais(1592-1595) » F. Rolle (éd.), Revue du Lyonnais, nvlle série, T. XXXI, 1865, pp. 430-444. On peut encore se réfé-rer aux arrêts du Conseil du roi récompensant ou remboursant les acteurs de l’événement comme celui du 11novembre 1596 qui attribue à Trocezard et à de La Platière 1 000 écus chacun, « à l’occasion de la réduction deLyon » (N. Valois, Inventaire des arrêts du Conseil d’État (règne d’Henri IV), Paris, Imprimerie Nationale, T. I,MDCCCLXXXVI, n° 3021).

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de la Ligue, les échevins royalistes imposent à l’archevêque des articlespréparant la réduction de la ville à l’autorité d’Henri IV. Sur les troisheures de l’après-midi, accueilli par une foule couverte de rubans etd’écharpes blanches, Alphonse d’Ornano, à la tête de son régiment, desroyalistes lyonnais exilés et de plusieurs seigneurs de la province (dontJacques Mitte, seigneur de Saint-Chamond et de Chevrières, Bertrandd’Albon, seigneur de Saint-Forgeux, Guillaume de Gadagne, seigneur deBothéon, et Antoine d’Hostun, seigneur de La Baume), entre dans la villeet fait rendre grâces à Dieu de la réduction de celle-ci dans l’église Saint-Nizier. Enfin, le mercredi 9 février 1594, à l’occasion d’un tumulte armédans l’hôtel de ville, les royalistes épurent le consulat des derniers échevinstenus pour suspects aussitôt remplacés par l’élection de six nouveauxmembres, à la fidélité royaliste éprouvée par l’exil ou par les violencessubies durant la domination du duc de Nemours sur la cité rhodanienne.Aussi, le 9 février 1594 au soir, le consulat, en se rangeant à l’obéissance

du roi, prend la direction non seulement d’une ville encore traversée de« rumeurs » et de violences, mais aussi d’une province mise en couperéglée par différentes troupes armées qui s’y livrent à une guerre de harcè-lement et d’escarmouche dont les victimes principales sont les « granges »et les « maisons des champs » des bourgeois lyonnais comme les axes com-merciaux de son ancienne prospérité. Les consuls royalistes doivent alorsfaire face à un présent très incertain quant au maintien même de la villesous l’autorité d’Henri IV tant les menaces externes et les complotsinternes se font menaçants.À l’extérieur des murs, ce sont les manœuvres du marquis de Saint-

Sorlin qui continuent d’agiter les campagnes, les courses menées près desfaubourgs de la ville par les troupes ligueuses de Thoissey ou de Vienne,ou encore les menaces du duc de Savoie sur les vestiges du grand com-merce lyonnais ; à l’intérieur, ce sont l’agitation ligueuse entretenue parcertains membres du clergé et les complots bien réels tramés contre l’auto-rité du roi qui alarment les échevins, comme ceux du capitaine Bayard etdu pennon Chazelles en août 1594 ou celui du contrôleur des tailles Dupréen février 15951. Le 26 juillet 1594, la romanesque évasion du duc deNemours de sa prison de Pierre-Scize témoigne bien de la permanence decomplicités ligueuses organisées dans la ville même, tout comme elle vientrenforcer l’insécurité à l’extérieur de celle-ci.Renonçant à l’idée d’une narration érudite de la trame événementielle

de la période au bénéfice de l’intelligibilité la plus complète des méca-nismes de la pacification henricienne au cœur des pratiques du pouvoirconsulaire à Lyon et de ses légitimités politiques, traditionnelles ou en

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1. Au sujet de cette dernière, voir la correspondance de Pomponne de Bellièvre (BNF, Ms. Fr. 15 910,fol.171-179, 190-193 et 199).

