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UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME " LE TOURISME URBAIN ET LA MUSEIFICATION: Décryptage d’une notion méconnue - Concept, processus et enjeux spatiaux à Paris- " Mémoire professionnel présenté pour l'obtention du Diplôme de Paris 1 - Panthéon Sorbonne MASTER PROFESSIONNEL "TOURISME" (2e année) Spécialité Développement et Aménagement Touristique des Territoires Par Mademoiselle Amélie MARTIN Directeur du mémoire : Maria GRAVARI-BARBAS JURY Membres du jury : ..................................... : ..................................... : ..................................... SESSION DE SEPTEMBRE

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UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES SUPERIEURES DU TOURISME

" LE TOURISME URBAIN ET LA MUSEIFICATION:

Décryptage d’une notion méconnue - Concept, processus et enjeux spatiaux à Paris- "

Mémoire professionnel présenté pour l'obtention du

Diplôme de Paris 1 - Panthéon Sorbonne MASTER PROFESSIONNEL "TOURISME" (2e année)

Spécialité Développement et Aménagement Touristique des Territoires

Par Mademoiselle Amélie MARTIN

Directeur du mémoire : Maria GRAVARI-BARBAS

JURY

Membres du jury : .....................................

: .....................................

: .....................................

SESSION DE SEPTEMBRE

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" LE TOURISME URBAIN ET LA MUSEIFICATION:

Décryptage d’une notion méconnue - Concept, processus et enjeux spatiaux à Paris- "

"L'Université n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions

émises dans les mémoires et thèses. Ces opinions doivent être considérées

comme propres à leurs auteurs"

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier avant tout ma directrice de mémoire Madame GRAVARI-

BARBAS pour son accompagnement dans mes recherches.

Je remercie également les membres du cabinet Horwath HTL France pour leurs

conseils lors de l’élaboration de mes enquêtes de terrain et leur participation à l’une d’entre-

elles, ainsi que l’ensemble des personnes rencontrées qui ont accepté de me répondre au cours

d’entretiens ou d’enquêtes de terrain.

Enfin, je tiens à remercier tout particulièrement mes amis, ma famille ainsi que

Messieurs Pierre-Yves MARTIN et Hugues NICOLAS pour leur soutien sans faille, leurs

conseils et encouragements lors de la réalisation de mon enquête de terrain et de la rédaction.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ......................................................................................................5

PREMIERE PARTIE : A LA RECHERCHE DE LA MUSEIFICATION .............. 13

1. LA VILLE-MUSEE EST-ELLE UN MYTHE ? .....................................................................14

2. LES PARADOXES DE LA MUSEIFICATION, UN « VOYAGE AU PAYS DES CONFUSIONS ? » .21

3. VERS L’ELABORATION D’UN INDICATEUR DE MUSEIFICATION ? ..................................33

SECONDE PARTIE : PARIS, LE NOUVEAU « DESERT FRANÇAIS » ?

MODULATION ET UTLISATION DE LA NOTION DE MUSEIFICATION A PARIS .......................... 44

1. PARIS, L’ARCHETYPE DE LA VILLE – MUSEE ? .............................................................46

2. UNE VARIATION DU PROCESSUS DE MUSEIFICATION SELON LES QUARTIERS ..................54

3. SYNTHESE DE L’ENQUETE ET VERIFICATION DES HYPOTHESES ....................................74

CONCLUSION ....................................................................................................... 80

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................. 83

ANNEXES.............................................................................................................. 90

TABLE DES ILLUSTRATIONS ............................................................................ 97

TABLES DES MATIERES..................................................................................... 98

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INTRODUCTION

« La ville de demain va-t-elle définitivement reléguer les villes du passé au musée du

patrimoine historique ? N’est-il pas possible, au contraire, d’intégrer villes, centres et

quartiers anciens dans la vie quotidienne de l’ère électronique, de les rendre à des usages qui

ne soient pas ceux de l’industrie culturelle ? » demande Françoise Choay dans l’introduction

à l’ouvrage de Gustavo Givannoni, auteur italien du début du vingtième siècle qui

s’interrogeait sur l’avenir des villes anciennes.

Quand on regarde, près d’un siècle plus tard1, les préoccupations des aménageurs

chargés des centres anciens, il apparaît que ces espaces sont toujours soumis à de fortes

pressions et que leur avenir, hormis l’industrie culturelle et touristique, est incertain. Le risque

de se transformer en musée se profile alors pour un grand nombre de villes, surtout si l’on

considère que la spécialisation des espaces, qui entraîne une différenciation spatiale à

l’échelle de l’agglomération, tend à s’accroître. Alors, « Préserver les centres anciens et leur

permettre d’évoluer relève d’un redoutable exercice d’équilibre auquel toutes les villes

européennes sont confrontées et répondent en dosant savamment "protection" et

"évolution". » [F. Calavanus2, 2011]. C’est cet équilibre qui est en jeu lorsqu’on évoque le

processus de muséification. Ainsi, l’auteur de ces propos poursuit en expliquant : « Bayonne

ne fait pas exception à la règle, et le risque est grand que son cœur historique soit réduit à la

1 Gustavo Giovannoni a publié ces idées en 1931. 2 Frédérique Calvanus est urbaniste à Bayonne et responsable, pour sa ville, du projet européen intitulé « Links, cultural heritage city » mis en œuvre dans le cadre du programme d’échanges européens URBACT. Ce projet Links regroupe 9 villes d’Europe souffrant de la désaffection de leur centre-ville historique, considérés uniquement comme des « quartiers pittoresques et touristiques en voie de muséification et contre laquelle il convient de lutter. » Ce programme prévoit donc des échanges d’expériences entre chacune de ces villes pour leur permettre à terme, d’initier des plans locaux enrichis des expériences de chacune de ces villes.

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vitrine touristique d’un territoire pittoresque. Mettre en valeur le patrimoine en évitant

l’écueil de la muséification a été le credo la ville depuis 25 ans, mais ce n’est qu’au prix

d’efforts soutenus qu’elle a réussi à préserver un patrimoine historique menacé et à regagner

600 habitants sur les 20 dernières années. »

Ces propos tendent à souligner les problèmes d’adaptabilité des quartiers historiques à

la vie moderne, tension continue entre tradition et modernité, conservation et innovation,

passé et futur… au sein duquel se trouveraient des espaces n’ayant pas su s’adapter à la

modernité et devenus des espaces muséifiés, des villes-musées, espaces où se condenseraient

au plus haut point les diverses tensions que connaissent les espaces actuels. Selon ces propos,

ils seraient caractérisés par leur dimension touristique, voir hyper touristique, leur caractère

pittoresque et petit, leur caractère préservé et par leur dynamique de dépopulation, de perte

d’identité et d’activités.

Une nouvelle forme spatiale semble donc se développer, issue de l’incapacité à

adapter, à concilier ancienneté et modernité et liée au développement du tourisme.

Quelles en sont alors les caractéristiques, les ressorts, les enjeux ? La muséification

est-elle liée au tourisme, la conséquence d’une mise en tourisme associée à une certaine

patrimonialisation des espaces urbains ? Ou alors, est-ce seulement un terme utilisé pour

cacher d’autres réalités ? Serait-ce le résultat d’un processus de désertification des quartiers

historiques arrivé à terme et dont il ne resterait qu’un usage touristique associé à une image

symbolique survalorisée ? Ou encore, est-ce le résultat de politiques excessives de

conservation de certains quartiers historiques désormais inadaptés à la vie moderne ? La

muséification est-elle donc un phénomène protéiforme ?

De fait, lorsqu’on commence à analyser les mécanismes de ce processus, une

multiplicité de significations se superposent les unes aux autres, donnant à ce terme un sens

des plus opaques.

Ainsi, L. Davezies, donne une approche socio-économique du processus de

muséification:

« La capitale est en train de devenir une ville-musée : le patrimoine culturel et

historique attire toujours autant de touristes, et les bobos qui ont réussi à se

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maintenir dans la capitale ne ressentent pas le besoin d'un retour des emplois

industriels dans Paris. »

Cette lecture de la ville faite par L. Davezies en 2008 révèle ainsi qu’une ville peut

être qualifiée de « musée » lorsqu’elle attire beaucoup de touristes et qu’elle induit une fuite

des habitants et des emplois. Françoise Cachin, dans un article du journal Le Débat, faisait la

même lecture quelques années plus tôt en y associant en outre la notion de pouvoir :

« Le centre de Paris s’ossifie et se muséifie : tout se passe comme si, en

quelques années, ce centre géographique du pouvoir parisien, politique,

financier, commercial, était devenu le lieu d’un tout autre pouvoir, celui-là

culturel et touristique. »

Ces deux réflexions soulignent l’existence du lien entre tourisme et processus de

muséification : pour eux, la muséification est une conséquence du tourisme et engendre le

départ des autres pouvoirs vers les périphéries. Certains auteurs vont plus loin encore et

montrent que la muséification va jusqu’à signifier la mort des quartiers où elle apparaît :

« Lorsque le centre ancien est évoqué, c’est essentiellement dans sa capacité à

donner de l’image, en tant que ressource patrimoniale, le plaçant de ce fait

dans une situation tendancielle de muséification. (…) A trop vouloir

conserver les centres-villes, on les fait mourir, soit par embaumement soit par

abandon. » (F. Loyer, 1994)

Dans cet extrait, la muséification signifie donc mort de la ville, dont l’exemple même

est celui de Venise comme l’ont étudié les membres de l’équipe MIT dans Tourismes 2 :

Moments de lieux. Que peut nous apprendre cet exemple ? :

« Dans certains centres historiques prestigieux (Venise, Tolède et dans une

moindre mesure Bruges), ce processus de muséification a pris une ampleur

sans précédent au cours des vingt dernières années. Il est d'autant plus mal

vécu par les populations résidentes qu'il se double d'une désappropriation

symbolique des lieux. Le Vénitien, par exemple, voit sa ville transformée en

une sorte de Disneyland : lui qui y vit et y travaille se sent considéré comme

l'indigène d'une culture minoritaire. » (Decroly J-M, 2005)

Dans ces propos, on voit que l’habitant est toujours résident et travaille toujours dans

la ville, seulement, il apparaît que cet habitant ne se sent plus chez lui et que les lieux

symboliques qui faisaient la valeur de la ville sont accaparés par d’autres et transformés.

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L’ensemble de ces citations révèle de multiples aspects de la muséification, sans pour

autant en donner véritablement le sens: une ville muséifiée semble être une ville morte, une

ville-décor, une ville vidée de ses habitants, une ville qui perd son sens, une ville ancienne,

homogène, une ville privée de son industrie et de ses emplois, une ville divisée en quartiers,

où seul un quartier serait muséifié, qui serait le lieu du tourisme et de la culture.

Phénomène protéiforme, aux significations multiples, la muséification semble être

une notion dont les aspects se déclinent sans fin, et à laquelle on attribue tous les effets

néfastes du tourisme urbain, et qui semble être la plus grande menace qui pèse sur les villes

touristiques aujourd’hui.

Mais quel est le fondement même de cette notion ? Quand a-t-elle été créée ? Pour

désigner quel phénomène précisément ? L’ensemble de ces caractéristiques, déclinées à

travers ces citations, sont-elles vraiment toutes imputables au tourisme ? Dans quelle mesure

et jusqu’à quel point peut-on dire que la muséification résulte du développement du

tourisme ?

L’ensemble de ces citations, révèle bien que la notion de muséification, que son

processus, ses ressorts, est extrêment floue et qu’elle mérite donc d’être revue et approfondie :

présentée comme l’archétype des villes comme Venise et Bruges, elle est également évoquée

pour d’autres villes, comme Prague, comme Amsterdam, ou encore comme Paris. Le

processus évoqué est-il vraiment le même dans chacun de ces pays aux réalités si différentes ?

Comment alors, comprendre cette notion, qui tantôt, ne semble s’appliquer qu’à de très rares

villes dans le monde, et tantôt semble concerner, voire menacer, l’ensemble des villes

touristiques ?

La multiplicité des considérations sur la notion de muséification, à laquelle on associe

tous les méfaits du tourisme en ville, révèle une véritable méconnaissance du mécanisme de la

muséification, comme le soulignaient P. Duhamel et R. Knafou dans leur ouvrage Les Mondes

urbains du tourisme : « Les conséquences de ce mouvement [la patrimonialisation] sont mal

vécues et souvent mal comprises et sont à l’origine d’analyses tournant fréquemment à la

confusion. La ″muséification″ est alors dénoncée, parfois comme une stratégie délibérée,

plus souvent comme un risque ou une menace. » Cette méconnaissance pousse donc à revenir

sur la lecture de cette notion en s’interrogeant sur le lien existant entre tourisme et

muséification et en se demandant plus précisément dans quelle mesure on peut attribuer

la muséification d’une ville au tourisme.

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Il s’agira ainsi de se demander dans quelle mesure la muséification peut

constituer ou non une forme pertinente de lecture de la ville, et une forme pertinente

d’analyse des impacts du tourisme en ville.

La réponse à toutes ces questions n’est pas simple. Elle se trouve au centre de

plusieurs problématiques : celle des mutations qui affectent les métropoles européennes à

l’heure actuelle, celle des mutations qui affectent le tourisme aujourd’hui, et de la place que

l’on compte lui donner dans les centres historiques.

Le but de cette recherche serait ainsi de proposer quelques éclairages pour mieux

comprendre le fonctionnement actuel des centres historiques hyper touristiques ainsi que leur

place, qu’il s’agisse de métropoles ou de villes de moindre importance, par rapport à leur

périphérie.

L’analyse de la notion de muséification et sa déconstruction a ainsi pour objectif

d’apporter un nouvel éclairage sur la place du tourisme dans les villes et plus précisément

dans leurs centres, ainsi que sur ses impacts dans un territoire donné, afin de voir à terme

comment penser l’aménagement à venir des espaces centraux touristiques des métropoles et

villes moyennes.

Appliquée à Paris, cette étude cherchera également à répondre à la question de la mise

en tourisme de Paris, dans une dialectique centre-périphérie, avec en ligne directrice la

question du tourisme dans le Grand Paris.

Pour comprendre, analyser, et vérifier la pertinence de la notion de muséification

comme grille de lecture intéressante d’analyse des dynamiques urbaines actuelles issues du

tourisme, ce travail reposera sur deux hypothèses principales.

La première hypothèse de ce travail consiste à envisager l’existence de villes, voire de

centres-villes, qui se transforment en musées à ciel ouvert, sous l’impulsion de différents

facteurs et sous l’influence de différents acteurs, ce qui tend à brouiller la définition et la

mesure de la muséification, rendue de facto particulièrement complexe.

Cette première hypothèse permettra, entre autres, de s’interroger sur la « muséalité »

des espaces urbains [N. Navarro, 2011], dont le fonctionnement serait justement semblable à

celui d’un musée dans la mesure où les villes touristiques semblent posséder l’ensemble des

caractéristiques qui définissent un musée : le centre historique mis en tourisme se donne à

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voir, à contempler, il s’expose, et est en même temps conservé ; enfin, il constitue un

ensemble disparate de collections révélatrices de l’architecture et de l’histoire de la ville.

Cette hypothèse sera vérifiée à travers l’étude des discours des acteurs impliqués dans

l’aménagement des centres historiques, à travers l’étude de la mise en valeur progressive des

espaces urbains et de leur patrimonialisation permettant de voir dans quelle mesure ces

politiques ont conduit à une certaine muséification de ces espaces et dans quelle mesure, dans

les pratiques et perceptions des habitants, les espaces urbains sont pratiqués selon une logique

muséale.

Après avoir étudié les prémices de la construction de la notion de muséification par

l’étude des discours, perceptions et pratiques spatiales des touristes et habitants dans les

centres historiques ; après avoir distingué un ensemble de critères permettant de définir la

muséification et le fonctionnement de son processus, il s’agira ensuite de chercher à vérifier la

validité de ces critères sur un territoire donné : la suite de ce travail se fonde donc sur

l’hypothèse selon laquelle la muséification ne s’applique pas à un nombre très restreint de

villes touristiques comme Bruges ou Venise mais que cette notion peut s’appliquer à d’autres

espaces urbains, selon des modalités peut-être différentes, mais qu’elles relèvent du même

processus dans la mesure où la muséification serait un processus lié au développement du

tourisme dans les villes.

Il s’agira ainsi de se demander plus précisément quelles sont les formes de la

muséification ainsi que son mode de fonctionnement ? Comment est-ce que la muséification

se présente dans un espace donné ? Peut-on établir une typologie de la muséification dans les

villes ?

Par l’analyse des formes possible de muséification et de son mode de fonctionnement,

on cherchera ainsi à voir ce que la muséification doit vraiment au tourisme et jusqu’à quel

point ces deux notions sont liées.

Pour répondre à ces hypothèses, une méthodologie multiple a été envisagée, reposant

d’abord sur un travail bibliographique, sur un travail également centré sur l’analyse des

discours liés à la muséification, mais également sur un travail de terrain, reposant sur une

comparaison à la fois à l’échelle de plusieurs villes (à un niveau théorique), et également à

l’échelle de deux quartiers parisiens très touristiques (qui, là, nécessita un travail de terrain

approfondi). La combinaison et la confrontation de l’ensemble de ces méthodes d’analyses

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permettra ainsi de cerner et de comprendre au mieux de la notion de muséification et son

mode de fonctionnement.

La méthode utilisée sera donc à la fois quantitative et qualitative, et reposera sur une

série d’entretiens à la fois non-directifs, lorsqu’il n’était pas possible de faire autrement, et

également semi-directifs réalisées auprès des offices de tourisme, des tours operators ou

guides touristiques, des touristes, des habitants et des commerçants, des associations de mise

en valeur du patrimoine (par exemple) afin de pouvoir analyser au mieux les perceptions et

discours des acteurs impliqués dans la mise en tourisme de la ville et de son aménagement,

mais également des personnes confrontées à la question de la muséification.

La pratique de l’observation permettra de compléter la mesure de l’impact territorial

que le tourisme a pu générer sur la ville.

Enfin, deux enquêtes par questionnaires ont été élaborées. La première a été réalisée

auprès de 60 étudiants (1/3), chercheurs (1/3) et professionnels (1/3) issus du monde du

tourisme, administrée par Internet ou en face à face. Elles étaient interrogées sur leurs

perceptions globales concernant le processus de muséification et ce qui faisait sa définition.

Le but de cette première enquête étant de parvenir ainsi à élaborer une définition du concept

la plus précise possible, à la fois à partir de cette enquête, mais également à partir d’articles et

ouvrages lus au préalable, afin de déterminer divers critères nécessaires à l’élaboration de

l’enquête appliquée au terrain d’étude choisi.

La seconde enquête a été réalisée dans les rues des deux quartiers étudiés auprès de 90

personnes, à raison de 45 personnes par quartier (1/3 de touristes, 1/3 d’habitants et 1/3 de

commerçants de proximité.) Elles étaient interrogées à la fois sur leur perception globale du

quartier : historicité, esthétique, aménagement & réglementations, activités économiques, etc.

ainsi que sur leur implication pour la mise en valeur de leur quartier. Le but de l’enquête est

ainsi de distinguer le fonctionnement du processus de muséification par quartier et par profil

d’enquêté.

Les résultats obtenus de ces différentes enquêtes, de ces entretiens, et de l’observation

ont ainsi permis de comprendre le rôle de chaque acteur dans ce processus et de mesurer la

place réelle du tourisme dans le processus de muséification.

Le choix du terrain s’est révélé assez compliqué dans la mesure où la notion de

muséification est très contestée et que les villes considérées comme muséifiées sont tantôt très

rares (Venise et Bruges), tantôt très nombreuses puisqu’on a tendance à entendre que la

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plupart des centres-villes touristiques sont muséifiés. Venise, extrêmement étudiée, a donc été

écartée dans le choix d’un travail de terrain approfondi, d’autant que la barrière de la langue

constituait un obstacle non négligeable. La littérature étant assez prolifique sur la ville de

Venise, il a donc été jugé opportun de travailler sur cette ville d’un point de vue plus

théorique.

Des raisons pratiques (notamment ans le cadre de mon stage) m’ont ainsi poussée à

travailler sur une ville française, et donc à écarter le cas de Bruges, pour finalement travailler

sur la ville de Paris. Cela me permettra ainsi de vérifier cette hypothèse selon laquelle la

muséification concerne également d’autres villes que Venise ou Bruges, mais également des

capitales, des métropoles. Cela me permettra en outre de travailler sur une ville que j’apprécie

grandement et sur laquelle je n’ai jamais travaillé de manière approfondie.

L’étude sera centrée sur deux quartiers de Paris, le quartier du Marais (partie 4ème

arrondissement) et de la butte Montmartre. Le choix a été fait de travailler sur deux quartier

très touristiques - puisque ce sont dans les quartiers les plus touristiques que la muséification

semble la plus forte- mais différenciés afin de les comparer pour mesurer et distinguer si des

processus différents de muséification sont en jeu.

Ce travail s’organisera autour de deux axes qui viseront successivement à analyser les

deux hypothèses de notre travail.

La première partie cherchera ainsi à éclairer et comprendre la notion de muséification,

à souligner les différents aspects et principales caractéristiques de la notion, à partir de

lectures et d’une enquête préparatoire, permettant de cibler les principales perceptions

concernant la notion.

A l’issue de cette première partie, un ensemble de critères auront été établis, et un

travail de terrain approfondi permettra donc de vérifier dans quelle mesure ces

caractéristiques peuvent s’appliquer à un territoire donné et afin de à mesurer jusqu’à quel

point cette notion est liée au tourisme.

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PREMIERE PARTIE : A LA RECHERCHE DE LA MUSEIFICATION

Terme non-scientifique et très polémique, la muséification est un « mot-valise », à

l’image d’autres concepts tels que le « patrimoine » ou encore la « rénovation urbaine ».

Sans pour autant avoir la même teneur significative, ni la même profondeur historique

que ces concepts, il est néanmoins indispensable de revenir sur les fondements même de cette

notion, afin de mieux appréhender la place du tourisme dans le processus de muséification.

Cette partie cherche ainsi à démasquer les paradoxes, les perceptions, les codes et

processus masqués de la muséification et à connaître les impacts de ces perceptions sur la

gestion des espaces.

Un texte, écrit par P. Duhamel et R. Knafou, a servi de point de départ pour débuter

cette recherche3. C’est en effet dans ce texte que se trouve la définition la plus précise du

concept de muséification. Les auteurs évoquent une « obsession de la conservation » de la

ville qui est faite au nom de la patrimonialisation, « politique considérée généralement comme

noble », tandis que les conséquences de ce mouvement sont « souvent mal vécues et sont à

l’origine d’analyses tournant à la confusion. » C’est dans ce contexte que s’insère justement

la muséification, définie alors comme « processus qui combine la réification (…) à la

monumentalisation des lieux ».

P. Duhamel et R. Knafou, sans entrer dans le détail, affirment donc que la

muséification « relève plus souvent du phantasme ou de l’épouvantail agité au service

d’intérêts pas toujours faciles à identifier. » De plus, ceux-ci montrent que la muséification ne

concerne qu’un nombre très restreint de villes touristiques. La muséification n’est-elle alors

qu’un mythe ?

3 Il s’agit de l’ouvrage des Mondes urbains du tourisme, Belin, Paris, 2007, pp.14 ; 18-19.

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Il s’agira ainsi de revenir sur les diverses significations qui sous-tendent cette

définition : quelle différence y a-t-il entre patrimonialisation et muséification ? Entre

monumentalisation et muséification ? Entre réification et muséification ?

Cette analyse permettra alors de comprendre ce qui relève véritablement de la

muséification et ce qui relève du mythe, de souligner les paradoxes inhérents à cette notion,

pour enfin parvenir à élaborer une définition de la notion ainsi que ses principales

caractéristiques.

1. LA VILLE-MUSEE EST-ELLE UN MYTHE ?

Le point de départ de cette partie consiste à découvrir où se trouvent les espaces

muséifiés. Le manque de définition véritablement précise à propos de la muséification conduit

en effet à se demander : où sont les villes-musées ? Y a-t-il des villes-musées à proprement

parler permettant de comprendre ce qu’est la muséification ?

C’est donc à partir de l’expérience, par une analyse des perceptions et des discours que

nous commencerons cette étude afin de voir ce qui se cache derrière la notion de

muséification.

1.1. Où sont les villes musées ?

A en croire la presse, spécialisée ou non, scientifique ou non, la muséification est un

processus qui se développe dans le monde entier, comme on peut le lire dans la revue

Continuité au titre éloquent de « Menace universelle »: « On pourra objecter que le

dépeuplement est survenu dans tous les centres historiques du monde, et que tous tendent à

devenir la partie muséale de leur ville »

Cette analyse, que l’on peut lire fréquemment dans la presse4, a pu être confirmée lors

d’une enquête par questionnaire, élaborée en amont de cette recherche dans le but de

comprendre et d’analyser les discours portant sur la muséification. Administrée auprès de 60

personnes5 évoluant dans le secteur touristique, celles-ci ont évoqué 50 villes du monde, qui

4 En annexe A, quelques exemples visant à montrer la manière de traiter de la muséification dans la presse. 5 Ces 60 personnes se répartissent comme suit: 20 professionnels du tourisme, 20 enseignants-chercheurs et 20 étudiants en Master 1 et 2 « Tourisme » à l’I.R.E.S.T. Une des questions de l’enquête consistait à demander quelles étaient les villes-musées dans le monde.

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malgré leurs différences, semblent concernées par le même processus. Nous les avons

classées de la sorte :

- Les villes « mortes », dépourvues d’habitants depuis longtemps, mais extrêmement

visitées : Oradour-sur-Glane, Pompéi, Olympie, …

- Les villes « hyper touristiques » : Bruges, Venise, Florence, …

- Les capitales européennes et/ou métropoles mondiales : Paris, Berlin, Amsterdam,

Barcelone, Londres, Rome, Vienne…

- Les villes de province, souvent classées ou protégées : Québec, Bordeaux, Lyon,

Strasbourg, Colmar, Poitiers, Bayonne, …

- Les villes anciennes (souvent marquées par le Moyen-Age) très bien réhabilitées qui

ont conservé un patrimoine ancien particulier : Carcassonne, Provins, Locronan, Mont

Saint-Michel…

Ainsi, à en croire cette enquête, les villes-musées se trouvent partout et, malgré leurs

différences, sont concernées par ce processus qu’est la muséification.

Toutes les villes sont-elles donc devenues des musées ? Que nous apprennent ces

villes que l’on décrit régulièrement comme des villes-musées, sur le concept et le processus

de muséification ? Trouve-t-on au sein de chaque description de ces villes, de réelles

constantes permettant d’élaborer une définition du concept ?

1.2. Les discours sur la muséification

A partir d’une analyse rapide et non-exhaustive du discours sur la muséification au

sein de la presse française et européenne de ces dernières années6, nous avons sélectionné puis

classé une dizaine d’extraits pertinents, sélectionnés en fonction des villes qui avaient été

mentionnées dans le cadre de l’enquête par questionnaire, permettant de mettre au jour les

différences d’analyses portant sur la muséification.

Dans le tableau suivant, nous avons ainsi classé les différentes approches les plus

courantes concernant la muséification des villes :

6 Les articles sont extraits des journaux suivants : Brosio C., Burgel G., Le Vigan P., « Grand Paris, le chantier du siècle », in Le Spectacle du monde, Juin 2009. Cordelier J., « Strasbourg contre la muséification» in Le Point, 24 novembre 2010. Vanja Luksic, Delphine Saubaber, « la Moribonde est immortelle », L’Express, 30 avril 2009. Vlès V., 2005, Espaces publics et mise en scène de la ville touristique, Rapport final de recherche, Pau : Laboratoire SET-UMR 5603 CNRS-UPPA, Paris : Direction du Tourisme, 97 p. Guthleben F., Spitz M., « Secteur Sauvegardé de Colmar, bilan », Archives du journal L’Alsace, 1999.

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Type de ville Quelques extraits et mots clefs Termes associés à la muséification

Concept associé

Ville hyper touristique

« On nous prédit périodiquement sa ruine lente, son enfouissement sous les flots, sa muséification. Venise ploie sous la déferlante touristique ».

Ruine

Déferlante

Analyse liée au tourisme et à ses impacts en ville

Métropole

« L’espace public barcelonais est souvent considéré comme un musée à ciel ouvert, même si l’un de ses plus célèbres concepteurs préfère parler de « monumentalisation » (...) qui met en scène les éléments « naturels » du paysage barcelonais ou « libère » l’art. »

« On a pu dire que, depuis Haussmann, Paris est progressivement devenu « versaillais », c’est-à-dire une ville aseptisée, muséifiée. Un ordonnancement rigoureux, de l’espace a été transplanté dans Paris, tandis que la banlieue a gardé une trame urbaine beaucoup moins structurée. En restant dans ses limites intra-muros, avec une spécificité renforcée depuis l’instauration de la coupure du « périf », Paris s’interdirait de se tourner vers l’avenir. »

Musée à ciel ouvert

Monumentalisation

Aseptisé

Ordonnancement

Avenir interdit

Analyses liées à la protection du

patrimoine et son inscription dans la

modernité

Ville de province

« Mis en place depuis 1970 à Colmar, le PSMV sacralise le passé au détriment de l'architecture contemporaine. Il fait aujourd'hui l'objet d'une révision : la muséification du centre-ville ne constitue peut-être pas la solution idéale en matière d'aménagement urbain ... Ces intentions ont toutes été balayées au profit du mythe de la ville médiévale et d'une démarche érigeant le passé en valeur universelle.»

« Une France transformée en Disneyland des terroirs, avec des centres-villes médiévaux ultrabriqués, réservés aux piétons et touristes, épris d’auberge « à l’ancienne » et d’églises restaurées ? (…) Nous devons éviter le musée à ciel ouvert. Il ne faut pas figer la ville [Strasbourg]. Maintenir l’identité urbanistique ne signifie pas qu’on ne doit plus toucher à rien. L’Unesco enjoint aux responsables des sites qu’elle a distingués d’adopter un plan de gestion qui réponde à deux objectifs : la préservation du patrimoine et le refus de la muséification. »

Passé sacralisé,

érigé en valeur

universelle

Mythe

Disneyland

Eviter, refus

Figer

Préserver

Analyses liées à la réhabilitation et à l’aménagement du

territoire en général

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Ces extraits permettent ainsi de réaliser à quel point le concept de muséification est

utilisé afin de rendre compte de réalités particulièrement disparates.

La question de la muséification est ainsi mise en jeu et en débat lorsqu’une ville est

inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, lorsqu’un quartier est dans un périmètre de

secteur sauvegardé, lorsqu’il convient de revoir un plan d’aménagement (PLU, PSMV,…),

lorsqu’il convient de mettre en valeur un patrimoine, lorsqu’une ville s’ouvre au tourisme, etc.

On peut en déduire par cette rapide analyse que la muséification se trouve à la

charnière entre trois notions très vastes liées à l’aménagement du territoire. Il en résulte une

réelle confusion autour du concept de muséification que l’on peut résumer par ce schéma :

Figure 1: la muséification, un processus à la charnière entre trois grandes notions "valise"

(A. Martin, réalisation personnelle)

De fait, la muséification est décrite comme l’envers, comme la face cachée de ces

grands principes : ainsi la réhabilitation est-elle définie comme le fait de :

« Redonner à tout le patrimoine urbanistique et architectural sa pleine

capacité d’assumer un rôle utile à la société. Ce n’est pas une démarche

Réhabilitation

Tourisme urbain

Muséification

Patrimoine

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passéiste ; elle doit au contraire contribuer à la permanence de

l’enrichissement urbanistique et architectural. Elle doit être considérée

comme prioritaire par rapport à la construction en site neuf ou à la

rénovation radicale. »7

« Amener une nouvelle vitalité, rendre à la vie (un bâtiment, une

communauté, un voisinage, des activités, des affaires, etc.) ; régénérer.

Cela peut signifier l’attribution d’usages nouveaux. Ce terme s’oppose à la

conception de la « ville-musée» et n’inclut pas la revitalisation d’un

dynamisme social/économique existant, mais lui redonne un ordre et une

dimension, même dans le secteur informel. »8

La question de la muséification est donc ici abordée de façon binaire, en opposition au

principe de réhabilitation, synonyme de « régénération », alors que la muséification devient

synonyme « de démarche passéiste ».

De même, la muséification est incriminée lorsqu’il est question de tourisme urbain ou

de mise en valeur du patrimoine comme le rappelle G. Cazes dans son ouvrage analysant les

impacts du tourisme urbain. Celui-ci effectue une typologie des « effets classiques » du

tourisme urbain sur la ville, engendrant, « muséification, artificialisation, répétition

mimétique, déterritorialisation ».

Le terme est donc chargé de connotations particulièrement péjoratives : la

muséification serait en définitive le résultat d’un programme de réhabilitation ayant échoué,

ou encore d’un aménagement touristique mal préparé. Il s’agirait d’une « tentation », d’un

« écueil », d’un « risque »…à éviter à tout prix.

Associée à des concepts aussi vastes, l’étude de la signification de cette notion

nécessite donc de revenir à l’origine et étymologie même du mot. Nous faisons ainsi

l’hypothèse que les villes d’aujourd’hui relèvent en partie d’un fonctionnement muséal.

7 Recommandations du séminaire international de Saida organisé par l’UNESCO (Liban, 28-31 mai 2001) 8 Sylvio Mutual, Pauvreté et dégradation environnementale : l’avenir des villes/centres historiques. Rétrospective et Perspectives. Le cas de l’Amérique Latine et des Caraïbes. Septembre 2001

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1.3. Entre musée et muséification : y a-t-il un fonctionnement muséal des villes ?

Le Larousse9 ne donne que deux significations au terme de muséification : « action de

placer une œuvre dans un musée » ; « fait de donner le caractère d’un musée. »

En quoi est-ce que le fonctionnement et la définition du musée nous permet-il de

comprendre ce que peut-être une ville-musée ?

L’étymologie du mot, d’abord, permet d’éclairer un certain nombre de

caractéristiques : le musée, du grec « mouseion », signifie le temple, le sanctuaire, chargé de

symboles. Ceci nous laisse ainsi entendre qu’une ville-musée est d’abord dotée de symboles

particulièrement forts. Nous reviendrons par la suite sur cette dimension. Regardons à présent

ce que nous dit la définition actuelle du mot « musée ».

Aujourd’hui, un musée est une : « institution permanente, sans but lucratif, au service

de la société et de son développement. Il est ouvert au public. Il fait des recherches

concernant les témoins matériels de l’homme et de son environnement. Il les acquiert, les

conserve, les restaure, et les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation. »

Un espace muséifié serait donc en premier lieu un espace ouvert au public, qui lui est

adapté, qui est conservé, restauré et exposé à destination de ce public.

Nous pouvons résumer ce fonctionnement par le schéma suivant :

Figure 2: les trois dimensions de la muséification appliquée au musée

(A. Martin, réalisation personnelle) 9 Edition 2010. A noter par exemple que le terme n’est pas présent dans les dictionnaires des années cinquante. Le terme de muséification est donc récent. Parmi les dictionnaires classiques consultés, il apparaît que c’est au cours des années 90 que le terme se vulgarise.

Muséification → MUSEE

→ EXPOSER

→ RESTAURER → CONSERVER

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De quelle façon une ville peut-elle alors être muséale ? Nous pouvons le comprendre à

travers l’exemple de la mise en place des Villes ou Pays d’Art et d’Histoire : mises en place

en 1965 comme pendant aux Secteur Sauvegardés, leur objectif est de permettre la visite des

quartiers anciens par des guides touristiques formés et tout particulièrement, des monuments

situés dans les Secteurs Sauvegardés. En effet, les VPAH se trouvent très souvent dans des

sites protégés (Secteur Sauvegardé ou ZPPAUP)

Cette initiative constitue donc un pendant explicatif aux pratiques de conservation : il

ne suffit pas de conserver le patrimoine, mais il faut également l’interpréter et l’analyser.

C’est ainsi par ce « processus de mise en exposition, par l’usage d’outils

d’interprétation que le site patrimonial devient muséal, mais au-delà des aspects techniques,

il s’agit surtout d’un changement de système de valeurs, d’une rupture » (Gob, 2009).

En effet, le musée implique d’abord un déracinement de son emplacement d’origine.

C’est ce que dit K. Pomian en prenant l’exemple de l’outil agricole. Selon lui, du moment où

l’objet est posé dans une vitrine de musée, celui-ci ne sert plus qu’à illustrer l’outil agricole

(mais ne sert plus à faire le travail qu’il faisait auparavant).

Ce parallèle peut être effectué avec les composantes urbaines. L’objet,

decontextualisé, « change alors de statut et devient le témoin matériel de l’homme et de son

environnement, substitut de cette réalité, de ce contexte. » De fait, l’objet est alors privé de

son sens profond, initial, « le déchargeant de tout ce qui le constitue symboliquement,

historiquement et existentiellement. » [N. Navarro, 2011]

La muséification serait alors « l’extraction d’une chose de son milieu d’origine en lui

donnant un statut muséal ». Dans le cadre de la muséification, il s’agirait donc de villes, de

quartiers, de sites, ou encore de bâtiments qui seraient mis en vitrine et ne serviraient

désormais plus qu’à illustrer ce qu’ils sont.

La muséification est alors « un processus qui sépare les choses de leur contexte et

représente un arrachement à la réalité. »

Par la pratique de la conservation, de la restauration, puis de l’exposition et de la mise

en valeur des bâtiments se trouverait donc en germe le principe de muséification. C’est ce que

nous allons voir dans la deuxième partie de cette étude.

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2. LES PARADOXES DE LA MUSEIFICATION, UN « VOYAGE AU PAYS DES

CONFUSIONS ? »10

Cette première approche nous a permis de réaliser à quel point la notion de

muséification était confuse et pétrie de paradoxes.

Après avoir cherché à comprendre, par l’analyse des discours, le fonctionnement du

processus de muséification et avoir déterminé un certain nombre de ses caractéristiques, nous

pouvons donc à présent revenir à la définition fournie par P. Duhamel et R. Knafou afin de

vérifier et d’éclairer les éléments mis à jour en première partie.

P. Duhamel et R. Knafou montrent en premier lieu que la muséification est une

résultante du processus de patrimonialisation. Quelles sont donc les relations entre ces deux

concepts ?

Il s’agira donc, au cours de cette partie, de voir de quelle manière patrimoine et

muséification interagissent à travers notamment les pratiques de sauvegarde et de mise en

valeur du patrimoine : inscription au patrimoine mondial de l’humanité, plans de sauvegarde

et de mise en valeur, etc.

2.1. Aux origines de la muséification : protection du patrimoine et

patrimonialisation

L’étude de l’émergence de la prise de conscience patrimoniale [G. Di Méo, 2007], de

la nécessité de protéger monuments et espaces urbains permet de comprendre les liens entre

muséification, patrimoine et patrimonialisation et de comprendre le glissement opéré entre le

processus de patrimonialisation, souhaité, voulu, mis en œuvre par les aménageurs, et celui de

muséification, rejeté, refusé, et mis au banc des aménageurs.

Cette approche historique rapide permettra donc de comprendre quelles sont les

racines, les origines de la muséification, d’où est-ce que ce concept est issu et quelles sont ses

relations avec la notion de patrimonialisation, le but de cette partie n’étant pas de retracer

l’histoire du patrimoine, mais bien de voir de quelle manière on trouve dans les notions de

patrimoine, puis de patrimonialisation, les traces de la muséification.

10 Ibid.

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2.1.1. 1830- 1960 : La protection du patrimoine

La volonté de protéger le patrimoine s’accroît au tournant du XVIIIème siècle à la

suite de la Révolution Française où beaucoup de bâtiments et objets de valeur ont été

vandalisés. Très rapidement, quelques décrets sont promulgués afin de protéger le patrimoine,

ce qui préfigure les mesures prises au cours des années 1830 notamment avec Prosper

Mérimée, Louis Vitet, et François Guizot.

Quelle est alors la démarche de ces défenseurs du patrimoine ? La première

Commission des Monuments, créée en 1790, a d’abord pour fonction de lister et de protéger

les monuments et bâtiments tandis que les biens meubles doivent être regroupés dans des

musées. L’objectif souhaité est alors éducatif, mémoriel et identitaire. Ce mouvement ne

cesse de s’amplifier à partir de 1820 et jusqu’à la fin du XIXème siècle par l’action de

Prosper Mérimée entre autres.

Outre cette démarche d’inscription, de protection, puis de conservation, se rajoute une

dimension politique : dans le cadre de la IIIème République particulièrement, la mise en

valeur du patrimoine doit servir la République pour cimenter l’Etat, les citoyens, autour d’une

histoire commune et des symboles communs et de raviver le sentiment national.

En parallèle et par la suite, le débat sur la restauration des monuments « à

l’identique », entre interventionnistes et non-interventionnistes pose les bases du débat de la

muséification, avec en son centre la question de l’authenticité comme le rappelle F. Choay :

elle montre ainsi que pour Ruskin, le travail des générations passées donne « un caractère

sacré aux monuments, et que le passage du temps fait partie de leur essence. » Selon Ruskin,

il n’est donc pas possible de toucher à un monument, considéré comme une « relique » sous

peine de lui faire perdre son caractère authentique. Ruskin se distingue ainsi de la pensée de

Viollet-le-Duc qui intervient davantage dans la restauration d’un monument et va jusqu’à y

laisser sa marque.

Cette logique de protection des bâtiments s’appuie donc sur des valeurs relativement

modernes, issues du XIXème siècle. Ainsi, la notion de muséification a des racines récentes,

issues de ces débats.

Surtout, il est intéressant de noter que la notion de patrimoine, ainsi que des débats

engagés à ce sujet, sont issus de la pensée des historiens de l’art, ce qui a de grandes

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conséquences pour l’espace, sa mise en valeur et son aménagement comme le montre P.

Serfaty-Gazon :

« L'une [des conséquences] est que la protection des objets architecturaux ou

de sites n’inclut pas les gens qui les utilisent ou y vivent. Elle comporte donc

toujours en germe le risque de faire du façadisme, de l’immobilisme,

transformant les bâtiments et les sites en objets sentimentaux, plutôt qu'en

lieux pour l'action humaine et la dynamique de la vie sociale. Ce risque est

aussi celui de la sacralisation, dont on sait qu'elle entraîne, par nature une

réduction draconienne des possibilités d'appropriation de l'espace. La

reconnaissance officielle de la valeur de ces sites doit d'abord et surtout éviter

de basculer dans le fétichisme, c'est-à-dire dans une attitude où l'objet est

survalorisé au détriment de l'action et des relations humaines dont il n'est au

mieux qu'un aspect, un support et une matérialisation temporaire dans une

dynamique complexe et continue »

La logique de protection seule, sans impliquer la population, sans logique globale

d’aménagement, porte donc en germe ce que P. Serfaty-Gazon définit comme

« muséification », dont l’une des dimensions est donc d’induire la « simplification abusive,

l’imprécision, le romantisme » du patrimoine, sa relative perte de sens et de son historicité.

C’est ce que rappelle F. Choay :

« La ville comme objet d’art, muséifiée, devenant historique, perd son

historicité. Cette idée naît avec les découvertes de villes archéologiques et au

début du XXème siècle, aidée par l’expérience de l’urbanisation coloniale où

au Maroc, par exemple, on conserve les médinas, à côté des infrastructures

occidentales. »

Deux villes distinctes se côtoient ainsi : l’une, fonctionnelle, et l’autre ancienne. La

médina devient « historique », c’est-à-dire qu’elle est transformée en symbole d’une époque

déjà révolue tandis que la ville occidentale, moderne, devient la ville à part entière. Les

multiples couches de significations historiques de la médina (« l’historicité ») s’estompent

donc devant le symbole qui se construit.

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C’est là un des paradoxes liés à la muséification : en voulant conserver et protéger un

patrimoine, les historiens de l’art ont eu tendance à « sacraliser et figer le patrimoine de

manière trop systématique » [N. Navarro, 2011]

G. Di Méo en analyse ainsi le processus : « Dans ce principe de cession par filiation,

individuelle ou collective, il apparaît que le patrimoine établit une relation verticale

intergénérationnelle, une sorte de cheminement dans le temps qui se perd, inévitablement,

jusqu’aux origines des groupes sociaux. Il touche de ce fait aux mythes fondateurs de toute

entité sociale construite dans une certaine durée. Dès lors, il cristallise l’affect collectif, le

religieux et le sacré. Échappant souvent aux rigueurs de l’histoire dont il intègre pourtant

une mémoire très sélective, ce rapport à d’obscures origines s’inscrit dans une certaine

intemporalité. Il s’enrichit alors des vertus représentées d’une reproductibilité systématique

et assurée. Il acquiert un caractère de permanence et d’éternité. » L’objet patrimonial est

donc « distingué, raréfié, conservé, frappé d’une certaine intemporalité (même s’il est daté,

paradoxe ?), et soigneusement sélectionné… »

Or, avec la prolifération de la construction patrimoniale [G. Di Méo, 2007], ce

paradoxe s’étend à des espaces urbains entiers.