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cours d’aménagements, il ne s’agira pas d’établir de nouveau une chro-nique des péripéties de la ville. Soumise aux aléas d’une temporalité belli-queuse et obsidionale, celle-ci est traversée de menaces extérieures et demenées internes dont Antoine Péricaud a dressé l’inventaire quasi exhaus-tif et sur lesquelles encore la thèse d’Henri Hours apporte tous les détailset les éclaircissements attendus1. Mon intention, donc, est moins de narrercette quotidienneté conflictuelle, précaire et angoissante, vécue sur lemode de l’incertitude et du soupçon permanents, que de comprendre ladémarche même entreprise pour s’en extraire, aussi bien pratique, symbo-lique que politique. Il s’agira d’apporter alors une attention particulièreaux « pratiques » du renforcement de l’autorité royale, aux conditions,formes et intentions de la mise en scène de la fidélité consulaire à celle-ci,comme aux modèles projetés d’un imaginaire urbain héroïque et idéal, ral-lié lui-même à celui d’une monarchie restaurée et invincible.Aussi pour mettre en évidence les points particuliers de l’« œuvre »

royale sur la ville, faut-il désormais dresser le tableau de ce passif ligueurévoqué au début de ce préambule.

II.

L’HERITAGE DE TRENTE ANS DE TROUBLES

Un passif économique et financier

Au premier rang des désordres de la cité, la détresse économique de laville témoigne du désarroi général. L’état de guerre presque continu danslequel est entrée la ville depuis le déclenchement des troubles de religionen 1562 a généré de très importantes dépenses, toujours croissantes, tandisqu’en parallèle diminuaient les recettes de la ville, dépendantes de ses acti-vités commerciales et manufacturières fortement altérées par le fait mêmede la guerre, grande perturbatrice des échanges et des communications2.De là s’ensuivit la perversion progressive du système de financement desdépenses consulaires par la pratique abusive de la prise en charge parchaque nouvel échevin des dettes pour lesquelles s’était engagé personnel-lement son prédécesseur aux fins de secourir le public et d’assurer lesdépenses ordinaires et extraordinaires de la ville. Une dette « publique »flottante se transmettait de consulat à consulat, s’aggravant encore davan-

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1. A. Péricaud, « Notes et documents pour servir à l’histoire de Lyon : Lyon sous Henri IV », Annuairedépartemental, administratif, historique, industriel et statistique, 2e partie, Lyon, Mogin-Rusand Éditeur, 1844-1845,et H. Hours, Le Retour de Lyon sous l’autorité royale à la fin des Guerres de Religion (1593-1597), 1951, deuxvolumes, exemplaire dactylographié.2. S. Gal, Grenoble au temps de la Ligue…, op. cit., pp. 437-456.

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tage à chaque succession et accentuant toujours plus le déséquilibre desfinances municipales. Dans une sorte de « fuite en avant », la dette échevi-nale allait ainsi croissant, la faiblesse du patrimoine de la ville et de sesrevenus étant bien incapable d’amortir le montant des dépenses et des fraisnécessaires au maintien de la sécurité militaire de la cité lyonnaise, capi-tale de cette province ligueuse, objet des convoitises les plus diverses1 :celles des gouverneurs proches, désireux d’adjoindre cette province à leurconglomérat d’influence (comme Épernon en Provence2), celles de roya-listes ambitionnant une prouesse militaire capable de les hisser dans lafaveur du prince (le protestant Lesdiguières ou le catholique Ornanodepuis le Dauphiné), celles encore de souverains voisins tentés de profiterde la faiblesse du royaume pour en distraire des territoires (comme le ducde Savoie), celles enfin de nobles rêvant de constituer sous leur autorité denouvelles entités politiques (comme le duc de Nemours3).La conjugaison de ces deux phénomènes – hausse des dépenses dues à la

poursuite de la guerre et baisse des activités bancaires, commerciales etmanufacturières consécutives aux troubles armés4 – provoque non seule-ment la constitution d’une dette de plus de 600 000 écus – où la detteéchevinale compte pour moitié5 – mais aussi une grande perturbationmonétaire, fiscale et commerciale due aux confiscations imposées par leduc de Nemours, aux taxes sur certains produits comme le fer et le vin,aux emprunts forcés et à tous les expédients financiers trouvés par un gou-vernement consulaire aux abois. La circulation d’espèces monétaires defaible valeur, en grande quantité ou dépréciées, ajoute à la confusion mal-gré les mesures prises dès la fin de l’année 1592 par le duc de Nemoursafin d’en régulariser le cours. Aussi, ce sont les structures générales mêmesde l’économie lyonnaise qui sont bouleversées par l’épisode ligueur et cetétat semble invalider l’espoir d’un retour rapide à une prospérité ancienneparée alors d’atours nostalgiques, idéalisant une richesse pourtant déjà pré-caire après 1560.

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1. Dans une lettre à Philippe II d’Espagne, datée du 4 septembre 1591, le consulat fait valoir les dépensesgénérées par les levées et l’entretien nécessaires de troupes extraordinaires (AML, AA 110, pp. 115-116, etJ. Saugnieux, « Philippe II et les Ligueurs lyonnais », L’Humanisme lyonnais au XVIe siècle, Grenoble, PUG, 1974,p. 227).2. J.-P. Babelon, Henri IV, Paris, Fayard, 1982, p. 568.3. Dès son évasion de Pierre-Scize en juillet 1595, il reprend ses projets sur Lyon comme en témoigne

P.-V. Palma-Cayet, dans sa « Chronologie novenaire contenant l’histoire de la guerre sous le règne d’HenryIIII », M. Petitot (éd.), Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France, T. XLIII, Paris, FoucaultLibraire, 1824, p. 32.4. Pour mesurer l’ampleur du phénomène, on peut ainsi constater que sur onze maisons italiennes pré-

sentes avant 1589, il ne restait plus que la banque Capponi en 1592 (A. Kleinclauss, Histoire de Lyon…, op. cit.,p. 4).5. H. Hours donne pour 1594 le chiffre de 635 515 écus 58 sols 5 deniers (Le Retour de Lyon à l’autorité

royale…, op. cit., p. 66). Seules Paris et Marseille présentent au sortir des guerres une dette supérieure à celle deLyon (J. B. Collins, « Un problème toujours mal connu : les finances d’Henri IV », Henri IV. Le roi et la recons-truction du royaume, Pau, Association Henri IV 1989 et J&D Éditions, 1990, pp. 145-164, et F. Bayard, « Laméthode Sully en matière de finances : les traités des rachats », XVIIe siècle, 1992, n° 174, pp. 53-76).

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Une identité citadine en question

À ce bilan économique, il faut ajouter le grand désordre institutionnelet politique de la ville dont le dévoiement des pratiques électorales durantla Ligue reflète spectaculairement la déliquescence générale voire sonentier évanouissement. Le recours à la « continuation » de l’échevinaged’une année à l’autre procédait sous la Ligue d’une double nécessité. Auxdifficultés très fréquentes de trouver des candidats à l’échevinage capablesde supporter personnellement les dettes de leurs prédécesseurs (comme en1589 et en 1590 particulièrement) s’ajoutent les divisions de la Liguelyonnaise entre ses principaux dirigeants, divisions dont tous s’accordentcependant à limiter les champs d’expressions (comme en 1593) afind’assurer la pérennité du mouvement. Le retour des royalistes au pouvoirprovoque de nouveaux troubles sur l’échiquier politique local en nourris-sant des partialités entre les royalistes exilés revenus à la suite de l’entréed’Ornano et ceux qui, demeurés dans la cité, ont favorisé de l’intérieurl’insurrection du 7 février. Les substitutions aux charges dépendantes duconsulat de ligueurs et de fidèles à la place de leurs titulaires, exilés outenus pour suspects, génèrent depuis 1589 des rancunes et entretiennentun esprit de revanche propre à fortifier les rivalités dans la cité. La sincéritédes ralliements est suspectée et les animosités personnelles se drapent alorssouvent dans un argumentaire politique d’ordre général. Les conspirationset les complots évoqués plus haut, les murmures dans le secret des cou-vents et des monastères, les plaintes concernant le prix des denrées sur lesmarchés comme les récriminations mêmes des partisans du roi face auxexigences accrues de la défense de la cité, renouvellent la fébrilité d’une viepolitique passionnée. Face à ce faisceau d’agitation, Pomponne deBellièvre doit à son tour user de la continuation échevinale en 1594 pourne pas provoquer une expression publique du mécontentement et del’insatisfaction générale propre à susciter, comme il est craint, le retour desanciens ligueurs à la direction consulaire et la reconstitution d’une solida-rité urbaine contre le roi et ses agents dans la province1.Pour prendre la mesure de ces passions, il est nécessaire de rappeler

combien, au sein de la cité lyonnaise, les pratiques « terroristes » de laLigue avaient réduit la communauté de ses habitants à une pluralité desociétés urbaines affrontées. Trahissant l’unanimisme des discours mili-tants, elle avait déchiré en pièces éparses le tissu d’une solidarité ancienneprésentée comme la condition nécessaire et paradigmatique de la péren-