2.1.2. 1960-1990 : vers le « tout-patrimoine »11

Au cours du XIXème siècle, le monument n’est envisagé et étudié que comme

bâtiment seul. Ce n’est qu’à partir du début du XXème siècle que l’on commence, avec G.

Giovannoni, à parler de « patrimoine urbain » : on doit à la fois préserver le bâtiment mais

11 Françoise Choay analyse l’émergence du « tout-patrimoine » notamment dans son ouvrage de 2009, Le

Patrimoine en question, dans lequel elle montre l’évolution de la prise en considération de la valeur du

patrimoine urbain et son extension à un niveau mondial dès 1972 avec la Conférence générale de l’Unesco et la

Convention sur la protection du patrimoine mondial culturel et naturel. Le concept de monument historique est

alors appliqué au patrimoine universel et concerne désormais des villes et des quartiers entiers. Cette tendance

est expliquée par F. Choay comme un « complexe de Noé » où tout élément ancien doit être sauvegardé. Il est

également associé à une démocratisation et commercialisation du savoir et de la culture. Tout objet tend

désormais à être patrimonialisé. G. Di Méo explique également cette tendance par une crise actuelle de la

modernité et de ce fait, une recherche accrue des racines et identités, poussant ainsi à « créer constamment du

patrimoine ».

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également ses abords afin de « ne pas dénaturer son environnement ». Ainsi, « les ensembles

urbains appellent les même exigences de conservation et de restauration que les

monuments. » Ces principes se concrétisent d’abord, en 1906 avec la loi sur les sites12, puis en

1930 avec le périmètre de protection érigé autour des bâtiments historiques13.

En France, c’est au cours des années soixante et suivantes que ces principes trouvent

leur aboutissement, d’abord avec la loi Malraux de 1962 où le patrimoine urbain commence

véritablement à être pris en compte. Ainsi, le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur

institue un ensemble de règles de conservation et d’entretien du patrimoine urbain à protéger.

Cette vision, là encore, n’inclut l’espace et l’implication des acteurs que de façon secondaire,

le principe de conservation reste premier.

Ainsi, au cours des années quatre-vingt, montre N. Navarro, « sont instituées les

Zones de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain en 1983 (l’adjectif Paysager est

ajouté en 1993), pour la création desquelles une implication des collectivités locales et des

populations est indispensable. Ces ZPPAUP, aux règles de conservation et d’entretien moins

contraignantes que celles du PSMV, sont désormais remplacées progressivement par les

Aires de Mises en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (à la mise en œuvre plus aisée et

prenant en compte la dimension de « développement durable »). »

La mise en place de ces outils s’inscrit davantage dans une logique de construction et

d’aménagement des territoires [G. Di Méo, 2007] prônée notamment par l’UNESCO

quelques années plus tôt14 ainsi que dans un contexte de prolifération du patrimoine. Il s’agit

donc d’une « extension spatiale des valeurs patrimoniales initialement réduites à des objets,

à des bâtiments et à des lieux de taille réduite ».

Ainsi, « Les règles de classement et d’inscription, les différentes mesures et

procédures de protection et de conservation ont transformé des villages et des communes

entières, des paysages et même de petites régions (parcs naturels, nationaux et régionaux),

des quartiers urbains et des villes, des espaces industriels et maritimes en aires patrimoniales 12 Il s’agit de la Loi du 21 avril 1906 organisant la protection des sites et monuments naturels de caractère esthétique. Cette loi Pour la première fois, il était admis que le droit de propriété inviolable et sacré issu de la Révolution pouvait être limité pour préserver des beautés de la nature, pour conserver, au bénéfice de tous, des paysages remarquables ou pittoresques. 13 La loi du 2 mai 1930 sur les monuments naturels et sur les sites donne sa forme définitive à la loi de 1906 et institue donc un périmètre de protection autour des sites à protéger. 14 Recommandation de 1976 à Nairobi « en faveur d'un traitement nouveau des villes et contre la normalisation des sociétés et de leur environnement. »

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protégées (Loi Malraux, Patrimoine mondial de l’UNESCO, etc.) » poursuit G. Di Méo qui

montre ensuite que ce processus renforce la symbolique des espaces et les territorialise tout

en leur donnant un caractère muséal comme le montre N. Navarro :

« Il semble que l’apport d’éléments relevant du muséal soit un

complément à la logique de patrimonialisation dans la mesure où l’apport de

dispositifs de types muséaux permet aux pratiquants de saisir la dimension

patrimoniale des lieux ; une institutionnalisation du patrimoine permet de

circonscrire un espace protégé et d’en donner des limites autant symboliques

que physiques. » [N. Navarro, 2011]

Ainsi, N. Navarro montre que les villes patrimonialisées deviennent « des espaces

sacralisés à dimension muséale, des « pétrifications » muséales où l’urbanité ne serait plus à

même de s’exprimer. » C’est ce qui correspond, selon lui, à la muséification.

L’étude de la notion de patrimoine et de patrimonialisation nous a permis ainsi de

comprendre un certain nombre de caractéristiques inhérentes à la muséification : par la

pratique de la conservation, la ville tendrait à se figer dans le passé. Par la distanciation de la

ville exposée, donnée à voir, l’espace urbain semble perdre une partie de ses significations et

en même temps se doter de symboles nouveaux.

Nous pouvons résumer ce processus par le schéma suivant :

Figure 3: schéma récapitulatif des relations entre patrimoine et muséification

(A. Martin, réalisation personnelle)

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L’étude de la notion de monumentalisation permet de comprendre et d’éclairer

davantage ce processus.

2.2. Entre monumentalisation et muséification : une approche sacralisée et

symboliquement démesurée de l’espace

P. Duhamel et R. Knafou montrent ensuite que la muséification se définit par une

monumentalisation de l’espace. Dans quelle mesure peut-on dire que la muséification

implique vraiment la « monumentalisation » du patrimoine, voire des espaces dans lesquels ils

s’insèrent ?

Il s’agira à terme de voir comment, à travers une monumentalisation des espaces qui

va en grandissant, se trouve en germe le concept de muséification.

Pour ce faire, il convient de revenir sur la définition du monument : Quel rôle et

quelles fonctions remplissent aujourd’hui un monument ? Quels en sont les conséquences

pour l’espace ? Quelle est alors la place du monument aujourd’hui dans un espace muséifié ?

2.2.1. Les fonctions du monument dans l’espace

Françoise Choay, dans L’Allégorie du patrimoine, rappelle que le monument, issu du

latin monumentum, de monere (avertir, rappeler) est ce qui interpelle la mémoire. Il se

distingue donc de la notion de patrimoine, désormais plus floue, par sa fonction mémorielle.

Un monument est donc « un artefact élaboré par une communauté pour se remémorer ou

remémorer à d’autre générations des personnes, évènements, rites ou croyances. » Il assure

ainsi les fonctions de permanence des valeurs communautaires en « faisant vibrer le passé »,

et « rassure, en conjurant le temps. » On trouve ainsi dans l’idée de monument la notion de

« reste sublime du passé ».

Le monument, par la fonction mémorielle et identitaire qu’il occupe, est donc doté

d’une très forte symbolique. Or, F. Choay note qu’aujourd’hui, dans la mesure où l’on édifie

que très peu de monuments, c’est aux monuments historiques que sont transférées ces

fonctions. Ils sont alors surchargés symboliquement.

En effet, le monument implique la mémoire de celui qui le contemple par « la

médiation de l’affectivité », parce qu’il rappelle le passé à la lumière du présent, et dont le but

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est de maintenir et à préserver l’identité d’un groupe, d’une communauté, d’un peuple etc. Il

permet ainsi de « conserver toujours présent et vivant dans la conscience des générations

futures le souvenir de telle action ou de telle destinée. » [A. RIEGL, 2003]. C’est ce que

rappelle également K. Pomian : « Plus précisément, le visible est le sémiophore de l’invisible

: il est un objet investi de significations qui se substituent à l’invisible pour le montrer, le

rappeler ou en garder la trace. »

Dans la notion de monument, se trouve donc ancrée la dimension symbolique forte,

exacerbée par la pratique de la monumentalisation.

2.2.2. Vers la surenchère symbolique dans l’espace

Expression d’une identité, d’une histoire, doté d’une forme de sacralité, le monument

protégé est donc surinvesti de significations symboliques. Il acquiert, avec le quartier qui

l’entoure « un statut nouveau, plus prestigieux, impliquant des usages et des codes

esthétiques différents. De la protection, qui fige toujours quelque peu un site, naît une sorte

d'image idéalisée du passé, et, par là même un désir, souvent inconscient, de perfection, de

complétude de l'objet idéalisé » [P. Sefaty-Gazon, 1987].

En effet, la protection « met l'objet à distance de son utilisateur, crée chez ce dernier

une attitude essentiellement contemplative qui débouche naturellement sur une exigence de

logique et de complétude: l'objet contemplé, et auquel on ne s'affronte plus dans les gestes de

la vie quotidienne, doit être tout à fait « harmonieux», parfait, parce qu'intouché et

intouchable. » C’est cette attitude excessive qui est qualifiée par P. Serfaty–Gazon de

« muséification ». Elle explique cette attitude par la perte de lisibilité et de compréhension de

ce patrimoine monumental.

En effet, rendu désormais accessible à tous, il est approprié « non plus seulement par

des notables, des personnages influents du monde politique, économique ou religieux, mais

aussi l'homme de la rue, par exemple par voie de presse, de pétitions, etc. (…) qui intériorise

sans critique les valeurs véhiculées par la muséification. »

C’est l’analyse effectuée par C. Sandrini sur la ville de Paris. C. Sandrini a étudié la

question de la monumentalisation de la ville de Paris depuis l’Occupation. Au cours de son

analyse, l’auteur montre à quel point la population parisienne a contribué à cette

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monumentalisation de la ville et a ainsi conduit à la perte de lisibilité et de compréhension de

la ville évoquée par P. Serfaty-Gazon.

En effet, le rôle des parisiens a été prédominant dans cette monumentalisation

progressive, qui est passée avant tout par une esthétisation de l’ensemble de la ville, en raison

d’un besoin « identitaire », associant un besoin de retour au passé, alors idéalisé. Par cette

esthétisation, se construit un « processus d’idéologisation de la conception de l’image

architecturale et urbaine parisienne, où la distorsion de la réalité est présente. (…) L’image

patrimoniale n’est donc plus seulement une image narcissique participant à l’auto-

contemplation des sociétés, mais également une œuvre idéologique où un récit d’histoire

surgit des mémoires et des imaginations pour s’emparer des représentations mentales,

figuratives et formelles de la ville et de son histoire, et les transformer. »

C. Sandrini rejoint ainsi l’analyse de P. Serfaty-Gazon en montrant comment, par ce

processus de monumentalisation de la ville et par l’action des parisiens, la ville de Paris s’est

muséifiée.

Les conséquences de ces mouvements sont ensuite analysées par l’auteur, qui montre

que « L’esthétisation de Paris et l’édification de l’image architecturale et urbaine comme une

œuvre collective conduit en effet à l’attribution prioritaire d’une valeur marchande à la ville,

qui assure ainsi son statut de représentation nationale et internationale. »

De fait, l’esthétisation de la ville passe alors par une instrumentalisation du

patrimoine.

P. Serfaty-Gazon montre que pour recréer de l’urbanité en ville, on renforce justement

les espaces centraux de symboliques, d’images, on en crée même de nouvelles et

instrumentalise donc le patrimoine à des fins autres que la seule protection et conservation. Le

patrimoine est alors détourné lui aussi de sa fonction première mémorielle et identitaire. C’est

ce qu’on peut définir comme la « réification » du patrimoine.

2.3. Entre « réification » et muséification : une instrumentalisation du

patrimoine ?

Nous pouvons à présent étudier la question de l’instrumentalisation du patrimoine à

travers l’exemple des villes ayant tendance à utiliser leur patrimoine comme image de marque

en se demandant, d’un point de vue théorique, quelles en sont les conséquences pour l’espace.

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Ainsi, l’instrumentalisation du patrimoine conduit-elle à une perte de lecture des

significations d’une ville ?

Le but de cette partie consistera donc à regarder, à travers les nouvelles pratiques

patrimoniales, dans quelle mesure elles peuvent conduire à la muséification des espaces et à

se demander si l’instrumentalisation du patrimoine, la perte de son sens et de sa fonction

originelle, ne conduit pas à une perte de lecture du sens de la ville, une perte d’identification

et donc à une forme de muséification.

L’utilisation de l’image d’une ville, en ce qu’elle appauvrit ses autres significations et

images conduirait-elle alors à sa muséification, c’est-à-dire à priver le quartier de tout usage,

hormis sa fonction de représentation ? Jusqu’à quel point peut-on alors transformer un

quartier en vitrine sans le dénaturer ?

C’est à travers l’exemple des travaux de V. Vlès sur Bordeaux et Barcelone que nous

analyserons la question de la réification du patrimoine et de ce que cela implique pour la

muséification.

V. Vlès analyse la mise en scène de la ville touristique actuelle et ses impacts sur la

ville. Il montre que pour se mettre et scène, dans la logique actuelle, les villes doivent savoir

« se vendre » et ont donc recours au marketing territorial. Pour ce faire, une image de marque

de la ville est alors montrée, s’inspirant notamment de l’histoire, de l’architecture et des

particularités de la ville, conduisant à appauvrir les richesses sémantiques de la ville, cette

construction d’images réduisant la diversité des lectures possibles de la ville, surtout

lorsqu’elles cherchent à s’adapter à l’image que l’on a d’elles.

C’est l’exemple que prend V. Vlès en parlant de Bordeaux : cette ville française est en

effet, selon son étude, « passée récemment d’une léthargie profonde à des initiatives

multiples dans lesquelles l’événement et les grands travaux urbains dominent. Sa nouvelle

image d’ouverture et de « bien vivre » est construite au prix d’efforts considérables dans

l’aménagement urbain, mais au prix d’un grand appauvrissement du discours – discours

touristique, mais aussi discours de la ville (…) témoignant d’un modèle touristique en crise,

dans lequel la ville hésite sur son devenir et où l’aménagement soumis à l’empire de l’image

finit par produire un fonctionnement réduit. » V. Vlès évoque ainsi la multiplicité des travaux

engagés avec le soin de donner une image de la ville, seulement, V.Vlès montre que

l’ensemble des travaux est mené de façon à illustrer la ville du XVIIème siècle.

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Seul ce patrimoine-ci est mis en valeur, au détriment des autres périodes, réduisant

ainsi considérablement les différentes strates de la ville :

« Par le texte et par l’aménagement, Bordeaux se donne à voir sous l’angle de

sa propre période de splendeur, le XVIIIe siècle, quand, ouverte au monde

grâce à son port et déjà renommée grâce à ses vins, elle s’est parée d’un

patrimoine architectural et monumental effectivement remarquable. Le Grand

Théâtre et ses abords (le « Triangle »), mais surtout la façade offerte par les

bâtiments qui longent les quais, servent à asseoir cet aspect de l’image. Mais

cette valorisation se fait au détriment des autres ressources patrimoniales et

touristiques de la ville, et ce, d’une double façon. D’abord, le patrimoine

XVIIIe siècle est mis en exergue partout où il est identifiable, gommant quelque

peu l’intérêt d’édifices issus d’autres périodes, voire brouillant l’image

traditionnelle d’un quartier. (…) Ensuite, d’autres ressources patrimoniales

sont purement et simplement niées, voire détruites. (…) Pourtant, la longue

histoire de Bordeaux a laissé d’intéressantes traces dans la morphologie de la

ville. Un peu comme à Barcelone, il semble exister une certaine hargne à faire

disparaître l’héritage du XIXe siècle et d’une bonne partie du XXe.»

Le risque souligné par V. Vlès est donc le suivant :

« Quelle que soit la beauté de la scène aménagée, l’étude des cas barcelonais

et bordelais montrent que celle-ci peut demeurer parfois vide, vide de

significations et d’expérience humaine. Alors, sa mise en intrigue transforme

le cœur de la ville en parc à thème : la muséification, la réification de l’espace

public y tuent peu à peu l’ambiance qui avait suffi à faire son charme et qui

repose la plupart du temps sur l’usage de l’espace par les habitants. L’analyse

du fonctionnement des espaces publics montre que le danger conflictuel lié au

tourisme urbain est pour l’instant limité à ce risque de vacuité et de

banalisation. Celle-ci apparaît lorsque les récits exprimés les opérations

d’urbanisme sont pauvres de sens, simplifiés à l’extrême et fondés sur la

banalité et l’imitation. Les aménagements des espaces publics urbains

participent réellement d’un argumentaire associé à l’image de la ville, donc

hautement touristique, destiné à capter de nouveaux flux de visiteurs ou, plus

simplement, à renouveler l’idée qu’on s’en fait ailleurs, à accroître son

rayonnement. Les traitements de la forme de l’espace public urbain, les

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travaux sur leur composition, leur mise en lumière, leur ambiance sonore

transforment ces espaces de rencontres et induisent des conflits, parfois réels

mais la plupart du temps latents, entre tourisme et pratique quotidienne des

habitants. »

De fait, ces propos rejoignent la définition initialement donnée par P. Duhamel et R.

Knafou selon lesquels la « réification implique une fuite de la part des habitants » du lieu

dans lequel ils vivent : dépourvue des significations qui étaient les siennes, la ville devient un

lieu de surreprésentation qui ne fait plus sens pour ses habitants, désireux à présent de la fuir

s’ils n’entrent pas en conflit avec les touristes.

Ainsi, à travers ce rapide exemple, nous pouvons remarquer que la muséification, à

travers la question de la réification de la ville, entre en jeu par une triple dimension ici : perte

des significations multiples de la ville au profit d’une seule, départ des habitants et conflits

entre touristes et habitants restant.

En définitive, de ces propos de P. Duhamel et R. Knafou, nous comprenons donc que

le processus de muséification présente une rare complexité, doté des caractéristiques

suivantes :

Avec la notion de patrimoine, il apparaît que l’espace n’est pas pris en compte par les

historiens de l’art, ce qui a pour conséquence, par la pratique de la conservation des

bâtiments, de les figer. Lorsque cette pratique de conservation s’étend à un territoire entier,

c’est donc le territoire qui risque de se figer.

Ce n’est véritablement qu’à partir des années quatre-vingt que l’espace commence à

être véritablement pris en compte [G. Di Méo, 2007], par la patrimonialisation des territoires,

dans une logique de véritable construction, donnant au territoire des significations nouvelles,

au détriment de symboles ou histoires plus anciennes et dont la conséquence est une relative

perte d’urbanité.

Cette approche se comprend tout particulièrement à travers les notions de

« monument » et de « monuments historiques » décrits par F. Choay qui sont dotés d’une

fonction mémorielle et symbolique forte. Mais biaisés par la monumentalisation qui introduit

une distance nouvelle avec l’objet qui n’est plus regardé pour ce qu’il est mais pour ce qu’il

représente aujourd’hui. Il s’ensuite donc une perte de sens et de lecture du monument ou du

quartier monumentalisé.

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Une fois ce sens perdu, il est alors possible d’instrumentaliser un patrimoine à des fins

autres que celles initialement voulues, conduisant à une perte totale de sens. Les

conséquences pour l’espace en sont alors fortes : conflits et départ de population

notamment.

Après avoir étudié et approfondi les significations apportées par P. Duhamel et R.

Knafou, nous pouvons à présent chercher à voir de quelle façon peut se traduire dans la réalité

ce processus à travers l’exemple de la ville de Venise, pour parvenir, à terme, à déterminer un

ensemble de critères de muséification.

3. VERS L’ELABORATION D’UN INDICATEUR DE MUSEIFICATION ?

A travers l’étude de cas de la ville de Venise, il s’agit ainsi d’éclairer ou de souligner

un certain nombre d’aspects de la muséification qui n’ont pas encore pu être étudiés, de voir

de quelle façon ce processus se met en forme dans la réalité pour ensuite déterminer un

certain nombre de critères de muséification.

3.1. Partir de la théorie : l’exemple de Venise comme modèle méthodologique

Cette étude a été menée sur la ville de Venise, considérée comme la ville-musée par

excellence. Elle s’appuie à la fois sur une enquête réalisée par des étudiante du Master 1

DATT (2009-2010) portant sur les impacts du tourisme en centre-ville (Venise fait partie des

3 centres étudiés) ainsi que sur des lectures personnelles.

3.1.1. La dimension symbolique : une ville muséifiée est-elle une ville qui a perdu

son âme ?

L’étude effectuée par les étudiants de DATT aborde avant tout la muséification de la

ville du point de vue de l’image et de ses impacts sur l’imaginaire des touristes. C’est la

dimension symbolique de la ville et de son interprétation qui apparaît en premier lieu :

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« Les voyageurs s’y rendent en masse [à Venise] pour vérifier l’image qu’ils se

font de la cité et qu’ils ont façonnée à partir des discours véhiculés par les

médias et les guides touristiques. Le centre historique correspond ainsi

désormais à une mise en scène de ce que les touristes s’attendent à voir, à

savoir la « ville la plus romantique du monde » (Davis, Marvin, 2004).

C’est donc l’idée d’authenticité du site à travers sa mise en scène qui est évoquée en

premier lieu. Il apparaît alors que la muséification du centre historique se traduit par une

réelle prise de conscience des touristes que cet espace n’est plus la « vraie ville », mais que

c’est un espace construit et mis en valeur, mis en scène pour les touristes. C’est bien la

question de la réification de la ville, notamment à travers sa scénarisation qui est abordée ici

et que nous avons évoqué en première partie de l’étude.

3.1.2. La dimension règlementaire : une ville muséifiée est-elle une ville dépourvue

de liberté d’action ?

Si la ville-musée est un espace mis en scène, c’est donc qu’il s’agit d’un espace

aménagé pour les visiteurs et les touristes.

La ville aménagée devient un musée, c’est-à-dire, « un espace où est rassemblé un

certain nombre d’objets à forte valeur patrimoniale et où tout est organisé pour que les

visiteurs puissent y avoir accès. »

Ainsi, un espace muséifié est également un espace construit, pensé, réfléchi et

aménagé de la même manière qu’un musée : conservation de la collection, présentation et

exposition de la collection15, parcours de visite, plaques et panneaux d’indications,

commercialisation etc.

15 La question de la collection suppose donc qu’il y ait suffisamment d’objets à montrer. Ainsi, une ville muséifiée est donc dotée de nombreux monuments. L’exemple de la ville de Lyon est à cet égard révélateur : lors de l’inscription de la ville au patrimoine mondial de l’UNESCO, le site initial prévu, correspondant au centre ancien, a été jugé insuffisamment riche en patrimoine et a donc été élargi à d’autres quartiers de la ville, afin de donner une certaine plus-value à la candidature de la ville. En même temps, il est intéressant de noter que l’élargissement du périmètre a été pensé dans l’idée de limiter la muséification : l’hypothèse étant que plus l’espace mis en valeur est grand, moins il risque la muséification ; plus les bâtiments et espaces jugés digne d’intérêt patrimonial sont rapproché et plus les actions menées en faveur du patrimoine sont localisées à un endroit précis, plus le risque est grand.