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1. Anticipant une lettre royale datée du 12 décembre 1594, Bellièvre procède à cette nouvelle continuationéchevinale dont il rend compte au roi le 23 décembre suivant (E. Berger de Xivrey, Recueil des lettres missives deHenri IV, Paris, 1849, T. IV, p. 277, et BNF, Ms. Fr. 23 195, fol.147-148).

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nité urbaine même, et sans laquelle la ville n’était plus qu’une juxtaposi-tion d’intérêts particuliers et concurrents. Loin du synœcisme idéal surlequel s’appuie l’imaginaire de la cité, Lyon au lendemain de la Ligue ploiesous l’héritage de ses divisions partisanes et expose les plaies encore vivesfaites en son flanc par la pratique de l’ostracisme.En effet, la division politique de la cité, dont les effets sont sensibles

jusqu’en 1603, en plusieurs « partis » affrontés est la conséquence de cesbannissements successifs décidés au gré des dominations protestante,ligueuse et « politique » sur la ville. Pour réduire le champ de l’étude à lapériode 1589-1594, l’exil des uns a répondu aux mesures de proscriptionprises alors par les autres et la cité a constamment été traversée par l’illu-sion réciproque et partagée d’y façonner une communauté unanime parl’exclusion des opposants et le retranchement des dénommés « factieux ».À l’exil des royalistes de 1589 répond ainsi en une symétrie quasi méca-nique celui des ligueurs de 1594. Toutefois, il semble que l’idée d’untemps donné à la résipiscence de l’exilé par l’ostracisme doit être nuancéetant le militantisme – le « zèle » plus justement – ligueur d’abord, puisroyaliste ensuite, paraît fonctionner sur la radicalité de l’élimination phy-sique du factieux de la communauté reconstruite et redéfinie, et sanslaquelle cette restauration ne peut aboutir sincèrement : le ralliement dulendemain des adversaires principaux demeure suspect aux yeux des « par-tisans » de la première heure, soucieux de préserver la communauté réta-blie des germes virtuels de la subversion et de la division1.En outre, la littérature polémique, abondamment diffusée par les

presses lyonnaises, conserve à la mémoire de chacun le souvenir des vio-lences verbales et littéraires – plus que réelles et physiques cependant –dont firent preuve les citoyens à l’égard de leurs propres voisins2. Leslibelles et les pamphlets, à l’égal des injustices commises et des exactionsperpétrées, marquent les mémoires des victimes comme celles des bour-reaux et rendent incertain le succès de ce devoir d’oubli imposé par le sou-verain. La polémique religieuse avait servi d’exercice préparatoire aux brû-lots politiques des années postérieures, les libellistes comme Claude deRubys ayant trouvé à cette heure le moyen d’acérer les traits de leur plumepour les prochains combats. C’est ainsi qu’en 1577 le procureur général dela ville publie un Discours sur la contagion de peste…, qui se termine par unelongue invective contre les protestants sur lesquels sont rejetés tous lesmaux de la cité, exaltant alors le geste sacré de la Saint-Barthélemy3.

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1. E. Barnavi, Le Parti de Dieu. Étude sociale et politique des chefs de la Ligue parisienne, 1585-1594, Louvain,Nauwelaerts, 1980, p. 244.2. C.-O. Reure, La Presse politique à Lyon pendant la Ligue (24 février 1589-7 février 1594), Paris, A. Picard et

Fils, 1898.3. Discours sur la contagion de peste qui a été ceste présente année en la ville de Lyon, contenant les causes d’icelle, l’ordre,

moyen et police tenue pour en purger, nettoyer et delivrer la ville, à Lyon, par Jean d’Ogerolles, 1577, in-8°, 44 p.

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D’autre part, durant la Ligue, les presses lyonnaises mobilisent le souvenirde l’occupation de la ville par les protestants au début des guerres deReligion pour soulever les passions populaires à l’encontre des nouveauxennemis de la cité, les politiques, comme en témoigne, en 1590, ce Coq àl’asne et chanson sur ce qui s’est passé en France puis la mort de Henry de Valois,jusques aux nouvelles deffaictes…, qui doit être chanté sur l’air de« Tremblez, tremblez, Sancerre et La Charité »1.Entré dans la Ligue comme l’un des partisans les plus dévoués du duc de

Nemours, de Rubys poursuit son combat contre les protestants et les poli-tiques en publiant plusieurs ouvrages dans lesquels ces derniers sont accu-sés des maux les plus terribles dans d’éloquentes philippiques tresséesd’arguments juridiques et théologiques2. De nombreux ouvrages conservésdans les cabinets particuliers dressent ainsi entre les ennemis d’hier de for-midables barricades à une réconciliation rapide et sincère en conservantvivaces à l’esprit les diatribes de la veille3.En outre, à cette division de l’unité urbaine et à la rupture de la

concorde citadine, répond de manière que l’on peut qualifier de physique,cette déperdition d’être de la ville elle-même qui a vu le nombre de seshabitants péricliter durant ces années de troubles et poursuivre une chutesingulière. Les chiffres sont saisissants et mesurent l’écart entre le tempsde la prospérité renaissante de la ville et les lendemains difficiles de la sor-tie des guerres civiles et religieuses. Avec une certaine prudence, OlivierZeller situe entre trente et trente-cinq mille habitants maximum la popu-lation lyonnaise en 1597, chiffre qui contraste singulièrement avec les cin-quante à soixante mille habitants qu’on lui attribue généralement autemps de sa splendeur, durant les années 1550-15604. Même s’il réduitl’évaluation de la population lyonnaise des années 1550 à une estimationmoindre que celle avancée traditionnellement, il signale bien l’ampleur dela chute démographique, notée par la plupart des témoignages contempo-

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1. Coq à l’asne et chanson sur ce qui s’est passé en France puis la mort de Henry de Valois, jusques aux nouvelles def-faictes. Où sont contenus plusieurs beaux Équivoques et proverbes, P.-M. Gonon (éd.), Lyon, Impr. Dumoulin, Rosne etSibuet, 1868.2. Le Bouclier de la reunion des vrais Catholiques François, contre les artifices du Bearnoys, des Heretiques et leurs

fauteurs et adherants : par M. Claude de Rubys, Conseiller au Siege Presidial, Auditeur de Camp au Gouvernement deLyonnois, et Procureur general de la ville de Lyon, dedié a Monseigneur le Duc de Genevoys et de Nemours, Pair et Colonelgeneral de la Cavalerie legiere de France, Gouverneur de Lyon, Lyonnois, Forestz et Beaujolois, à Lyon, par Jehan Pille-hotte, Libraire et Imprimeur de la S. Union, 1589, avec permission, in-8°, 50 p. 3. Comme la Responce des habitans de Lyon, a certaine Remonstrance à eux envoyee, de la part d’ung bigarré Poli-

ticque, estant en la ville de Tours : Avec la coppie de ladicte Remonstrance, à Lyon, par Jean Pillehotte, Libraire de laSaincte Union, 1590, avec privilege, in-8°, 31 p., où sont confondus les hérétiques, les épicuriens, les« athéistes » et les politiques (p. 3), la Responce a certain pretendu Manifeste, publié et semé par ce Gouvernement, de lapart des Heretiques de Vienne, leurs fauteurs et adherans sous le nom du Sieur de Botheon, à Lyon, s.i., 1590, in-8°, 16 p.,et la Responce au cartel d’un Politique bigarré qui ne s’est ose nommer : Jecté de nuict à la porte du Sieur du Rubis. ParM.C.D.P. Le tout en vers. Avec la coppie dudit Cartel, à Lyon, par Louys Tantillon, 1591, in-8°, 7 p. 4. Pour R. Doucet, 50 à 55 000 habitants en 1550, pour R. Gascon, 60 voire 80 000 vers 1560, chiffre

ramené pour la même période à 65 000 maximum par N. Z. Davis (O. Zeller, Les Recensements lyonnais de 1597 et1636. Démographie historique et géographie sociale, Lyon, PUL, 1983, pp. 224, 231 et 245).