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Il s’agit donc d’un espace fixé, figé, qui ne laisse que peu de place à la liberté d’action

de ceux qui se trouvent sur place. C’est ce que montre Yvette Marin dans son article sur les

utopies des politiques d’aménagement de la ville :

« L’ultime utopie pour les artisans de la ville, est de croire qu’on peut la

façonner à loisir, « gentrifier » ses quartiers, rénover son centre, modifier les

modes de perception des habitants afin que la ville réponde aux vœux des

politiques du moment. Or, la ville riposte. Elle assume son histoire et oppose

ses traces anciennes aux nouveaux dessins ainsi qu’aux nouveaux desseins. »

L’auteur étudie l’ensemble des aménagements urbains qui ont eu lieu dans la ville de

Londres depuis le XIXème à aujourd’hui. Dans cette étude, elle montre que figer la ville par

des politiques d’aménagements plus ou moins rigoureuses (qu’il s’agisse de rénovation

urbaine, de planification ou de conservation) est une utopie en ce que celle-ci ne cesse

d’évoluer et de « riposter » (à travers les habitants notamment) malgré les usages qu’on a

voulu lui donner ou lui imposer.

Il s’ensuit un ensemble de contraintes et de risques de conflits pour les habitants et

utilisateurs de l’espace supposé muséifié, dans la mesure où, comme le rappelle Felice

Casson, habitant et ancien magistrat de Venise : « C’est difficile d’habiter un rêve ».16

Cette tendance est d’ailleurs à mettre en relation avec l’inscription de la ville de

Venise au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. L’étude des étudiants du Master DATT le

rappelle ainsi :

« Désormais, la commune est chargée de mettre en application les

recommandations formulées par les experts de l’UNESCO concernant la

sauvegarde du cadre historique. Le lieu n’est plus seulement une ville où vivent

des vénitiens, il s’agit d’un cadre qui appartient à la communauté

internationale, et qui doit être préservé au titre de patrimoine universel. Les

pouvoirs locaux n’agissent plus uniquement au nom et pour les vénitiens, une

mission plus large leur a été confiée. La ville n’est plus totalement gouvernée

par les résidents qui sont en quelque sorte dépossédés de leurs droits à décider

de la vie locale (…) Enfin, la protection du cadre urbain, qu’implique

l’inscription au Patrimoine Mondial, oblige les résidents à suivre un certain

16 Luksic, Saubaber, avril 2009, « la Moribonde est immortelle », L’Express.

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nombre de règles lorsqu’il est question d’aménager leur appartement ou leur

quartier. Cet ensemble de normes peut être perçu comme une contrainte

morale, physique et financière par les résidents. Le manque de liberté favorise

également le départ des habitants qui recherchent davantage de

fonctionnalité. »

Ces contraintes règlementaires, cet attachement si grand à la protection, à la

conservation, à la sauvegarde et à la mise en valeur de ces espaces induit ainsi un ensemble de

contraintes dont les conséquences sont souvent la dépossession et la perte de liberté d’action

dans l’espace, le rendant de moins en moins vivable et limitant les possibilités d’appropriation

de l’espace, accroissant ainsi le risque de départ des habitants et des autres utilisateurs de

l’espace trop rebutés par les contraintes pesant sur le site, à l’image de la ville de Venise.

3.1.3. Le critère fonctionnel : une ville muséifiée est-elle une ville privée de vie et

d’activités ?

Or, lorsqu’une ville perd ses habitants et ses activités – il s’agit de la 3ème catégorie

évoquée dans l’étude du master DATT- , la possible « riposte » n’est plus là, et la ville se

replie sur elle-même.

Ainsi, on arrive à l’idée que la ville, parce qu’elle est aménagée en musée, devient une

ville morte : « il faut rappeler qu’un lieu muséifié est inhabité et que sa fonction principale

est l’accueil de visiteurs. » comme en témoigne la progression du nombre de résidences

secondaires, l’accroissement du départ de la population et la perte des principales activités de

production. Ainsi, entre 1976 et 1991, les lieux de restauration ont augmenté de 144,4 %,

tandis que la population résidente a également considérablement diminué : The Venice report

annonce ainsi que 184 000 vénitiens vivaient à Venise dans les années 1950, et qu’on n’en

comptait plus que 60 206 en 2009, soit une baisse d’un tiers de la population. Parallèlement,

le nombre de touristes a augmenté : on est passé de 500 000 touristes au cours des années

1950 à 16 millions au cours des années 2000.

Un espace muséifié serait donc un espace où la vie est devenue impossible, où

habitants et commerçants quittent progressivement les lieux.

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L’étude de cas de la ville de Venise a ainsi permis de déterminer un ensemble de

critères, qui apparaissent à 3 niveaux.

Le premier niveau est celui de l’apparence et de l’image de la ville. Il s’agit de critères

esthétiques et également symboliques : le quartier muséifié est un quartier où les touristes ont

relativement conscience de visiter un décor. Il s’agit d’abord d’une construction mentale du

côté des visiteurs. Il s’agirait, à l’extrême, d’un quartier dépourvu de son âme, de son histoire,

de ses multiples couches d’interprétations.

Le second niveau est lié à des critères plus pratiques : il s’agit d’un espace aménagé et

construit, doté de nombreux « objets à forte valeur patrimoniale » où l’activité est organisée

en fonction de ces monuments où la liberté d’action est très restreinte et où les acteurs de la

ville (habitants, ou autres) sont privés d’une certaine marge de manœuvre. Il s’agit donc d’un

quartier dépourvu de liberté, car trop réglementé.

Le dernier niveau est lié aux précédents : il s’agit d’un quartier en voie de

désertification, de perte de sa population et de ses activités économiques, qui se vide de ses

habitants aux profits de résidents temporaires. Il s’agirait donc d’un quartier mort.

3.2. Poursuivre par l’expérience : une enquête des perceptions sur la

muséification

Cette enquête, menée avant tout pour savoir quelles étaient les perceptions concernant

la muséification, a permis, à partir d’un ensemble de questions ouvertes et fermées, de

distinguer un certain nombre de critères venant compléter et enrichir ceux qui ont été

précédemment déterminés.

La question fermée consistait à déterminer les principales caractéristiques d’un espace

muséifié. Il fallait choisir entre ces cinq propositions :

- Des espaces qui ont subi des opérations de réhabilitation (façade par exemple)

- Des espaces qui concentrent un nombre élevé de musées

- Des espaces envahis par les touristes

- Des espaces privés de commerces de proximité

- Des espaces où le coût de la vie est plus élevé qu’ailleurs

Les résultats de l’enquête ont montré que le critère le plus déterminant pour désigner

des espaces muséifiés est le critère touristique. Vient ensuite le critère esthétique et paysager

(réhabilitation des façades), puis celui de la fonctionnalité : des espaces privés de commerces

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de proximités et qui concentrent un nombre élevé de musées. Le critère qui revient le moins

souvent est celui du coût de la vie.

Il était en outre possible de rajouter un critère au choix : 11 personnes ont rajouté des

éléments, 8 d’entre elles évoquant le fait qu’il s’agit d’espaces figés parce que préservés et

conservés, sans laisser de place à l’innovation ; les autres éléments évoqués étant la question

de l’authenticité de ces espaces et de leur historicité.

La question ouverte consistait à demander quels étaient les critères de la muséification.

Cette question a donc permis de déterminer un ensemble de critères plus variés : 72 termes

ont été relevés au total.

Les 3 termes les plus fréquents (ils ont été cités entre 10 et 15 fois chacun) sont :

« touristique » (cité 15 fois), « figé » (cité 11 fois) et « historique » (cité 11 fois également).

Hormis quelques critères qui ne peuvent être classés en raison de leur incohérence, les critères

ont ensuite été classés en 4 catégories, qui se recoupent avec les critères déterminés plus haut :

- les critères d’ordre esthétique (1)

- les critères d’ordre historique (2)

- les critères d’ordre réglementaire et d’aménagement (3)

- les critères d’ordre fonctionnels (4)

Au sein de chaque catégorie, ont ensuite été déterminés plusieurs critères et notées

entre parenthèses les récurrences de chaque type de critères.

Critères esthétiques

Idée de cohérence spatiale Caractère figé, artificiel

Cohérence architecturale – (2) Artificiel – (3)

Espace uniforme – (1) Carte postale – (1)

Joli/esthétique/esthétisé – (6) Léché – (1) Récu

rren

ces

Contemplé –(2) Ville décor –(1)

TOTAL 11 6

Il apparaît que les critères d’ordre esthétiques sont donc reliés à deux dimensions : la

dimension esthétique au sens positif : ce sont des espaces unis, unifiés, lissés, polissés. Rien

ne heurte le regard. Poussée à l’extrême, cette dimension peut induire ensuite un certain

nombre de critiques : l’impression d’artificialisation de l’espace et le sentiment de vivre dans

un décor. C’est la dimension péjorative des critères esthétiques.

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Critères historiques

Idée d'ancienneté Idée de perte d'authenticité

Ancien- (5) Faussement vieux – (1)

Hérité – (2) Figé dans le passé–(11)

Historique –(11) Immobilisme –(1)

Valeur mémorielle hist –(1) Moins authentique –(2)

Vieux – (1) Pastiche –(1)

Récu

rren

ces

Pittoresque –(1) Perte de sens –(2)

TOTAL 21 18

Concernant les critères symboliques et historiques, on retrouve là aussi deux

dimensions, l’une péjorative et l’autre positive : la dimension historique, ancienne du quartier,

perçue comme telle et son pendant péjoratif, induisant une reconstruction historique du

quartier à l’ancienne et l’absence de place laissée à la modernité.

On peut noter d’ailleurs que les critères péjoratifs de ces deux premiers tableaux se

rejoignent sensiblement autour de la question du manque d’authenticité. De plus, ils sont

évoqués bien moins souvent que les critères jugés positifs, ce qui va à l’encontre d’une

définition de la muséification comme entièrement négative.

Critères réglementaires et d'aménagement

Mise en valeur spatiale Idée de réglementation contraignante et sans prise en compte de la population

Accessible et adapté au public (alors que non avant) – (7) Soumis aux règles d'urbanisme –(2)

Réhabilité – (6) Conservé (5)

Aménagé –(7) Préservé – (1)

Intégré dans l'espace urbain – (1) Protégé – (5)

Mis en tourisme – (2)

Mis en valeur –(7)

Patrimonialisé –(7)

Pensé –(1)

Récu

rren

ces

Piétonnisé –(2)

TOTAL 40 13

Le 3ème critère se distingue également en deux catégories, péjoratives et positives,

faisant références aux politiques d’aménagement et d’urbanisme plus ou moins contraignantes

et prenant plus ou moins en compte la population. La distorsion entre les deux catégories n’est

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pas si étonnante dans la mesure où les personnes interrogées ne sont pas des habitants où

usager de ces espaces protégés et qu’ils n’ont pas à pâtir quotidiennement des contraintes que

provoquent ce type d’espaces sur la vie quotidienne. Néanmoins, l’étude de cas de la villes de

Venise a permis d’en souligner certaines.

Critères fonctionnels

Manque de vitalité Monofonctionnalité touristique Dynamique touristique

Peu animé –(1) Autocentré – (1) Attractif (tourisme) –(6) Départ des commerces – (4)

Beaucoup de boutiques de souvenirs – (2)

Beaucoup d'activités commerciales - (1)

Départ des habitants – (4) Beaucoup de musées – (2) Commercial –(3)

Espace dortoir – (1) Beaucoup d'hôtels et rés. sec.. – (1) Culturel – (7)

Fermé sur lui-même –(3) Monofonctionnalité –(2) Rentabilisé –(1)

Mort/sans vie –(5) Pas de travail autre que touristique –(2) Touristique –(13)

Récu

rren

ces

Non créatif –(1) Réservé à une certaine population –(2) Très visité/fréquenté –(2)

TOTAL 19 12 33

Le 4ème critère concerne la nature de l’espace, son dynamisme, les activités et les

hommes qui y sont présents. Il a été divisé en 3 sous-catégories : la catégorie nettement

péjorative, qui induit que l’espace est en cours de dévitalisation et de désertification. On

remarque que cette catégorie n’est pas la plus importante des trois. Une seconde catégorie

concerne la nature des activités effectuées et l’idée de la mono fonctionnalité. Enfin, la 3ème

catégorie, qui se confond parfois avec la seconde, concerne les dynamiques qui agitent le

quartier muséifié, dynamique souvent orientée autour d’une activité : le tourisme (dans

laquelle est comprise la culture).

En définitive, l’étude a donc permis de distinguer ces critères :

Critères esthétiques Cohérence spatiale Caractère figé

Critères historiques Historicité Manque d'authenticité Critères réglementaires et

d'aménagement Mise en valeur spatiale Contraintes règlementaires

Critères fonctionnels Manque de vitalité Monofonctionnalité touristique

Dynamique touristique

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Comme le montre le graphique suivant, les termes les plus fréquents sont ceux qui ont

trait à la mise en valeur spatiale (23%), puis, à la dynamique touristique (19%), puis à

l’historicité (12%).

Viennent ensuite rapidement les critères péjoratifs : ceux qui ont trait au manque

d’authenticité (13% en tout) et au déclin (11%), aux contraintes règlementaires (8%) et à la

monofonctionnalité (7%). Le critère esthétique ne vient qu’en dernier avec 6% de récurrences.

6%3%

12%

10%

23%8%

11%

7%

19% Cohérence spatiale

Caractère figé

Historicité

Manque d'authenticité

Mise en valeur spatiale

Contrainte règlementaire

Manque de vitalité

Monofonctionnalité

Dynamique touristique

Figure 4: les différents critères de la muséification

(A. Martin, réalisation personnelle.)

En définitive, ces deux études ont donc permis de déterminer un ensemble de critères

et de catégories propres à la muséification.

On retiendra de la première enquête, en cohérence avec la première partie de notre étude les 3

grands critères de la muséification :

- les critères d’ordre symboliques (parmi lesquels se trouvent les critères esthétiques et

historiques également)

- les critères d’ordre plus pratiques liés à l’aménagement urbain et à l’architecture.

- enfin, les critères liés à la fonctionnalité et dynamique des espaces.

Ces analyses ont également permis de réaliser que la muséification est un processus

qui ne semble pas uniquement péjoratif, contrairement à ce qui est entendu et écrit, mais

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présente également des aspects forts positifs, que la seconde étude a permis de mettre

davantage au jour, et que ces critères se trouvent même devant les critères péjoratifs.

Enfin, ces études ont permis de montrer (ce qui sera analysé plus avant dans la suite de

notre travail) le rôle de chaque acteur dans le processus de muséification : aménageurs et

acteurs de la ville, par leurs règlements parfois trop contraignants qui limitent toute marge de

manœuvre en ville, les touristes et professionnels du tourisme, par les imaginaires et

création/renforcement d’imaginaires qui tendent à réduire le champ de lectures de la ville, les

habitants par leur départ des centres-villes et leur manque de mobilisation.

Pour conclure, nous pouvons donc élaborer ce schéma récapitulatif :

Figure 5: Le processus de la muséification

(A. Martin, réalisation personnelle)

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Il s’agit à présent de voir quel est le rôle de ces acteurs dans le processus de

muséification et de chercher à mesurer comment chacun des critères déterminés peuvent se

traduire différemment selon les espaces étudiés.

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SECONDE PARTIE : PARIS, LE NOUVEAU « DESERT FRANÇAIS » ?

MODULATION ET UTLISATION DE LA NOTION DE MUSEIFICATION A PARIS

Cette question provocatrice posée par L. Davezies revient sur un débat qui a marqué

des années d’aménagement du territoire en France, et suggère une inversion des rôles par

rapport à 194917. Paris ne serait plus le centre névralgique de la France, où l’ensemble des

pouvoirs se concentrent, mais une coquille vide d’où la population, les activités économiques,

les administrations se retirent peu à peu.

Ces propos tendent à souligner que la ville serait en cours de muséification, à l’image

de villes comme Venise ou Bruges.

Qu’en est-il réellement ? Jusqu’à quel point peut-on dire que la ville de Paris se

muséifie et à partir de quels critères ? C’est ce que nous allons chercher à étudier et à voir

dans quelle mesure elle peut se décliner différemment dans l’espace.

Dans la première partie de notre travail, nous avons pu décliner les différentes

modalités d’expression de la muséification dans les espaces urbains et établir ainsi un

ensemble de critères caractérisant la muséification.

Il s’agit à présent de voir la dynamique et la place de ce processus au sein de différents

espaces urbains et de voir comment il peut se moduler selon les lieux où le processus est en

jeu : le processus de muséification s’exprime-t-il différemment selon les espaces ? Comment 17 Il s’agit de l’allusion au texte de J-F. Gravier, écrit au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Paris et le désert français.

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est-il traité par les acteurs qui ont la charge d’aménager les quartiers, par ceux qui les visitent

et par ceux qui les vivent ? Quel est le véritable rôle des touristes et du tourisme en général au

sein de ce processus ? L’ensemble des critères déterminés en première partie de cette étude,

se retrouvent-ils au sein de chaque espace urbain muséifié ?

Il s’agit de poser l’hypothèse selon laquelle la muséification ne s’applique pas à un

nombre très restreint de villes hyper touristiques18 comme Bruges ou Venise mais que cette

notion peut s’appliquer à d’autres espaces urbains touristiques d’Europe19, (métropoles,

capitales, villes de province etc.), et qu’elles relèvent du même processus dans la mesure où la

muséification serait un processus lié au développement du tourisme dans les villes.

La démarche méthodologique qui sera effectuée consistera, à partir des résultats de la

première partie, à analyser le processus de muséification dans deux quartiers de Paris

différenciés afin de voir comment se déploie et se traduit ce processus dans un territoire. Un

indicateur de muséification sera ainsi construit20.

Comment donc est-ce que la ville de Paris est-elle concernée par la muséification ?

Peut-on appliquer l’ensemble des critères déterminés en première partie à cette ville ?

Après avoir rappelé brièvement les grandes caractéristiques de cette ville au regard de

la notion de muséification, nous chercherons à vérifier cette hypothèse auprès de deux

quartiers spécifiques de la ville : le quartier du Marais et la butte Montmartre, pour ensuite

analyser la place du tourisme dans ces quartiers et sa relation avec la muséification.

18 « On parle de ville touristifiée lorsque le lieu urbain préexistant est subverti par le tourisme, au point que le tourisme domine dans l’espace comme dans l’économie et qu’il ne subsiste guère de fonctions autres que banales, dévolues au service des habitants permanents (Venise, Saint-Tropez, etc.). La ville (exemple, Venise ou Saint-Tropez) ou le quartier généralement central (Bruges) se trouve alors dans un état de dépendance mono-fonctionnelle. » Définition disponible sur géoconfluences.ens-lyon.fr 19 Selon la typologie effectuée par Freytag, et reprise par P. Duhamel et R. Knafou dans « Le tourisme dans la centralité parisienne » in La Métropole parisienne, Chapitre 2, p. 42, Belin, Paris. La classification se trouve en annexe. 20 Néanmoins, dans la mesure où ce processus recouvre de multiples réalités et que nous cherchons à en avoir un aperçu d’ensemble, nous souhaitons rappeler que cette étude ne se prétend pas exhaustive : à travers les enquêtes, entretiens et observations menées, un ensemble de tendances seront vérifiées, mais nous estimons que des études approfondies appliquées à chaque critère de la muséification permettraient d’avoir une compréhension complète de la notion.

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1. PARIS, L’ARCHETYPE DE LA VILLE – MUSEE ?

Au regard de l’enquête par questionnaire effectuée en début de recherche, Paris

semble en effet être l’archétype de la ville-musée : pour 37 personnes sur les soixante

questionnées, soit 62% des enquêtés, la ville est muséifiée.

Pour autant, pour la plupart d’entre eux, la ville n’est pas muséifiée dans son

ensemble, mais seulement par quartiers, rues ou même quelques monuments et leur

environnement proche.

La muséification à Paris semble donc très localisée et recouvrir de multiples réalités et

se traduire différemment selon les espaces concernés.

Les résultats de l’enquête par questionnaire ont ainsi permis de déterminer une

cartographie du Paris muséifié qui se superpose ainsi au Paris monumental et touristique, ce

qui nous permet d’envisager que « la monumentalisation desservirait donc les objets qui sont

mis en valeur » [J-C. Bailly, 1994].

Les deux cartes suivantes permettent de mesurer le lien entre le Paris touristique, le

Paris monumental et le Paris muséifié :

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Figure 6: L'espace touristique parisien

(Source : P. Duhamel et R. Knafou, « Le tourisme dans la centralité parisienne » in La Métropole parisienne)

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Figure 7: Paris muséifiée

(A. Martin, réalisation personnelle)

Mais si nous pouvons voir où se trouve la muséification à Paris, nous pouvons à

présent chercher à voir et à vérifier quelles en sont les dimensions.

Comment donc se présente la muséification à Paris ? Quels éléments permettent

d’envisager que la ville soit muséifiée ?

Nous pouvons dès à présent supposer que le tourisme a une place importante dans ce

processus, mais que d’autres éléments peuvent être pris en compte : surchargée

symboliquement, la ville de Paris suscite des imaginaires extrêmement forts à la fois par son

histoire, par sa beauté, et par sa diversité.

Paris est également la première ville touristique du monde où se pose de plus en plus

la question de la diversification de ses activités économiques et commerciales.

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Enfin, la ville est soumise à une réglementation extrêmement contraignante en termes

d’urbanisme qui ne laisse que peu de place à la créativité architecturale et pose la question de

la place de la modernité au sein de la ville.

1.1. La dimension symbolique à Paris : une ville rêvée et imaginée conduit-elle à

figer la ville ?

« Paris, mythe moderne. Il parait sans cesse de nouvelles

œuvres dont la ville est le personnage essentiel et diffus, et le nom de

Paris qui figure presque toujours dans le titre, avertit assez que le

public aime qu’il en soit ainsi. Comment dans ces conditions ne se

développerait-il pas en chaque lecteur la conviction intime, qu’on

perçoit encore aujourd’hui que le Paris qu’il connaît n’est pas le seul,

n’est pas même le véritable, n’est qu’un décor brillamment éclairé,

mais trop normal, dont les machinistes ne se découvriront jamais, et qui

dissimule un autre Paris, le Paris réel, un Paris fantôme, nocturne,

insaisissable, d’autant plus puissant qu’il est secret, et qui vient à tout

moment se mêler dangereusement à l’autre. (…)On est ainsi en

présence d’une description mythique de la capitale : la fissure idéale

qui séparait le Paris des apparences du Paris des mystères est comblée.