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rains et relevée avec régularité dans les nombreuses plaintes du consulatdurant les années 1594-1598. Pour ce dernier, il en va de l’identité et del’image d’une ville qui, en se dépeuplant ainsi, court le risque de n’êtreplus elle-même et de se voir réduite à l’état d’une enceinte vide de seshabitants, voire d’un simple village1. Il s’agit d’une dégradation indignede sa qualité contre laquelle elle tente de trouver les remèdes auprès du roidans la confirmation et l’amplification de ses privilèges articulées donc à ladémographie de la cité. Claude de Rubys, dans l’histoire de Lyon qu’ilpublie en 1604, écrit ainsi qu’il faut « pour le jourd’hui jouer pour lemoins au rabat des deux tiers pour la diminution du peuple procédée de laperte du commerce et des guerres civiles »2. À l’amplification littérairecertaine du phénomène correspond néanmoins une réalité démographiqueaux conséquences capitales pour l’image que les citadins ont de leur ville :la valeur dépréciée de celle-ci entraînant alors des incertitudes sur ladignité de ceux qui l’habitent et dont les répercussions sont sensibles dansla reconstruction du dialogue entre la ville et la royauté.

Une référence royale brouillée

À l’ordre politique troublé, à la concorde urbaine ainsi ébranlée auniveau local et à la déperdition de l’être même de la ville, répond une plusimportante déflagration encore des imaginaires politiques au niveau duroyaume tout entier. À la déstabilisation des légitimités anciennes et aubrouillage des référents contemporains dans la cité rhodanienne s’ajoute eneffet l’ébranlement formidable de l’imaginaire royal qui ordonnait autourde la figure centrale du souverain les sujets et le royaume. Sous les terriblescoups portés à l’image du roi durant les guerres de Religion et plus parti-culièrement durant la Ligue, les contemporains ont vu se dresser, alorspour les uns, le spectre monstrueux du régicide et du démembrement duroyaume tout entier, et, pour les autres, la réaffirmation heureuse de lalégitimité essentiellement religieuse du pouvoir royal et de la participa-tion directe des corps représentatifs à la direction de celui-ci.Parallèlement à la constitution du discours ligueur contre Henri III,

porté d’abord contre l’« institution iconique » du souverain, le respect de

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1. Séance consulaire du 24 septembre 1596 (AML, BB 133, fol.151vo).2. Claude de Rubys, Histoire veritable de la ville de Lyon, contenant ce, qui a esté obmis par Maistres Symphorien

Champier, Paradin, et autres, qui cy devant ont escript sur ce subject : Ensemble ce, en quoy ils se sont forvoyez de la verité del’histoire, Et plusieurs autres choses notables, concernans l’histoire universelle, tant Ecclesiastique que prophane, ou particu-liere de France. Avec un Sommaire recueil de l’administration Politique de ladicte ville. Ensemble un petit discours del’ancienne Noblesse de la maison illustre des Medici de Florence. Le tout recueilly, et ramené à l’ordre des temps, et à la vrayeChronologie, par Maistre Claude de Rubys, Conseiller du Roy, en la Seneschaussee et Siege Presi dial de Lyon, et Procureurgeneral de la communauté de ladicte ville. Dedié à Monseigneur le Chancelier, à Lyon, par Bonaventure Nugo,M.DC.IIII., in-fol., 527 p. (O. Zeller, Les Recensements lyonnais de 1597 et 1636…, op. cit., p. 234).