Les deux Paris qui, au début, coexistaient sans se confondre sont

maintenant réduits à l’unité. Le mythe s’était d’abord contenté des

facilités de la nuit et des quartiers périphériques, des ruelles inconnues

et des catacombes inexplorées. Mais il a gagné rapidement la pleine

lumière le cœur de la cité. »

La première dimension caractérisant la ville de Paris comme ville muséifiée est bien

celle qui concerne le domaine symbolique, comme le montre R. Caillois lorsqu’il évoque « Le

mythe de Paris », en soulignant qu’il s’agit d’une des rares villes du monde où le mythe, où le

rêve et la réalité s’entremêlent.

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Paris semble en effet être surchargée symboliquement : par son histoire, par sa beauté,

la ville suscite en effet l’imagination, par la littérature notamment. Les ouvrages d’E. Hazan21

de K. Stierle, ou de encore de M. Pénet le montrent bien : à travers les discours portés sur la

ville de Paris, qu’il s’agisse d’écrits ou de chansons (Mercier avec ses Tableaux de Paris,

Balzac, Nerval, Zola, Baudelaire, Walter Benjamin avec le Livre des passages, dans lequel il

fait de Paris la capitale du XIXe siècle, etc.) ces trois auteurs s’attachent à montrer la diversité

de la ville et des signes qui la composent. [K. Stierle, 2001]

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont ainsi noté, dans le cadre d’une étude sur

la ville de Paris que sur une année seulement (l’année 1997), on avait compté 190 nouveaux

ouvrages édités sur Paris. A ceci s’ajoute également l’iconographie, la filmographie (Isabelle

Fierro, expliquent également les sociologues, a ainsi recensé 980 films ayant Paris pour décor

ou pour thème, sans compter les documentaires, actualités et productions télévisées.), et la

photographie. Les auteurs soulignent ensuite à quel point ces représentations immatérielles et

les imaginaires qui en découlent contribuent considérablement à construire la réalité de la

ville d’aujourd’hui. De fait, expliquent-ils, « la force de la mythologie parisienne s’exprime à

travers une foule de chansons, d’hier et d’aujourd’hui, et (…) les écrivains, les cinéastes, les

artistes, les chercheurs participent à al construction continue du mythe de Paris. »

Paris apparaît ainsi comme une ville rêvée : l’exemple de Notre-Dame de Paris nous le

rappelle : « elle semble être le point focal qui représente la capitale dans l’esprit des touristes

(avec la Tour Eiffel). (…) Notre Dame comme centre de la France ? Sans aller jusque là, il

est facile de voir que le site rejaillit sur le quartier qui l’entoure. Ainsi l’île Saint Louis est

habitée par une « ambiance » particulière, celle d’un quartier à l’ancienne, d’un village au

cœur de la capitale, et les deux îles, aux dires des guides touristiques (Encyclopédie du

voyage) seraient la « mémoire de Paris ». La Cité et l’île Saint Louis sont donc vues au

travers le filtre des romans, des films sur le Paris médiéval, un Paris mythique bien sûr, qui

n’a jamais existé, un Paris inspiré du roman de Victor Hugo, mais qui conditionne

l’expérience des touristes qui découvrent Notre Dame et ses alentours. »22

21 E. Hazan, L’Invention de Paris, il n’y a pas de pas perdus, 2002. K. Stierle, La Capitale des signes. Paris et son discours, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2001 22 Propos extraits du Diagnostic touristique du 4ème arrondissement de Paris, réalisé par la promotion M1 DATT sous la direction d’A.Chapuis et A-C. Mermet, 2009-2010.

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Quelles sont donc les conséquences d’une telle interaction entre rêve et réalité au sein

d’une ville ?

J-C. Bailly explique ainsi les risques que peuvent encourir une ville : puisque Paris,

comme d’autres villes, telles que Prague par exemple, ont pu être épargnées par les

destructions de la Seconde Guerre Mondiale, ces villes sont des lieux où se mêlent mythes et

images, histoires et symboles. La tentation est grande, explique encore J-C. Bailly, de faire

revivre ces mythes et de « se travestir pour que Paris ressemble à l’image préconçue que les

visiteurs en ont. »

Somme toute, J-C. Bailly rappelle ici la puissance symbolique qu’exerce Paris sur les

imaginaires touristiques et les conséquences que cela peut sur la ville : une

instrumentalisation du patrimoine, et à terme, une certaine muséification. En effet, un

imaginaire touristique se définit par l’ « ensemble d’images et des processus de mises en

relations dynamiques de ces images qui confèrent, pour un individu et/ou un groupe, une

signification et une cohérence à la distribution, à la localisation, à l’interaction de

phénomènes dans l’espace » 23. Ainsi, un imaginaire touristique est caractérisé par l’ensemble

des images et des stéréotypes qu’un touriste peut avoir sur une destination et qu’il s’attend à

voir et qu’il cherchera à voir sur le territoire qu’il visite. De fait, l’imaginaire touristique

conduit à construire un paysage, un lieu touristique et donne souvent une représentation figée

d’un territoire.

J-C. Bailly analyse ce processus par l’expression : « l’attrait et la destruction » : « tout

se fait comme si une image de Paris se surimposait à la ville réelle, comme si un regard

d’agence de voyage décidait de la forme même qu’il convient de donner à la ville. » Il en

résulte une carte du Paris muséifié, de Paris divisée entre des zones plus ou moins laissées à

elles-mêmes et celles « qui sont vouées à produire l’image et la conformité. La

monumentalisation dessert donc les objets qui sont mis en valeur».

Ainsi, le Marais est vu par les touristes comme le « cœur préservé du Paris

historique », un « musée à ciel ouvert », et « L’image dominante évoque l’élégance, la

majesté de ce quartier. Selon certains sites, on y trouverait les « plus belles adresses de Paris

», et une « harmonie toute particulière », par exemple dans l’île Saint Louis. Les guides

23 B.Debarbieux, in J. Lévy et M. Lussault, 2003, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,

Paris, Belin.

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signalent les « vieilles façades », le tracé sinueux des rues, le « treillis de ruelles étroites », le

pittoresque qui ressort de ce quartier, comme lorsque l’on passe rue Quincampoix. Là encore

se dessine l’image d’un Paris médiéval, un peu hors du temps, loin de l’image en tout cas

d’une ville très moderne. Le quatrième, grâce au plan de sauvegarde du Marais, serait une

sorte d’image vivante d’un Paris idéal, à l’ancienne, majestueux et royal »24.

Est-ce pour autant que la ville reste figée et cloisonnée par ces imaginaires passéistes ?

L’exemple du Marais semble montrer le contraire en raison de la diversité des tendances et

réalités qui l’animent : « Pourtant, paradoxalement, le quatrième n’est pas figé dans cette

image de quartier musée. Son côté « à l’ancienne » ne signifie pas du tout passéiste,

prisonnier du passé. Au contraire, le quatrième allie de façon surprenante sa dimension

historique à une image dynamique, moderne. Deux imaginaires s’affrontent, ou plutôt se

rencontrent et se complètent. Le quatrième est aussi un quartier branché, tendance, hype. »25

A travers cette image passéiste d’une ville surchargée de symboles se pose ainsi la

question du rôle des aménageurs chargés de faire entrer Paris dans la modernité, dans le

XXIème siècle, chargés d’intégrer le centre de Paris, Paris intra-muros à sa périphérie.

1.2. Une ville entièrement tournée vers le passé ?

La deuxième dimension caractérisant la ville de Paris comme ville muséifiée est celle

qui concerne le domaine règlementaire et urbanistique : il s’agit de voir que la ville de Paris

est figée par un certain nombre de contraintes (la hauteur de ses immeubles par exemple).

Il convient en effet de rappeler ici que la ville est soumise à de fortes règlementations

d’urbanisme : PLU, PSMV… ce qui ne laisse qu’une faible marge de manœuvre pour

l’innovation architecturale.

C’est ce que montre R. Le Goix : « Si Paris peut aujourd’hui passer pour une ville-

musée, elle le doit avant tout à ses législations protectrices, à un renforcement du

fonctionnement d’une ville de l’entre-soi et à la frilosité des politiques ayant du mal à

24 Propos extraits du Diagnostic touristique du 4ème arrondissement de Paris, réalisé par la promotion M1 DATT sous la direction d’A.Chapuis et A-C. Mermet, 2009-2010. 25 Ibid.

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favoriser la production des marques du XXIème siècle, ne serait-ce qu’en vue d’alimenter de

futurs héritages. »

Ainsi, la question de la muséification à Paris s’insert dans un débat très polémique et

politisé, lié aux débats sur la réglementation urbaine dans Paris intra-muros, sur la

gentrification, la métropolisation et, plus globalement, à l’avenir de la ville de Paris

métropole.

C’est ce qu’on peut noter dans les débats sur le Grand Paris où le « petit-Paris » doit

pouvoir s’intégrer à la métropole, future « ville-monde », malgré ses petites dimensions et

malgré son architecture. En effet, Paris intra-muros (dont la limite matérielle est le boulevard

périphérique, achevé en 1973) ne pèse plus, aujourd’hui, qu’à peine 10% de la surface de

l’agglomération parisienne, soit un peu moins de 200 km² (sur 2 000 km²), et 1/6 de sa

population, soit 2 millions d’habitants (sur 12 millions). Ainsi, dans les discours sont souvent

pointés la dimension passéiste d’une ville qui ne serait plus capable de s’adapter aux

mutations contemporaines et aux besoins nouveaux, conduisant de la sorte à une dé-

densification du centre.

Se pose ainsi la question de l’avenir de Paris intra-muros, dont on constate depuis des

décennies une perte de population qui devrait se poursuivre comme l’analyse l’INSEE qui

envisage un recul de 0,3% de la population parisienne par an à l'horizon 2020, résultant

«d'abord de la saturation de l'espace urbain de Paris intra-muros et du fait que la très légère

augmentation annuelle du parc de logements (environ 2000 par an) est absorbée pour près de

la moitié par la progression du parc de résidences secondaires (environ 800 par an)».

Cette analyse conduit ainsi à s’interroger sur la troisième dimension du processus de

muséification : si Paris perd sa population de façon constante, est-elle une ville privée de vie

et d’activités ? Est-elle alors en train de mourir ? Peut-on vraiment, comme il a été analysé

pour Venise26, imputer au tourisme cette tendance récurrente de la ville à perdre population et

activités ?

26 C’est ce que montre P. Costa, ancien maire de Venise à propos de la monofonctionnalisation de sa ville : « Si tout dépend du tourisme, il n'y a plus de vie urbaine, seule une collection de musées ».

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1.3. La ville de Paris est-elle une ville privée de vie et d’activités ?

« Avec les transformations profondes et spectaculaires qui

affectent le décor et l'espace urbain, le contenu et le contenant de la

ville, mais aussi son attractivité et sa signification, le tourisme joue un

rôle croissant qu'il devient injustifiable de négliger »

Par ces propos, G. Cazes insiste sur l’importance d’étudier la place croissante du

tourisme à Paris. En effet, Paris est l’une des destinations de tourisme urbain les plus

anciennes dans le monde et les plus fréquentées avec 60 millions de visiteurs français et

étrangers par an ; avec un chiffre d’affaires de 17 milliards d’euros en 2008 ; et enfin,

générant 600 000 emplois directs, indirects et induits27.

De fait, les impacts du tourisme sur la ville peuvent donc être majeurs comme le

montre G. Cazes, qui évoque justement celui de la muséification notamment à travers la

question de la monofonctionnalisation touristique : « De façon générale, les cœurs de villes

historiques avec leurs rues étroites et tortueuses, leurs plateaux piétonniers, leurs commerces

de luxe, leurs hôtels et restaurants de caractère, leur patrimoine monumental mis en scène et

en lumière, leurs parcours de visite-découverte avec haltes photographiques recommandées

entrent dans cette logique de spécialisation fonctionnelle et de ségrégation spatiale. »

Se pose donc à Paris la question d’une monofonctionnalisation touristique croissante

et de ses effets dans la mesure où se constate de plus en plus « le départ des emplois

industriels du centre de Paris ». (L. Davezies, 2008)

Il s’agit à présent de vérifier dans quelle mesure ces dimensions sont présentes dans

les quartiers parisiens que nous allons étudier.

2. UNE VARIATION DU PROCESSUS DE MUSEIFICATION SELON LES QUARTIERS

Rappelons que l’hypothèse de cette partie consiste à dire qu’il existe des quartiers ou

des villes muséifiées à divers degrés et qu’il serait possible d’établir une typologie des

espaces ou villes muséifiées.

27 Données de l’IAURIF, 2008-2009.

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Pour ce faire, il semble donc nécessaire d’étudier au moins deux quartiers bien

différenciés.

Pour des raisons pratiques ainsi que d’intérêt personnel, le choix a été fait de travailler

sur la ville de Paris et de se pencher sur deux quartiers parisiens bien distincts à la fois

spatialement, sociologiquement, historiquement, architecturalement :

- le quartier du Marais (partie IVème arrondissement)

- le quartier de Montmartre

Ainsi, on pourra se demander si l’on peut-on réellement parler de muséification pour

des quartiers aussi différents que le quartier du Marais et le quartier de Montmartre ? Le

processus passé ou en cours dans ces quartiers est-il réellement le même ? Répond-il aux

mêmes logiques ? Etudier deux quartiers différenciés permettra ainsi de mettre au jour

différents aspects de la muséification et ses différents processus.

1.1. Le choix de deux quartiers bien différenciés

Le choix de cette ville et de ces quartiers est justifié tout d’abord par les polémiques

qui entourent la ville de Paris concernant la muséification notamment dans les débats

politiques lors des élections municipales. La muséification a par exemple été à plusieurs

reprises l’un des thèmes de B. Delanoë lors de débats pour les élections municipales. De

même, il s’agit d’un des thèmes retenu dans le programme de Dominique Bertinotti, maire du

4ème arrondissement de Paris. C’est une des raisons pour lesquelles le 4ème arrondissement a

été choisi.

De plus, il a semblé intéressant de travailler sur une ville non pas qualifiée

complètement de musée, (comme Venise ou Bruges), mais de travailler sur une ville où la

question se pose et au sujet de laquelle nous serons amenés à trancher au fur-et-à-mesure de

l’étude.

En outre, la ville de Paris est une ville hyper touristique, la ville la plus visitée au

monde, dotée d’un imaginaire touristique très fort, d’un nombre élevé de monuments –critère

important de notre étude- qui a fait l’objet de classements mondialement connus et de

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politiques d’aménagements et de conservation qui font référence en la matière (inscription au

patrimoine mondial de l’UNESCO, Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur…).

Ce choix a en outre été confirmé par les résultats de l’enquête préparatoire réalisée

auprès de soixante professionnels du tourisme puisque Paris a été citée 37 fois (sur un total de

60 réponses) comme ville muséifiée. Si ce résultat doit être relativisé en raison de la

localisation géographique des enquêtés (la majorité habitent à Paris), il est néanmoins à

prendre en compte.

Enfin, le choix des deux quartiers de Montmartre et du Marais a été effectué pour les

mêmes raisons : il s’agit de deux quartiers dotés d’un imaginaire touristique très fort en

France comme à l’étranger, de deux quartiers très touristiques, riches architecturalement,

dotés de monuments et musées très visités… Enfin, l’enquête par questionnaire a également

établi ces deux quartiers comme les plus muséifiés de la ville de Paris : le Marais comme

Montmartre ont été cité 20 fois comme les quartiers les plus muséifiés, le IVème

arrondissement à également été cité 16 fois, tout comme l’Ile de la Cité et Notre-Dame, tandis

que la place du Tertre a été citée 15 fois.

Le choix de chaque périmètre d’étude a répondu à un ensemble de critères (identiques

pour les deux quartiers) :

- La taille du quartier ne devait pas être trop étendue, devant se limiter à quelques rues

et une ou plusieurs places afin d’éviter une trop grande dispersion au cours de

l’enquête.

- Il devait s’agir d’un espace condensant un nombre important de touristes.

- Il devait également comporter un ou plusieurs monuments majeurs et quelques autres

monuments d’intérêt secondaire.

- Le quartier du Marais devait comprendre une partie au moins du périmètre du

PSMV28.

Ainsi, le périmètre d’étude du quartier du Marais est constitué des deux quartiers

administratifs que sont le quartier Saint-Merri et le quartier Saint-Gervais, constitué de

plusieurs bâtiments et rues remarquables comme le centre Pompidou, le mémorial de la

Shoah, le musée Picasso, ou encore la rue des Rosiers ainsi que les nombreux hôtels

28 Le périmètre du PSMV est disponible en annexe.

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particuliers qui parsèment le quartier. Le quartier Notre-Dame a été exclu en raison de la

particularité du quartier : l’île de la Cité est en effet coupée en deux administrativement ; de

plus, il s’agit de deux îles, réalité géographique bien particulières qui donne à ce quartier une

grande spécificité. Le quartier de l’Arsenal a été écarté également en raison de sa faible

attractivité touristique comparée aux autres quartiers du 4ème arrondissement.

Le périmètre de Montmartre à quant à lui été choisi en fonction des périmètres

administratifs du 18ème arrondissement. Il était en effet impensable de prendre

l’arrondissement dans son ensemble: c’est donc la butte Montmartre, d’une surface de 78

hectares, délimitée par les rues Caulaincourt au Nord puis la rue Custine, le boulevard de

Rochechouart et de Clichy au Sud, par le cimetière de Montmartre à l’Ouest et par la rue de

Clignancourt à l’Est.

Un périmètre un peu plus resserré a ensuite été sélectionné, délimité par les rues

suivantes : la rue des Abbesses et la rue Yvonne Le Tac au Sud, et les rues Caulaincourt,

Custine et Clignancourt au Nord et à l’Est.

Le quartier constitue un intérêt majeur pour l’étude en raison des hauts-lieux

touristiques qui s’y trouvent avec notamment la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre qui

attire plus de 10 500 000 visiteurs par an.29 Il s’agit d’un quartier véritablement touristique

depuis les années soixante environ, où se rendent de nombreux touristes, à la fois pour

profiter de la vue de Paris (la butte Montmartre, haute de 127 mètres, constitue l’un des points

culminants de Paris), des monuments qui s’y trouvent ainsi que de l’ambiance et de l’histoire

qui s’y rattache.

29 Données de l’Office du Tourisme de Paris, août 2010.

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Figure 8: Périmètres d'étude du Marais et de Montmartre

(Réalisations personnelles à partir de Google Maps et du site de la mairie du 4ème)

Ces quartiers touristiques, chargés d’histoires, de symboles et d’imaginaires méritent

donc d’être étudiés au regard des caractéristiques de la muséification afin d’en comprendre les

manifestations.

1.2. Quelle muséification pour le Marais ? Un processus ambigu et diffus

Quartier entièrement réhabilité dans le cadre du Plan de Sauvegarde et de Mise en

Valeur du Marais, gentrifié, hyper touristique, la question de la muséification dans le quartier

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du Marais pose problème, dans la mesure où elle se mêle à d’autres thématiques qui lui sont

proches.

Ainsi, peut-on par exemple imputer la muséification du quartier au seul PSMV dans la

mesure où celui-ci fixe des règles strictes d’aménagement du quartier et contrôle toute

modification urbaine, figeant ainsi le quartier dans un passé médiéval sacralisé ?

Quel est le rôle du gentrifieur dans le processus de muséification ? Attiré comme le

touriste par la typicité des lieux, contribue-t-il à la renforcer de manière démesurée,

produisant ainsi l’effet inverse ? De même, par l’image qu’ils véhiculent à travers la mise en

scène de leur boutique, quel rôle peuvent jouer les commerçants dans ce processus de

muséification ?

Enfin, quelles sont les réactions des habitants face au tourisme dans leur quartier et

quel est le rôle joué par les habitants dans la mise en tourisme de leur quartier ? Contribuent-

ils à dynamiser leur quartier où développent-ils des stratégies de fuite ?

1.2.1. Peut-on imputer la muséification du Marais aux programmes de

réhabilitation et de sauvegarde mis en place depuis les années soixante ?

A travers cette question, il convient de s’interroger sur la dimension règlementaire de

la muséification et dévaluer ainsi les impacts du PSMV dans la muséification du Marais.

Rappelons brièvement la mise en place du PSMV : le quartier du Marais était le lieu

du pouvoir royal et de l’aristocratie aux XV et XVIème siècles, qui fit construire de nombreux

hôtels particuliers. Cependant, au fur et à mesure, elle quitte le quartier pour s’installer vers

l’Ouest. Le quartier devient peu à peu industriel et populaire, les hôtels particuliers ne

deviennent plus qu’un décor et subissent de très nombreuses transformations.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le quartier, très délabré, était suroccupé

avec une densité de 680 habitants à l’hectare contre 28030 pour la moyenne parisienne et

frisait l’insalubrité.

30 Chiffres publiés par l’Atelier Parisien d’Urbanisme dans une étude intitulée : « PSMV du Marais, difficultés de gestion et d’application ; améliorations et modernisations nécessaires. », 2004, Paris, 202p.

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C’est dans ce cadre-ci qu’émerge la volonté de réhabiliter ce quartier, sous l’impulsion

notamment de l’association pour la Sauvegarde et la Mise en valeur du Paris historique,

association privée, fondée en 1963.

Le Secteur Sauvegardé est alors créé le 21 décembre 1964, tandis que le PSMV, mis

en œuvre dès 1964, n’est finalement approuvé qu’en 1996, près de 30 après.

L’Atelier Parisien d’urbanisme, en 2004, a évalué les impacts du PSMV sur le quartier

depuis les années 70, dans le cadre de la révision du PLU de Paris. Ses conclusions sont les

suivantes : « la reconnaissance du patrimoine urbain dans son ensemble est aujourd’hui

acquise, (…) le parc de logements a profondément évolué, l’inconfort a pratiquement disparu.

Les travaux de restauration entrepris par les copropriétés sont très nombreux et très peu

d’immeubles y ont échappé. »

L’APUR évoque surtout le rôle du PSMV dans la mise en place du confort et la lutte

contre l’insalubrité : en 2004, 80à 90% des immeubles ont été restaurés ou ont fait l’objet de

travaux d’amélioration et de confort et de réhabilitation durant les vingt dernières années.

C’est à ce titre qu’on parle de « sauvetage » et de « résurrection » du Marais. [B. De Andia,

1997] : il s’agissait en effet, avant tout de « parer au plus pressé ».