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sa personne et son autorité, avant d’en célébrer ensuite cruellement la miseà mort, l’éparpillement de la mémoire et la glorification du meurtrier enmartyr, la déstabilisation de l’autorité centrale ressuscitait les velléitésd’indépendance de villes et de provinces périphériques, s’imaginant alorsdes destins autonomes de la couronne de France et de sa capitale à la faveurde ses difficultés1. Sans avoir véritablement suscité et nourri l’espoir deconduire une politique véritablement indépendante de celle de Paris, à ladifférence de certaines villes favorisées en ce sens par leur position géogra-phique, le consulat lyonnais a cependant goûté un temps la saveur d’unehaute diplomatie avec les plus grands personnages de la Chrétienté catho-lique, mimant et interprétant alors les postures et les partitions des citésitaliennes voisines du temps de leur splendeur politique2.Mais c’est sous la conduite autoritaire de son gouverneur que la ville a

véritablement appréhendé alors la possibilité de son détachement duroyaume et la menace du démembrement possible de tout le territoire« national » en provinces disjointes. Ce mouvement centrifuge, nourri desambitions des principaux maîtres des provinces du royaume, est primordialpour comprendre, dans le cas lyonnais, l’insurrection contre Nemours en sep-tembre 1593 et, plus généralement, l’échec du « fédéralisme » de la Sainte-Union face aux politiques qui mettaient en avant la conservation de l’inté-grité territoriale contre la dispersion de l’héritage historique de la monarchiefrançaise. Cette description d’une unité territoriale en péril du fait des pré-tentions particulières des différents chefs de la Ligue à la tête de quelquesprovinces est l’un des topoi des discours royalistes. Dans le discours de bienve-nue qu’il tient à la compagnie des Grands Jours envoyée par le roi à Lyon en1596, Balthazar de Villars, lieutenant-général de la Sénéchaussée et siègeprésidial de Lyon, évoque, le 14 août 1596, ce danger du démembrement duroyaume et de la disparition des parties elles-mêmes après la destruction dutout3. Antoine du Verdier déplore les divisons de la France du fait dutriomphe des ambitions, moteurs de divisions dont il ne trouve l’équivalentque dans les grands troubles de l’Empire sous l’empereur Gallien, au IIIe

siècle après J.-C., lors de la longue révolte de trente de ses généraux quis’étaient proclamés empereurs dans les provinces (les « Trente Tyrans »)4.

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1. N. Le Roux, La Faveur du roi. Mignons et courtisans au temps des derniers Valois (vers 1547-vers 1589), Seys-sel, Champ Vallon, 2000, pp. 660-670. J’emprunte cette expression à G. Sabatier, « Les rois de représentation.Image et pouvoir (XVIe-XVIIe siècle) » (Revue de synthèse, juillet-décembre 1991, nos 3-4, p. 389).2. J.-M. Constant, La Ligue, Paris, Fayard, 1996, pp. 276 et 281-292.3. « Nous avions une infinité de phaétons qui s’ingéroient de gouverner ce chariot solaire et en se perdant

eux-mêmes embrasoient tout le reste », B. de Villars (BML, Ms. Fds. Gal., 1477, « Livre partie des harangues pro-noncées par M. Balthazar de Villars, président et lieutenant général en la Sénéchaussée et Siège présidial de Lyon etpremier président au parlement de Dombes et depuis conseiller du roi en ses Conseils d’État et privé », « Bienve-nue de Messieurs des Grands Jours faicte auprès de L’Arbresle en campagne, le 14 aoust 1596 », fol.103vo).4. Il évoque ainsi « plus de trente Roytelets qui estoyent autant de tyrans en autant de provinces ou villes :

voire n’y a eu si petite bicoque qui sous l’autorité de ceux là n’aye eu des autres tyranneaux » (A. du Verdier,Discours sur la réduction de la ville de Lyon…, op. cit., p. 8).