Socialement, les choses ont évidemment bougé en allant vers le sens d’une

gentrification : « ses habitants ne sont plus les mêmes (…) S’il reste un des quartiers les plus

denses en nombre d’habitants au mètre carré, sa population, de catégorie sociale plus aisée,

rajeunit et le nombre d’enfants augmente. » [A. Djirikian, 2004]

Surtout, il est intéressant de noter le maintien des activités traditionnelles dans le

Marais, avec une certaine diversification des activités, mais pas omniprésente : « Les activités

économiques ont également changé bien que des activités traditionnelles persistent dans le

nord du Marais. Le commerce de détail a prospéré, le commerce de gros est resté stable. Les

activités traditionnelles ont diminué au profit des nouveaux métiers, entreprises de conseil et

d’assistance, marketing, informatique, architecture et design… et galeries d’art. »

Les conséquences du PSMV sont ainsi analysées par Marie-Claude Lhommet,

responsable depuis 20 ans de l’Association Sauvegarde du Paris Historique : « Avant, c’était

un quartier pourri où personne ne venait et où se trouvaient les artisans. Le quartier mourrait

complètement ! Pourquoi croyez-vous que tous les centres-villes, tous les quartiers anciens

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dégradés font l’objet d’une attention particulière ? C’est parce qu’ils meurent ! Ces

programmes les font revivre, les embellissent, les gens reviennent et y mettent leur âme. Puis,

on s’est intéressé à ce quartier, et tout a changé. On a pu tout réhabiliter comme avant et tout

a changé : avec le festival, les gens ont commencé à venir et à apprécier, à découvrir et à

aimer. Progressivement, les choses ont alors évolué socialement : le prix du m² a énormément

augmenté, c’était un quartier popu avant et cet embourgeoisement a gagné tout Paris au fur

et à mesure. »31

De fait, il apparaît peu évident d’attribuer la muséification du quartier, -si

muséification il y a-, à ces programmes de réhabilitation. En effet, comme le conclut

l’APUR : « Le PSMV est le résultat d’une triple préoccupation : celle de la sauvegarde du

patrimoine, présente depuis la Loi Malraux et les premières études du PSMV, ainsi que de

l’attention des résidents du Marais pour la valeur historique, architecturale et urbaine du

quartier et du souhait de la Ville de Paris de maintenir le caractère évolutif des lieux et de

leurs activités. »

1.2.2. Le critère symbolique : un quartier vraiment typique ?

Selon le diagnostic touristique effectué par les étudiants du Master 1 DATT en 2009-

2010, la typicité est l’une des dimensions les plus appréciées du quartier du Marais.

La mise en tourisme de ce quartier a-t-elle préservé ou au contraire surfait, ce côté

typique ? Le fait que Dominique Bertinotti, maire du 4ème arrondissement, ait choisi de faire

de la lutte contre la muséification une de ses priorités conduit à penser que le Marais est un

quartier en perte de « typicité ».

Quels en sont alors les aspects ?

C’est à travers l’exemple du « Marais juif », que nous pouvons proposer quelques

éléments de réponse.

La communauté juive est implantée dans le Marais depuis le Moyen Age. Le cœur de

cet espace communautaire se trouve dans la « mythique » rue des Rosiers et dans les rues

avoisinantes. Il s’agit du « Pletzl » (Marais juif) considéré comme le « quartier juif par

excellence » à Paris [J-P. Azéma, 2005].

31 Entretien du 23 juillet 2011.

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Communauté particulière aux traditions souvent méconnues, l’ancienneté de cette

implantation et l’originalité de la culture juive constitue donc un attrait majeur pour les

touristes comme l’expliquait en entretien M. Frenssai, attiré par le « côté insolite et le fait de

découvrir une autre culture »32.

Une offre touristique s’est donc structurée autour de l’identité juive du Marais. Mais

« le constat actuel est que ces prestations sont majoritairement émises par des acteurs

touristiques extérieurs33, qui ont des objectifs souvent purement économiques. Ces

dynamiques communautaires sont donc plus mises en tourisme depuis l’extérieur : l’absence

de participation des groupes communautaires à la conception de cette offre créée parfois une

certaine mise en scène et une « caricaturisation » des cultures minoritaires ici présentes. »

[Bouhnini Z., Girard J., Scarset M., 2009], conduisant ainsi à « la disparition du caractère juif

de ce quartier, de son « esprit village » tant recherché par les Parisiens et de son

appartenance au patrimoine historique de la ville de Paris depuis plus de dix siècles » [A.

Fleury, 2005]

Par ailleurs, la disparition progressive des commerces juifs au profit de commerces de

luxe tend à renforcer la « caricaturisation » d’un quartier et d’une culture muséifiée comme le

rappelle M. Frenssai : « vu que les juifs sont en train de disparaître du coin, ils deviennent

comme les pièces d’un musée ! Un souvenir de ce qu’était le quartier avant ! Un témoin du

passé quoi ! »

Cette mise en scène et « caricaturisation » de la culture juive par des acteurs

touristiques extérieurs tend à se confirmer auprès des touristes enquêtés qui affirment trouver

le quartier peu authentique : sur les 15 touristes enquêtés, pour 12 d’entre eux, le Marais fait

faussement vieux par endroits, précisément dans la rue des Rosiers.

Ainsi, à travers cette première analyse, il apparaît que le Marais présente quelques

caractéristiques de la muséification, dans la mesure où les touristes ont relativement

l’impression d’être dans un décor.

32 Entretien du 25 juillet 2011. 33 Seul le musée d’art et d’histoire du Judaïsme propose une visite du quartier ainsi que quelques associations privées.

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Cependant, nous pouvons affirmer que cette caractéristique se traduit sur le territoire

de façon particulièrement diffuse et donc moins perceptible, en raison des multiples réalités et

caractéristiques qui animent ce quartier : la modernité du centre Pompidou côtoyant

l’ancienneté de Notre-Dame, le Marais gay côtoyant le Marais juif, … Il y a de tels contrastes

au sein du quartier que la muséification y est donc plus diffuse.

C’est ce que montre E. Hazan dans son livre sur Paris : « ceux qui pensent qu'à Paris

la partie est finie, ceux qui affirment n'avoir jamais vu d'explosion dans un musée, ceux qui

chaque jour travaillent à ravaler la façade de la vieille caserne républicaine devraient

réfléchir aux variations de cette grandeur qui n'a cessé, au fil des siècles, de surprendre tous

les prédécesseurs : la force de rupture de Paris. », située « à l'intersection de la vie du peuple

dans les faubourgs crasseux, de celle des aristocrates dans les hôtels particuliers et les beaux

quartiers, des bourgeois et des intellectuels sur les boulevards ; au point de jonction, aussi,

des révolutions artistiques et politiques. »

Ainsi, nous envisageons que la muséification dans ce quartier ne concerne qu’une rue

en particulier : la rue des Rosiers. Si le processus de patrimonialisation qu’a connu le Marais a

induit des changements en profondeur dans le quartier, on ne peut imputer toutes ces

modifications, bonnes ou mauvaises, à la muséification. En effet, rappelle R. Le Goix :

« Le Marais est probablement l’archétype du quartier

bouleversé par un plan de sauvegarde et de mise en valeur, de reprise

du bâti ancien mis aux normes contemporaines, le départ des

populations pauvres qui s’y étaient installées dans le cadre d’un

processus de taudification, et leur remplacement par des populations

assez variées (bourgeois intellectuels, gays, résidents étrangers,

touristes, commerçants dans le vent) unis par un même pouvoir d’achat

élevé. Volant au devant de la victoire, les touristes ont investi le Marais

et contribuent à y entretenir une animation qui, à côté de la

fréquentation des vieilles pierres, constitue le ressort même de leur

visite. »

Qu’en est-il à Montmartre qui n’a pas connu de tel plan de sauvegarde ?

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1.3. Montmartre, une « muséification par contraste »

Si l’on reprend les critères déterminés pour définir la muséification, c’est en premier

lieu le critère symbolique qui semble le plus s’appliquer au quartier.

En effet, sous l’intervention d’un certain nombre d’acteurs, le quartier semble perdre

« de son âme pour satisfaire la pression touristique : le touriste vient à Montmartre en quête

d’authenticité et de dépaysement, à la recherche du bon goût français. Néanmoins, cette

image véhiculée à l’échelle de la planète fait référence à l’action et aux activités des touristes

dans le quartier. L’héritage culturel est certes mis en valeur, mais à des fins commerciales et

la culture proposée s’harmonise en fonction des attentes des touristes. » [C. Garcin, 2009]

Le rôle joué par les commerçants dans ce processus a donc été prédominant

1.3.1. Le rôle spécifique des commerçants

L’exemple de la place du Tertre est à cet égard édifiant et révèle à quel point un

quartier peut s’adapter à la pression touristique et produire du « faux ».

Ainsi, après avoir observé, sur une durée de deux heures cette place, nous avons pu

parvenir à conclure les éléments suivants : tout d’abord, l’élément le plus frappant est la

mono-fonctionnalité du site.

On compte en effet 10 immeubles sur les 15 de la place qui sont occupés par des

activités touristiques : 7 sont des cafés ou alors des restaurants ; 2 sont des magasins de

souvenirs ; et enfin, on trouve le syndicat d’initiative. Les activités qui y sont proposées ne

correspondent donc pas aux activités traditionnelles de visite, mais de consommation d’un site

touristique : restauration pour « découvrir la gastronomie française »34, ou encore, achats de

souvenirs du site visité.

34 Citation de la carte d’un des restaurants de la place.

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Figure 9: Quelques éléments faussement vieux de la place et de ses alentours: décoration, nom des

commerces, utilisation du bois, vieilles enseignes, etc.

(A. Martin, 16 juillet 2011)

Autre élément intéressant, l’ensemble de ces commerces jouent sur le côté ancien de

leur enseigne et de leur magasin dans leur ensemble, entièrement mis en scène : la décoration

et les enseignes sont donc vieillis, tout comme les menus écrits avec une typographie

ancienne etc.

D’autres éléments sur la place contribuent également à redonner un effet ancien au

lieu : la présence de l’accordéoniste notamment ainsi que des artistes, activité traditionnelle de

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la place qui renvoie au passé artiste de Montmartre ; mais également le pavage de la rue ainsi

que le mobilier urbain qui renvoie là aussi au passé.

Surtout, il est intéressant de noter que l’ensemble de ces éléments se sont étendus à un

ensemble de rues autour de la place du Tertre et que tous jouent sur la même carte. Cette

dimension passéiste, théâtralisée du quartier est encore accentuée par le fait que l’on croise

souvent des personnes déguisées dans le quartier. Au cours de mon observation, j’ai ainsi pu

remarquer trois personnes déguisées, toutes en artistes peintres du XIXème siècle. Enfin, cette

dimension peut encore être remarquée par certains modes originaux de visite : la Deux-

chevaux, traditionnelle voiture française, marquée par son côté désuet35.

Ce sont donc en premier lieu les commerçants qui semblent être acteurs du processus

de muséification dans le quartier, comme le déplorait un commerçant de proximité situé en

aval de la place du Tertre36 : « il y a quelques tendances que je peux vous indiquer : par

exemple, le plus frappant, c’est au niveau de la place du Tertre et des rues autour de la

basilique : ça a été une énorme erreur que de laisser tous ces commerces s’installer à cet

endroit, un peu comme le long des quais de Seine vous soyer, près de Notre-Dame, où il y a

partout des boutiques pour touristes qui vendent la même chose partout. Et tous sont décorés

de la même façon, c’est désolant…Où est passée cette diversité qu’on connaissait ? »

Cette observation a donc permis de noter à quel point les commerçants notamment, on

produit du faux, du faussement vieux, afin de correspondre à l’imaginaire des touristes.

L’ensemble de ces éléments correspond en effet à l’image qui est portée par le site et

l’imaginaire des touristes.

Nous retrouvons bien ici ce qui a été dit en première partie : une accumulation

d’éléments anciens, sans être pour autant fidèle à l’histoire, appauvrissant ainsi les

significations du quartier.

C’est l’analyse qu’effectuait P. Serfaty-Gazon en parlant de « l’ancien » : les

monuments et sites patrimoniaux sont ainsi considérés comme beaux parce qu’ « historiques »

explique-t-elle. Selon elle en effet, « les habitants donnent à ce terme un sens large qui veut

dire « ancien ». Ils ne se réfèrent pas à des événements marquants ou à des hauts faits qui

35 Il s’agit d’un mode de visite proposé dans tout Paris, mais qui contribue à donner une image vieillotte du quartier et au-delà, de la ville. 36 Entretien du 24 juillet 2011.

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auraient eu lieu sur ces places mais au fait que toutes ont été témoins d'un passé collectif qui,

lui, est valorisé. Ce passé ne coïncide pas avec l'histoire telle que la définissent les historiens

mais avec une image positive d'un bon vieux temps dont le caractère principal est de

constituer un fond commun dans lequel chacun peut puiser à sa manière. En tant que tel, il

permet de faire référence aux origines. Parce qu'il sert de point d'appui à une représentation

ordonnée et simplifiée du passé, il contribue au renforcement d'une identité collective. »

Le monument ou quartier muséifié est appauvri de ses significations les plus profondes

comme le montre P. Serfaty-Gazon, pour constituer un tronc commun autour de l’image

réductrice du « bon vieux temps », derrière laquelle de multiples significations peuvent se

cacher.

Ainsi, dans le cas de la place du Tertre, comme des rues avoisinantes, ce que regarde

le touriste, la « collection » qu’il admire correspond aux rues et à l’ambiance ancienne qui

s’en dégage, puisqu’aucun monument en particulier ne se trouve sur les lieux.

C’est cette ambiance à l’ancienne qui plaît. En effet, on peut constater, avec F. Cachin,

la tendance actuelle de certaines villes à promouvoir leur passé, désormais attirant puisque

« le chic parisien fait dans la nostalgie. » Ainsi, « il est étrange de voir, en un quart de siècle

à peine, un centre-ville rejeter vers l’extérieur beaucoup de ses activités pour devenir si vite

un lieu neutre, un centre sacré, voué au passé, au souvenir, au tourisme. Devenir une ville qui

ne vit plus qu’au travers de ce qui est mort. ».

François Loyer explique cette nouvelle attirance pour le « pittoresque » dans la mesure

où ces paysages, ces quartiers, rompent avec la banalité du quotidien : « entre le stéréotype de

la banlieue et de son espace distendu, il lui faut des rues et des maisons, des façades de

pierres et des balcons de ferronnerie, bref, tout ce qui n’existe pas aujourd’hui dans la

construction de série. »

Nous pouvons ainsi mettre en parallèle cette analyse avec celle effectuée par S. Brunel

à propos de la disneylandisation, concept proche de la muséification : « les villes

s’agrémentent de quartiers-vitrines où les rues deviennent des musées à ciel ouvert. Partout,

la civilisation industrielle organise des espaces de récréation, destinés à offrir à ceux qui

veulent se distraire un monde merveilleux, où un prétendu passé est exalté comme s’il

incarnait l’harmonie d’un monde perdu. L’industrie du tourisme transforme la planète en une

multitude de lieux « dépaysant ». Qui se conforment à des archétypes. (…) Peu à peu,

l’industrie touristique reconstitue dans des périmètres bien délimités, de petits mondes

parfaits conçus pour coller exactement à notre attente. La disneylandisation du monde

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consiste à nous les offrir, en mettant en scène un prétendu paradis perdu, qui n’est que

l’exacte matérialisation de nos fantasmes. (…) les centres-villes bannissent les voitures pour

laisser place à d’adorables quartiers piétonniers pavés, avec enseigne « à l’ancienne » et

bacs à fleurs. »

La muséification à Montmartre, bien délimitée dans certaines rues, semble ainsi plus

marquée que dans le Marais et résulter d’une mise en tourisme encore mal gérée, illustrant

ainsi l’une des limites du tourisme à Paris : « le tourisme à Paris est une industrie jeune et il

m’apparaît qu’à Paris, les pouvoirs publics ne se sont jamais véritablement penchés sur son

développement. C’est ainsi que l’activité touristique de Paris s’est construit malgré elle, sans

véritable réflexion ou concertation. »

J-P. Bros évoque ici le rôle prédominant de certains acteurs, les professionnels du

tourisme notamment, mais également les habitants, dans la mise en tourisme réussie ou non

d’une vile, d’un quartier. Mal pensée, mal mise en œuvre, celle-ci pouvant, selon lui conduire

à transformer Paris en « ville-musée ».

Qu’en est-il à Montmartre ?

1.3.2. Le tourisme à Montmartre et les parcours touristiques : une implication à

double tranchant du Syndicat d’initiative et des Montmartrois

Le quartier de Montmartre semble en outre caractérisé par la muséification du point de

vue touristique à proprement parler, en raison notamment des types de parcours de visite qui

sont proposés aux touristes, donnant une image faussée du quartier comme le souligne

Madame Mahon, du Syndicat d’Initiative de Montmartre : « je dirai même que nous

contribuons à y développer la muséification : regardez les itinéraires que nous proposons aux

touristes : ils sont figés, ils restent toujours les mêmes » . Elle poursuit en outre en affirmant :

« Et puis vous savez, les itinéraires insolites que nous proposons, n’ont pas vraiment grand-

chose d’original…Ils s’appuient en fait sur les guides traditionnels ! Ces visites sont appelées

insolites mais ne le sont pas vraiment, et de toute façon le touriste attend toujours de voir ce

pour quoi il est venu : à savoir la Basilique et les autres points clefs du quartier. »

Nous pouvons à cet égard comparer les parcours insolites proposés par le Syndicat aux

parcours proposés dans les guides, avec en parallèle ceux proposés par une habitante de

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Montmartre, Madame Cornic, jouant vraiment sur la carte de l’insolite. Les cartes et le tableau

suivants soulignent les différences :

Figure 10: le parcours touristique insolite à Montmartre proposé par Madame Cornic

(Réalisation personnelle à partir de Google Maps)

Figure 11: Le parcours touristique insolite à Montmartre proposé par le Syndicat d’Initiative

(Réalisation personnelle à partir de Google Maps)

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Visite insolite habitante Visite insolite OTCP Visite classique Guide

touristique en main

La place des Abbesses avec le square J. Rictus et le mur des « je t’aime » et l’église Saint-Jean de Montmartre

Place du Tertre

Rue Steinkerque

Le passage des Abbesses et

ses masques

Eglise Saint Pierre de Montmartre

Square Willette

Le bateau-lavoir Le Lapin Agile et les vignes

Basilique du Sacré-Cœur

La maison de Dalida et la rue la plus étroite de Paris

L’Avenue Junot Place du Tertre

Les moulins de Montmartre : le Moulin de la Galette et le second moulin de Montmartre

Le passe-muraille, place Marcel Aymé

Eglise Saint-Pierre de

Montmartre

Le « cinéatre » de Montmartre

La villa Léandre La Mère Catherine

Le « passe-muraille », place Marcel Aymé et l’avenue Junot

Le Moulin de la Galette Le Musée Montmartre

La villa Léandre La maison de Dalida Le Lapin Agile

Le square Suzanne Buisson

et la statue de Saint-Denis

décapité

Le Bateau Lavoir L’Espace Dali

Le lapin agile et les vignes

de Montmartre

La maison Collignon du film Amélie Poulain

La Halle Saint-Pierre

Le « jardin sauvage » de Paris

L’auberge de la bonne Franquette

Le couvent des Carmélites La basilique du Sacré-

Cœur

L’église Saint-Pierre de Montmartre

En option : l’Espace Dali

Rue

s et s

ites

trav

ersé

s

En option : la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre

En option : le Musée

Montmartre

Dans ce tableau, nous pouvons voir en rouge, les éléments présentés comme insolites

lors des visites effectuées, et en bleu, les éléments présentés comme incontournables ou

« classiques ».

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Qu’y a-t-il de véritablement insolite dans ces parcours et quelles différences peut-on

noter ?

En regardant ces données, il apparaît que le parcours véritablement insolite est bien

celui proposé par l’habitante : les touristes qui ont entendu l’habitante se sont tous déclarés

satisfaits à la fin de la visite, et heureux de ne pas avoir entendu les discours habituels sur

Montmartre. En effet, la visite a été ponctuée par un ensemble de petites anecdotes de

quartier, d’histoires « vécues », de rencontres plus ou moins originales. Le guide ne donnait

que rarement des références historiques, hormis les principales, ou lorsque les visiteurs le

demandaient.

A l’inverse, dans la visite proposée par l’OTCP, on retrouvait tous les éléments

présents dans le guide touristique utilisé, à la fois par les éléments visités, mais également par

les commentaires.

En définitive, nous pouvons donc noter que le Syndicat d’Initiative a concouru en

partie à la muséification du quartier. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Madame Mahon, employée

du Syndicat : « Ce qui est amusant, c’est que les employés de l’office, issus du monde du

tourisme sont eux, beaucoup plus académiques ! Ils vont conseiller les choses classiques,

alors que moi, je vais leur dire cash : surtout n’allez pas place du Tertre pour déjeuner, allez

plutôt ici… ou là…Mais le problème, c’est que l’office du tourisme ne fonctionne que grâce

aux subventions de ses adhérents... qui sont la plupart du temps les commerçants de ce genre

de place… donc nous sommes un peu obligés de les indiquer ! Comme je ne suis pas une

« vraie » du tourisme, je peux me permettre de leur indiquer d’autres endroits ! Mais les

employés à temps plein de l’office sont obligés d’indiquer ce genre de boutique, alors oui,

nous sommes parmi les premiers à contribuer à la muséification de ce quartier ! »37

Ainsi, on peut noter que les Montmartrois, lorsqu’ils font visiter un quartier,

déconseillent même certains endroits, qui ont « perdu de leur intérêt » comme l’affirme

Madame Cornic, à l’image de la place du Tertre ou encore du café d’Amélie Poulain.38

Ces propos nous montrent enfin le rôle que joue le touriste lui-même dans la

muséification de la ville « le problème de Montmartre, c’est qu’il n’y a qu’un ou deux grands

monuments. Résultat, les touristes « lambda » ne vont voir que les monuments et lieux-dits

37 Entretien du 18 juillet 2011 38 Entretien du 16 juillet 2011.

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traditionnels et puis c’est tout, ils ne découvrent pas le « vrai » Montmartre. Ils transforment

le quartier en musée et ne vont pas voir le Montmartre vivant, celui des habitants. »39

Ainsi, nous avons pu constater lors de la visite du quartier de Montmartre dans le

cadre de notre enquête qu’un nombre très restreint de touristes s’éloignaient des grands sites

touristiques, des abords de la basilique, où toutes les composantes d’un quartier touristique

ont été relevées : cafés, bars, boutiques de souvenirs, peintres/portraitistes dans la rue, …

Ceci a été confirmé par les résultats des trois dernières questions posées aux touristes

dans le cadre de mon enquête de terrain40. L e graphique suivant résume ainsi les pratiques

touristiques dans le Marais et à Montmartre :

MaraisMontmartre

Insolite

Classique

74%

60%

26%

40%

0%

10%20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

Insolite Classique

Figure 12: pratiques touristiques à Montmartre et dans le Marais

Sur les trente réponses obtenues pour l’ensemble des quartiers, il apparaît en majorité

que les touristes ne visitent les quartiers que selon les grandes lignes, c’est-à-dire en visitant

uniquement les plus grands monuments ou hauts-lieux, une visite « classique » en somme.

Peu nombreux sont ceux qui visitent le quartier avec des habitants pas exemple.

A Montmartre, l’implication des touristes apparaît néanmoins plus forte, avec 7

touristes sur 15 souhaitant visiter le quartier par leurs propres moyens ou avec un habitant.

39 Entretien du 24 juillet 2011 avec M. Naji. 40 Les questions étaient les suivantes : Lorsque vos visitez un quartier, ne visitez-vous que les plus grands monuments ? (visite classique) Cherchez-vous à aller hors des sentiers battus lorsque vous visitez ce quartier ? (visite insolite) Comment le visitez-vous ? (en TO, avec un habitant, par vos propres moyens ?)

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Le rôle des habitants est alors indispensable pour mettre en valeur un quartier dans son

ensemble : c’est le cas de Madame Cornic, par exemple, dont le but est de faire découvrir le

« Montmartre des montmartrois, pas celui des touristes », que ce soit dans la vie réelle,

puisqu’elle organise des visites du quartier, ou sur Internet, puisqu’elle a créé un site sur le

quartier car « il n’y avait aucun site Internet donnant des informations intéressantes et

donnant une image vivante et vraie du quartier. Dans tous les sites connus, on voyait toujours

les mêmes choses. Je voulais changer tout ça. »41

L’organisation de ses visites cherche également la diversité : « je ne voulais pas faire

une visite trop figée, au sens où elle ne donne que des détails du passé. Tout au long de la

visite, comme vous l’avez vu, j’ai cherché à vous montrer des choses à la fois anciennes mais

aussi modernes, comme le mur des « je t’aime » qui date des années 2000, les références

cinématographiques (et pas que Amélie Poulain !) et des anecdotes de quartier, de la vie

quotidienne. »

C’est en effet davantage la dimension « village » qui attire, car on y trouve la vie et la

créativité, où les constructions nouvelles sont possibles, comme le rappelle M. Naji42 : « Le

quartier entier est mis en valeur par les gens qui habitent le quartier, bien plus que par les

programmes de réhabilitation qui sauvegardent les façades. Ce qui fait la vie du quartier ce

sont avant tout les gens. Ce qui fait que les touristes viennent, c’est plus pour l’esprit, pour

l’âme, que pour les immeubles restaurés ! D’ailleurs, il y a aussi des immeubles modernes :

voyez celui en bas de la butte à côté du Haagen-Dazs, et cela ne choque personne ! »

Ainsi, il apparaît bien que ce quartier n’est pas mort, ni même dépourvu d’habitants:

l’action de certain d’entre eux en faveur de leur quartier laisse en effet voir que cette

dimension là est encore forte. Le tourisme n’a donc pas entièrement figé le quartier puisqu’il a

suscité de nouvelles actions de la part de ses habitants par la fabrication de nouveaux

itinéraires touristiques.

Ainsi, la muséification engendre des pratiques émergentes du côté des touristes et des

habitants sur les territoires concernés.

On remarque donc bien, à travers l’ensemble de ces situations, différentes modulations

et expression de la muséification, différentes répercussions également sur les territoires, selon

41 Entretien du 16 juillet 2011. 42 Entretien du 24 juillet 2011.

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les projets menés respectivement par des acteurs confrontés à des enjeux et des contraintes

différentes.

Le rôle de certains acteurs dans ce processus a ainsi été souligné et montre ainsi la

nécessité d’une gestion efficace de la mise en tourisme d’un territoire, et ce particulièrement

dans la ville de Paris dont la politique touristique reste relativement récente43.

C’est à chaque fois par le biais du tourisme que la muséification semble avoir investi

un quartier, de façon plus ou moins diffuse, ou plus ou moins contrastée, à travers les

questions d’authenticité, d’imaginaires, d’ancienneté, dimension éminemment subjectives et

symboliques de la muséification.

De fait, celle-ci semble alors difficilement mesurable et quantifiable. Nous avons

néanmoins cherché à tenter l’expérience à travers la construction d’un indicateur de la

muséification.

3. SYNTHESE DE L’ENQUETE ET VERIFICATION DES HYPOTHESES

3.1. Une expression différente du processus de muséification selon les quartiers.

A l’aide de l’enquête par questionnaire réalisée auprès de 45 personnes par quartier, on

peut à présent préciser les variations du processus de muséification selon les quartiers étudiés

et vérifier les tendances qui ont pu être remarquées au cours des entretiens et observations.

Pour cela, nous avons choisi de reprendre 8 des composantes de la muséification qui

avaient été distinguées grâce à la première enquête réalisée par questionnaire :

- Les critères d’historicité et d’authenticité des quartiers qui renvoient à la dimension

symbolique présente dans tout processus de muséification. (Questions n° 1 à 4 du

questionnaire)

- Les critères de cohérence spatiale et la caractéristique figée renvoient également à

cette dimension symbolique et à la dimension architecturale/spatiale. (Questions n° 5

à 8)

43 En effet, le service de tourisme au sein de la ville de Paris n’existe que depuis 2001 alors même que la ville accueille plus de 30 millions de touristes par an. La politique touristique de Paris n’était avant mise en œuvre par l’office du tourisme uniquement.

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- Les critères règlementaires et de créativité architecturale renvoient à la dimension

architecturale/spatiale. (Questions 9 à 12)

- Les critères de vitalité et de mono fonctionnalité renvoyaient à la dimension

fonctionnelle (Questions 13 à 20)

Pour chacun de ces critères, le même nombre de questions à été pris en compte (4

questions par dimension), renvoyant à une dimension plus ou moins positive de la

muséification. Ainsi, pour les questions portant sur l’historicité par exemple, comme il a été

vu précédemment, la dimension de la muséification est à la fois positive et négative,

puisqu’elle inclut un état de fait : le quartier muséifié est ancien, marqué par l’histoire. Là où

la muséification sera portée à bout, il s’agira du fait que l’on a surajouté certaines dimensions

pour créer ou renforcer le côté ancien : le côté faussement vieux notamment.

A chaque réponse positive correspondant à un critère de muséification, un point était

ajouté au résultat final. Plus le résultat est élevé, plus la muséification est forte.

La note globale obtenue pour le quartier du Marais s’élève donc à un total de points de

335, tandis que la note globale obtenue pour le quartier de la butte Montmartre est de 360, sur

un total de points de 720. A titre d’illustration, il apparaît donc que la butte Montmartre atteint

un pourcentage de muséification de 50%, tandis que le Marais atteint un pourcentage de

46,5%.

Dans le détail, on note cependant des différences, qui permettent de mieux comprendre

le fonctionnement de ce processus par quartier.

On peut à présent dresser pour chaque quartier un graphique polaire résumant les

différents critères étudiés et les comparer.

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01020304050607080

Cohérence spatiale

Caractère figé

Historicité

Manque d'authenticité

Contraintes règlementaires

Manque de créativité

Manque de vitalité

Monofonctionnalité touristique

Marais

Montmartre

Figure 13: Poids relatif des composantes de la muséification par quartier

(A. Martin, réalisation personnelle)

Ces données permettent donc de confirmer la majeure partie des éléments découverts

au cours de l’étude qualitative :

Le quartier du Marais se distingue donc de la butte Montmartre par sa dimension

historique, par son ancienneté, plus reconnue que dans le quartier de Montmartre. Ainsi que

par sa dimension aménagement puisque le quartier a véritablement été mis en valeur et est

réglementé. Il se caractérise enfin par sa grande cohérence spatiale et par le manque de vitalité

de ses habitants et autres acteurs.

Ainsi, le quartier du Marais est doté des caractéristiques principalement positives

d’une muséification qui n’est donc pas aboutie. Seul le manque d’implication des habitants,

caractéristique négative, peut poser question. C’est d’ailleurs l’une des dimensions soulignée

par le diagnostic touristique du 4ème arrondissement et qui a pu être constatée par la suite lors

de la seconde phase de l’étude demandée par Madame Bertinotti à un petit groupe d’étudiants

de l’IREST dont je faisais partie. Nous avons ainsi pu mesurer à quel point leur participation

était cruciale, déterminante pour la mise en œuvre du projet de tourisme participatif et durable

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du 4ème arrondissement, dont le but est justement de limiter la muséification du quartier :

impliquer les habitants dans l’accueil des touristes étrangers, par exemple dans le cadre de

ballades thématiques44, permettrait en effet de diversifier et de renouveler le discours ainsi

que les imaginaires touristiques produits sur le 4ème arrondissement.

La butte Montmartre, quant à elle, est caractérisée par sa plus grande vitalité et

créativité, c’est-à-dire par une plus grande implication de ses acteurs. Elle est néanmoins

caractérisée par un certain nombre de tendances particulièrement péjoratives : le manque

d’authenticité de ses espaces, leur caractère figé, ainsi que la monofonctionnalité touristique

qui anime le quartier.

Les résultats de cette enquête nous permettent donc de conclure à la présence d’un

processus de muséification à Paris mais dont les effets sur le terrain ne sont que peu

déterminants en raison notamment de la micro-localité de ces espaces muséifiés que nous

pouvons donc maintenant représenter.

3.2. Localisation des lieux muséifiés à Paris et élaboration d’une typologie des

espaces muséifiés

Les réponses par questionnaires ainsi que les résultats de notre étude ont ainsi permis

de distinguer un certain nombre de lieux plus ou moins muséifiés à Paris.

En définitive, nous pouvons donc représenter sur les cartes page suivante les lieux

muséifiés des quartiers étudiés45.

44 Mises en garde et propositions formulées par le groupe « relations touristes-habitants » lors de la réunion de travail du 11 janvier 2011 à la mairie du 4ème dans le cadre de l’atelier de terrain visant à réfléchir sur les conditions de la mise en œuvre d’un tourisme participatif et durable dans le 4ème arrondissement de Paris. 45 Cartographie élaborée à partir de la question suivante: quels sont selon vous les lieux muséifiés de ce quartier ?

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LEGENDE :

Espace muséifié Espace fortement muséifié

Figure 14: localisation des espaces muséifiés du Marais et de Montmartre

(A. Martin, réalisation personnelle)

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Au terme de cette analyse, il semble qu’il n’existe pas de ville entièrement muséifiée,

à l’exception des villes mortes, dépourvues de leurs habitants, à l’image de Pompéi. C’est à

notre sens le premier volet d’espaces muséifiés, au sens le plus absolu qui soit. Ces espaces

sont dépourvus de vie et de liberté d’action (en raison des contraintes et mesures de protection

liées à la fragilité du site), mais très chargés symboliquement en raison de leur passé

exceptionnel.

Nous pouvons donc dire que la muséification en concerne que des espaces très

limités localisés généralement dans les centres hyper-touristiques des villes, qu’il s’agisse de

villes touristifiées à l’image de Venise, ou de villes à fonction touristique à l’image de Paris.

L’urbanité à l’œuvre dans ces espaces apparaît alors sous un jour différent, mise en

œuvre, non plus seulement par des habitants, mais davantage par des touristes et les relations

qu’ils tissent au sein de ces espaces.

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CONCLUSION

Au terme de cette recherche, un certain nombre de réponses peuvent être apportées

aux interrogations initialement posées.

L’étude approfondie des discours et perceptions concernant la muséification a permis

de mesurer la pertinence d’une telle notion pour désigner un aspect des impacts du tourisme

urbain sur l’espace, de comprendre les différentes réalités qui la composent et de voir la

complexité qui en résulte.

Terme non scientifique, repris lors de nombreux débats politiques, la muséification est

avant tout une notion peu objective, éminemment polémique, et de ce fait déployée pour

expliquer des réalités dont les causes sont la plupart du temps à masquer : départ des habitants

du centre de Paris, disparition des commerces de proximité, diminution du nombre d’emplois,

etc.,…

La muséification, dont les contours n’ont jamais été vraiment définis, est donc une

notion facile à mobiliser pour expliquer ces désagréables réalités.

Il en résulte donc une connotation extrêmement négative, qui fait de la muséification

le fléau actuel des centres historiques touristiques.

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Passé cette première caractéristique, il est alors possible d’approfondir le sens même

de la notion, située aux carrefours de réalités distinctes, mais néanmoins liées : le patrimoine,

la réhabilitation, la patrimonialisation et la mise en tourisme qui en résulte.

L’analyse des interactions entre ces notions a ainsi permis de voir que la muséification

n’est pas uniquement connotée péjorativement : un quartier muséifié est avant tout un quartier

mis en valeur, mis en tourisme et dynamisé par le tourisme. Il s’agit donc de ce qu’on peut

appeler le premier niveau de la muséification.

Menée à son terme, la muséification comprend cependant des caractéristiques

particulièrement négatives permises par la « monumentalisation » et la « réification » du

patrimoine situé dans l’espace en question (P. Duhamel, R. Knafou, 2007) : le quartier est

alors figé, tant dans sa forme que dans l’interprétation sacralisée qui en est faite, ne laissant

plus de place à la créativité et à la diversité d’interprétation.

La place est désormais faite pour une activité touristique omniprésente au détriment

d’une population résidente contrainte de quitter le quartier : perte d’authenticité et d’urbanité

s’en suivent, c’est la « mort » du quartier tel qu’il est communément envisagé.

La muséification a donc un lien plus qu’étroit avec le tourisme, qu’il s’agisse des

acteurs chargés de produire des discours et de créer des imaginaires sur une destination, des

acteurs chargés d’aménager les hauts-lieux touristiques, de créer des parcours touristiques ou

encore de conseiller les touristes.

L’étude de plusieurs quartiers parisiens a ainsi permis de déterminer le rôle particulier

de certains de ces acteurs, habitants et commerçants notamment, et ainsi de voir de quelle

façon la muséification pouvait être modulée, réduite ou accentuée, en fonction des enjeux

auxquels ces acteurs étaient confrontés.

De fait, un certain nombre de caractéristiques semblent démultiplier une impression de

muséification, sans pour autant la favoriser : l’existence de réglementations contraignantes au

sein d’un quartier par exemple, l’abondance de monuments dans un quartier, ou encore

l’omniprésence de touristes peuvent en effet donner une impression de muséification sans

pour autant que le processus soit avéré.

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Cette étude se termine, mais le sujet est loin d’être épuisé. Cette conclusion voudrait

donc être une invitation à poursuivre l’analyse par d’autres points, et d’autres voies, et

notamment à travers la question de l’urbanité et de l’usage social de ces espaces hyper-

touristiques muséifiés.

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Entretien du 16 juillet 2011 avec Madame Claire Cornic, habitante de Montmartre depuis 10

ans, créatrice du site Internet Montmartre-visite.com et organisatrice de visites insolites à

Montmartre.

Entretien du 18 juillet 2011 avec Madame Laraba et son assistante Madame Mahon, Syndicat

d’Initiative de Montmartre.

Entretien du 23 juillet 2011 avec un commerce du Marais : la boulangerie « Aux désirs de

Manon », 129 rue Saint-Antoine.

Entretien avec Marie-Claude Lhommet, responsable du pôle « Sauvegarde » et membre du

Conseil d’administration dans l’association Sauvegarde et Mise en Valeur du Paris

Historique, 23 juillet 2011

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Entretien du 24 juillet 2011 avec Monsieur Naji, commerçant de Montmartre, 10 bis rue

Yvonne-Le Tac, supérette.

Entretien du 25 juillet 2011 avec M. Frenssai, touriste visitant le Marais.

Sites Internet

www.insee.fr

www.legifrance.gouv.fr

www.urbact.eu/links

www.parisinfo.com

www.nouveau-paris-ile-de-france.fr/

Sur le Marais :

www.parismarais.com

www.mairie4.paris.fr

www.parislemarais.com

www.mahj.org

Sur Montmartre :

www.mairie18.paris.fr

www.montmartrenet.com/

www.montmartre-guide.com

www.montmartre-site.com

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ANNEXES

ANNEXE A : LES MANIERES D’ABORDER LA MUSEIFICATION DANS LA PRESSE Faut-il fuir Paris? Par Malaurie Guillaume, publié le 01/02/1996 Moins 100 000 habitants en vingt ans: les familles et les retraités fuient une capitale devenue trop chère et font place aux célibataires diplômés. Restent les touristes. Cela fait-il une ville? Paris vaut-il toujours la peine? La peine de surveiller ses toux grasses à chaque pic de pollution? La peine, pour les banlieusards qui viennent y travailler sur quatre roues, de perdre quelque trois cent mille heures par an dans les embouteillages? Pour les Astérix de l'intérieur du périphérique - 2,1 millions d'âmes, soit 100 000 de moins en vingt ans - le malaise sera fiscal. Le régime de faveur de la capitale va en effet décroissant: en mars, la taxe d'habitation, qui a déjà grimpé de 40% entre 1992 et 1995, risque une nouvelle poussée de 6 à 8%... Paris, fille aînée de l'Etat, Paris superlatif avec son Grand Louvre, sa Grande Arche et sa «très grande» Bibliothèque nationale de France s'est rapetissée économiquement. Les sièges sociaux continuent de filer vers les Hauts-de-Seine, et le crash des prix de l'immobilier parisien ne lui permet pas de retrouver de sa compétitivité sur le marché des bureaux: «Trop exigus, moins modernes qu'à Levallois ou à Nanterre», confie-t-on à la direction régionale de l'équipement. Et puis, Paris n'est plus Paname. Le peuple artisan et ouvrier gouailleur? Saisi à la gorge par la spéculation foncière, il a pris ses cliques et ses claques. Ne restent que quelques poches d'irréductibles dans l'est et les icônes de pacotille vendues place du Tertre pour entretenir le mythe des poulbots. Ou encore la Médiathèque des Halles pour célébrer l'hôtel du Nord d'Arletty, quand les hôtels meublés, les vrais, sont en voie de disparition: 3 000 en 1970, moins de 900 aujourd'hui. Les familles? Elles aussi lèvent le camp depuis quinze ans, choisissant la petite ou la grande couronne dès que le second enfant voit le jour. Les retraités? Ils se débranchent de la Ville lumière. Pour émigrer vers des terres où les feux clignotants sont moins stressés. Dans un sondage publié par Le Nouvel Observateur en 1991, 57% des Parisiens se disaient déjà «prêts à aller habiter ailleurs». Sans le babillage des enfants ni la mémoire des anciens, Paris n'est déjà plus vraiment dans Paris. Cœur refroidi d'une mégalopole de 10,5 millions d'habitants, la capitale tend peu à peu à ressembler à son centre historique: une salle des pas perdus pulsée par le RER, bientôt Eole, cisaillée d'axes rouges. Un échangeur de flux venant de toujours plus loin: les déplacements d’une heure et demie sont passés de 300 000 à 450 000 entre 1982 et 1990! L'adolescence bariolée de la Seine-Saint-Denis déboule gare du Nord ou aux Halles, mais repart sans s'accrocher. Surreprésentés en revanche, les jeunes actifs célibataires très diplômés mettent pied à terre le temps de se placer dans les allées du pouvoir. Parlons-en, du pouvoir. Du périmètre sacré des VIIe et VIIIe arrondissements, héritiers de la vocation éminemment politique du Paris universel. Une scène malade de son impuissance. Une scène qui, si l'on additionne les résultats, au premier tour de la présidentielle, des candidats issus des familles politiques représentées au Parlement, n'a rassemblé... que 50,6% des Français en âge de voter. Les autres (49,4%) ont voté blanc, Le Pen ou Laguiller, se sont abstenus ou n'étaient pas inscrits (1)! A-t-on remarqué que le candidat longtemps maire de Paris, Jacques Chirac, sentant la fronde contre l'establishment, n'a donné aucune interview à la presse quotidienne parisienne durant sa campagne? Autre première: l'automne dernier, le boycottage de Paris par les manifestants des banlieues proches. Les protestataires de Bobigny défilaient à Bobigny. Ceux de Créteil à Créteil... Grève du pavé parisien qui en dit plus que tous les sondages. Si la «ville décor», la «ville muséifiée», selon le percutant article de Françoise Cachin dans la revue Le Débat (2) reste universelle, c'est de plus en plus pour ses nuitées d'hôtel et pour son patrimoine pris d'assaut par la planète monde des tour-opérateurs. (1) Note du Geri (Groupe d'étude et de réflexion interrégional) avril 1995. (2) Gallimard, mai-août 1994.