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À Lyon précisément, la résonance de ce constat évoque singulièrementla personne du duc de Nemours qui, à la tête du gouvernement de la villeet des provinces du Lyonnais, Forez et Beaujolais depuis décembre 1588,ambitionnait la constitution d’une véritable principauté, premier palierd’une prétention royale, comme ses partisans le laissaient entendre alorsaux députés des États-Généraux de la Ligue en 1593, à l’occasion des dis-cussions engagées sur les projets de mariage de l’Infante d’Espagne àlaquelle il fut question un temps de remettre la couronne de France.Soutenu par sa parenté savoyarde et guisarde et par cette future base terri-toriale, son nom était avancé pour figurer parmi les prétendants les plussérieux à cette union. Le Discours véritable et sans passion. Sur la prinse desarmes et changemens… s’efforce ainsi de rédimer les Lyonnais de toute accu-sation de versatilité en mettant en avant ce risque de démembrement ter-ritorial et en déchargeant la violence des habitants sur l’ambition etl’orgueil de leur gouverneur qui, « au lieu d’estre sur nous comme un peresur ses enfans, […] s’est evertué de nous traiter comme serviteurs, [chan-geant] l’obeyssance volontaire, en un service forcé, pour cimenter uneespece de souverainete au sang de noz citoyens »1. Dans un autre texterelatif à cet événement, les projets du duc de Nemours sont clairementdénoncés et la générosité de la ville, qui s’est résolue à son emprisonne-ment, est louée car elle n’a tendu qu’à l’« honneur de Dieu » et à la défensede « la beauté des lys francois »2. La violence et le caractère autoritaire dece prince ambitieux sont décrits précisément, particulièrement les moyensmis en œuvre pour forcer la volonté des Lyonnais.

« Autant de places qu’il prend, par un stratageme plus espreuvé qu’apreuvé, ilen fait autant de Citadelles, pour nous dompter. On ne void autour de nous, queforteresses pleines de voleries, et d’impietez. Il nous encerne dans un cercle deCitadelles, lequel il commence par Toissey, Belle-ville, Tisy, Charlieu, S. Bonnet,Mont-brison, Virieu, Coindrieu, Vienne, Pipet. Et ne luy defaillant pour le fer-mer, et nous enclorre de toutes parts, par eau, et par terre, que Quirieu, il cuideesblouyr par le lustre de cinquante mil escus […]. Le cercle de ceste tyrannieestant achevé, il ne luy reste que de tirer à nostre ville, comme au centre de l’esta-blissement de sa Souveraineté : propose pour en venir à chef, de bastir deuxCitadelles : et dit n’en avoir point, qui n’en a qu’une »3.

Sully, dans ses Économies royales, témoigne de cette ambition qui ne ten-dait à rien d’autre qu’à la royauté même à partir de la constitution de cettesouveraineté territoriale nouvelle4. Au roi et à ses plus importants agents

PROLOGUE

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1. Discours veritable et sans passion…, op. cit., p. 4.2. Discours en forme de declaration. Sur les causes des mouvemens arrivez à Lyon. Avec la Response, servant d’advertis-

sement. Ensemble des Stances du Sieur de Trelon, à Lyon, s.n. [Pierre Chastain], s.i., M.D.XCIII., avec permission,in-8°, 12+14+13 p., A 2vo.3. Ibid., p. 5 ; voir également l’Advis des causes et raisons de la prinse des armes en la ville de Lyon, pour la conser-

vation de leur liberté, à Lyon, s.i., 1593, in-8°, 23 p. 4. Les Œconomies royales de Sully, T. II, D. Buisseret et B. Barbiche (éd.), Paris, Librairie C. Klincksieck,

1988, p. 40.

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dans la région s’imposent alors les nécessités d’une action démultipliéeportant sur les principaux chefs de ce désordre générique et de ces incerti-tudes évoqués dans ce tableau rapide des conditions du retour de la ville àl’autorité royale.Au désordre des imaginaires et des légitimités politiques s’ajoute ainsi

la confusion économique et financière d’une ville assiégée, traversée pardes divisons intestines qui réduisent le lien communautaire à un idéal àrestaurer, davantage qu’il ne constitue la matrice vivace du lien civique etl’expression naïve du sentiment d’une communauté de destins solidaires.Aussi est-ce à l’étude précise de ces mécanismes d’intervention de la

royauté henricienne dans les institutions et les pratiques politiques, dansle dédale des difficultés économiques comme dans le champ des imagi-naires urbains et monarchiques qu’il s’agit de s’attacher désormais afin derendre compte du fonctionnement de l’entreprise de pacification duroyaume menée par Henri IV.

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Carte 1 : Plan de Mérian, 1655.Carte 2 : Les limites des pennonages à la fin du XVIe siècle (carte extraite de l’étude

d’O. Zeller, Les Recensements lyonnais de 1597 et 1636, Lyon, PUL, 1983, p. 249).

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