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La moribonde est immortelle Par Vanja Luksic, Delphine Saubaber, publié le 30/04/2009 10:52 - mis à jour le 30/04/2009 L’EXPRESS On nous prédit périodiquement sa ruine lente, son enfouissement sous les flots, sa muséification. Venise ploie sous la déferlante touristique. Et si elle préparait sa renaissance? Il n'y a presque plus de pigeons à Venise. Les touristes sont défaits. Appareil photo au poing, ils tanguent sur les pavages de marbre, à l'ombre du campanile. Les grainetiers ont été chassés hors de la ville, la place Saint-Marc, qui avait fini par ressembler à un souk, est redevenue le salon le plus élégant du monde et Cocteau ne pourrait plus dire qu'il connaît un pays ensorcelant où "les pigeons marchent et les lions volent". Un cliché s'est évanoui, et c'est peut-être le début d'un changement dans la ville immuable dont régulièrement, dans la lignée de Byron et des poètes asthéniques, on remâche la mort, l'inexorable agonie, le lent affaissement vers un Disneyland gondolier, carnavalesque et dépeuplé. Un début, seulement. On ne rompt pas si facilement avec un chant funèbre vieux de quelques siècles. Ah! Venise... Contre l'armada de 20 000 pigeons, ce fut, en vérité, un combat digne des grandes heures de Lépante. Une guerre livrée par la surintendante en titre, au nom du patrimoine mondial de l'humanité. "Cette victoire est un tournant dans la préservation de la place Saint-Marc", s'enorgueillit aujourd'hui Renata Codello, revenue d'un cauchemar à la Sisyphe: "Dès que nous avions restauré des monuments, les pigeons revenaient, les souillaient et les mangeaient littéralement!" La faute à la Grande Guerre. En 1918, une poignée d'orphelins reçoit le privilège de vendre des graines sur la place. Au début, il s'agissait de caisses, puis les caisses sont devenues des étals. Et les étals se sont transformés en un business colossal; 3 500 tonnes de maïs par an. Les Verts défendaient les pigeons, les marchands de maïs brandissaient la mémoire de la guerre de 1914 - ils gagnaient, en fait, des salaires de PDG, 300 000 euros par an, non déclarés. L'armistice a été signé sur la base de 80 000 euros. Enragés, ils ont fait appel au tribunal. "Le jugement a fini par nous donner raison, en se fondant sur le fait que l'intérêt public prévaut. Il était temps!". Près d'un siècle pour pousser à la rémission 19 grainetiers : le pouvoir séculaire et occulte des corporations à Venise, temple du génie commerçant, ne s'est jamais démenti. Mais l'intérêt public se venge de plus en plus de leurs prébendes. Ces jours-ci, les gondoliers passent, à leur tour, sous les fourches de la justice pour avoir organisé, en 2003 et 2005, des manifestations sur le Canale Grande, car le maire voulait leur imposer des créneaux horaires. Résultat: 80 gondoliers dénoncés pour blocco navale (blocage naval), un délit de temps de guerre, passible de deux à douze ans de prison. "Dans une sorte de blitz, les carabiniers sont venus, un soir, nous apporter notre avviso di garanzia [avis de mise en examen], comme à des mafiosi! s'étrangle Roberto Luppi, le chef des gondoliers. On avait juste manifesté devant la mairie. Et en musique. » Il fut un temps où chanter la biondina in gondoeta sous la lune vous rendait intouchable, c'est désormais téméraire. Venise a-t-elle trop vendu son âme à ces diables de touristes qui viennent ici chercher l'Orient et l'Occident, le bal masqué de l'Italie et la brûlure du pinceau d'un Tintoret, les grimaces de carnaval et l'indicible émotion de Tiepolo? Sacrilège: Dans un article iconoclaste, l'économiste britannique John Kay proposait de déléguer la gestion de Venise à la Disney Corporation, pour que l'on se préoccupe enfin de réguler le tourisme de masse ! La belle à fleur d'eau, au charme puissant et périssable, ploie sous ses 21 millions de visiteurs de tous bords. En quinze ans, leur nombre a doublé. Nulle ville, dans sa beauté, n'est à la fois plus péremptoire, criante, offerte, et plus secrète et raffinée... Nulle ville n'est, de fait, plus promise à la vénération aussi empressée que superficielle d'un tourisme de masse. En 1910, dans l'une de ses bouffées prophétiques, nappées de ressentiment contre Venise, le futuriste Filippo Tommaso Marinetti moquait déjà la vision d'horreur: "Une Venise modelée sur le goût des étrangers, marché pour antiquaires corrompus, aimant à attirer les snobs et imbéciles du monde entier"! Sacrilège et trahison. En septembre dernier, le très prestigieux Istituto Veneto des sciences, des lettres et des arts a jeté un magnifique pavé dans la lagune en attribuant un prix à un économiste britannique, John Kay. Sa thèse? Puisque la ville est devenue un parc à thème et qu'on ne se préoccupe réellement ni de gérer ni de réguler ce tourisme de masse, autant le déléguer à la Disney Corporation, dont c'est le métier. Pourquoi pas un ticket d'entrée? Et des tours en gondole dans l'"insubmersible Atlantide" (!) L'idée était de créer une onde de polémique pour forcer la réflexion, étrillant au passage la gestion communale du philosophe Massimo Cacciari. Le brillant disciple de Nietzsche et de saint Augustin n'a pas goûté le châtiment, "simplement comique".

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Ce matin d'avril, le bouillant maire, qui disparaît derrière les livres amoncelés sur sa table monumentale, a l'air plus que las de se battre contre les mythes. "Et si vous cessiez, la presse, de réduire Venise à la pire des cartes postales: Saint-Marc, le pont des Soupirs, l'acqua alta et basta! C'est difficile d'administrer une carte postale, un trésor universel, les caprices d'une lagune, sa pollution, un imaginaire morbide, deux villes siamoises d'eau et de terre que tout sépare mais qui n'en font qu'une, Venise et Mestre... Se représentera-t-il, au terme de ce troisième mandat? Nooo! Tout est d'une complexité folle, d'une délicatesse extrême, un travail épuisant. Sans compter que l'Etat ne nous verse plus un centime..." Il égrène les changements: un très important parc technologique, né dans la zone industrielle de Marghera, une nouvelle université à Mestre, le nettoyage des canaux, le rehaussement de quais... "Tout se fait, ici, en luttant contre une myriade de pouvoirs qui se superposent et se contredisent, déplore-t-il. Chaque décision prend un temps infini." Le pont du Rialto a été discuté durant un siècle. Et quand, plus tard, on a voulu introduire les vaporetti, les Vénitiens ont crié au scandale. Dix ans de délibérations. Venise, campée sur de fragiles pilotis, vouée à l'indécision de sa lagune, est baignée d'infinies subtilités. "Venise, c'est la ville du non fare", résume un non-Vénitien, Enrico Marchi, directeur de l'aéroport. "On y a même fait, un jour, une exposition des oeuvres non réalisées! Pourtant, les Vénitiens n'avaient pas hésité à dévier un fleuve, le Piave, sous la Sérénissime..." Le souvenir ébloui de l'âge d'or affleure, encore et toujours. Et si... Et si l'on se reprenait à rêver de Venise au banquet de l'Univers, d'un rayonnement européen, d'un futur renouant avec le passé? De son bureau sur la lagune, Paolo Costa, président de l'autorité portuaire et ancien maire, évoque un port de marchandises agrandi, une flotte conquérant de nouveaux marchés, la fiancée de l'Adriatique renaissante: "Si tout dépend du tourisme, il n'y a plus de vie urbaine, seule une collection de musées", dit-il. Marchi, lui, veut relier son aéroport, le troisième d'Italie, au TGV sur la nouvelle ligne Lyon-Trieste. Et creuser ce métro sublagunaire dont on parle depuis vingt ans. "Si on a pu faire le tunnel sous la Manche, on peut faire le sub-lagunaire, non?" Certes, mais, ici, tout ce qui touche à la lagune, le prélude et la fin de Venise, porte la passion à son comble. On ne présente plus le Mose, sa pompe et sa controverse. L'onéreux et spectaculaire barrage de digues mobiles (4 milliards d'euros), bâti sous l'eau par le Consortium Venezia Nuova, qui libérera la ville de ses marées périodiques, toujours plus nombreuses, arrive aujourd'hui à 50% de sa réalisation. "La discussion a commencé en 1966, avec la grande acqua alta, et s'est achevée en 2003", soupire Paolo Costa. Livraison en 2014. Dans ses locaux design et épurés, à l'Arsenal, qui ressemblait encore il y a peu à un cimetière marin, l'ingénieur Antonio Paruzzolo crayonne les lendemains: "Ici, nous accueillerons 1 000 personnes travaillant à la gestion du Mose et à notre grand centre de recherche sur la sauvegarde et la planification marine. 60% de la population mondiale vit le long des côtes. Les pires prévisions envisagent une hausse de 60 centimètres du niveau de la mer dans un siècle. Nous devons exporter notre savoir". Mais sous le Mose couvent encore de grandes peurs, murmurées, tel un amoureux anxieux, par Arrigo Cipriani, patron du légendaire Harry's Bar: "Ce n'est pas seulement l'équilibre écologique qui risque d'être rompu, mais aussi l'équilibre mental de Venise. L'acqua alta est une source de vie pour la ville, où il n'y a pas d'égout. C'est la mer qui nettoie tout, qui entre, ressort et circule comme le sang dans notre corps..." La mort qui guette Venise, selon lui, c'est le vieillissement de sa population et le dépeuplement: 60 000 habitants dans le centre historique, trois fois moins qu'en 1966. "A tout miser sur le tourisme, on finira par transformer les Vénitiens en pandas à placer sous la protection du WWF", ironise l'ancien magistrat Felice Casson. C'est difficile d'habiter un rêve. Dans l'embrasure de sa librairie la Toletta, où il doit, régulièrement, repêcher ses reliures des eaux, Giovanni Pelizzato explique que beaucoup de Vénitiens préfèrent louer ou vendre à des étrangers et vivre sur la terre ferme, où tout est moins cher. "La plupart de nos amis sont à Mestre et, si nous voulons passer une soirée, c'est toute une expédition avec les vaporetti!" Alors, avec une centaine de résistants, il a fondé, en 2007, l'association des Vénitiens de 40 ans. Unis contre le déclin! Frappés de plein fouet par la crise et l'invasion des verres made in China, les artisans se sont ligués, aussi, pour protéger le label Murano, la dernière industrie vénitienne. "Selon une enquête, les 20 millions de touristes dépensent, en moyenne, ici, 15 euros! C'est évident qu'ils achètent chinois", s'agace Gianni De Checchi, directeur de l'association Confartigianato, rappelant que, ces derniers mois, dix usines ont fermé, laissant 600 ouvriers sur le carreau. Alors ils ont créé, le mois dernier, la marque Venice Selection, regroupant les créations vénitiennes de qualité, "pour garder notre trésor vivant". Entre la mort lente et la résurrection perpétuelle, Venise a peut-être choisi.

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Welcome to Venice, the theme park From Times Online March 1, 2008 John Kay Venice is already a theme park, so why not hand the city over to a company that would do a better job of running it, argues a leading economist, John Kay. VENICE is the first urban theme park. Like any other theme park, it is full of attractions, but impractical for everyday living. Since it has about 70,000 residents and 19 million visitors a year, most of the people you find in Venice at any time are tourists. The ratio of tourists to residents will rise inexorably. Economic growth will add millions to the numbers of potential visitors, while the fall in numbers of permanent residents, who face high prices for accommodation and low availability of groceries and hairdressers, will continue. The economic logic that leads people to visit Venice for their honeymoon but not to discuss their pension plan will forever dictate the structure of Venice's economy. With its tourist majority, Venice should be managed as a tourist city, not a municipality, rather as a national park is managed as a tourist area rather than a rural parish. Aesthetes might be appalled by the comparison between Venice and Disneyland, but Venice is as artificial as Disneyland. The city ceased to be a significant commercial and political centre more than 200 years ago. The successors of the Doges of Venice are the politicians of modern Italy, and Venice today lacks the competent management that the Walt Disney Company could provide. Without competent management, the race is on to see whether the city sinks first under a sea of tourists or beneath the waves of the Adriatic. If tourists paid 50 euros (about £38), which is similar to the price of entry to Disneyland, as an admission fee to Venice, the proceeds would fund the barrier needed to protect it from the sea, finance urgently needed conservation, and build better facilities to meet the needs of tourists while preserving the character of the city. The Walt Disney Company would ensure that Venice is preserved because it cares about the value of its assets. Venice's politicians, who care about re-election, oppose the barrier in favour of something better and less costly, without being specific about what that is. Disney wants its guests to have a good time because it cares whether they come back. Most residents of Venice would rather that visitors didn't come back. Disney is fiercely protective of its brand but nobody owns the brand that is Venice. If the first thing visitors to Venice remember is the magnificence of the setting, the second is the frequency with which they were ripped off. The point of a ¤50 charge is not to make tourists pay through the nose: they already do. It is ¤6.50 to board a vaporetto, overpriced tat flanks the Rialto and the Accademia and the most expensive coffee in the world is served to bad music on St Mark's Square. An admission charge would divert the money that visitors already pay from the black hole of Italian politics and the greedy merchants of Venice to the preservation and enhancement of the - tourist - amenities of the city. Bewildered Asian visitors wander around St Mark's Square, taking photographs of each other and feeding the innumerable pigeons. As a tourist city, Venice needs to serve its visitors better. Imagine a visitor centre that explains the role Venice played in the development of Western civilisation and (though not everyone will like it) in the development of Western capitalism - a pioneer of globalisation. Imagine also a Venice off-season, closed to day tourists, allowing those who most love the city to experience it as Ruskin must have experienced it. The problems of Venice are not problems of technology or finance, but problems of politics, organisation and management. Historical accident has placed the jewels of Western Europe's culture and civilisation in the hands of Western Europe's most dysfunctional political system. When Ulysses S.Grant created the first national park, he emphasised that America's natural wonders belonged not just to the people who lived near by but to the nation as a whole. The implication was that the nation had both rights of access and responsibilities of management. Europe's manmade wonders belong, not just to the people who live near them, but to the inheritors of European civilisation, who have both rights of access and responsibilities of management. Disney is not the best answer: but anything would be better than the squabbles, corruption and delays of Italian politics.

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ANNEXE B : TYPOLOGIE DU TOURISME URBAIN EN EUROPE ET DES VILLES

TOURISTIQUES

La ville touristique est une appellation générique qui traduit plusieurs modalités de la mise en tourisme ou différents processus d’évolution des lieux touristiques : ville à fonction touristique, ville-étape, ville-station, ville "touristifiée". La ville à fonction touristique est un lieu investi par le tourisme par insertion d’une fonction touristique dans l’espace. Ce qui aboutit à la territorialisation touristique de certains secteurs de la ville mais sans modifier la structure urbaine dans son ensemble. Toutes les grandes capitales et villes du Monde en relèvent peu ou prou (Paris, Londres, Rome, etc.). La ville-étape constitue une variante du type. En général, il s’agit d’une ville de plus petite dimension qui présente une fonction d’hébergement hypertrophiée mais qui est peu ou pas visitée par les touristes. La ville-étape doit beaucoup à sa position relative au sein du système de circulation ou par rapport à une région touristique. Tours est ainsi située au centre de la région constituée par les pratiques itinérantes des touristes découvrant les châteaux de la Loire. La ville-station est un lieu urbain investi et diverti par le tourisme à ses marges, qui aboutit à la juxtaposition d’un quartier touristique de type station (créé par et pour le tourisme) à un noyau ancien avec une agglomération déjà en place. On parle de ville touristifiée lorsque le lieu urbain préexistant est subverti par le tourisme, au point que le tourisme domine dans l’espace comme dans l’économie et qu’il ne subsiste guère de fonctions autres que banales, dévolues au service des habitants permanents (Venise, Saint-Tropez, etc.). La ville (exemple, Venise ou Saint-Tropez) ou le quartier généralement central (Bruges) se trouve alors dans un état de dépendance mono-fonctionnelle.

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ANNEXE C : DONNEES GENERALES SUR LE TOURISME A PARIS

La région Île-de-France est la première destination touristique mondiale : - 60 millions de visiteurs français et étrangers par an. - Chiffre d’affaires : 17 milliards d’euros en 2008. - 600 000 emplois directs, indirects et induits.

Les meilleures fréquentations des principaux musées, monuments et sites touristiques franciliens en 2008 :

- Disneyland® : 15 300 000. - Cathédrale Notre-Dame de Paris : 13 000 000. - Sacré Cœur de Montmartre : 10 500 000. - Musée du Louvre : 8 460 000. - Tour Eiffel : 6 929 463. - Domaine de Versailles (château, Grand Trianon, Petit Trianon, spectacles) : 5 613

850. - Centre Pompidou : 5 483 941. - Cité des Sciences et de l’Industrie : 3 042 000. - Musée d’Orsay : 3 025 164. - Muséum national d’histoire naturelle : 1 696 360. - Musée du Quai Branly : 1 389 490. - Arc de Triomphe : 1 317 996. - Musée de l’armée : 1 194 950. - Musée du Luxembourg : 973 417. - Sainte-Chapelle : 850 000. - Galeries nationales du Grand Palais : 819 186. - Musée Grévin : 762 705.

Evolution des arrivées des étrangers en Ile-de-France - 1990 à 2008

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Source : Enquête hôtelière _ INSEE

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ANNEXE D : PERIMETRE DU SECTEUR SAUVEGARDE DU MARAIS

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1: la muséification, un processus à la charnière entre trois grandes notions "valise" ...17 Figure 2: les trois dimensions de la muséification appliquée au musée..................................19 Figure 3: schéma récapitulatif des relations entre patrimoine et muséification.......................26 Figure 4: les différents critères de la muséification ...............................................................41 Figure 5: Le processus de la muséification............................................................................42 Figure 6: L'espace touristique parisien ..................................................................................47 Figure 7: Paris muséifiée ......................................................................................................48 Figure 8: Périmètres d'étude du Marais et de Montmartre .....................................................58 Figure 9: Quelques éléments faussement vieux de la place et de ses alentours: décoration, nom des commerces, utilisation du bois, vieilles enseignes, etc.............................................65 Figure 10: le parcours touristique insolite à Montmartre proposé par Madame Cornic ..........69 Figure 11: Le parcours touristique insolite à Montmartre proposé par le Syndicat d’Initiative.............................................................................................................................................69 Figure 12: pratiques touristiques à Montmartre et dans le Marais..........................................72 Figure 13: Poids relatif des composantes de la muséification par quartier .............................76 Figure 14: localisation des espaces muséifiés du Marais et de Montmartre............................78

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TABLES DES MATIERES

REMERCIEMENTS ..................................................................................................3 SOMMAIRE ..............................................................................................................4 INTRODUCTION ......................................................................................................5 PREMIERE PARTIE : A LA RECHERCHE DE LA MUSEIFICATION .............. 13

1. LA VILLE-MUSEE EST-ELLE UN MYTHE ? .....................................................................14

1.1. Où sont les villes musées ?.................................................................................14 1.2. Les discours sur la muséification ......................................................................15 1.3. Entre musée et muséification : y a-t-il un fonctionnement muséal des villes ?..19

2. LES PARADOXES DE LA MUSEIFICATION, UN « VOYAGE AU PAYS DES CONFUSIONS ? » .21

2.1. Aux origines de la muséification : protection du patrimoine et patrimonialisation .......................................................................................................21

2.1.1. 1830- 1960 : La protection du patrimoine................................................22 2.1.2. 1960-1990 : vers le « tout-patrimoine »....................................................24

2.2. Entre monumentalisation et muséification : une approche sacralisée et symboliquement démesurée de l’espace.......................................................................27

2.2.1. Les fonctions du monument dans l’espace ...............................................27 2.2.2. Vers la surenchère symbolique dans l’espace............................................28

2.3. Entre « réification » et muséification : une instrumentalisation du patrimoine ? 29

3. VERS L’ELABORATION D’UN INDICATEUR DE MUSEIFICATION ? .................................33

3.1. Partir de la théorie : l’exemple de Venise comme modèle méthodologique ......33 3.1.1. La dimension symbolique : une ville muséifiée est-elle une ville qui a perdu son âme ?..................................................................................................................33 3.1.2. La dimension règlementaire : une ville muséifiée est-elle une ville dépourvue de liberté d’action ? ................................................................................34 3.1.3. Le critère fonctionnel : une ville muséifiée est-elle une ville privée de vie et d’activités ?...............................................................................................................36

3.2. Poursuivre par l’expérience : une enquête des perceptions sur la muséification 37

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SECONDE PARTIE : PARIS, LE NOUVEAU « DESERT FRANÇAIS » ? MODULATION ET UTLISATION DE LA NOTION DE MUSEIFICATION A PARIS .......... 44

1. PARIS, L’ARCHETYPE DE LA VILLE – MUSEE ? .............................................................46

1.1. La dimension symbolique à Paris : une ville rêvée et imaginée conduit-elle à figer la ville ? ................................................................................................................49 1.2. Une ville entièrement tournée vers le passé ? ...................................................52 1.3. La ville de Paris est-elle une ville privée de vie et d’activités ?..........................54

2. UNE VARIATION DU PROCESSUS DE MUSEIFICATION SELON LES QUARTIERS ..................54

1.1. Le choix de deux quartiers bien différenciés .....................................................55 1.2. Quelle muséification pour le Marais ? Un processus ambigu et diffus..............58

1.2.1. Peut-on imputer la muséification du Marais aux programmes de réhabilitation et de sauvegarde mis en place depuis les années soixante ? ..............59 1.2.2. Le critère symbolique : un quartier vraiment typique ? ............................61

1.3. Montmartre, une « muséification par contraste » ...........................................64 1.3.1. Le rôle spécifique des commerçants..........................................................64 1.3.2. Le tourisme à Montmartre et les parcours touristiques : une implication à double tranchant du Syndicat d’initiative et des Montmartrois...............................68

3. SYNTHESE DE L’ENQUETE ET VERIFICATION DES HYPOTHESES .....................................74

3.1. Une expression différente du processus de muséification selon les quartiers. ..74 3.2. Localisation des lieux muséifiés à Paris et élaboration d’une typologie des espaces muséifiés .........................................................................................................77

CONCLUSION ....................................................................................................... 80 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................. 83 ANNEXES.............................................................................................................. 90 TABLE DES ILLUSTRATIONS ............................................................................ 97 TABLES DES MATIERES..................................................................................... 98

Page 100: UNIVERSITE DE PARIS 1 - PANTHEON SORBONNE · donner de l’image, en tant que ressource patrimoniale, le plaçant de ce fait dans une situation tendancielle de muséification. (…)

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Le TOURISME URBAIN ET LA MUSEIFICATION,

Résumé :

Les analyses portant sur les impacts du tourisme urbain à Paris évoquent souvent un

élément déterminant parmi d’autres : celui de la muséification.

Paris, à l’image de Venise, serait, depuis une vingtaine d’années voire plus, en proie à un

processus de muséification.

C’est-à-dire que Paris serait en péril : en témoignent la réduction progressive, mais

constante, de la population résidente à Paris, et de l’arrivée progressive, mais non moins

constante et non moins croissante, de résidents secondaires, pour la plupart étrangers en

plein centre de la ville; en témoigne également la disparition des commerces de proximité

au profit de commerces de luxe, en témoigne aussi l’impossibilité de construire à son gré

dans la ville, réglementée par une législation particulièrement contraignante, en témoigne

aussi le développement du façadisme, de plus en plus récurrent à Paris.

En somme, la ville, désormais figée semble tournée vers le passé, et son déclin imminent.

En cause : le tourisme et la muséification qui en résulte.

Peut-on véritablement imputer l’ensemble de ces tendances à la muséification ? Qu’elle

est-elle précisément ? L’analyse des discours portant sur la muséification montre que cette

notion est méconnue et tournent à la confusion.

Cette recherche, appliquée à la ville de Paris, se propose donc de revenir sur un terme

particulièrement polémique pour en éclairer le sens afin de mieux comprendre le

fonctionnement actuel des centres historiques hyper touristiques, ainsi que des impacts du

tourisme sur ces espaces. Appliquée à Paris, cette étude cherchera également à répondre à

la question de la mise en tourisme de Paris, dans une dialectique centre-périphérie, avec en

ligne directrice la question du tourisme dans le Grand Paris.

Mots clefs : muséification, tourisme, ville, patrimoine, monuments, gentrification, Paris,

conservation, sauvegarde, impacts.